Crise, pouvoir et opportunité

Instabilité économique et émergence d’une nouvelle élite chez les Cherokee au XIXe siècle[1]

FRANÇOIS DOMINIC LARAMÉE
Université de Montréal

Résumé : Au tournant du XIXe siècle, une crise économique majeure, provoquée par l’effondrement de la traite des pelleteries, perturbe le système social des Cherokees. Certaines familles cherokees, enrichies par la traite des pelleteries, investissent leur capital dans des plantations travaillées par des esclaves; cette minorité prospère rapidement et transforme le système politique cherokee en instaurant un gouvernement centralisé où elle détient la totalité du pouvoir. Les lois adoptées par ce nouveau gouvernement reflètent directement les valeurs et les intérêts de cette nouvelle élite.

 

Table des matières
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    Introduction

    À la fin du XVIIIe siècle, l’économie des Cherokees ─ un peuple autochtone du sud-est de l’Amérique du Nord et dont la plupart des villages sont situés sur le territoire de la Géorgie actuelle ─ connaît une crise majeure. Après être devenu, en quelques décennies, le cœur de l’activité économique et de l’identité sociale masculine à la suite de l’intensification des contacts entre les Cherokees et les sociétés blanches avoisinantes, le commerce des peaux de cerfs s’effondre. Au même moment, le gouvernement fédéral des États-Unis tente d’imposer aux Cherokees un vigoureux programme d’acculturation qui vise, notamment, à transformer l’horticulture communale pratiquée par les femmes en une forme d’agriculture commerciale pratiquée par les hommes. Le but est de réduire la superficie des terres dont les Cherokees ont besoin pour assurer leur subsistance et d’ouvrir ainsi le reste à la colonisation blanche. 

    La crise favorise la stratification de la société cherokee en classes sociales. Certaines familles, qui s’étaient déjà enrichies à l’époque de la chasse commerciale, investissent leur capital dans des plantations et des esclaves d’origine africaine. Cette pratique bénéficie de deux principes cherokees : la propriété commune de la terre et le droit pour tout Cherokee d’exploiter gratuitement toute la superficie qu’il est en mesure de travailler. Pendant que cette nouvelle élite acquiert d’importantes fortunes, la majorité, elle, adopte des pratiques de subsistance qui lui semblent plus compatibles avec la division traditionnelle des rôles masculins et féminins que l’agriculture à l’européenne.    

    Cet essai démontrera comment cette nouvelle élite a su exploiter la crise économique, sociale et territoriale qui frappe les Cherokees pour transformer les institutions politiques de la nation à son profit. En quelques années, cette élite réussit à remplacer l’ancienne confédération de villages indépendants par un gouvernement constitutionnel centralisé, calqué sur celui des États-Unis, où ses représentants détiennent la quasi-totalité du pouvoir. La législation adoptée par ce nouveau gouvernement bouleverse le tissu social des Cherokees de façon significative : ainsi, les clans matriarcaux cèdent le pas à la famille nucléaire; les femmes perdent leur influence politique; la propriété d’un homme, autrefois divisée entre ses frères de clan à son décès, est dorénavant transmise à ses enfants ─ ce qui permet de constituer des fortunes durables ─ et la liberté sexuelle des femmes, à peu près absolue jusque-là, est dorénavant soumise à des restrictions sévères d’inspiration chrétienne. 

    Survol historiographique

    L’historiographie sur les Cherokees est considérable, notamment à cause de leur longue lutte juridique contre la déportation vers l’Indian Territory (l’Oklahoma actuel), ordonnée par l’administration du président américain Andrew Jackson et qui donna lieu à la tristement célèbre Trail of Tears (Piste des larmes). 

    En ce qui concerne spécifiquement l’établissement du gouvernement central au début du XIXe siècle, un courant historiographique, représenté notamment par Duane Champagne[2] et Katy Simpson Smith[3], y voit une prise de contrôle par la nouvelle élite de planteurs issue des marchands du siècle précédent; tandis qu’un autre courant, représenté par les historiens Tyler Boulware[4] et William Anderson[5], et par le juriste Stephen Bragaw[6], y voit une réaction protonationaliste aux pertes de territoire qui ont découlé de la faiblesse des institutions cherokees du XVIIIe siècle. Il nous semble que les deux questions (protection du territoire et émergence des planteurs) sont intimement liées, la nouvelle élite ayant utilisé la question territoriale pour unifier la population cherokee derrière le nouveau gouvernement centralisé qu’elle domine. Il nous semble aussi que ni l’apparition de cette nouvelle élite ni la création d’un gouvernement centralisé susceptible d’être contrôlé par celle-ci n’auraient été possibles sans une succession de crises démographiques, militaires et économiques. C’est ce que nous tenterons de démontrer dans cet essai.

    Institutions cherokees au XVIIIe siècle

    Pendant la majeure partie du XVIIIe siècle, les Cherokees forment une société relativement égalitaire. La terre est une possession commune. Les maisons et les outils appartiennent aux clans (grandes familles matrilinéaires présentes partout sur le territoire) plutôt qu’aux individus. Le prestige s’acquiert en distribuant des biens plutôt qu’en les accumulant, et les seules possessions individuelles sont les armes, les vêtements, les parures et d’autres menus objets qui, selon le sociologue Duane Champagne, sont souvent enterrés avec les morts ou détruits après leur décès pour éviter des disputes[7]. L’économie d’un village est basée sur une agriculture communautaire pratiquée surtout par les femmes, les hommes ne participant aux travaux des champs qu’au moment du défrichage et des semailles. Chaque famille matrilinéaire est responsable d’une parcelle d’un vaste champ partagé par l’ensemble du village ainsi que d’un petit jardin situé à proximité de sa maison, mais les travaux sont généralement réalisés en groupe. Quant à la récolte, elle est divisée entre les greniers familiaux et un entrepôt communautaire qui sert à compléter les réserves familiales en cas de besoin, à secourir un village voisin dont les récoltes s’avèrent insuffisantes ou à alimenter les guerriers pendant une expédition militaire. Ce système crée des liens très forts entre les villageois, mais il permet difficilement de constituer d’importantes fortunes.

    Tout comme l’économie, le système politique des Cherokees est alors centré sur le village. Toutes les décisions, y compris celle de faire la guerre ou de conclure la paix, se prennent à l’échelle du village ou, parfois, entre partenaires au sein d’une coalition régionale plus ou moins stable. La seule instance politique véritablement nationale est un conseil formé de centaines de chefs locaux, d’aînés respectés et de grands guerriers provenant des différents villages. Ce conseil se réunit de façon sporadique pour discuter d’enjeux communs, mais les décisions, qui requièrent l’unanimité, n’ont pas force de loi : chaque village décide de se plier ou non aux résultats des délibérations[8]. Le simple fait de réunir ce conseil relève parfois de l’exploit : lorsque le major John Norton, un chef mohawk de descendance cherokee, assiste au Conseil national de 1809, certains de ses hôtes lui affirment avec satisfaction que celui-ci accueille des délégués de toutes les régions pour la première fois depuis plusieurs années, puisque: « […] auparavant, lorsqu’ils invitaient les habitants du pays situé au bas de la rivière à participer aux conseils tenus dans leurs villages, ils refusaient; et quand leurs villages recevaient de telles invitations, ils refusaient également[9] ». Toute forme d’action concertée est donc extrêmement difficile à accomplir : seuls les liens familiaux incarnés par les clans assurent une certaine cohésion, mais leur influence est plus sociale que politique. Pour l’historien Tyler Boulware, les Cherokees forment alors « un peuple profondément divisé dont les puissantes loyautés locales et régionales représentent souvent un défi considérable à l’unité nationale[10] ».

    Premières crises et émergence du commerce des pelleteries

    Les premiers signes d’une différenciation économique apparaissent avec la traite des pelleteries au XVIIIe siècle. Pour de nombreux peuples autochtones nord-américains, les échanges constituaient depuis longtemps la pierre d’assise des relations diplomatiques : l’historienne Kathleen DuVal estime que « les chefs, les négociateurs et les invités échangeaient probablement des couvertures, des pelleteries, du poisson, du gibier et même des partenaires sexuels en signe de bonne foi, des siècles avant que leurs descendants ne fassent de même avec les Européens[11] ». Les Cherokees ne font pas exception à la règle et lorsque les contacts avec les colonies anglaises s’intensifient au XVIIIe siècle, c’est le commerce qui en définit les paramètres. 

    Ce commerce acquiert cependant rapidement une importance qui dépasse le cadre de la simple diplomatie. Chez les Cherokees, la demande pour les outils de métal, les armes à feu et les produits textiles européens explose, tandis que les marchands venus de la Virginie et de la Caroline du Sud convoitent les peaux de cerfs que les Cherokees obtiennent à la chasse et pour lesquelles la demande en Europe est pratiquement illimitée[12]. D’une activité sociale et identitaire dont l’importance économique au XVIIe siècle était « possiblement […] si insignifiante […] qu’elle en était réduite à un rôle essentiellement rituel » selon l’historienne Theda Perdue[13], la chasse se transforme ainsi, pour les Cherokees, en une entreprise économique d’une importance vitale au cours du XVIIIe siècle. 

    Le commerce et l’identité masculine

    Outre son importance économique, le commerce des pelleteries occupe également un rôle majeur dans la définition de l’identité masculine cherokee au XVIIIe siècle. L’historien Tom Hatley écrit que « pour les Cherokees, le commerce [constitue] l’équivalent moral de la guerre » puisque, tout comme un raid en territoire ennemi, le commerce permet au chasseur-guerrier d’augmenter son prestige au sein de la communauté en obtenant des biens à redistribuer sous forme de cadeaux[14]. Or, le contexte démographique et militaire du XVIIIe siècle rend le remplacement de la guerre par le commerce de plus en plus inévitable. De quelque 30 000 individus à son apogée, selon le démographe Russell Thornton, la population cherokee décline jusqu’à environ 9 000 individus vers 1740 à la suite d’une série d’épidémies[15]. Les cinq sixièmes des villages cherokees sont ensuite rasés après que certains d’entre eux eurent choisi soit le camp français pendant la guerre de Sept Ans, soit le camp britannique pendant la guerre d’indépendance américaine; leurs ennemis se souciant peu de faire la différence entre villages hostiles et villages neutres. Lorsque les derniers chefs cherokees déposent les armes en 1794, le territoire national a perdu les deux tiers de sa superficie, comparativement à celle de 1721[16]. Compte tenu de la position d’extrême faiblesse dans laquelle se trouvent les Cherokees, qui ne peuvent plus se permettre de perdre d’autres hommes au combat, le remplacement de la guerre par le commerce constitue une porte de sortie à la fois socialement acceptable et salutaire d’un point de vue démographique.

    Le commerce et l’évolution des valeurs

    Cette transition vers le commerce s’accompagne cependant d’un changement subtil dans le système de valeurs des Cherokees. Selon l’historien Timothy Silver, les Cherokees du XVIIIe siècle sont des chasseurs solitaires[17], contrairement à plusieurs autres peuples autochtones dont les hommes chassent en groupe, et les peaux, comme les armes de chasse, appartiennent à celui qui a tué l’animal plutôt qu’à la communauté. La pratique croissante de la chasse commerciale entraîne donc une augmentation de l’importance relative de la propriété individuelle dans l’économie des Cherokees. À la même époque, on assiste à un nombre croissant de mariages entre des marchands et officiers militaires blancs et des femmes issues des familles cherokees les plus influentes. Selon les règles de la matrilinéarité en vigueur chez les Cherokees, les enfants issus de ces mariages sont des Cherokees de plein droit, et, s’il s’agit de garçons, ces derniers disposent de tous les atouts nécessaires pour devenir des chefs : l’éducation dans les écoles américaines, la connaissance de la langue anglaise, la possibilité d’hériter des possessions de leurs pères et l’entraînement politique offert par des oncles maternels qui sont probablement déjà chefs eux-mêmes[18].

    La dispersion des villages et la restructuration économique

    Pendant que le commerce acquiert une importance de plus en plus significative dans la vie économique des Cherokees, l’agriculture change de forme. Certains Cherokees qui ont survécu aux guerres et aux épidémies cherchent à disperser les villages et à répartir la population sur un plus vaste territoire afin de freiner la transmission des maladies infectieuses et d’éviter d’être une cible trop invitante pour les envahisseurs. Cette nouvelle forme d’occupation du territoire n’est pas sans conséquence sur la manière de cultiver le sol. Selon la sociologue Wilma Dunaway, si certains villages pratiquent encore l’agriculture communale féminine en 1790, celle-ci disparaît presque complètement vers 1800 au profit de la ferme familiale isolée[19]. Tout au plus, dans certains cas, quelques familles appartenant au même clan s’installent à proximité les unes des autres pour reproduire, à une échelle réduite, les méthodes de travail autrefois utilisées dans les villages. Pour l’historienne Rose Stremlau, « ceux qui partageaient autrefois une maison dans un village se sont installés près les uns des autres. Il est donc logique de supposer qu’ils ont partagé leurs tâches et leurs ressources[20] ». Chose certaine, le degré d’interaction entre  les habitants d’un village décline et la famille restreinte devient l’unité socio-économique fondamentale.

    Crise du commerce

    La nouvelle économie cherokee, fondée sur le commerce des pelleteries, dépend cependant de facteurs imprévisibles. Le tournant du XIXe siècle voit se succéder une série de traités coercitifs qui privent les Cherokees d’une grande partie de leurs territoires de chasse au profit de la colonisation blanche. Selon l’historien William McLoughlin, il s’ensuit une surexploitation des ressources animales dans les territoires de chasse restants, ce qui entraîne un effondrement du système[21]. 

    Pour les hommes cherokees, il s’agit d’un double problème, à la fois économique et culturel. D’une part, la diminution des revenus du commerce compromet leur capacité à contribuer au bien-être matériel de leur communauté. « [Les territoires de chasse] étaient dorénavant si restreints que les chasseurs devaient partir plus longtemps et plus loin chaque hiver pour obtenir de bonnes prises », écrit McLoughlin, d’autant plus que les Cherokees devaient rivaliser avec des chasseurs blancs et des squatteurs qui occupaient illégalement leur territoire[22]. D’autre part, pour les jeunes hommes, le déclin de la chasse et du commerce met en péril un important mécanisme de mobilité sociale. Au XVIIIe siècle, écrit Kathleen Duval, « un jeune homme qui n’avait pas mérité un nom de guerre était encore un enfant[23] ». La chasse et le commerce ayant remplacé la guerre pour devenir son équivalent moral, leur disparition soudaine laisse les hommes cherokees sans possibilité de s’illustrer et d’établir leur place dans la société.

    Réponses à la crise

    Pertes de territoire, bouleversements démographiques, dislocation des villages, effondrement de la chasse commerciale : les fondements de la société cherokee se trouvent grandement ébranlés à la fin du XVIIIe siècle. Pour les remplacer, l’administration américaine propose un vigoureux programme d’acculturation. Le message que George Washington fait parvenir aux Cherokees en 1796 exprime l’intention de ce programme : 

    Mes Cherokees bien-aimés. Certains d’entre vous connaissent déjà les avantages d’élever du bétail et des porcs; gardez-en tous et faites-les fructifier et vous aurez toujours de la viande en abondance. Ajoutez-leur des moutons et ils vous donneront des vêtements en plus de la nourriture. Vos terres sont bonnes et vastes. Une saine gestion vous permettra d’élever du bétail non seulement pour vos propres besoins, mais aussi pour le vendre aux Blancs. En utilisant la charrue, vous pourrez grandement accroître vos récoltes de maïs. Vous pouvez aussi faire pousser du blé (qui donne le meilleur des pains) et d’autres grains utiles. À ceux-ci, vous ajouterez facilement le lin et le coton, que vous pourrez céder aux Blancs ou faire transformer par vos femmes en vêtements pour vous-mêmes. Vos femmes et vos filles apprendront vite à filer et à tisser […][24].

    Une proposition difficilement acceptable aux yeux des Cherokees, pour qui le travail de la terre est une activité féminine. L’historien, essayiste et romancier Ronald Wright décrit la situation en ces termes imagés : « Il était probablement plus difficile, culturellement parlant, pour les hommes cherokees de remplacer leurs femmes dans les champs qu’il ne le serait pour des catholiques modernes d’accepter une femme comme pape[25]. » Les Cherokees cherchent donc d’autres solutions, plus compatibles avec leur interprétation des rôles appropriés pour les hommes et pour les femmes dans l’économie.

    Une activité de substitution à la guerre et à la chasse

    Le gibier ayant disparu, certains Cherokees tentent de remplacer la chasse par une forme d’élevage qui s’en rapproche. Les troupeaux de bœufs et de porcs sont laissés en liberté, sans clôtures, et les éleveurs chassent parfois leurs propres animaux au fusil quand vient le temps de faire boucherie, au grand étonnement de leurs visiteurs non autochtones. Cette pratique dure au moins jusqu’en 1818[26]. D’autres Cherokees remplacent le commerce des pelleteries par celui des chevaux volés chez leurs voisins blancs. Ces derniers sont évidemment horrifiés, mais leurs plaintes restent souvent sans effet. Lorsqu’un agent du gouvernement américain se rend chez les Cherokees et chez les Creeks au printemps 1799 pour récupérer un lot de chevaux volés, il doit « malheureusement [rentrer] sans rapporter un seul de ces chevaux, même si le coût de son voyage a été considérable ». En effet, malgré l’aveu des chefs cherokees, qui confirment la responsabilité de leurs compatriotes, et malgré leurs promesses de tout mettre en œuvre pour récupérer les chevaux volés, plusieurs des chevaux ont déjà été vendus clandestinement, en échange, sans doute, de biens que les Cherokees auraient obtenus en pillant des établissements ennemis par le passé. Dans son rapport, le supérieur de l’agent admet que peu des chevaux volés seront un jour rendus à leur propriétaire[27].

    Une nouvelle conception de l’agriculture

    Enfin, d’autres Cherokees contournent les tabous culturels, soit en cultivant la terre à l’aide d’instruments agricoles américains qui ne sont pas associés au travail des femmes (comme la charrue)[28], soit en faisant effectuer les travaux par d’autres : d’abord des métayers blancs, puis des esclaves d’origine africaine[29]. En 1830, la conversion des hommes cherokees à l’une ou l’autre forme d’agriculture intégrée au marché est presque complète. Environ 70 % d’entre eux sont alors employés dans le secteur agricole, une proportion à peine inférieure à celle des sociétés blanches avoisinantes. Ils exportent environ 40 % de leur production totale de bovins et 20 % de leur production de porcs[30]. Le nombre de charrues que l’on recense alors sur le territoire de la nation cherokee est pratiquement égal au nombre de fermes, ce qui indique que la transition vers le travail masculin dans les champs est aussi très avancée puisque les femmes utilisent plutôt la bêche[31]. La nécessité économique a forcé l’adoption de nouvelles formes d’activités; la nécessité sociale a cependant fait en sorte que celles-ci soient adaptées, autant que possible, aux rôles traditionnels.

    Émergence d’une nouvelle élite

    Si la plupart des familles cherokees tentent de remplacer le commerce déclinant des pelleteries par des pratiques comparables, certaines des familles les plus riches (en majorité des familles qui comptent une ou plusieurs unions avec des Blancs et qui ont déjà adopté les valeurs américaines) choisissent une autre stratégie : elles investissent leur capital dans des plantations travaillées par des esclaves d’origine africaine. 

    Cette minorité de planteurs ne compte que pour 3 % des familles cherokees en 1817, mais certains de ses membres accumulent très rapidement des fortunes considérables grâce à une particularité de la loi cherokee : la propriété commune du sol. En effet, tout citoyen cherokee peut cultiver gratuitement la superficie de terre qu’il est capable d’exploiter, à condition de respecter une distance minimale de 0,25 mille autour de tout établissement voisin. Cette loi permet donc aux planteurs cherokees d’investir tout leur capital dans l’achat d’outillage, de bâtiments ou d’esclaves. La répartition inégale de l’aide économique consentie par le gouvernement américain pour encourager les Cherokees à adopter l’agriculture intensive et la production de textiles contribue aussi à l’émergence de cette nouvelle élite puisque les régions les plus favorisées sont celles où l’on retrouve le plus de familles mixtes. Résultat : selon Duane Champagne, 362 familles possèdent au moins deux fermes chacune en 1835, et quelques-unes exploitent de vastes domaines[32]. Environ 8 % des familles cherokees possèdent alors au moins un esclave et 42 familles en possèdent au moins dix chacune[33].

    Pouvoir de l’élite

    La nouvelle élite économique cherokee acquiert rapidement un poids politique sans commune mesure avec son importance démographique. La création d’un gouvernement centralisé à partir de 1809, afin d’empêcher que des factions locales ne puissent continuer à céder des portions du territoire national aux États-Unis en échange d’avantages particuliers, permet aux planteurs d’accaparer l’essentiel du pouvoir. Ainsi, selon Theda Perdue, parmi les 21 signataires de la Constitution de la Nation Cherokee de 1827, 12 possèdent à eux seuls 23 % de tous les esclaves recensés sur le territoire de la nation en 1835 tandis que leurs fermes occupent en moyenne quatre fois la superficie de celles de leurs compatriotes[34]. L’article I, section 1 de la nouvelle constitution garantit l’inviolabilité du territoire en décrivant les frontières de la Nation Cherokee de manière explicite, tandis que l’article I, section 2 garantit le droit à la propriété privée[35], signe de son importance dorénavant fondamentale. Duane Champagne calcule d’ailleurs que 40 % des lois adoptées par les différents gouvernements cherokees, avant la déportation vers l’Ouest, à la fin des années 1830, ont pour objet la protection de la propriété privée, les marchés et l’esclavage[36]. Des questions auxquelles l’élite accorde naturellement plus d’importance que la majorité des Cherokees, qui vivent d’une agriculture de subsistance sur des fermes d’une superficie moyenne de deux à cinq acres. Pour l’historienne Katy Simpson Smith, « les nouvelles lois de la Nation Cherokee doivent être lues non pas comme le résultat d’une décision collective, mais comme la vision spécifique d’une poignée d’hommes puissants[37] ». 

    Le gouvernement et les valeurs de l’élite

    La législation adoptée par le gouvernement national cherokee reflète aussi les valeurs morales de l’élite, fortement influencées par celles des sociétés blanches environnantes. Alors qu‘elles disposaient d’une influence politique considérable dans l’ancienne société clanique, où un conseil féminin pouvait même, dans certains cas, annuler une décision des chefs[38], les femmes sont rapidement chassées de la sphère publique. La constitution de 1827 réserve explicitement le droit de vote aux hommes et, selon l’historienne Tiya Miles, « dès 1830, les femmes semblent avoir été complètement exclues de la vie politique cherokee[39] ». La liberté sexuelle des femmes se trouve elle aussi fortement diminuée. Si, dans l’ancienne société clanique, la femme jouissait d’une liberté totale en matière de contraception, d’avortement et même d’infanticide, une loi de 1826 criminalise l’avortement et rend sa pratique passible de 50 coups de fouet[40]. Le gouvernement cherokee restreint également la liberté des femmes en matière de choix des partenaires sexuels : les unions entre femmes cherokees et hommes blancs requièrent un permis gouvernemental à partir de 1819[41] tandis que celles entre femmes cherokees et hommes d’origine africaine sont criminalisées à partir de 1824[42]. Quant à la possibilité de divorcer, les femmes voient, encore une fois, leurs droits être singulièrement restreints, surtout en comparaison de la facilité avec laquelle une femme pouvait rompre une union insatisfaisante dans l’ancienne société clanique matrilinéaire. « Si une femme se lassait de son mari pour quelque raison que ce soit, elle jetait les possessions de celui-ci hors de sa maison et cela constituait un divorce[43] », résume l’historien et romancier cherokee Robert Conley.

    La transmission du patrimoine et l’élimination des contre-pouvoirs

    Pour se perpétuer, cette nouvelle élite doit transmettre son patrimoine de génération en génération. Avec la dispersion des villages et l’apparition des fermes familiales, l’individu se voit reconnaître la propriété non seulement de ses biens meubles, mais aussi de ses troupeaux, de ses bâtiments et de ses esclaves, s’il en possède; seule la terre demeure une propriété commune. L’introduction du testament permet de transmettre ces possessions aux enfants plutôt que de les diviser entre les frères et sœurs de clan et de protéger ainsi les fortunes. En 1814, un Cherokee nommé Young Wolf lègue ainsi sa plantation, sa maison, ses outils agricoles et sa participation dans une route à péage à son fils Dennis, tandis que sa femme, ses filles, sa mère et un ami reçoivent des legs moins importants. Ses frères, qui font partie des exécuteurs testamentaires, et qui auraient été ses principaux héritiers selon le système clanique, ne reçoivent rien[44]. 

    La transmission patrilinéaire du patrimoine est formalisée en 1825 par l’adoption d’une loi qui confirme la primauté du testament sur les coutumes claniques dans la répartition des biens du défunt et qui établit des règles en cas de décès sans testament[45].

    Enfin, la structure du nouveau gouvernement divise le territoire en huit districts dont les officiers dépendent du gouvernement central, éliminant ainsi à la fois le pouvoir des clans et celui des villages, qui conservaient jusque-là une certaine importance administrative malgré la dispersion de la population sur le territoire. En orientant ainsi le gouvernement central, l’élite s’assure d’éliminer tout contre-pouvoir.

    Conclusion

    Comme nous l’avons vu, les épidémies et les défaites militaires du XVIIIe siècle ont grandement ébranlé la confiance des Cherokees envers leurs institutions. La dispersion des villages, qui visait à empêcher la propagation des maladies et à faciliter la défense contre les invasions, a aussi entraîné un affaiblissement des loyautés locales et pavé la voie d’une nouvelle manière d’orienter les allégeances politiques. L’explosion du commerce des fourrures a permis à certaines familles, souvent liées par des unions avec des Blancs, d’accumuler un petit capital qu’elles investissent dans des plantations après le déclin de ce commerce. La possibilité d’exploiter gratuitement la terre appartenant à la communauté leur aura alors permis de s’enrichir considérablement en peu de temps. Unis dans leur détermination à protéger les restes du territoire contre la convoitise de leurs voisins, les Cherokees ont donc mis en place un gouvernement central fort, plus susceptible, selon eux, de lutter à armes égales contre les États américains. La nouvelle élite, qui maîtrisait l’anglais, s’est alors emparée de l’essentiel du pouvoir pour remodeler la société cherokee à son image.

    Jusqu’à quel point les lois adoptées par le nouveau gouvernement central ont-elles influencé la vie quotidienne des familles? La question reste malheureusement sans réponse, faute de sources. Très peu de Cherokees savaient lire et écrire avant 1810 et une grande quantité de documents manuscrits ont été détruits au moment de la déportation vers l’Ouest, à la fin des années 1830. Parmi les textes qui ont survécu, la quasi-totalité provient de membres de l’élite qui écrivaient en anglais. Comme le regrette William McLoughlin, « à peu près aucune des lettres et des autres écrits des Cherokees ordinaires […] n’a survécu[46] ». Même l’inventeur de l’écriture syllabaire de la langue cherokee, Sequoyah, n’a laissé aucun document qui soit parvenu jusqu’à nous, hormis une signature, qui n’a toutefois jamais été formellement authentifiée[47]. Depuis le milieu des années 1980, les praticiens des sciences sociales remettent néanmoins en question le degré d’acculturation des Cherokees au début du XIXe siècle, soupçonnant que l’idée répandue de cette profonde acculturation découle en fait d’une orientation particulière dans les écrits des différentes sources. Si cette remise en question nous semble justifiée, l’émergence d’une classe socio-économique de planteurs, patriarcale, esclavagiste et politiquement dominante représente tout de même un changement fondamental dans une société auparavant basée sur l’agriculture communautaire, l’extrême décentralisation du pouvoir, la faible importance de la propriété individuelle et sur une conception matrilinéaire des clans. Un changement dont les conséquences perdurent encore de nos jours : le statut des descendants d’anciens esclaves au sein de la nation cherokee n’étant toujours pas réglé[48].

    Références

    [1] Cet essai reprend des thèmes développés dans mon mémoire de maîtrise : François Dominic Laramée, « Transformations sociales chez les Cherokees, 1794-1827 », Mémoire de maîtrise (histoire), Université de Montréal, 2013. Disponible dans le répertoire Papyrus au https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/11082. Je tiens à remercier mon directeur de recherche François Furstenberg pour ses conseils et sa patience.

    [2] Duane Champagne, Social Order and Political Change: Constitutional Governments Among the Cherokee, the Choctaw, the Chickasaw, and the Creek, Stanford, Stanford University Press, 1992, p. 141.

    [3] Katy Simpson Smith, « I Look on You… As My Children: Persistence and Change in Cherokee Motherhood, 1750-1835», North Carolina Historical Review, vol. 87, n° 4 (octobre 2010), p. 415.

    [4] Tyler Boulware, Deconstrucing the Cherokee Nation: Town, Region, and Nation Among Eighteenth-century Cherokees, Gainesville, University of Florida Press, 2011, p. 181.

    [5] William Anderson, « Préface », dans William Anderson, dir., Cherokee Removal: Before and After, Athens, University of Georgia Press, 1991, p. viii.

    [6] Stephen Bragaw, « Thomas Jefferson and the American Indian Nations : Native American Sovereignty and the Marshall Court », Journal of Supreme Court History, vol. 31, n° 2 (juillet 2006), p. 172-173.

    [7] Duane Champagne, Social Order and Political Change, p. 34.

    [8] Ibid., p. 24-29.

    [9] John Norton, The Journal of Major John Norton (1816), édité par Carl F. Klink, Toronto, Champlain Society, 1970, p. 73-74. (Traduction libre.)

    [10] Tyler Boulware, Deconstructing the Cherokee Nation, p. 3. (Traduction libre.)

    [11] Kathleen DuVal, The Native Ground: Indians and Colonists in the Heart of the Continent, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2006, p. 15. (Traduction libre.)

    [12] Outre les peaux de cervidés et d’autres animaux, les Cherokees exportent une petite quantité de glaise de poterie d’excellente qualité au XVIIIe siècle. Voir Timothy Silver, A New Face on the Countryside : Indians, Colonists, and Slaves in South Atlantic Forests, 1500-1800, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 84. 

    [13] Theda Perdue, Cherokee Women: Gender and Culture Change, 1700-1835, Lincoln, University of Nebraska Press, 1998, p. 25. (Traduction libre.) Les Cherokees du XVIIe siècle consommaient peu de viande, car ils se méfiaient de ses effets pernicieux sur la santé. Par exemple, on excluait les hommes qui avaient récemment mangé de la viande des jeux de balle puisqu’on les croyait peu susceptibles de fournir des efforts satisfaisants.

    [14] Tom Hatley, The Dividing Paths: Cherokees and South Carolinians Through the Era of Revolution, New York, Oxford University Press, 1993, p. 9-10. (Traduction libre.)

    [15] Russell Thornton, Les Cherokees, Monaco, Éditions du Rocher, c1997, p. 60-61.

    [16] Ibid., p. 70 et 77.

    [17] Timothy Silver, A New Face on the Countryside, p. 91.

    [18] Theda Perdue, «Race and Culture: Writing the Ethnohistory of the Early South», Ethnohistory, vol. 51, n° 4 (automne 2004), p. 703-704 et 709.

    [19] Wilma Dunaway, «Rethinking Cherokee Acculturation: Agrarian Capitalism and Women’s Resistance to the Cult of Domesticity, 1800-1838», American Indian Culture and Research Journal, vol. 21, n° 1 (1997), p. 167. 

    [20] Rose Stremlau, Sustaining the Cherokee Family: Kinship and the Allotment of an Indigenous Nation, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2011, p. 26-28; Theda Perdue, Cherokee Women, p. 105-107. (Traduction libre.)

    [21] William G. McLoughlin, Cherokee Renascence in the New Republic, Princeton, Princeton University Press, 1986, p. 26-27.

    [22] Ibid., p. 26-27. (Traduction libre.)

    [23] Kathleen DuVal, The Native Ground, p. 198. (Traduction libre.)

    [24] Extrait d’un message de George Washington prononcé le 29 août 1796 et reproduit dans le journal Cherokee Phoenix du 20 mars 1828. Archivé en ligne au http://www.wcu.edu/library/DigitalCollections/CherokeePhoenix/Vol1/no05/pg1col4-5Pg2col1.htm, consulté le 31 janvier 2015. (Traduction libre.)

    [25] Ronald Wright, Stolen Continents: The «New World» Through Indian Eyes, New York, Penguin Books, 1993, p. 207. (Traduction libre.)

    [26] Theda Perdue, Cherokee Women, p. 121-122.

    [27] Archives en ligne du Département de la Guerre des États-Unis (1784-1800), document no. 32520, http://wardepartmentpapers.org/document.php?id=32520, consulté le 31 janvier 2015, lettre de David Henley à James McHenry datée du 5 juin 1799. (Traduction libre.)

    [28] Rose Stremlau, Sustaining the Cherokee Family, p. 29.

    [29] Kathleen DuVal, The Native Ground, p. 217-218.

    [30] Wilma Dunaway, « Rethinking Cherokee Acculturation », p. 157-159.

    [31] Michael D. Green, «The Expansion of European Colonization in the Mississippi Valley, 1780-1880», dans Bruce Trigger et Wilcomb Washburn, dir., The Cambridge History of the Native Peoples of the Americas, Cambridge, Cambridge University Press, 1996-1999, p. 507.

    [32] Duane Champagne, Social Order and Political change, p. 91-92 et 127 ; Russell Thornton, Les Cherokees, p. 91-98.

    [33] Les statistiques sur la population esclave dans les États de New York et du New Jersey ont été calculées à partir des chiffres publiés dans Eric Foner, Give me Liberty! An American History, vol. 1, New York, W. W. Norton & Co., 2009, p. 265, tableau 7.1. Les données démographiques de 1809 chez les Cherokees sont tirées de Tiya Miles, Ties that Bind : The Story of an Afro-Cherokee Family in Slavery and Freedom, Berkeley, University of California Press, 2005, p. 39; celles de 1835, de Russell Thornton, Les Cherokees, p. 94.

    [34] Theda Perdue, «The Conflict Within: Cherokees and Removal», dans William Anderson, dir., Cherokee Removal: Before and After, p. 62. 

    [35] Constitution de la Nation Cherokee (1827), Article I. Le texte complet de la Constitution est reproduit dans David Wilkins, Documents of Native American Political Development : 1500s to 1933, New York, Oxford University Press, 2009, p. 56-66.

    [36] Duane Champagne, Social Order and Political Change, p. 141.

    [37] Katy Simpson Smith, « I look on You… As My Children », p. 415. (Traduction libre.)

    [38]

     Duane Champagne, Social Order and Political Change, p. 130-131. (Traduction libre.)

    [39] Tiya Miles, « Circular Reasoning: Recentering Cherokee Women in the Antiremoval Campaigns», American Quarterly, vol. 61, no. 2, juin 2009, p. 225.

    [40] Fay Yarbrough, «Legislating Women’s Sexuality: Cherokee Marriage Laws in the Nineteenth Century», Journal of Social History, vol. 38, n° 2 (2004), p. 388. Fay Yarbrough, Race and the Cherokee Nation, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2008, p. 34.

    [41] Loi du 2 novembre 1819 reproduite dans David E. Wilkins, Documents of Native American Political Development, p. 45.

    [42] William McLoughlin, Cherokee Renascence in the New Republic, p. 340.

    [43] Robert Conley, Cherokee Thoughts, Honest and Uncensored, Norman, University of Oklahoma Press, 2008, p. 77. (Traduction libre.)

    [44] Testament de Young Wolf, daté du 6 novembre 1814, reproduit dans Theda Perdue et Michael Green, The Cherokee Removal : A Brief History with Documents, Boston, Bedford Books of St. Martin’s Press, 1995, p. 28-29.

    [45] Loi du 9 novembre 1825, reproduite dans le journal Cherokee Phoenix, vol. 1, no. 12 du 14 mai 1828. Archive en ligne http://www.wcu.edu/library/DigitalCollections/CherokeePhoenix/Vol1/no12/pg1col1b.htm

    [46] William McLoughlin, Cherokees and Missionaries, New Haven, Yale University Press, 1984, p. 186. (Traduction libre.)

    [47] Bryan Giemza, « The Strange Case of Sequoyah Redivivus : Achievement, Personage, and Perplexity», The Mississippi Quarterly, vol. 60, n°1 (hiver 2006-2007), p. 129-150.

    [48] Le 22 août 2011, la Cour suprême de la Nation Cherokee infirmait une décision d’un tribunal de district et révoquait les droits de citoyenneté de quelque 2 800 descendants d’esclaves affranchis après la guerre de Sécession. Voir Larry Echo Hawk, « Letter from Echo Hawk Regarding Cherokee Freedmen, Upcoming Election », Native American Times, 12 septembre 2011, en ligne au http://www.nativetimes.com/index.php/news/tribal/6005-letter-from-echo-hawk-regarding-cherokee-freedmen-upcoming-election, consulté le 31 janvier 2015.