L’austérité religieuse romaine par le rejet des Autres

STÉPHANIE BRIAUD
Université de Montréal

Résumé : L’austérité de la religio romaine se reflète à travers le sens du mot latin superstitio, soit la croyance en des dieux excessifs qui amènent à des comportements serviles et à un désordre dans la pax deorum. Or, les dieux excessifs ne sont pas romains, mais viennent d’ailleurs et sont souvent amenés officieusement à Rome par le peuple, et non les autorités sénatoriales. Ainsi l’austérité romaine s’incarne dans le rejet des Autres religieux, comme les Bacchanales ou les cultes isiaques. Mais avec un territoire en continuelle expansion, Rome peut avoir à faire évoluer sa normativité religieuse, dans le sens d’altérités incluses.

 

Table des matières
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    Introduction

    L’austérité des vertus romaines a longtemps représenté un idéal historique à suivre, au point d’être l’exemple choisi dans certains dictionnaires du XVIIIe siècle pour définir cette notion[1]. Si elle est toujours évoquée de nos jours, la religion romaine républicaine en est une incarnation : Turcan parle d’« austérité de la tradition pontificale[2] ». En effet, la religio, telle que déterminée par les Romains, est la manière correcte et scrupuleuse de cultiver les relations avec les divinités, par le respect des rituels communautaires et des mythes véhiculés par tradition; la superstitio désigne la croyance en des dieux excessifs, qui amènent à des comportements serviles et à un désordre dans la pax deorum[3]. Le désordre, la débauche, la frivolité : autant d’antonymes à l’austérité.

    Cet article a pour objectif de démontrer que la religio se définit plus par ses transgressions que par ses applications : il s’agit d’une définition mentale du « Nous », de son point de vue par rapport à l’« Autre », et de la potentielle inclusion progressive de ce dernier[4]. Nous verrons ainsi comment est défini l’Autre par les Romains : d’une part, par ses origines étrangères, d’autre part, par son manque d’austérité, et finalement souvent par son caractère officieux à « homologuer ». Pour illustrer notre propos, nous nous concentrerons sur l’analyse des textes des auteurs de l’Antiquité. Après avoir évoqué (avec Cybèle) un exemple de culte accepté à un certain degré, nous illustrerons les rejets religieux en commençant avec l’exemple le plus célèbre : le scandale des Bacchanales. C’est à la suite de ce scandale que débutent les réflexions des auteurs gréco-romains sur ce que représente la Norme religieuse romaine. Quelques dizaines d’années plus tard, d’autres traditions religieuses jugées « exotiques » du point de vue romain vont aussi connaître des réactions virulentes; tout d’abord de la part du Sénat, puis des premiers empereurs. La question sera alors posée pour les cultes isiaques, puisque leur rejet fait suite à plusieurs temps de crise que constituent les guerres civiles triumvirales. Ceci est assez contradictoire puisque les prêtres isiaques sont connus pour l’austérité de leur quotidien (par le jeûne, l’abstinence, etc.). Nous nous concentrerons alors sur la censure littéraire exercée envers les cultes isiaques, par la création de topoi démontrant les excès de la communauté isiaque et de ses dieux; ensuite, nous démontrerons les mobilisations populaires, face aux mesures politiques répressives, grâce à l’archéologie avec la reconstruction de temples et d’autels. 

    On gardera à l’esprit que l’exemple des cultes isiaques n’en est qu’un parmi le groupe fréquemment dénommé des cultes « gréco-orientaux », dont les études ont débutées au début du XXe siècle avec la redécouverte de l’Orient qui s’opérait depuis un siècle. Franz Cumont était alors une véritable boussole historiographique, avec son ouvrage Les religions orientales dans le paganisme romain[5]. Les spécialistes des religions dites orientales développaient la théorie de la dégénérescence de Rome, pour l’opposer à la « pure Rome » des Antiquistes, se basant sur une crise du polythéisme antique qui conduirait, selon eux, au triomphe du christianisme. Si Cumont mettait en place une méthodologie comparatiste pour démontrer les points communs entre les cultes orientaux, une nouvelle génération de spécialistes des religions, comme Walter Burkert[6] et Robert Turcan[7], tente au contraire depuis les années 80-90 d’illustrer les différences des cultes gréco-orientaux : d’où la spécialisation des domaines de l’histoire des religions à l’exemple de l’isiacologie, qui tire son nom du premier colloque international sur les études isiaques se déroulant à Poitiers en 1999[8]. C’est donc un domaine officiellement récent, issu d’une tradition historiographique qui remonte à un siècle, tout en s’inscrivant dans des questionnements révisionnistes et comparatistes sur la religio romaine, à l’exemple de l’ouvrage collectif Religions antiques : une introduction comparée : Egypte, Grèce, Proche-Orient, Rome, publié en 2008[9], ou encore des actes du colloque La norme religieuse dans l’Antiquité, publiés en 2011[10].

    Contexte conceptuel, géographique et temporel

    Notre sujet s’insère dans les études sur les mutations que connaît la religion romaine en présence d’autres traditions religieuses, à l’époque républicaine. Avec un territoire en continuelle expansion depuis le IVe siècle av. J.-C. au fil de ses conquêtes, la République romaine s’est ainsi retrouvée face à la question du statut et de l’intégration de communautés étrangères et de leurs cultes, provenant de régions toujours plus éloignées. Or, toutes les interactions religieuses vont amener les différents groupes concernés à construire leur identité collective et les limites de cette identité, qui évoluent avec le temps selon la progression des relations intergroupales. Les mentalités groupales se rencontrent et s’affrontent, la compétition étant une composante nécessaire des relations intergroupales. Cette compétition se reflète autant dans le domaine religieux que civique et politique[11]. Et en effet, les caractéristiques des cultes étrangers pouvaient aller à l’encontre de la religio, dont les normes n’étaient pas dictées par les dieux romains eux-mêmes, mais par les autorités du passé : le mos maiorum, soit la coutume qui, rappelons-le, va définir la religio comme la manière scrupuleuse de cultiver les relations avec les divinités, selon la tradition d’obligations rituelles officielles[12]. Or, cette norme visant l’harmonie divine et la paix avec les hommes était redéfinie par les duumvirs des colonies, à l’exemple du pontifex maximus (grand prêtre) à Rome, qui décide du calendrier religieux annuel. Rome applique donc la notion d’austérité avec le respect de ses coutumes ancestrales, mais en y ajoutant au besoin des réformes nécessaires plus ou moins inclusives, selon la conformité des nouvelles religions concernées.

    C’est ainsi que certaines traditions religieuses ont été naturalisées par décision politique d’installation à la capitale. On parle de divinités pouvant être incluses dans la limite pomériale avec un culte convoqué par evocatio, c’est-à-dire apporté à Rome selon un acte formel d’introduction et/ou s’il est relié à l’histoire de la naissance de Rome ou de ses fondateurs[13], le culte n’étant pas seulement incorporé au statut romain, mais transformant ce dernier. Par exemple, en 204 av. J.-C. (au plus fort de la seconde guerre punique qui incarnait un trouble dans la pax deorum), les Romains obéissent à une prophétie des Livres Sibyllins et à un oracle de Delphes, introduisant officiellement Cybèle[14] (déesse d’origine phrygienne) par transport depuis Pessinonte vers Rome de sa pierre sacrée (le bétyle), puis par construction de son temple sur le Palatin (inauguré en avril 191 av. J.-C.), donc sur l’une des collines les plus sacrées de la cité. Certes, dans les textes latins postérieurs, malgré son accueil romain de longue date, on ne cessera de rappeler les origines étrangères de la déesse. Les auteurs ne parleront jamais de déesse « romaine » et rappelleront toujours ses origines : τὴν Πεσσινουντίαν θεά[15], ainsi que les gestes rituels un peu moins acceptés comme les Galles, prêtres eunuques qui se castraient à l’occasion de la fête annuelle de Cybèle (les sanguinaria du 24 mars), pour imiter le geste d’Attis, parèdre de Cybèle[16]. Chez Tite-Live et Ovide[17], on remarque la répétition du transport à Rome de la déesse pour bien faire la distinction entre cette divinité qui est donc étrangère, sans être qualifiée pour autant du terme explicite de peregrina. Mais quelques auteurs ont l’occasion de préciser que son temple fut construit sur le Palatin, donc implicitement à l’intérieur de l’enceinte sacrée de Rome, sur la colline de Romulus qui accueillera plus tard le palais d’Auguste[18], précision topographique à laquelle les divinités isiaques n’auront jamais droit. Le culte de Cybèle fut d’autant plus accepté à Rome qu’il fut relié à l’histoire de la cité italienne par l’intermédiaire de Troie, dans le récit des périples d’Énée par Ovide[19]. En outre, Hérodien précise que Cybèle est célébrée publiquement, et avec certains gestes conformes aux usages romains (conformité définie depuis au moins Denys d’Halicarnasse[20] au Ier siècle – κατὰ τοὺς Ῥωμαίων νόμους). Donc Cybèle invitée et publiquement célébrée, qui ne posera ainsi que très peu de problèmes, mais Cybèle incluse à moindre échelle dans le panthéon romain, car elle reste étrangère selon le vocabulaire des auteurs : on a bien là un exemple d’inclusion d’une altérité qui le demeure. 

    Il va en être tout autre avec la deuxième catégorie[21] de cultes étrangers présents à Rome : les divinités introduites par voies privées, puis graduellement intégrées légalement par surveillance des cultes.

    Les Bacchanales : premier exemple de rejet romain

    Le culte des Bacchanales fut introduit depuis longtemps à Rome, en étant tout d’abord célébré par un petit nombre de personnes dans un sanctuaire se trouvant dans le bois sacré Lucus Stimulae, qu’on situe proche du Forum Boarium[22]. C’est en 186 av. J.-C., après l’extension du culte qui touche désormais un grand nombre de fidèles, qu’intervient le scandale qui pousse les autorités sénatoriales à une grande répression, synonyme de redéfinition de la norme religieuse romaine. Le scandale est bien connu grâce au récit détaillé de l’historien Tite-Live[23] et au texte même du sénatus-consulte De Bacchanalibus retrouvé à Tiriolo[24]. Hispala, courtisane affranchie, ancienne esclave forcée à l’initiation à Bacchus, révèle au consul Postumius certaines pratiques comme des orgies secrètes, ayant peur pour son amant Aebutius destiné à ladite initiation par sa mère et son beau-père. Le Sénat, mis au courant, charge alors le consul d’une enquête, durant laquelle il demande l’aide de sa belle-mère Sulpicia, connue pour son austérité et la piété de ses mœurs[25] et qui connaissait la tante d’Aebutius (Aebutia), « une femme d’honneur, qui avait conservé toute la pureté des mœurs antiques[26] » comme elle. L’enquête aboutira sur une répression austère : le culte est interdit, les lieux des Bacchanalia détruits à Rome et dans toute l’Italie, les bacchants mis à mort ou emprisonnés. Au-delà de la romance entre une affranchie et un jeune chevalier, les Bacchanales ont ainsi représenté un grand danger qui s’est attaqué à la pax deorum romaine et à l’ordre public[27]. D’un culte populaire jusque-là toléré car limité, il a multiplié les transgressions qui vont devenir les exemples en négatif de la norme religieuse romaine.

    Ainsi, dès le début de son récit, Tite-Live évoque le culte en tant qu’intestina coniuratio (« conjuration domestique »), l’adjectif soulignant le caractère d’un danger de l’intérieur, alors que le substantif est bien un terme à la fois politique et religieux[28] : étymologiquement, les expressions qui dévalorisent les bacchants appartiennent au monde religieux, mais il s’agit bien d’une affaire d’État. C’est seulement par la suite que l’auteur rappelle le caractère extérieur des origines du culte déjà présent à Rome. Extérieur tant dans l’origine géographique – Graecus ignobilis connotant une Grèce non encore conquise au moment des faits que dans les pratiques sociales – car ignobilis désigne les classes sociales inférieures opposées aux nobiles plus enclins à respecter le mos maiorum[29]. Dans la description des origines, Tite-Live y précise l’intermédiaire étrusque et campanien, donc là encore étranger : 

    C’était une certaine Paculla Annia, de Campanie, qui, pendant son sacerdoce, avait tout changé, prétendant en avoir reçu l’ordre des dieux. (…) Depuis l’admission des hommes et le mélange des sexes, depuis qu’on avait fait choix de la nuit, si favorable à la licence, il n’était sorte de forfaits et d’infamies qui n’eussent été accomplis, et les hommes se livraient plus à la débauche entre eux qu’avec les femmes. Ceux qui se prêtaient avec quelque répugnance à ces excès monstrueux, ou qui semblaient peu disposés à les commettre eux- mêmes, étaient immolés comme des victimes. Le comble de la dévotion parmi eux, c’était de ne reculer devant aucun crime. (…) les femmes, vêtues en bacchantes et les cheveux épars, descendaient au Tibre en courant, avec des torches ardentes, qu’elles plongeaient dans l’eau et qu’elles retiraient tout allumées, parce que ces torches renfermaient un mélange de chaux vive et de soufre naturel. (…) La secte était déjà si nombreuse qu’elle formait presque un peuple; des hommes et des femmes de nobles familles en faisaient partie[30].

    On a ici un condensé de caractéristiques péjoratives : un culte qui agit désormais en partie dans l’ombre, donc à l’abri des regards; un culte pratiqué à l’origine par un petit nombre de personnes, et désormais touchant autant les hommes que les femmes de toutes conditions sociales et de tous âges, comme dans l’idée d’une contagion; une mixité inquiétante car portant à la dérive sexuelle, etc. Donc des excès dans les pratiques, une frivolité non conforme d’autant qu’elle ne s’adresse à aucune divinité clairement désignée, et même une frivolité à la limite de la légalité car les pratiques induisaient « de faux témoignages, de fausses signatures, (…) quelquefois même des empoisonnements et des meurtres si secrets, qu’on ne retrouvait pas les corps des victimes pour leur donner la sépulture[31] ». Les cris des victimes étaient alors étouffés grâce au bruit des tambours et des cymbales, instruments d’origine orientale. 

    En résumé, si Cybèle était d’origine étrangère et le restera dans le souvenir romain, tout en étant incluse à Rome (par le caractère officiel de son introduction et par son histoire liée aux origines de la cité), les Bacchanales suscitent tout d’abord la méfiance, puis finalement la réprobation définitive des Romains. Le vocabulaire descriptif dérive bien du domaine religieux (sacra, religio, etc.) pour démontrer qu’il s’agit d’un culte réel, et donc qu’on touche au domaine divin. Mais ce culte renverse l’ordre et la cohésion romaine : renversement de l’ordre social et de l’ordre religieux en se donnant des allures de « tradition » publique par contagion, mais une tradition qui a néanmoins un arrière-plan privé incontrôlable. Ce sont ces caractères incontrôlables par les autorités qui sont particulièrement réprouvés, avec des pratiques trop exotiques et non conformistes nécessitant la perte du contrôle de soi et des cérémonies nocturnes.

    Le rejet tardo-républicain et impérial des cultes isiaques 

    L’image caricaturale tardo-républicaine : création et reprise de topoi

    Depuis l’affaire des Bacchanales, les cultes d’origine étrangère à Rome, comme les cultes isiaques, ont longtemps gardé une telle réputation scandaleuse. Les rapprochements terminologiques ont été inévitables entre les Bacchanales et les cultes isiaques, d’autant qu’Osiris fut notamment assimilé à Dionysos-Bacchus[32], ce qui a poussé les historiens des religions et les isiacologues à faire le lien entre les répressions[33]. En effet, les pratiques romaines liées aux divinités originaires d’Égypte présentent certaines similarités qui ont poussé les auteurs grecs et romains à établir une image isiaque fortement semblable à celle des Bacchanales, et les autorités sénatoriales puis impériales à y réagir par des répressions.

    Les cultes isiaques sont des cultes originaires d’Égypte, concernant un cercle restreint et intime de douze divinités, qui vont se répandre autour de la Méditerranée entre le IVe siècle av. et le IVe siècle ap. J.-C., transformant leurs pratiques et leurs images par une interpretatio graeca et romana. Ces divinités arrivent en Italie au IIe siècle av. J.-C., à Rome vers le milieu du Ier siècle av. J.-C. Les premières réactions littéraires fluctuent entre incompréhensions et accusations, autant morales que politiques. On utilise un vocabulaire tel que peregrina sacra, monstra, d’alienigenae religionis. Comme exemple d’accusations morales, vers 54 av. J.-C., Cicéron (ayant derrière lui une haute carrière politique) instaure la tradition littéraire sur l’étrangeté de la divinisation égyptienne des animaux malgré la sagesse du peuple égyptien, en donnant l’exemple du taureau Apis :

    On verrait d’abord que, dans cette nation d’Égypte, la plus fidèle à ses traditions (…), on considère comme dieu un certain bœuf appelé Apis par les Égyptiens; on remarquerait que bien d’autres monstres, en particulier des bêtes de toute espèce, sont mis chez eux au nombre des divinités[34]. 

    Si l’argument va revenir régulièrement, il se concentrera souvent sur l’Anubis à tête de chien et adultère, comme chez Virgile : « Les divinités monstrueuses du Nil et l’aboyeur Anubis combattent contre Neptune, Vénus, Minerve[35] », où l’énumération particulière de l’auteur met en avant Anubis comme cas à part du cercle divin isiaque. Quant à Properce, dans une élégie publiée entre 25 et 23 av. J.-C., il comprend mal la chasteté imposée aux femmes, surtout à sa femme Cynthia. 

    Une fois encore pour ma peine reviennent les tristes fêtes : Cynthia depuis dix nuits déjà a sacrifié à la divinité [Isis]. Que périssent ces rites nés dans la moiteur du Nil, qu’a transmis la fille d’Inachus aux matrones d’Ausonie ! La déesse qui tant de fois a séparé des amants si ardents, quelle qu’elle soit, fut toujours une déesse amère (…) Est-il après tout quelque amitié entre le Nil et le Tibre[36]?

    Au-delà du caractère subjectif du texte, le poète latin parle bien de sacra amenés par Isis à Rome, donc de choses sacrées et non profanes. Puis il conclut le passage sur une distinction claire cum Tiberi Nilo : Properce montre une certaine méfiance envers l’Égypte et conçoit les cultes isiaques, avec à leur tête Isis, comme des peregrina sacra, soit des cultes étrangers distincts du cercle divin romain. Ovide, son contemporain, insistera par une autre accusation de plus en plus fréquente : l’immoralité perpétrée autant par les fidèles dans les temples (« Ne t’occupe pas de ce qui, chez Isis vêtue de lin, peut se faire[37] ») que par la déesse elle-même, soudoyant les femmes (« Ne t’écarte pas du temple de la génisse vêtue de lin, l’Égyptienne qui fait de beaucoup de femmes ce qu’elle-même fut pour Jupiter[38] »). Ces comportements littéraires réapparaissent épisodiquement au cours du Ier siècle ap. J.-C. et s’intensifient pour le dénigrement du monde isiaque (divinités, clergé, fidèles). Flavius Josèphe, par exemple, reprend à plusieurs reprises les thèmes de la zoomorphie[39] et de la corruption. Il raconte l’histoire scandaleuse faisant intervenir un chevalier romain de haute stature, Decius Mundus, qui se fait passer pour Anubis dans le sanctuaire d’Isis avec la complicité des prêtres pour abuser d’une femme, Paulina, fidèle dévouée de la déesse isiaque[40]. La véracité de l’épisode peut être mise en doute[41]. Toutefois, le récit montre surtout l’inquiétude des milieux officiels et aristocratiques face à des divinités qui perdurent sous le règne de Tibère – temps du récit – comme à l’époque de cette rédaction – en 93 ap. J.-C., sous Domitien – malgré les interdictions qui interviendront au début de l’Empire, et qui pervertissent autant les gens de l’aristocratie romaine que leur propre clergé, ce qui rappelle les Bacchanales menaçant la pureté du chevalier Aebutius. 

    Puisque nous évoquons l’époque du règne de Domitien, il nous faut mentionner Juvénal, l’auteur le plus virulent envers le monde isiaque. Son personnage de Crispinus, qualifié de monstrum[42], jouit des faveurs de Domitien et incarne un stéréotype[43], notamment l’origine servile et surtout égyptienne[44]. Isis est quant à elle qualifiée de Ienae[45], déesse des courtisanes durant ce règne. Ses prêtres sont accusés d’être des imposteurs[46], comme au Ier siècle, et les fidèles sont accusés de fanatisme et de parjure[47], de prier des dieux-animaux[48], de leur obéir sans réflexion[49, comme cette femme qui « en plein hiver, (…) fera briser la glace sur le Tibre pour se plonger dans le fleuve trois fois. (…) Si la blanche Io [Isis] l’ordonne, elle ira jusqu’au fond de l’Égypte (…) elle croit avoir entendu la voix même de la déesse ». Une description qui n’est pas sans rappeler celle de Tite-Live envers les Bacchantes.

    Ainsi, les auteurs de l’époque tardo-républicaine et du premier siècle impérial prouvent qu’ils considéraient bien les liturgies isiaques comme cérémonies sacrées, grâce à l’ancienne fascination envers l’Égypte. D’un autre côté, leur ton et leurs propos démontrent une ambiguïté entre aveu de la sagesse du peuple égyptien, et comportement face aux cultes arrivés à Rome : il y a là une première distinction entre ce qui est resté sur place en Égypte et ce qui s’installe dans la Capitale, qui devient alors peregrina sacra et peu tolérable. Ainsi, parce que les divinités isiaque arrivent à Rome et pervertissent une partie du peuple romain par des mystères initiatiques selon les défenseurs littéraires de l’institué romain, on prend conscience de l’Autre, de sa présence non ancestrale et des différences (comme l’aspect privé) qui font que l’intégration religieuse leur semble difficile[50]. Comme les Bacchanales, l’Autre isiaque est décrit comme un opposé d’un point de vue moral, le côté exotique négatif prenant le pas sur les possibles aspects positifs tels que l’ancienneté de la religion égyptienne, ce qui est une projection inévitable définissant la propre identité religieuse romaine et ses limites[51]. Avec l’accusation répétée de perversion du peuple et l’exaspération face aux liturgies exploitant excessivement le παθός, n’est-ce pas là l’exemple même de superstitiones, c’est-à-dire certes des divinités, mais des divinités immorales et excessives qui poussent leurs fidèles aux mêmes excès? 

    Les réactions des autorités

    Les récits de l’époque tardo-républicaine et des débuts de l’Empire s’inscrivaient dans une ambiance politique à respecter pour les hommes de lettres, souvent proches du pouvoir. Valère Maxime (qui écrit à l’époque de Tibère[52]) nous détaille chronologiquement la première politique des sénateurs face aux cultes isiaques, alors que l’organe sénatorial était celui qui observait et décidait de ce qui est soit religio, soit superstitio. Il rapporte l’interdiction voire la destruction des autels isiaques – le consul L. Aemilius Paulus brandissant même une hache en personne[53] – ordonnée par le Sénat en 58, 53, 50 et 48 av. J.-C., la dernière mesure étant certainement conséquente à l’assassinat de Pompée en Égypte. Son récit atteste d’une succession de mesures répressives, ce qui prouve la première réaction officielle avec un Sénat unifié et hostile, ainsi que la perception de ces cultes et de leur pays d’origine peu à peu comme dangers politiques, position auquel nos poètes semblent adhérer. C’est l’époque où les affaires égyptiennes interfèrent de plus en plus dans la politique romaine[54].

    Dion Cassius, au IIIe siècle ap. J.-C., rappelait la position politique augustéenne envers les divinités isiaques au début de l’Empire : il mentionne l’interdiction spécifique des ἱερὰ τὰ Αἰγύπτια – des choses sacrées spécifiquement égyptiennes et non des cultes étrangers en général – dans le pomerium par Octave en 28 av. J.-C.[55], geste qui aurait défini religieusement ce que représente le pomerium[56]. À l’origine, en tant que limite sacrée protégeant les dieux de Rome, on a longtemps considéré que le pomerium interdisait les divinités étrangères et la construction de leurs lieux de culte à l’intérieur[57], mais surtout ce qui se rapporte à la mort comme les soldats[58]. Certaines divinités pouvaient être incluses dans la limite pomériale si le culte en question avait été convoqué par evocatio. D’autres exemples prouvent que le pomerium n’a pas comme objectif de faire la distinction entre cultes natives et foreign, comme Fortuna Primigenia et Vediovis qui y sont présents alors que Junon Regina, convoquée par Rome, n’a pas été installée dans le pomerium. Tous ces exemples démontrent qu’on a redéfini la flexibilité du pomerium, par l’inexistence d’une règle républicaine pomériale stricte envers les cultes étrangers[59], alors que la frontière reste importance au regard des enterrements et de l’imperium militae (c’est-à-dire le commandement militaire). Il est certain qu’au tout début de l’époque impériale, le pomerium devait être fortement respecté par les premiers empereurs, établissant (depuis les origines de Rome par Romulus) la frontière entre l’ager romanus et l’urbs à l’aide de bornes dites cippes. Les sources romaines nous indiquent bien un respect impérial envers un interdit religieux à l’époque impériale, avec les divinités isiaques exclues par Octave en 28 av. J.-C. alors que ce dernier fait construire un temple d’Apollon sur le Palatin. L’exclusion ciblée, au lendemain de la bataille d’Actium de l’Occident contre l’Orient, représenterait un acte redéfinissant ce qui est romain et ce qui ne l’est pas : pour le futur Auguste, le pomerium est bien l’incarnation de la frontière entre romanité et profane étranger[60]. Ainsi, le pomerium n’aurait pas obligatoirement un sens de frontière religieuse avant l’époque impériale : c’est peut-être avant tout Auguste qui, par ses gestes d’exclusion religieuse, en a fait une telle frontière et une tradition[61]. On a bien une distinction identitaire qui touche au domaine sacré, et une distinction spécifique à ce qui provient de l’Égypte.

    Une politique religieuse anti-isiaque n’est donc pas étonnante de la part d’Auguste, celui qui fut d’abord Octave, l’opposant de Marc-Antoine. En effet, c’est là un point clé de la perception littéraire du monde isiaque à la toute fin de la République et au Ier siècle ap. J.-C. : la combinaison politique-religieux comme avec les Bacchanales[62], avec pour notre cas, l’implication de l’Égypte dans les guerres civiles opposant les deux triumvirs, implication à travers son gouvernement incarné par Cléopâtre puis ses dieux[63]. L’Égypte du temps des auteurs augustéens n’est plus réellement le pays aux sagesses millénaires du temps d’Hérodote et n’est plus seulement synonyme de méfiance, mais de véritable danger politique susceptible de troubler la pax deorum. Déjà, César attaquait le peuple alexandrin de fallacem gentem : « César, bien qu’il connût à fond la fausseté de ce peuple qui pense d’une façon et se comporte d’une autre[64] ». Dorénavant, avec l’épisode d’Actium en 31 av. J.-C. offrant la victoire à Octave, Cléopâtre devient un stéréotype désigné pour prendre la place de l’instigatrice des vices d’Antoine, et son image est toujours décrite péjorativement. Elle est une courtisane vicieuse chez Pline l’Ancien (« Cléopâtre, avec le dédain à la fois hautain et provocant d’une courtisane couronnée, dénigrait toute la somptuosité de ces apprêts[65] ») et chez Sénèque (« Cet Antoine, qui était un grand homme… qu’est-ce qui l’a perdu en le faisant passer sous l’empire de mœurs étrangères, de vices qu’ignorait le Romain? Son ivrognerie et son amour pour Cléopâtre qui égalait sa passion pour le vin[66] »). Elle est la victime principale des auteurs soutenant Octave. Et elle est la victime d’Octave lui-même dans son discours d’avant-guerre rapporté par Dion, qui identifie Antoine à Osiris et Cléopâtre à Isis, et où la reine semi-divine est désignée comme une menace pour le Capitole, le tout comme πάντα δὲ τἀλλότρια καὶ βαρβαρικὰ ἐζηλωκότα 

    Prétendant lui-même [Antoine] être Osiris et Dionysos et elle [Cléopâtre], Séléné et Isis. Et chaque fois qu’elle prononçait un serment, son plus grand vœu était de rendre la justice sur le Capitole. (…) Antoine a épousé toutes les coutumes étrangères et barbares[67]. 

    Chez Ovide, la dimension religieuse intervient dans le conflit politique, avec une formule lapidaire où le Capitole et le Canope sont deux lieux religieux symboliques qui s’affrontent à cause de la reine : « Une reine d’Égypte, fière d’être la femme d’un général romain, tombera dans son fol orgueil, et aura menacé en vain d’asservir à Canope notre Capitole[68] ». Chez Virgile, on l’a vu, l’affrontement divin est encore plus clair : les divinités présentes en Égypte sont désignées comme monstra, avec l’exemple probant du latrator Anubis, et affrontent Neptune, Minerve et Vénus. Ainsi, lorsque Rome est en danger, les accusations littéraires se font plus sévères et attaquent autant les divinités isiaques présentes dans la Capitale que dans leur pays d’origine : ce ne sont pas seulement des peregrina sacra dangereux lorsque présents à Rome, mais des dangers pour l’Empire tout entier. Tout est dit selon les termes que Dion prête à Auguste : les cultes isiaques et tout ce(ux) qui s’y attache sont des mœurs étrangères et barbares, sentence qui dominera et influencera les écrits du Ier siècle ap. J.-C. (tant qu’Auguste sera désigné comme principal exemple impérial) et qui explique certainement que Tibère, successeur zélé d’Auguste, sera le deuxième et dernier empereur à mettre un frein au développement des pratiques religieuses isiaques en 19 ap. J.-C. : « Il réprima les cérémonies des cultes étrangers, les rites égyptiens et judaïques. Il contraignit tous ceux qui étaient adonnés à ces superstitions de jeter au feu les vêtements et tout l’appareil de leur religion[69] ». 

    Le rejet tardo-républicain littéraire des cultes isiaques présents à Rome s’exprime par l’image établie de pratiques populaires, contagieuses, exotiques et excessives; il est conforme au rejet officiel par les sénateurs et les premiers empereurs, faisant suite à plusieurs temps de crise que constituent les guerres civiles triumvirales. Mais la mobilisation populaire face à ces mesures d’austérités religieuses n’est pas inexistante.

    La mobilisation populaire : la difficulté des indices archéologiques de reconstructions

    Certes, la succession répressive tardo-républicaine décrite dans la littérature démontre un Sénat unifié contre la sphère isiaque; mais elle prouve également le soutien indéfectible de la communauté de fidèles qui reconstruit, d’où une division des attitudes politiques avec un temple isiaque romain finalement accordé en 43 av. J.-C. Quant à la répétition littéraire postérieure des mesures passées de bannissement, durant tout le Ier siècle de notre ère, elle prouve que les défenseurs de la religio romaine pendant et après le règne d’Auguste craignent la vitalité des cultes isiaques, et une vitalité non seulement religieuse, mais également à connotation politique et criminelle pour que des représentants de l’État s’en préoccupent. Pourtant, les indices archéologiques des reconstructions populaires isiaques à Rome sont rares et parfois difficiles à interpréter. 

    Rappelons ici l’inexistence d’une règle républicaine pomériale stricte, donc que le pomerium acquiert une austérité religieuse surtout à partir du règne d’Auguste. Or, nous retrouvons, à l’intérieur même de l’espace sacré[70], des traces de lieux cultuels isiaques datant de l’époque républicaine et conservés pendant et après le règne d’Auguste, sans que cette situation urbaine ne représente une officialisation de cultes d’origine étrangère et un statut désormais « romain ». Il existe ainsi une Isis dite Metellinum depuis le premier quart du Ier siècle av. J.-C. jusqu’à l’époque de l’Histoire Auguste[71] qui nous en fait mention (au IVe siècle ap. J.-C.), située approximativement dans la région du Caelius ou la regio III appelée « Isis et Sérapis » par les régionnaires tardifs. Selon l’hypothèse théonymique, Isis porte le nom d’un collègue sénatorial de Sylla[72] : c’est son possible caractère privé qui a pu faire en sorte que son installation intra-pomerium a pu se faire et surtout qu’elle a pu se conserver postérieurement à Auguste. L’absence de mention lors des destructions tardo-républicaines et impériales prouverait que le lieu isiaque est resté très modeste. Autre hypothèse de reconstitution : étant aussi honorée par les légionnaires des Castra peregrina, l’Isis Metellinum pourrait alors se situer plus près de ce lieu exclu du pomerium de par son caractère militaire, plus précisément proche de l’actuelle Santa Maria in Navicella selon Malaise[73]. Et dans ce cas, nul besoin de la part des sénateurs tardo-républicains de s’attaquer au temple modeste et extra-pomerium. Finalement, la dernière hypothèse est la localisation proche de Santi Pietro e Marcellino, au nord-ouest du croisement de la via Labicana et Merulana, ce qui reste un emplacement extra-pomerium.

    Prenons un autre exemple : la chapelle isiaque construite dans la domus Flavia sur le Palatin[74] – regio X – suppose une construction incluse dans le pomerium, datant de la fin du Ier siècle ap. J.-C. Il s’agit d’une chapelle privée à décoration romaine imitant des modèles pharaoniques, certainement pour l’empereur Domitien. Son caractère privé semble primer sa localisation : on peut supposer qu’étant privée et restreinte, elle ne participe pas à la diffusion isiaque, et ne représente pas de danger pour le templum romain. On pourrait autrement supposer que Domitien a réussi à imposer sa volonté d’un lieu isiaque sur la sacralité topographique du lieu choisi; or, cette chapelle semble toujours en fonction au début du IIIe siècle[75]. Il ne peut donc s’agir d’un geste imposé et nuisible qui aurait pu être rejeté par la suite. Le caractère privé subsiste jusqu’à l’époque sévérienne, sans conséquence pour le pomerium ni pour le statut public des divinités isiaques. Le caractère privé et modeste des lieux cultuels honorant des divinités étrangères semble un facteur déterminant dans le rejet divin et l’éventuelle destruction du lieu concerné décidée par les autorités romaines. Par conséquent, le rejet romain de l’Autre isiaque est lié à l’aspect public de ce dernier, aspect public d’origine populaire et non contrôlé en premier lieu par l’État, soit l’absence d’officialité publique.

    Le cas de l’Isis capitoline est très débattu. De par son nom, située hypothétiquement dans la regio VIII et le Capitole étant intégré au pomerium depuis l’époque républicaine comme haut centre religieux de l’ancienne Rome (avec le temple consacré à la triade capitoline Jupiter-Junon-Minerve), la présence d’un éventuel autel ou temple isiaque sur cette colline serait « illégale » et ne pourrait signifier qu’intrusion par le peuple. Malgré la grande rareté de preuves archéologiques d’un réel temple isiaque capitolin, la variété de mentions littéraires et quelques indices épigraphiques de sacerdotes Isidis Capitolinae[76] amènent à confirmer une telle présence isiaque, au moins depuis l’époque tardo-républicaine jusqu’à la fin du IIe siècle ap. J.-C.[77]. Selon nous, avec la description de tant d’animosités consulaires entre 59 et 48 av. J.-C., il est difficile de conclure sur une absence isiaque capitoline pour cette époque. Mais il est vrai que cette présence est encore difficile à définir[78] : seulement privée avec de simples autels? Présence publique avec un grand temple? Succession de l’une après l’autre? Elle est en premier lieu « illégale », et serait donc visée par le décret d’Auguste en 28 av. J.-C.[79] : selon Malaise, ce dernier aurait indirectement fait déplacer les divinités isiaques depuis le Capitole vers la regio IX et le Champ de Mars[80], extra-pomérial. Qu’un culte isiaque privé se soit transformé ou non en culte public capitolin, les gestes d’exclusion sont ainsi mieux expliqués si cette présence isiaque privée fait bien partie de la partie capitoline intra-pomériale[81].

    Les extensions pomériales postérieures à Auguste compliquent la situation : en effet, l’agrandissement de la limite du pomerium était un acte depuis longtemps établi à des fins juridiques et démographiques, permettant d’étendre le territoire romain et d’englober un corps civique grandissant. On relève des indices littéraires d’un tel agrandissement de la part de Sylla[82], César et Auguste[83]. Un tel acte, pour les empereurs qui vont l’effectuer, était autant une nécessité pour Rome qu’une action de prestige pour leur personne, et ils ne le faisaient qu’en respectant cette notion ancienne par la consécration des cippes[84]. Ces pierres, à leur tour, participaient à l’autoglorification des empereurs et sont devenues pour nous des preuves archéologiques. On a ainsi retrouvé les cippes pomériaux de Claude en 49 ap. J.-C., de Vespasien et Titus, de restauration d’Hadrien en 121 ap. J.-C. Grâce à Claude, empereur julio-claudien attaché à l’idée d’intégration ethnique (selon son discours proposant l’incorporation des Gaulois au Sénat), l’Aventin est désormais inclus dans le pomerium. Geste sûrement réfléchi, car l’Aventin était à l’époque républicaine une zone d’incorporation des cultes étrangers[85] : zone extra-pomériale, mais propice à l’installation de cultes étrangers dès le IIIe siècle av. J.-C., ceux qui s’y concentrent étaient alors à la fois exclus religieusement du pomerium, mais inclus physiquement dans les murailles de la cité donc invités à rejoindre la communauté romaine. Les cultes concernés par l’inclusion de l’Aventin de la part de Claude sont intégrés à un statut romain, mais aussi transforment ce dernier en changeant les sphères religieuse et sociale romaine : l’Aventin est un espace dit « liminal », liminalité rappelant toujours l’aspect étranger d’origine des cultes installés et l’importance de la communauté dans leur succès[86]. Cette situation est unique à l’Aventin et correspond parfaitement à l’idée d’altérité peu à peu incluse. Ainsi, une focalisation sur les installations isiaques situées dans cette région est indispensable; or, il y existe un lieu isiaque dès la fin de l’époque tardo-républicaine, dont les restes archéologiques sont encore sujets à débat. On a ainsi retrouvé, dans un édifice thermal du IIIe siècle, certaines pièces réutilisées qui semblent avoir été auparavant des espaces isiaques. Ce lieu appelé « iseum de Sainte-Sabine » fait hésiter les chercheurs entre véritable iseum et local isiaque plus restreint[87]. Surtout, il se trouve des deux côtés du mur servien, soit à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la zone aventine extra-pomériale mais intérieure à la muraille civile qui sera incluse dans le pomerium agrandi de Claude. Cette localisation doublée de chaque côté du mur serait, pour certains, la conséquence de l’exclusion par Auguste et Agrippa des ἱερὰ τὰ Αἰγύπτια, et une « ruse » des fidèles isiaques qui s’installent juste de l’autre côté de la frontière physique. Mais pour Michel Malaise, cette théorie est inadéquate, puisque le lien entre les deux parties du complexe ne s’est fait que bien plus tard (au IIe siècle ap. J.-C.). Et si les fidèles de l’Aventin se sont vus exclus par la mesure augustéenne (ce qui en outre ne correspond pas au fait que l’Aventin est une zone extra-pomerium d’incorporation républicaine des cultes étrangers), pourquoi ne sont-ils pas allés plus loin, comme ceux du Capitole déplaçant leur autel/temple vers le Champ de Mars?

    Avec l’agrandissement de Claude, le complexe se retrouve inclus dans le pomerium; pourtant, aucune mention littéraire, aucune inscription ne dénote d’un changement public de statut des cultes isiaques présents précisément dans ce local. On supposera alors soit que c’était bien un local restreint qui là encore, n’a pas inquiété la sacralité du templum romain, soit qu’avec les agrandissements, la sacralité du pomerium a peu à peu été plus flexible envers les cultes « étrangers », en particulier ceux qui étaient déjà accueillis par la communauté romaine et étant présents sur l’Aventin. Malheureusement, l’insuccès de son entretien et sa transformation en édifice thermal conduit à ne pas considérer ce lieu comme l’un de ceux inclus dans la colline aventine dans l’objectif d’inclure les divinités concernées dans la sphère religieuse romaine[88] (au contraire des exemples voisins entretenus depuis des siècles) : l’incorporation n’aurait-elle pas eu lieu à cause du caractère privé de sa première installation? C’est l’une des possibilités envisageables selon la définition de l’incorporation aventine, qui doit concerner des cultes passant par les rites publics de séparation et de transition.

    Les exemples de la regio Aventinus prouvent que les agrandissements impériaux du pomerium n’avaient a priori pas de fins religieuses[89], et que l’intégration topographique pomériale ne signifie pas intégration religieuse publique de divinités étrangères désormais « romaines », du moins romanisées. On voit là encore que la notion de sacralité religieuse du pomerium est à relativiser, et que l’austérité religieuse romaine s’est flexibilisée topographiquement au fil des temps impériaux.

    L’austérité religieuse romaine s’est surtout appliquée durant l’époque républicaine, la religio se définissant en particulier à travers ses transgressions plus que par ses applications avec l’exemple initiateur du rejet des Bacchanales. Quant au rejet romain austère des cultes isiaques, il intervient surtout durant la période tardo-républicaine et les débuts de l’ère impériale. Il transparait en particulier dans les mentions littéraires alors que les indices archéologiques topographiques sont moins probants, voire au contraire nuancent le caractère religieux du pomerium républicain puis l’austérité stricte de cette limite au fil des règnes postérieurs à Auguste et Tibère.

    Le cas des cultes isiaques est donc intéressant, car il fait l’objet de recherches encore récentes – depuis le XXIe siècle – et très prometteuses avec la publication de multiples corpus, et parce que ce groupe cultuel s’insère dans la question des mutations religieuses romaines et la notion d’altérité incluse. L’altérité incluse désigne un Autre peu à peu inclus dans le référent (anciennement bannisseur) sans perdre son altérité, donc sa différence (qui le définissait comme un Autre, telle l’étrangeté orientale) est devenue une caractérisation acceptable car constitutive de la romanité. Ainsi, « l’altérité incluse ne peut prendre forme que par un mouvement permanent d’absorption et de rejet[90] », et le mouvement d’absorption est possible parce que l’Autre désigné par l’Ici est caractérisé par une différence qui suppose en premier lieu une ressemblance[91].

    L’altérité de l’Autre désormais absorbé peut même aboutir en une caractéristique (autrefois interdite) mise en avant par le référent pour se définir lui-même en temps de crise. Là encore, le cas isiaque est fascinant avec des exemples de monnaies dites Vota Publica (certainement pour les vœux de bonne année ou autres événements d’exception comme l’anniversaire impérial) présentant des légendes de salut, de santé, de prospérité, etc., qui affichent l’Anubis à tête de chien autrefois si réprimé par les auteurs de tendance sénatoriale et augustéenne, habillé désormais de la toge romaine et porteur de la propagande païenne des sénateurs romains du IVe siècle ap. J.-C., face à la christianisation de la sphère impériale installée à Constantinople ou ailleurs en Orient…

    Références

    [1] Le dictionnaire de Trévoux de 1771 définit l’austérité de la façon suivante : « L’Austérité est dans la manière de vivre. C’est l’opposé de la mollesse. (…) M. de S. Evremont dit que la frugalité des anciens Romains, n’étoit qu’une ignorance des plaisirs, & qu’on a cependant contacté cette austérité nécessaire, comme une vertu. (…) Ce mot est souvent employé comme synonyme de sévérité. On dit en ce sens l’austérité de la vertu romaine. » [p. 661].

    [2] Robert Turcan, Religion romaine, tome 1, Leiden-Boston, E. J. Brill, 1988, p. 13.

    [3] Philippe Borgeaud, Francesca Prescendi, « Religion et polythéisme dans l’Antiquité », dans Philippe Borgeaud, Francesca Prescendi, dir., Religions antiques : une introduction comparée : Egypte, Grèce, Proche-Orient, Rome, Genève, Labor et fides, 2008, p. 11-28.

    [4] Nicole Belayche, « Entrée en matière : de la démarche à un cas modèle », introduction de Nicole Belayche, Simon C. Mimouni, dir., Entre lignes de partage et territoires de passage. Les identités religieuses dans les mondes grec et romain. « Paganismes », « judaïsmes », « christianismes », Louvain, Peeters, 2009, p. 12-14, dans lequel Simon C. Mimouni, « Les identités religieuses dans l’Antiquité classique et tardive : remarques et réflexions sur une question en discussion », dans ibid., p. 492 nous dit « que regarder les autres revient à s’interroger sur soi-même ». Également à ce propos, Eric M. Orlin, Foreign Cults in Rome. Creating a Roman Empire, Oxford-New-York, Oxford University Press, 2010, p. 192 : « The Roman response to foreign religious elements in this [republican] period provides not a view of the development of Romanness, but a window through which to observe the conflict revolving around who should be included as Roman, and who should determine who should be included ».

    [5] Franz Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1963.

    [6] Walter Burkert, Les cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris, Les Belles Lettres, 1992.

    [7] Robert Turcan, Les cultes orientaux dans le monde romain, Les Belles Lettres, Paris, 1989.

    [8] Laurent Bricault, dir., De Memphis à Rome, 40 ans d’études isiaques. Actes du Ier colloque international sur les études isiaques, Poitiers-Futuroscope 8-10 avril 1999, Leiden-Boston, E. J. Brill, 2000.

    [9] Philippe Borgeaud, Francesca Prescendi, Religions antiques.

    [10] Bernadette Cabouret, Marie-Odile Charles-Laforge, dir., La norme religieuse dans l’Antiquité. Actes du colloque organisé les 14 et 15 décembre 2007 par les universités Lyon 2 et 3, Paris, De Boccard, 2011.

    [11] Eric M. Orlin, Foreign Cults, p. 4.

    [12] John Scheid, « Introduction », dans Bernadette Cabouret, Marie-Odile Charles-Laforge, La norme religieuse, p. 7-9.

    [13] Eric M. Orlin, « Foreign Cults in Republican Rome : Rethinking the Pomerial Rule », Memoirs of the American Academy in Rome, vol. 47, (2002), p. 14; il donne aussi l’exemple de Vénus Erycina sur le Capitole (p. 7), venant de Sicile mais incarnation de la mère d’Énée, introduite à Rome en 215 av. J.-C. en réponse au désastre de la bataille de Trasimène deux ans auparavant.

    [14] Nicole Belayche, « DEAE SVRIAE SACRUM. La romanité des cultes “orientaux” », Revue Historique, vol. 302, n° 33 (2000), p. 570.

    [15] « La déesse de Pessinonte », citée à plusieurs reprises dans Hérodien, Histoire romaine, I, 11, 3-5, (traduction par Denis Roques, Paris, Les Belles Lettres, 1990) plus d’un siècle après Ovide et Tite-Live.

    [16] Il y a dualité des rituels pour la Grande Mère : des gestes acceptables et acceptés par les Romains grâce à l’ancestralité troyenne de la déesse, et d’autres plus intolérables à la façon romano-orientale – Philippe Borgeaud, La mère des dieux, de Cybèle à la vierge Marie, Paris, Du Seuil, 1996, p. 95-97.

    [17] Ovide, Les fastes, IV, 255-275, le raconte à la même époque que Tite-Live, Histoire romaine, XXXVIII, 18.  

    [18] Comme le précise Ovide, Les fastes, IV, 345-348 : « Cybèle, assise sur un char, entre par la porte Capène; les génisses qui la traînent sont couvertes de fleurs nouvelles. Nasica la reçut et fut le fondateur de son temple; Auguste porte aujourd’hui le même titre, et Métellus l’avait porté avant lui. » Traduction disponible sur http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/ovide_fastesIV/

    [19] Ovide, Les fastes, IV, 175-180. Énée, fuyant Troie, va s’installer en Italie grâce aux navires qui avaient été fabriqués avec des pins sacrés du mont Ida, consacrés à la déesse. Lorsque Turnus lança une attaque contre les navires, Cybèle apparut dans son char conduit par des lions et lui ordonna de renoncer à son projet. Énée pourra alors s’installer en Italie, à Lavinium, et deviendra l’ancêtre des célèbres Romulus et Rémus, les fondateurs de Rome. Sur cet exemple de Cybèle, voir Eric M. Orlin, Foreign Cults, p. 215-216 et Kaj Sandberg, « Isis capitolina and the “pomerium” : notes on the augural topography of the Capitolium », Arctos, vol. 43, (2009), p. 148-149.

    [20] Denys d’Halicarnasse, Les antiquités romaines, II, 19, 4 : « Et même s’il est arrivé aux Romains d’introduire quelque culte par la volonté d’un oracle, ils le célèbrent selon leurs propres rites, en rejetant toutes les fables de charlatans. C’est ce qu’ils ont fait, par exemple, pour le culte de la déesse de l’Ida : chaque année les prêteurs organisaient des sacrifices et des jeux en son honneur, conformément aux usages romains », traduction de Valérie Fromentin et Jacques Schnäbele, Paris, Les Belles Lettres, 1990.

    [21] Selon les deux catégories définies par Nicole Belayche, « DEAE SVRIAE », p. 569, pour démontrer l’invalidité actuelle de celle de religions « orientales » par Cumont qui s’alignait sur « le schéma téléologique des auteurs chrétiens » (p. 566). Les cultes isiaques font donc partie de la deuxième catégorie, de ceux graduellement intégrés (p. 570).

    [22] Soit juste en marge du pomerium : Olivier de Cazanove, « Lucus Stimulae. Les aiguillons des Bacchanales », Mélanges de l’École française de Rome, vol. 95, n°1 (1983), p. 64.

    [23] Tite-Live, Histoire romaine, XXXIX, 8-19.

    [24] CIL I, n° 521.

    [25] Jean-Marie Pailler, Rome antique, Paris, Jean-Paul Gisserot, 2000, p. 115.

    [26] Tite-Live, Histoire romaine, XXXIX, 11.

    [27] Agnès Nagy, Francesca Prescendi, « Innovations religieuses dans la Rome impériale », dans Philippe Borgeaud, Francesca Prescendi, Religions antiques, p. 160.

    [28] Annie Dubourdieu, « La définition de la norme religieuse romaine dans l’affaire des Bacchanales », dans Bernadette Cabouret, Marie-Odile Charles-Laforge, La norme religieuse, p. 12.

    [29] Ibid., p. 13.

    [30] Tite-Live, Histoire romaine, XXXIX, 13, 9-14, traduction disponible sur http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/Tite-LiveXXXIX/lecture/default.htm

    [31] Tite-Live, Histoire romaine, XXXIX, 8, 7-8.

    [32] Hérodote, Histoires, II, 42 et Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, I, 25, 1-2.

    [33] Valentina Arena, « Tolerance, intolerance, and religious liberty at Rome : an investigation in the history of ideas », dans Giovanni Alberto Cecconi, Chantal Gabrielli, dir., Politiche religiose nel mondo antico e tardoantico : poteri e indirizzi, forme del controllo, idee e prassi di tolleranza. Atti del convegno internazionale di studi, Firenze, 24-26 settembre 2009, Bari, Edipuglia, 2011, p. 150; Michel Malaise, Les conditions de pénétration et de diffusion des cultes égyptiens en Italie, Leiden-Boston, E. J. Brill, 1972, p. 360; Eric M. Orlin, Foreign Cults, p. 207.

    [34] Cicéron, De republica, III, 9, 14, traduction d’Esther Bréguet, Paris, Les Belles Lettres, 1980.

    [35] Virgile, Énéide, XIII, 696-706, traduction d’André Bellessort, Paris, Gallimard, 1974.

    [36] Properce, Élégies, II, 33, traduction de Pascal Charvet, Paris, Imprimerie nationale, 2003.

    [37] Ovide, Les amours, II, 2, 25, traduction de Danièle Robert, Arles, Actes Sud, 2006.

    [38] Ovide, Art d’aimer, I, 77-78, traduction de Danièle Robert, Arles, Actes Sud, 2003.

    [39] Flavius Josèphe, Contre Apion, I, 25, 225 : « Toute leur nation, en effet, d’après une coutume héréditaire, prend les animaux pour des dieux »; I, 28, 254 : « Si ce sont les dieux consacrés par leurs lois, le bœuf, la chèvre, les crocodiles et les cynocéphales, il les voyait. » Traduction de Leon Blum, Paris, Les Belles Lettres, 1930.

    [40] Flavius Josèphe, Les Antiquités judaïques, XVIII, 3, 4 : « Environ le même temps il arriva un grand trouble dans la Judée, et un horrible scandale à Rome durant les sacrifices d’Isis », traduction d’Arnauld d’Andilly, Paris, Auzou, 1997. L’historien juif, comme plus tard les auteurs chrétiens, a tout intérêt à dénigrer la sphère isiaque à Rome comme les traditions religieuses en Égypte-même, dont l’histoire est très liée à celle du judaïsme. 

    [41] Michel Malaise, Les conditions, p. 391.

    [42] Juvénal, Satires, IV, 1-2.

    [43] Gérard, Juvénal et la réalité contemporaine, Paris, Les Belles Lettres, 1976, p. 26-54 et 140-141.

    [44] Sur l’hostilité littéraire romaine envers les « nouveaux Romains », qui touche en particulier les Égyptiens : Nicole Belayche, « L’Oronte et le Tibre : L’“Orient” des cultes “orientaux” de l’empire romain », dans Mohammad Ali Amir-Moezzi, John Scheid, dir., L’Orient dans l’histoire religieuse de l’Europe. L’invention des origines, Turnhout, Brepols, 2000, p. 9-14. 

    [45] Juvénal, Satires, VI, 489 : « déesse-maquerelle ».

    [46] Juvénal, Satires, VI, 522-541.

    [47] Juvénal, Satires, XIII, 90-95 : « Qu’Isis décide à sa guise de mon corps, que son sistre courroucé me crève les yeux, pourvu que, même aveugle, je puisse, en niant le dépôt, garder le fric ! » Traduction d’Olivier Sers, Les Belles Lettres, 2002.

    [48] Juvénal, Satires, XV, 1-16.

    [49] Juvénal, Satires, VI, 522-541, traduction disponible sur http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/juvenal_satura_06/lecture/default.htm

    [50] Agnès Nagy, Francesca Prescendi, « Innovations », p. 151-153; Valentina Arena, « Tolerance », p. 152-154.

    [51] David Frankfurter, « Religion in the Mirror of the Other : a Preliminary Investigation », dans Francesca Prescendi, Youri Volokhine, dir., Dans le laboratoire de l’historien des religions : mélanges offerts à Philippe Borgeaud, Genève, Labor et Fides, 2011, p. 74-78.

    [52] Qui est le deuxième empereur à essayer de mettre un frein au développement spécifique des pratiques religieuses isiaques Le récit de faits tardo-républicains par Valère-Maxime va donc faire écho à l’ambiance politico-religieuse de son temps et soutenir la position de son empereur.

    [53] Valère Maxime, Des faits et des paroles mémorables, I, 3, 4.

    [54] Eric M. Orlin, Foreign Cults, p. 205.

    [55] Dion Cassius, Histoire romaine, LIII, 2, 4 : « As for religious matters, he did not allow the Egyptian rites to be celebrated inside the pomerium », traduction d’Earnest Cary, London-New York, Putnam’s sons, 1955.

    [56] Eric M. Orlin, Foreign Cults, p. 211.

    [57] Kaj Sandberg, « Isis capitolina », p. 148-149.

    [58] Hormis pour les cérémonies triomphales : ibid., p. 147.

    [59] Eric M. Orlin, « Foreign Cults », p. 8.

    [60] Laurent Bricault, Les cultes isiaques dans le monde gréco-romain, Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. 180.

    [61] Eric M. Orlin, « Foreign Cults », p. 6; Eric M. Orlin, Foreign Cults, p. 211.

    [62] Eric M. Orlin, Foreign Cults, p. 209.

    [63] Erich S. Gruen, Rethinking the Other in antiquity, Princeton, Princeton University Press, 2012, p. 108-109.

    [64] César, Bellum Alexandrinum, XXIV, 1, traduction de Jeans Andrieu, Paris, Belles Les Lettres, 1954.

    [65] Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 58, traduction de E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles Lettres, 1955.

    [66] Sénèque, Lettres à Lucillius, X, 83, 25, traduction par Henri Noblot, Paris, Les Belles Lettres, 1957.

    [67] Dion Cassius, Histoire romaine, L, 5 et 25, traduction par Marie-Laure Freyburger et Jean-Michel Roddaz, Paris, Les Belles Lettres, 1991.

    [68] Ovide, Métamorphoses, XV, 826-828, traduction par Georges Lafaye, Paris, Les Belles Lettres, 1930.

    [69] Suétone, Vie de Tibère, XXXVI, traduction de Charles Louis Fleury Panckoucke, Clermont-Ferrand, Paleo, 2006.

    [70] Le pomerium d’avant ses extensions impériales inclut majoritairement les quartiers contenus par le mur servien : le Quirinal, le Viminal, l’Esquilin avec sa partie méridionale – l’Oppius –, le Capitole, le Palatin, et la partie occidentale du Caelius (suivant globalement le tracé de l’Aqua Appia), excluant le Pincio et le Champ de Mars, ainsi que l’Aventin. André Magdelain, « Le pomerium archaïque et le mundus », dans Jus imperium auctoritas. Études de droit romain, Rome, École Française de Rome, 1990, p. 156.

    [71] Histoire Auguste, Vies des trente tyrans, XXV, 4.

    [72] Face à l’hypothèse que cette Isis porte le nom topographique d’un vicus. L’hypothèse théonymique s’appuie sur le comportement ouvert de Sylla lui-même, car c’est bien sous son pouvoir qu’un collège de pastophores isiaques s’est installé à Rome selon Apulée, et Sylla avait notamment une politique favorable à des cultes étrangers comme celui de Mâ-Bellone. Filippo Coarelli, « I monumenti dei culti orientali in Roma », dans Ugo Bianchi, Maarten J. Vermaseren, dir., La soteriologia dei culti orientali nell’impero romano, Atti del Colloquio Internazionale su La soteriologia dei culti orientali nell’Impero Romano, Roma 24-28 Settembre 1979, Leiden-Boston, E. J. Brill, 1982, p. 54.

    [73] Michel Malaise, Inventaire préliminaire des documents égyptiens découverts en Italie, Leiden-Boston, E. J. Brill, 1972, p. 171. L’éventuel sacellum des Castra misenatium, marins souvent d’origine égyptienne, est un cas similaire à l’Isis Metellinum : visité par les étrangers-soldats, le lieu probablement « privé » était exclu certainement pour raison militaire liée à ces fidèles, non (uniquement) pour la nature de la divinité honorée. Le lien entre castra et divinités isiaques est d’ailleurs notable, avec 3 cas romains possibles. Il semble que pour les divinités non romaines (indigènes ou romano-orientales), on soit plus souvent devant le cas de lieux de culte privés ou semi-privés (habitations et collèges), ce qui indiquerait à la fois un certain contrôle des autorités militaires, et une souplesse de leur part, sur l’autorisation de divinités non romaines à l’intérieur du camp : celle-ci doit rester privée et restreinte, pour préférer publiquement les divinités romaines. Christophe Schmidt Heidenreich, Le glaive et l’autel : camps et piété militaires sous le Haut Empire romain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 135-138 et 245-246, à ce propos.

    [74] Michel Malaise, Inventaire, p. 219-222.

    [75] Selon une inscription à Sérapis : ibid., Roma n° 24, par un affranchi impérial du nom de Mithres.

    [76] Ibid., Roma n° 1-2.

    [77] Ibid., p. 186-187; Kaj Sandberg, « Isis capitolina », p. 150-153.

    [78] Kaj Sandberg, « Isis capitolina », p. 153-155, expose bien les différentes théories et leurs adeptes, notamment la théorie des « hypercritiques » comme Malaise.

    [79] Filippo Coarelli, « Le bellum Vitellianum et l’Isis du Capitole », dans Marie-José Kardos, dir., Habiter en ville au temps de Vespasien. Actes de la table ronde de Nancy, 17 octobre 2008, Paris, De Boccard, 2011, p. 49, propose qu’à l’origine devait exister le culte privé d’un collegium, transformé en culte public et ainsi victime des fameuses tentatives de destructions républicaines. 

    [80] Michel Malaise, Inventaire, p. 212. 

    [81] Plutôt que, comme le suggère Kaj Sandberg, « Isis capitolina », p. 158, une présence isiaque officielle dans une région capitoline non incluse dans la frontière sacrée de Rome à ces époques tardo-républicaine et impériale. 

    [82] Sénèque, De la brièveté de la vie, XIII, 8.

    [83] Tacite, Annales, XII, 23, 2.

    [84] Benoist, Rome, le prince et la cité, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p. 246-255; André Magdelain, « Le pomerium », p. 156.

    [85] Eric M. Orlin, « Foreign Cults », p. 13-16.

    [86] Ibid., p. 13.

    [87] Michel Malaise, Inventaire, p. 227.

    [88] Eric M. Orlin, « Foreign Cults », p. 15.

    [89] Michel Labrousse, « Le pomerium de la Rome impériale », Mélanges d’archéologie et d’histoire, n° 54, 1937, p. 197. 

    [90] Florence Dupont, « Rome ou l’altérité incluse », Rue Descartes, vol. 3, n° 37 (2002), paragraphe 41, disponible sur www.cairn.info/revue-rue-descartes-2002-3-page-41.htm (consulté le 18/05/2014). 

    [91] Ibid., paragraphe 7.