Portrait des ouvrières d’Asbestos : les femmes ayant travaillé dans la mine d’amiante entre 1950 et 1980

Démarche exploratoire en histoire orale

MYRIAM GAGNÉ

Université de Sherbrooke

 

Résumé : La période se situant entre 1950 et 1980 est, dans la mémoire collective d’Asbestos, considérée comme étant les années « âge d’or » de la mine d’amiante. Les conditions de travail et de vie s’améliorent petit à petit, faisant de la Canadian John’s Manville une compagnie où il y a des avantages de travail intéressants[1]. Mais, si les travailleurs ont désormais une qualité de vie supérieure, qu’en est-il des travailleuses de cette même compagnie ? Vivent-elles des particularités propres à leur sexe ? L’histoire orale nous permettra donc de combler un vide historiographique et historique. 

 

mots clés : Asbestos, mine d’amiante, femmes, histoire orale, âge d’or, conditions de vie, salubrité, communauté, univers domestique, mémoire

 

 

Table des matières
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    La mine à ciel ouvert d’Asbestos a commencé à être exploitée dans le Canton, autrefois appelé Shipton, à partir de 1879, sur le terrain de l’agriculteur Charles Webb qui louait sa terre à M. Jeffrey, un gentleman-farmer de Richmond[2]. Typique de la période d’industrialisation, la Canadian Johns-Manville employait de nombreux ouvriers francophones en leur offrant un salaire extrêmement bas[3]. Les conditions de travail étaient médiocres, la salubrité de la ville également. C’est, entre autres, ce qui a mené la mine d’amiante à vivre une grève ouvrière en 1949. En effet, Asbestos fut le théâtre d’une contestation ayant une grande importance au Québec, car c’était la première fois que le clergé catholique appuyait rigoureusement une grève et que l’opinion populaire penchait majoritairement du côté des grévistes[4]. Malgré de faibles gains suite à la grève, le rôle du syndicat a augmenté en importance, faisant en sorte que les conditions de travail et de vie devenaient de plus en plus acceptables. Par exemple, le salaire versé pour 2650 ouvriers est de 10 millions de dollars en 1951, alors que 5 200 000$ étaient alloués pour 2200 ouvriers en 1948[6]. De plus, la semaine de travail est désormais de 40 heures[6]. « Elle était de 48 heures en 1948, tandis qu’en 1929, elle atteignait 70 heures[7] ». Toutefois, il ne faut pas passer outre les inconvénients engendrés par la proximité d’un site minier. En effet, on peut penser à la qualité de l’air, car, même si elle s’est améliorée à partir de 1950, il a fallu attendre les mesures sanitaires de 1975 pour bien protéger la ville[8]. Également, comme la mine s’est grandie à plusieurs reprises dans son histoire, de nombreuses démolitions de quartier se sont produites. Cela a eu pour conséquence de briser le tissu social des quartiers et de la ville, mais aussi de faire disparaître des lieux patrimoniaux importants[9]. Malgré tout, la période minière se situant entre 1950 et 1980 est considérée par certains historiens (Lampron, Cantin et Grimard[10]) comme une grande période de prospérité qu’on pourrait appeler «l’âge d’or». 

    Cette dite période de prospérité serait caractérisée par divers éléments, notamment une hausse des conditions économiques, une meilleure qualité de vie et une augmentation du temps destiné aux loisirs[11]. Toutefois, cette thèse est questionnable, du moins il y a peut-être lieu de la nuancer. En effet, comment les Asbestriens et les Asbestriennes peuvent-ils estimer avoir de bonnes conditions de vie, alors que la salubrité urbaine n’est pas à son meilleur et que le travail à l’intérieur de la mine est difficile ? Également, lorsqu’on considère qu’une minorité de femmes a travaillé à la mine dès la Deuxième Guerre mondiale, nous pouvons nous questionner par rapport à la manière dont elles ont vécu personnellement ladite période de prospérité[12]. Toutefois, il est impossible de le savoir à la lumière des études, car il s’agit d’un vide historiographique. En effet, il n’existe pas d’informations précises sur leurs cas. Les témoignages oraux sont alors légitimes afin d’obtenir des informations plus complètes.

    Ainsi, comme nous constatons un vide historiographique en ce qui a trait à l’histoire des femmes à Asbestos, et que nous remettons en question les réalités des années qui sont considérées comme étant les plus prospères au sein de l’industrie et de la ville, nous pouvons nous poser la question suivante : considérant que la mine d’Asbestos connaît un « âge d’or » économique entre 1950 et 1980, comment est-ce que cette prospérité se répercute concrètement sur les conditions de vie et de travail des ouvrières ? 

    À l’aide de différentes études et particulièrement grâce à des enquêtes orales auprès d’anciennes ouvrières, on remarque que les conditions de vie de ces dernières se sont véritablement améliorées pendant la période « d’âge d’or ». C’est d’abord le cas au niveau économique, grâce au salaire qui augmente et qui permet une qualité de vie supérieure à la génération précédente. Puis, au niveau social, puisque les femmes ressentent un sentiment d’appartenance envers le milieu de travail dans lequel elles travaillent.  Malgré certains effets positifs, l’âge d’or de la mine d’Asbestos ne parvient pas à changer la division sexuelle des tâches liées à la maison. En effet, les ouvrières de la mine ont dû composer, comme en témoignent les propos recueillis, avec l’imposition du modèle traditionnel de l’épouse et mère au foyer.  Concrètement, elles ont vécu la double tâche d’être à la fois ouvrières et maîtresses de maison.

    Cette hypothèse sera ici étudiée à travers différentes thématiques, telles que les conditions économiques et de vie en général, l’impact de la présence des femmes dans une entreprise composée à majorité d’hommes ainsi que la vie sociale des ouvrières. Également, d’autres angles d’analyse seront mis de l’avant, quoiqu’ils soient plutôt secondaires en importance. Il s’agit de la mémoire ouvrière liée à la grève de 1949 et des destructions urbaines causées par l’agrandissement de la mine.

    Méthodologie

    L’histoire orale est indispensable pour donner une voix à un groupe traditionnellement dominé et pour le réinsérer dans la trame historique :

     [L]es témoignages aident aussi à mieux cerner certaines réalités particulièrement complexes, telle la famille, et à dévoiler l’interaction souvent insoupçonnée entre les sphères privée et publique, en révélant l’omniprésence du quotidien au cœur de ce que l’histoire officielle appelle « les grands événements »[13]. 

    En outre, l’utilisation de cette méthodologie dans le cadre de ce présent travail permet à la fois d’en apprendre plus sur les femmes qui ont travaillé à la mine entre 1950 et 1980, mais aussi de préciser des données sur les conditions ouvrières en général. En tout, ce sont trois sources orales qui ont été récoltées et analysées. C’est un corpus plutôt modeste qui s’explique par le désir d’effectuer une recherche de type exploratoire permettant ultérieurement de lancer de nouvelles pistes de recherche. C’est en utilisant le bouche-à-oreille qu’il a été possible d’obtenir les noms et les numéros de téléphone de trois généreuses dames qui avaient déjà travaillé à la mine d’Asbestos entre 1950 et 1980 approximativement. Le fait que je sois moi-même native de cette région, plus précisément du village voisin (Danville), a grandement aidé autant pour sélectionner les sources que pour obtenir un lien de confiance avec elles. 

    Des problèmes ont malgré tout été rencontrés durant le processus de sélection des sources. En effet, l’objet de recherche a dû être réorienté. Le projet de départ était d’interroger des ménagères à Asbestos, plus précisément les femmes des ouvriers de la mine, afin de mieux se renseigner sur leurs occupations et sur les mesures hygiéniques et sanitaires particulières à la ville. Par contre, la plupart des femmes contactées ne voulaient pas répondre ou se montraient extrêmement hésitantes, prétextant qu’elles n’avaient rien à dire ou que leurs occupations ne valaient pas la peine d’être racontées. Pourrions-nous analyser ici une modestie typiquement féminine que de s’accorder peu de valeur, surtout en ayant occupé le rôle de mère au foyer pendant de nombreuses années ? Quoi qu’il en soit, lorsque le sujet a bifurqué vers les femmes ayant occupé un rôle dans le monde du travail, le choix des sources s’est effectué très rapidement et avec beaucoup de facilité. Les femmes contactées ont toutes répondu avec beaucoup d’entrain et de passion, parce qu’elles éprouvaient de la fierté d’avoir travaillé à la mine.

    Après avoir effectué les entrevues, nous sommes en mesure de noter plusieurs avantages à ce corpus. D’abord, sur les trois femmes, seules deux avaient eu des enfants. Par conséquent, il est intéressant de pouvoir effectuer des comparaisons entre les trois femmes sur leurs devoirs respectifs. Également, l’authenticité des témoignages permet de déceler des particularités du travail des femmes au sein de la mine, ce qui n’aurait pas été possible de trouver ailleurs. Finalement, comme les rencontres auprès des gens se sont effectuées directement dans leur maison, il a été possible de voir des objets intimes et personnels. Par exemple : des revues, des albums de photos personnels et un morceau d’amiante.  

    Il y a aussi d’autres éléments propres aux entrevues qui agissent à la fois comme avantages et comme limites, et il faut les prendre en considération. En effet, deux des trois femmes utilisaient un vocabulaire parfois difficile à saisir pour l’intervieweuse, moi-même. Plusieurs mots ressemblaient à un mélange de français et d’anglais, surtout ceux qui étaient reliés au monde du travail. Quoique cela puisse rendre la tâche plus ardue au niveau de la compréhension, il est intéressant d’analyser ce vocabulaire. Comme les femmes ont souvent travaillé pour des patrons anglophones, on se doute que cela a eu une grande incidence sur la communication en milieu de travail. C’est donc commun à une culture et à une époque précise à Asbestos. De plus, il est pertinent de souligner que les trois femmes interviewées se connaissaient beaucoup. Elles se sont téléphonées entre elles afin d’en connaître un peu plus sur les questions qui allaient être posées. Par conséquent, les deux dernières femmes se sont fait une certaine idée du déroulement de l’entrevue et avaient probablement pensé à ce qu’elles allaient dire lors de la séance. D’un autre côté, chacune d’entre elles a non seulement révélé des informations sur elles-mêmes, mais elles se sont aussi comparées par rapport aux vies et aux tâches de leurs amies. Toutes ont donc à la fois posé un regard sur elle-même et sur leurs amies. Finalement, il est important de rappeler que les émotions et la subjectivité du chercheur font, tout au long de la recherche, partie du processus. Il est nécessaire d’être conscient que traiter une source vivante, ou humaine, est délicat. 

    Les sources

    Afin de respecter l’anonymat, des noms fictifs seront utilisés. La première femme interviewée, Claudette Lévesque, a commencé à travailler pour la mine d’Asbestos en 1962. Le poste qu’elle a principalement occupé tout au long de sa vie professionnelle est celui d’empocher de l’amiante sur une chaîne de travail[14]. Clara Poirier, quant à elle, a commencé à travailler pour la compagnie minière en 1966. Elle effectuait des expériences chimiques afin de tester les propriétés ignifuges de l’amiante[15]. Finalement, Jeanne Coutu, qui a commencé à travailler à la mine en 1962, a occupé deux postes importants. D’abord, elle faisait la même chose que Mme Lévesque, puis elle a changé de poste, car elle préférait transporter des marchandises à l’intérieur même de la mine, à l’aide d’un chariot élévateur[16]. Finalement, il est important de mentionner que les trois femmes avaient toutes d’abord travaillé dans une compagnie de textile pour tisser des filons d’amiante.

    Le plan d’entrevue

    Au niveau du déroulement des entretiens semi-directifs, de nombreuses questions et sous-questions étaient préparées avant les rencontres. D’abord, il était important de dresser un portrait global de la dame interrogée. Par la suite, plusieurs interrogations touchant à différents thèmes étaient abordées : les conditions de vie au niveau de l’économie et de l’hygiène, la présence des femmes dans la sphère publique, le sentiment d’appartenance à une communauté et la vie sociale dans celle-ci, la mémoire reliée à la grève et aux déménagements obligés par les compagnies minières et finalement, une catégorie concernant les perspectives d’avenir. Ce dernier point permet de faire le parallèle entre la prospérité d’autrefois et la pauvreté actuelle selon l’opinion des témoins. Ce moment ouvert à la critique donne une certaine liberté aux interviewées qui peuvent se permettre de faire part de leurs opinions et de leurs souhaits pour l’avenir des générations plus jeunes. Également, à la toute fin, une question ouverte était proposée. Ainsi, il est possible pour les interviewées de glisser des informations ou des anecdotes auxquelles elles auraient pu penser pendant l’entrevue. Quant à la durée des entretiens, entre une heure et deux heures, c’est un temps bien acceptable, car il y a de nombreuses questions. Pour une personne qui est plus encline à développer, il est possible pour l’intervieweur de s’adapter en sautant quelques questions déjà répondues, sans effacer l’ensemble du questionnaire. Toutefois, pour un interviewé de peu de mots, l’ensemble des questions permet de meubler le temps et de couvrir largement la problématique étudiée. 

    Résultats

    Conditions de vie

    Durant les années 1950, la consommation de biens matériels dans les ménages n’a jamais été aussi élevée : de nombreux produits apparaissent sur le marché, facilitant plusieurs activités domestiques réservées traditionnellement aux femmes. Entre 1941 et 1961 ont lieu de nombreux changements qui changent le quotidien des Québécois. Les statistiques suivantes en témoignent. En 1941, 19% de la province possèdent une automobile et cela passe à 56% en 1961. Pour les mêmes années, le pourcentage de gens possédant un réfrigérateur électrique passe de 24% à 92%. Quant à l’aspirateur électrique, en vingt ans, on passe de 25% à 95% de la population qui possède cet objet[17]. Cela nous permet donc de comprendre rapidement le type de changement qui survient suite à la Deuxième Guerre mondiale, concernant la consommation. L’accessibilité économique de la classe moyenne aux objets modernes, tels que les électroménagers, a des conséquences sur la manière de vivre à la maison. Non seulement les femmes sont glorifiées dans leur rôle de gestionnaire du foyer à travers les objets de consommation qui facilitent le travail, mais elles ont aussi un peu plus de temps pour elles[18]. Du temps que certaines utiliseront pour sortir de la maison. C’est notamment le cas à Asbestos, au moment où les conditions économiques s’améliorent rapidement. Claudette Lévesque affirme d’ailleurs qu’elle gagnait bien plus que dans les autres milieux de travail des environs et ce, pour un poste ne nécessitant aucune qualification particulière[19]. La prospérité ne concerne pas seulement les travailleurs de la mine, mais l’ensemble de la communauté asbestrienne. Les services, comme les hôpitaux et les écoles, sont de plus en plus abondants et de nombreuses constructions urbaines s’effectuent. C’est notamment dû à l’expansion démographique importante, car plus de gens veulent s’établir dans la région pour obtenir un emploi[20]. Les trois sources orales affirment d’ailleurs que la mine d’amiante constituait à l’époque une fierté importante pour la région, car les salaires y étaient bien meilleurs qu’ailleurs, surtout pour les femmes[21].

    Au niveau de la salubrité de la ville, c’est une question qui fut toujours fort discutée à Asbestos. La grève de 1949 avait d’ailleurs favorisé une prise de conscience chez les ouvriers concernant la mauvaise qualité de l’air[22]. Dans les années 1960, le sujet devient plus inquiétant, car on veut garder un environnement sain. Les énergies de la municipalité se concentrent alors sur la mise en place d’un système de mesure systématique de l’air dès 1971[23]. Les trois sources orales sont en mesure de témoigner de ces changements. Elles se souviennent que lorsqu’elles étaient enfant, la poussière d’amiante tombait sur les quartiers environnants. Toutefois, elles affirment également qu’au moment où elles ont commencé à travailler à la mine, soit dans les années 1960, ce type de pollution de l’air n’avait plus lieu d’être[24]. En ce qui a trait à l’intérieur même du lieu de travail, la propreté était extrêmement respectée, aux dires des trois femmes. Claudette Lévesque affirme : « Il y a avait des gens pour faire le ménage trois fois par jour. Il y avait du bon équipement…à part de ça, comme des gros vacuums. C’était pas mal les filles, là, qui passaient ça[25] ». Mme Coutu ajoute même, à la blague : « Je te jure que c’était propre, j’aurais même pas été gênée de manger à terre![26] ». Mme Poirier, de son côté, affirme qu’il y avait de nombreuses vérifications hygiéniques effectuées, autant dans la mine que chez les travailleurs eux-mêmes. Ces derniers avaient accès à des soins médicaux gratuits, pour eux-mêmes et leur famille[27]. Par contre, les trois femmes font un parallèle avec le premier poste qu’elles ont occupé, soit le tissage des filons d’amiante. Ce travail, seulement occupé par les femmes, était exécrable à cause de la poussière d’amiante. La saleté s’accumulait alors sur les vêtements et dans les cheveux[28]. 

    En somme, les avantages sociaux et le salaire sont plutôt exceptionnels, tandis qu’au niveau de la salubrité urbaine et en milieu de travail, bien que ce ne soit pas parfait en tous points, il y a de nombreuses améliorations avec le temps. Il faut toutefois attendre, comme il a été mentionné précédemment, les années 1970 pour que l’environnement d’Asbestos soit bien protégé et que la vie y soit plus sécuritaire.

    Travailler : aller à l’encontre du modèle dominant

    Bien que les femmes travaillent depuis le début des temps et qu’elles contribuent depuis toujours à l’avancement de la société par leur force de production, il faudra attendre la Deuxième Guerre mondiale pour voir un grand nombre de femmes sur le marché du travail. Après la guerre, la plupart des femmes mariées retournent au foyer, mais certaines conservent un emploi : 

    [L]a proportion des femmes dans la main d’œuvre connaît une baisse importante, passant de 35,5% en 1944, un sommet qui ne sera de nouveau atteint que dans les années 1960, à 25,3% en 1946 pour l’ensemble du pays. Mais ce retrait n’est que temporaire : dès la fin des années 1940, les femmes mariées retournent sur le marché de l’emploi en nombre toujours croissant, malgré les discours qui font la promotion d’un idéal domestique fondé sur la complémentarité du couple pourvoyeur-ménagère. Ainsi, au début des années 1950, les femmes mariées forment 17% de l’ensemble des travailleuses québécoises, alors qu’elles représentent près de 32% de la main d’œuvre féminine au début des années 1960[29].

    Ainsi, comme c’est le cas ailleurs au Québec, les nombre d’Asbestriennes investissant le marché du travail ne cesse d’augmenter. Il faut dire que plusieurs familles ont besoin d’un revenu supplémentaire pour subvenir aux besoins des enfants et pour profiter des nouveaux biens de consommation[30].

    À Asbestos, bien que le fait de travailler à la mine comporte énormément d’avantages, c’est une réalité qui peut parfois s’avérer difficile pour les femmes lorsqu’elles doivent concilier le travail et la famille. À l’époque, les Centres de la petite enfance tels qu’on les connait aujourd’hui n’existaient pas et le travail domestique était principalement attribué aux femmes, selon la conception traditionnelle des rôles genrés. Claudette Lévesque, qui avait deux enfants, travaillait de nuit une semaine sur deux. Dans ces cas-là, elle ne dormait que trois heures en avant-midi, afin de servir un dîner à ses enfants. Par la suite, elle vaquait aux tâches domestiques et préparait des repas pour son mari et ses enfants, afin qu’ils aient de quoi manger lorsqu’elle allait être absente[31]. Quant à Clara Poirier, qui avait également deux enfants, elle devait régulièrement trouver des gardiennes pour ses enfants, car elle travaillait toujours de jour. Elle livre d’ailleurs un témoignage d’une grande richesse :

    Je me sentais extrêmement coupable d’aller travailler. Je voyais les voisines avec leurs enfants, pendant que moi je les laissais à une inconnue. Un bout de temps j’ai eu une gardienne qui était…pas trop trop bonne, disons. J’avais su qu’elle laissait mes enfants dehors, pendant qu’elle dormait dans la maison. À ce moment là, je me sentais encore plus coupable, je me disais que c’était peut-être un signe pour que je retourne à la maison. Mais en même temps, qu’est-ce que tu voulais je fasse à maison? Ça ne me tentait pas et on aimait bien avoir un salaire de plus. Ha! Puis le pire, c’est quand je suis retournée au travail après le deuxième. Il avait à peine deux mois…dans le temps les congés de maternité étaient pas assez longs[32].

    Le témoignage de madame Poirier est d’une importance considérable, car elle raconte oralement des soucis personnels qui s’appliquaient, à l’époque, à bien des Québécoises. La culpabilité de devoir mettre de côté le rôle socialement attribué semble peser lourd dans la balance. C’est une caractéristique propre aux ouvrières d’Asbestos qui est intéressante à discuter avec des femmes qui ont vécu des difficultés lorsqu’elles ont intégré la sphère publique.

    Quant à la présence même des femmes dans un milieu typiquement masculin, il s’agit d’un autre aspect, nouveau dès 1950, qui vient déranger l’ordre établi. Jeanne Coutu rapporte que les femmes n’ont pas toujours eu le droit de travailler dans la mine[33]. Elle nous apprend : « Un jour, c’est un homme important du syndicat qui est allé voir des femmes, dans des shops de couture par exemple, pour les informer que c’était une loi ça, que les femmes pouvaient travailler à la mine. Il n’y en a pas beaucoup qui y sont allées, mais quand même, ça a fait jaser un peu[34].» Les trois femmes interviewées ont toutefois affirmé n’avoir eu aucune difficulté à s’insérer dans un monde masculin. Il y avait quelques plaisanteries à l’occasion, mais c’était plutôt une occasion pour créer des liens d’amitié avec des hommes[35]. Également, les femmes avaient un lieu spécialement pour elles, soit une roulotte servant principalement à se changer, à prendre des douches ou à manger. Mmes Poirier, Lévesque et Coutu affirment toutes que cette roulotte était appréciée de tous et qu’elle constituait en elle-même un lieu de sociabilité important[36].

    Face à cette cassure avec le modèle traditionnel qu’ont effectuée les trois sources orales étudiées dans ce présent travail, on constate que c’est la séparation du monde domestique qui est principalement difficile à effectuer. En effet, une fois sur le marché du travail, les femmes s’épanouissent et se sentent acceptées, mais elles font autant de travail ménage que si elles étaient restées à la maison.

    Vie associative et sociale

    La vie sociale est un autre aspect qui permet aux femmes de s’émanciper. Cela se développe principalement au sein de la communauté. « Celle-ci est composée de réseau où des liens sont créés par des identités communes qui font naître des solidarités essentielles à la sociabilité[37] ». Alors que nous aurions pu penser que des réseaux féminins, tel que le Cercle des fermières, allaient jouer un rôle majeur. Toutefois, il s’avère que les femmes qui travaillent n’ont guère le temps pour des activités bénévoles[38]. La vie sociale et associative se développe donc principalement dans le milieu de travail. Clara Poirier, Jeanne Coutu et Claudette Lévesque se sont toutes les trois faites des amis-es. Les filles, plus particulièrement, sont devenues très proches à cause qu’elles se côtoyaient toutes de manière plus intime dans la roulotte qu’elles partageaient[39]. Un autre élément apprécié par les ouvrières qui favorise le sentiment d’appartenance est la revue L’entre nous, rédigée et publiée par la compagnie minière. Quelques fois par années, des numéros étaient publiés pour y présenter les employés. On pouvait y voir des photos et des anecdotes, entre autres. D’ailleurs, l’évolution du rôle des femmes se remarque à travers cette revue. En effet, dans les années 1950, on parle peu des femmes et s’il y a des sections féminines, il s’agit surtout de recettes de cuisine[40]. À partir des années 1970, cela change. En 1975, notamment, on fait un spécial pour l’année internationale de la femme et on souligne leurs capacités à occuper des postes variés dans la mine[41]. Le fait de se trouver dans la sphère publique permet donc aux femmes de se faire plus d’amis et de s’ouvrir au monde. Comme le constate Andrée Fortin, « [D]es femmes participe[nt] au monde du travail, ce qui modifie tant leur identité personnelle que sociale[42] ».

    Mémoires

    Bien que de récolter des données autour de l’événement qu’est la grève de 1949 n’est pas directement relié à l’hypothèse principale, il est intéressant de le faire puisqu’il est possible d’apprendre des informations qu’il n’y aurait pas dans la documentation déjà existante. Également, il s’agit d’un phénomène extrêmement marquant, à un point tel qu’«Asbestos aurait révélé, au dire de ceux qui graviteront dès l’année suivante autour de Cité libre, les craquements annonciateurs de la Révolution tranquille[43] ». Comme il le fut déjà mentionné, de nombreux documents existent déjà sur la grève d’Asbestos, toutefois, les trois sources orales ici interrogées ajoutent qu’il s’agissait d’un sujet plutôt tabou à l’époque[44]. Alors qu’elles étaient enfants, elles se souviennent toutes que leur père avait participé aux divers moyens de pression, mais ce n’était jamais discuté à la maison. Les femmes et les enfants étaient exclus de ce processus, il s’agissait d’un phénomène masculin, discuté seulement entre les miniers[45].

    Un autre aspect mémoriel qui est intéressant à traiter est celui de l’expansion minière qui brise les quartiers d’Asbestos. On se doute que cela a eu de nombreuses répercussions. Il est donc pertinent de voir comment les habitants l’ont eux-mêmes vécu. Jusqu’à tout récemment, il n’y avait pas d’étude à proprement parler, mais Jessica Van Horssen remédie à la situation en étudiant les nombreux changements géographiques engendrés par la mine[46]. Il y a d’abord eu quelques petits changements dans la première moitié du siècle, mais un des plus gros changements est survenu en 1967. Après cette période, « l’expansion de la mine [avait] consommée 54% du territoire de la ville et engendré la destruction de 250 bâtiments, [alors] Asbestos se retrouva dépourvue de centre-ville et ses habitants durent développer un nouveau sentiment d’appartenance au lieu et au milieu[47] ». Par rapport à cela, les dames interviewées affirment qu’il était dommage que des gens doivent quitter leur maison et que des lieux rassembleurs disparaissent. Jeanne Coutu raconte qu’elle avait dû, en 1950, déménager hors d’Asbestos. À Wotton, elle se retrouvait dans une nouvelle école avec un nouveau voisinage[48]. Clara Pellerin, de son côté, affirme que « c’était dommage pour ceux qui devaient partir, mais en même temps ils recevaient un gros montant d’argent. Et il y avait de belles églises qui disparaissaient…et la rue où tout le monde allait magasiner. Mais en même temps, on se disait qu’il ne fallait pas priver les gens d’avoir des emploi[49] ». Même si les déménagements obligatoires façonnent de manière marquée l’histoire d’Asbestos, il semble que ce qui a le plus troublé les habitants d’Asbestos est le glissement de terrain débuté en 1970 et complètement définitif en 1975[50]. Cette catastrophe naturelle, causée par la proximité de la mine, a engendré la perte de nombreux magasins et maisons sur la rue Bourbeau[51]. Cela a modifié les habitudes sociales et la vie économique, car il s’agissait d’une rue habitée par de nombreux commerçants, mais aussi d’un lieu de socialisation[52]. Claudette Lévesque n’a que de bons souvenirs de cette rue et surtout, elle affirme que c’était très jolie puisqu’il y avait de nombreux bâtiments datant de la fondation d’Asbestos[53]. On peut donc se douter que, s’il y a des changements au sein de la démographie et de la géographie, qu’il y en a certainement au sein même des foyers asbestriens. D’ailleurs, c’est après cet événement que la ville a entrepris l’édification du centre commercial[54].

    Pour une recherche plus complète

    L’analyse des résultats ci-haut soutient des points intéressants et confirme l’hypothèse étant que les ouvrières pouvaient plus difficilement se détacher du modèle traditionnel féminin et devaient remplir le double rôle de salariée et de ménagère. Toutefois, il serait pertinent d’avoir un corpus de sources orales plus large et représentatif du nombre de femmes ayant été des ouvrières dans la mine d’Asbestos entre 1950 et 1980 afin d’observer des tendances. Un éventail de dix voire de douze femmes aurait été plus approprié. Les conclusions faites à partir des résultats seraient ainsi plus affirmées et convaincantes. Également, le point de saturation ne serait pas dépassé, puisqu’il y avait rarement plus de vingt femmes qui travaillaient à la mine à la fois, selon Jeanne Coutu. En outre, dans le cas de cette présente recherche, il pourrait être agréable et intéressant de terminer l’ensemble des entrevues par une rencontre de groupe. Comme toutes les femmes ayant travaillé à la mine d’Asbestos se connaissent, il serait pertinent d’analyser la dynamique qui les relie entre elles depuis des années. Terminer la recherche par ce genre d’activité permettrait aux femmes de se retrouver entre elles, exactement comme c’était le cas alors qu’elles travaillaient. Il y a là un devoir de mémoire, pour les femmes, de se rappeler cette époque et de la raconter ensemble. Il y a certainement certains désavantages à cela et l’historien doit en être conscient, mais l’analyse du groupe comme un ensemble peut assurément amener d’autres informations révélatrices.

    Somme toute, l’étude d’un sujet à l’aide des enquêtes orales, une méthodologie qui est née avec la pratique de l’histoire et qui, après quelques siècles de stigmatisation, revient à jour, permet d’éclairer des pans historiques peu ou pas connus[55]. Dans ce cas-ci, nous avons pu confirmer que la période dite d’ « âge d’or » à Asbestos existe bel et bien, mais qu’elle est plus difficile à vivre du côté des femmes ouvrières. Ces dernières ont un quotidien bien remplie, à cause des tâches domestiques qu’elles doivent accomplir, en plus de leur métier. Elles ne peuvent donc pas s’épanouir pleinement dans cette période prospère. Toutefois, il va sans dire que ce à quoi les femmes ont accès, grâce au travail, était quelque chose d’impossible pour la génération précédente. Les femmes sur le marché du travail, à la mine d’Asbestos, peuvent prévoir une retraite confortable, mais aussi une éducation de qualité pour les enfants. C’est d’ailleurs ce que désiraient Clara Poirier, Jeanne Coutu et Claudette Lévesque pour les générations futures : une éducation de qualité permettant de travailler dans un autre milieu que celui de la mine. Toutes trois affirment que les métiers ouvriers sont rarement gratifiants, bien qu’avantageux économiquement. Elles auraient tout de même souhaité que l’industrie minière se développe, aujourd’hui, d’une quelconque manière. Elles se désolent particulièrement du passage rapide entre la ville effervescente et la « ville fantôme[56] ». Il semble également que de faire de l’histoire orale, dans ce cas précis, a servi d’exutoire pour les interviewées. La communauté asbestrienne semble être restée amère de la fermeture de la mine, se sentant ignorée. Par conséquent, il est possible d’affirmer que l’histoire orale sert autant la science historique que les citoyens et les citoyennes qui font face à une situation qui les bouleverse.

    Références

    [1] Marc Cantin, Élise Grimard et Réjean Lampron, Asbestos – Filons d’histoire 1899-1999, Montréal, BANQ, 1999, p.242-243.

    [2] Ibid., p. 31.

    [3] Ibid., p. 34.

    [4] Ibid., p. 221.

    [5] Ibid., p. 242-243.

    [6] Frère Fabien, Asbestos : son aspect, son industrie et ses activités, Sherbrooke, Éditions Paulines, 1977, p. 125.

    [7] Ibid.

    [8] Marc Cantin, Élise Grimard et Réjean Lampron, Asbestos – Filons d’histoire, p. 321.

    [9] Jessica Van Horssen, « La mine qui « commence à grignoter le village : expansion minière territoriale à Asbestos », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol.68, n°3-4, 2015, p. 325.

    [10] Marc Cantin, Élise Grimard et Réjean Lampron, Asbestos – Filons d’histoire, 413 p.

    [11] Ibid., p. 252.

    [12] Ibid., p. 210.

    [13] Denyse Baillargeon, « Travail domestique et crise économique », dans D. Baillargeon, Ménagères au temps de la crise, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 1991, p.31.

    [14]  « Portrait d’une ouvrière à Asbestos entre 1950 et 1980 : Claudette Lévesque » (6 novembre 2015) [enregistrement audio], entrevue avec Claudette Lévesque, ouvrière à la mine d’Asbestos entre 1950 et 1980, propos recueillis par Myriam Gagné, à Asbestos.

    [15] « Portrait d’une ouvrière à Asbestos entre 1950 et 1980 : Clara Poirier » (8 novembre 2015) [enregistrement audio], entrevue avec Clara Poirier, ouvrière à la mine d’Asbestos entre 1950 et 1980, propos recueillis par Myriam Gagné, à Asbestos.

    [16] « Portrait d’une ouvrière à Asbestos entre 1950 et 1980 : Jeanne Coutu » (13 novembre 2015) [enregistrement audio], entrevue avec Jeanne Coutu, ouvrière à la mine d’Asbestos entre 1950 et 1980, propos recueillis par Myriam Gagné, à Danville.

    [17] Linteau et al., Histoire du Québec contemporain, tome 2, chapitre 23. ET Paul Trépanier, « La vie moderne chez soi », dans Jamais plus comme avant! Le Québec de 1945 à 1960. Montréal/Québec, Fides et Musée de la Civilisation, 1995, 18 p.

    [18] Magda Fahrni, «Explorer la consommation dans une perspective historique», Revue d’histoire de l’Amérique française, volume 58, no°4, printemps 2005, p.468.

    [19] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque ».

    [20]  Marc Cantin, Élise Grimard et Réjean Lampron, Asbestos – Filons d’histoire, p.145.

    [21] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque », « Portrait d’une ouvrière : Clara Poirier », « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [22] Marc Cantin, Élise Grimard et Réjean Lampron, Asbestos – Filons d’histoire, p.273.

    [23] Ibid., p.320.

    [24] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque », « Portrait d’une ouvrière : Clara Poirier », « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [25] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque ».

    [26] « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [27]  « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque ».

    [28] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque », « Clara Poirier », « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [29] Denyse Baillargeon, « Travail domestique et crise économique », p.157.

    [30] Ibid., p.158.

    [31]  « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque ».

    [32]  « Portrait d’une ouvrière : Clara Poirier ».

    [33] Sur ce point, il serait intéressant de vérifier dans les archives du syndicat de l’amiante pour obtenir plus de précisions.

    [34] « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [35] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque », « Portrait d’une ouvrière : Clara Poirier », « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [36] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque », « Portrait d’une ouvrière : Clara Poirier », « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [37] Andrée Fortin, « Notes sur la dynamique communautaire », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, n°1, 1994, p.23.

    [38] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque », « Portrait d’une ouvrière : Clara Poirier », « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [39] Ibid.

    [40] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque ». 

    [41] Johns Manville, Entre Nous, vol. XXIII, n°4, juillet-août 1975, 26 pages.

    [42] Andrée Fortin, « Sociabilité, identités et vie associative », dans Les identité. Actes du colloque de l’ACSALF, Montréal, les Éditions du Méridien, 1994, p.22.

    [43] Ivan Carel, « Mémoires de grèves », Bulletin d’histoire politique, Vol. 21, n°2, 2013, p.30.

    [44]  « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque », « Portrait d’une ouvrière : Clara Poirier », « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [45]  Ibid.

    [46]  Jessica Van Horssen, « La mine qui commence à grignoter le village », p.325-352.

    [47] Ibid., p.344.

    [48] « Portrait d’une ouvrière : Jeanne Coutu ».

    [49] « Portrait d’une ouvrière : Clara Poirier ».

    [50] Marc Cantin, Élise Grimard et Réjean Lampron, Asbestos – Filons d’histoire, p.301.

    [51] Ibid., p.300.

    [52] Ibid., p.302.

    [53]  « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque ».

    [54] Marc Cantin, Élise Grimard et Réjean Lampron, Asbestos – Filons d’histoire, p.301.

    [55] Florence Descamps, « Constituer et exploiter la source orale en histoire », dans Les sources orales et l’histoire, Paris, Boréal, 2000, p. 40.

    [56] « Portrait d’une ouvrière : Claudette Lévesque ».