« Laisser une femme libre de lire les livres
que la nature de son esprit la porte à choisir !
… Mais c’est introduire l’étincelle dans une sainte-barbe »
Balzac, Physiologie du mariage, p. 1019.
Les femmes lisent davantage au XIXᵉ siècle[1]. Tous les observateurs s’accordent à le dire. Publicistes et littérateurs s’attachent à en décrire les moindres traits, dans cette passion qu’eut le premier XIXᵉ siècle pour le déchiffrement du monde social. Romans réalistes, caricatures, physiologies, traités moraux et statistiques, nombreux sont ces documents qui permettent à l’historien d’étudier la société du XIXᵉ siècle ; leur ambition, que l’on qualifierait aujourd’hui de quasi sociologique, est de déchiffrer la société, minutieusement détaillée et regroupée dans des types[2]. Au sein de la multitude de portraits dressés par cette littérature panoramique, les lectrices constituent un thème récurrent. Tour à tour excentriques, dévotes, passionnées, légères, ambitieuses, elles renvoient l’image d’un « nouveau lectorat » [3], en constante augmentation au XIXᵉ siècle, dont on ne parvient pas toutefois à saisir tous les contours. Que lisent-elles? Comment lisent-elles? Leur lecture est-elle compatible avec le rôle qu’on attend d’elles? Doit-on l’encourager? L’encadrer? Autant de questions soulevées par les débats sur l’éducation des filles, dans les traités religieux et médicaux, et qui résonnent dans la littérature et l’iconographie, réactivant dans la France postrévolutionnaire une inquiétude liée à la place des femmes dans la société et à leur rapport au savoir[4].
L’image de la lectrice n’est pas nouvelle dans la littérature et les arts. Elle peut prendre, tantôt, une connotation positive, lorsqu’elle s’incarne dans la figure de la Vierge lisant dès la fin du Moyen Âge, ou négative, quand elle renvoie à la préciosité du Grand siècle[5]. Associée à des caractéristiques que l’on pense propres à chaque sexe, la lecture, à l’instar d’autres pratiques culturelles, apparaît dès lors comme un lieu de construction du féminin et du masculin, et peut être étudiée comme telle[6]. Pour la période qui nous intéresse ici, cette image semble s’éclater en différents types de lectrices, souvent éloignés les uns des autres. Ainsi, le bas-bleu se targue de ne lire que Voltaire et les philosophes quand la grisette ne jure que par les romans sentimentaux. Un trait commun ressort pourtant de leur étude : l’image majoritairement dépréciative qu’acquiert la lectrice dans la littérature et l’iconographie de ce premier XIXᵉ siècle. Sa dangerosité, sa futilité ou encore sa préciosité définissent des caractéristiques prétendument féminines de la lecture et constituent un stéréotype de genre fortement ancré dans les représentations, dont on peut encore aujourd’hui trouver des échos[7].
Nous nous attacherons ici, par l’examen des différents types de lectrices, à comprendre selon quels critères est définie une « lecture féminine », que l’on mettra en perspective par rapport aux différents débats relatifs à la place des femmes dans la société du XIXᵉ siècle. La croyance que la lecture (et particulièrement celle des romans) est un procédé sexué se retrouve dans de nombreux textes déjà au XVIIIᵉ siècle[8]. Toutefois, les nouvelles possibilités de lire au XIXᵉ siècle – meilleure accessibilité, alphabétisation – réactivent et renforcent ce discours alarmiste [9]. Étudier la dichotomie ainsi énoncée entre bonnes et mauvaises lectures permet de mettre en lumière l’idéal normatif qui sous-tend les discours sur la lecture féminine. Nous nous appuierons dans cette perspective sur un nombre restreint de romans qui jalonnent l’ensemble de notre période, de la publication des Mémoires de deux jeunes mariées de Balzac, en 1829, à Madame Bovary de Flaubert, en 1856; des physiologies, textes souvent courts, qui se présentent comme des études de mœurs, sur un ton humoristique – notamment la série publiée par Aubert en 1841 ; des séries de caricatures de Daumier et de Gavarni parues dans le journal satirique Le Charivari [10].
Typification des lectrices et définition de la lecture au féminin
Les représentations de la lectrice au début du XIXᵉ siècle prennent en compte la diversification sociale du public féminin. Trois grandes figures ressortent de l’étude du corpus : le bas-bleu – et, par extension, la femme lettrée –, la grisette, lectrice populaire, et l’épouse – femme ordinaire, mais cristallisant les attentes sociales pesant sur les femmes. Si nous avons choisi de reprendre ce découpage, c’est en raison de l’importance accordée par les contemporains à la possibilité de se situer, soi-même et l’autre, dans la société en fonction de son état. À chaque type de lectrice est attribué un genre de lecture spécifique et une attitude en découlant.
Héritage et perversion du XVIIIᵉ siècle : la femme cultivée et le bas-bleu
Le bas-bleu n’est pas un type qui apparaît ex nihilo dans la littérature ou l’iconographie de la monarchie de Juillet. Déjà cible de railleries dès la fin du XVIIIᵉ siècle[11], il prend néanmoins une acuité toute particulière à cette époque en raison de la visibilité plus importante des femmes auteures sur la scène littéraire. Le texte de Soulié, Physiologie du Bas-bleu, ainsi que la série de caricatures de Daumier, les Bas-bleus, parue en 1844 dans le Charivari, forcent le trait satirique jusqu’à faire du bas-bleu un repoussoir. D’autres figures de femmes lettrées, comme Camille Maupin dans Béatrix de Balzac, ou Mathilde de La Mole dans Le Rouge et le Noir, ne sont pas présentées aussi négativement que les bas-bleus, mais elles s’en rapprochent, car elles partagent un registre de lecture commun. La femme lettrée vit entourée de livres. Il ne s’agit pas bien sûr de n’importe quel livre, de n’importe quel mauvais roman : élégies et, plus généralement, toute forme de poésie, ouvrages philosophiques ou articles politiques en constituent le catalogue de base. Mathilde de La Mole lit Voltaire, Rousseau, les volumes d’histoire de Brantôme, Vély, d’Aubigné… et accumule « huit ou dix ouvrages de poésies nouvelles » [12] pendant son voyage en Provence. Félicité des Touches, la future Camille Maupin et George Sand à peine déguisée de Béatrix, puise quant à elle dans la bibliothèque de son vieux tuteur, féru d’archéologie, jusqu’à ce qu’elle connaisse « la vie en théorie » [13]. Ces livres – philosophie, histoire, et de théologie – forment un corpus d’œuvres à la base de la culture humaniste, légitime et valorisée dans le parcours intellectuel d’un homme[14]. Or, si ce type de lecture, socialement utile aux salonnières[15], pouvait être gratifiant au XVIIIᵉ siècle pour une lectrice éclairée, on peut rester surpris de la valeur particulièrement négative prise dans la représentation du bas-bleu. Érudite et instructive chez les lecteurs, elle fait ressortir les pire défauts des lectrices dont elle est un préalable à toute ambition littéraire. Le livre est ici le médium principal vers un domaine de savoir réservé aux hommes; caricaturer ainsi les pratiques des bas-bleus délégitime leur accès à cette sphère de connaissances.
Les portraits satiriques insistent sur leur mauvais usage du livre. Les femmes liraient tout, et trop mal. Pire, il ne s’agirait finalement que d’une façade, un vernis permettant de cacher la superficialité de la lecture – et, par extension, de l’écriture[16] – des femmes.
Une foule de livres disséminés errent soit sur les chaises, sur la cheminée, sur les étagères; mais aucun n’a le moindre rapport avec l’ordre d’idées auquel s’adonne le Bas-Bleu. Tel qui écrit sur les étoffes de madame Gagelin, les chapeaux de mademoiselle Alexandrine, oublie à son chevet un Milton ou un Chateaubriand[17].
Soulié moque le caractère trompeur et hypocrite de la lecture du bas-bleu qui rime ici avec supercherie : on affiche des lectures savantes, on se targue de reconnaître une citation du Contrat Social de Rousseau, mais ces lectures sont stériles, improductives, puisque les femmes ne parlent et n’écrivent que sur la mode et sont incapables de combler le décalage entre leur ambition initiale et les résultats finaux. La lecture provoquerait chez elles l’effet inverse, ne stimulant ni leur esprit ni leur créativité. Ces lectrices sont alors critiquées pour leur égotisme, toujours prêtes à exposer leur savoir sans retenue ni modestie. Mathilde de La Mole est l’exemple typique de la femme cultivée qui fait preuve de pédantisme quelle que soit la situation où elle est amenée à parler de ses lectures ou à débattre d’idées :
Ah! C’est un bon mot que je viens de me dire! Quel dommage qu’il ne soit pas venu de façon à m’en faire honneur. Mathilde avait trop de goût pour amener dans la conversation un bon mot fait d’avance; mais elle avait aussi trop de vanité pour ne pas être enchantée d’elle-même[18].
Certaines, de leur supériorité intellectuelle par rapport aux hommes, s’enferment alors dans un « entre-soi » qui les rend ridicules aux yeux des observateurs. Loin de la renommée des salonnières des Lumières, elles renvoient une image anachronique tant dans les objets lus que dans l’usage qu’elles en font alors qu’une nouvelle sociabilité, exclusivement masculine, se crée dans les cercles littéraires[19] :
Mais il faut avoir pénétré dans les cénacles prétentieux du faubourg Saint-Germain pour s’imaginer jusqu’à quel point la suffisance, le rayonnement de soi, les fureurs d’admiration peuvent être poussées. C’est dans ce monde que se font encore des lectures présidées par des femmes passées de mode, et suivies par de jeunes génies qui ne seront jamais à la mode[20].
Dans la littérature et l’iconographie du XVIIIᵉ siècle dominent les images de femmes lettrées issues des classes supérieures, pour lesquelles la lecture, bien que séduisante, « charmante » [21], ne semble pas représenter un danger pour son intégrité morale. Si on peut trouver une continuité avec les représentations des bas-bleus quant à l’origine sociale, le ton est tout autre : méprisantes, voire agressives, elles affichent en matière de littérature des goûts qualifiés d’excentriques pour une femme[22]. Le problème est que ce « bas-bleuisme », cette volonté de lire, d’apprendre, et pourquoi pas d’écrire, ne se limiterait plus aux bas-bleus, mais toucherait désormais une large part du lectorat féminin. Elles sont imitées par d’autres lectrices, comme la parisienne excentrique décrite par Taxile Delort :
En guise d’ombrelle, elle tient assez volontiers un livre à la main. Ce livre ne dépasse pas le format in-octavo, pour qu’on ne puisse pas le confondre avec un solfège. […] elle lance des coups d’œil de dédain sur les magasins de marchandes de modes, et entre fièrement chez les libraires ou les marchands de comestibles. […] la femme excentrique n’est qu’un bas-bleu déguisé[23].
Grisettes, lorettes et autres lectrices populaires
Petit peuple incarnant une nouvelle génération de femmes, expression de la vie urbaine moderne, les grisettes et autres lorettes[24] sont légion dans la littérature et l’iconographie du XIXᵉ siècle. A l’opposé de l’image des bas-bleus, elles sont généralement représentées comme des femmes ayant peu d’ambition intellectuelle ne lisant que pour leur plaisir, bien qu’elles aient tout de même bénéficié d’un minimum d’instruction dans les petites écoles. Leur difficulté à lire trahirait leur apprentissage récent et élémentaire, cantonné au déchiffrement du texte. On peut les rapprocher alors des « nouveaux lecteurs » définis par Jean Hébrard, premières de leur groupe social de référence à entrer dans la culture écrite[25]. Dans les physiologies, elles pratiquent une lecture syncopée, orthographient les mots de façon excentrique et n’ont qu’une connaissance hasardeuse de l’histoire de France[26]. Malgré ces obstacles, elles bénéficient d’une offre croissante, tant dans le volume d’imprimés disponibles[27] que des lieux accessibles – Françoise Parent-Lardeur a ainsi dénombré pour la seule ville de Paris 463 cabinets de lecture sous la Restauration[28] – et peuvent accéder plus facilement à un corpus de textes en adéquation avec leurs compétences. La première lectrice à entrer dans le cabinet de lecture décrit par Paul de Kock vient ainsi quotidiennement renouveler ses emprunts de livres, pour sa tante, sa sœur et elle-même, tout en ne réclamant que de la « nouveauté » [29], tout roman paru plus de vingt ans auparavant lui semblant une antiquité. Son rapport à la connaissance se situe uniquement dans le présent. Elle cherche dans le cabinet quelque chose de « gentil », rejette les romans noirs et les romans historiques, les pièces de Molière, en mettant en avant son propre goût. Comme les romans qu’elle lit, elle se déplace dans le cabinet en sautillant, voltigeant entre les rayons, dans une légèreté d’attitude qui correspond à ses lectures. Elle a vraisemblablement un penchant pour les romans sentimentaux qui parlent d’ « un beau jeune homme, bien brun… bien fait, d’une belle tournure[30] », bref, de l’amant qu’elle espère. Ces romans, genre littéraire encore en vogue dans les années 1830, sont dès le départ associés à une écriture et à une lecture féminines, et rapidement relégués dans les « sous-genres » de l’histoire littéraire[31]. La soi-disant futilité de l’histoire proposée, davantage tableau de mœurs qu’exploration profonde des sentiments, les place en bas de la hiérarchie littéraire; en cantonnant une part des lectrices à ces lectures, il en va de même pour leur pratique. On pourrait dès lors aussi bien remplacer « écrire » par « lire » dans le schéma tautologique suivant : « puisqu’elles écrivent des romans qui parlent d’amour, c’est qu’elles ne savent parler que d’amour puisque l’amour est l’affaire de leur vie[32] ».
Mais même entre ces lectrices populaires s’établit une hiérarchie. Si la grisette ne lit que des romans d’amour, la portière, souvent d’un certain âge, lit encore cette littérature moralisatrice pour la jeunesse de la fin du XVIIIᵉ, comme Ducray-Duminil[33]; en revanche, la lorette, maîtresse entretenue, a d’autres ambitions : elle tente d’améliorer son orthographe par la lecture du dictionnaire, voire espère se placer dans une famille anglaise[34]. Chacune essaye finalement de se distinguer des autres par ses lectures. Le cabinet de lecture décrit par Paul de Kock propose une vision intéressante des types de lectures selon l’âge de la lectrice : de la grisette, on passe à la femme mariée qui cherche des romans noirs, historiques, des histoires de voleurs et de revenants, et sélectionne ses livres en fonction d’un titre qui sonne bien ou de la présence d’images – l’absence signifiant, selon elle, le caractère bon marché du livre! Enfin se présente « une dame sur le retour », d’âge mûr, qui ne lit que des mémoires; elle semble plus sérieuse, mais son goût suranné pour ce type d’ouvrages apparaît comme le signe d’un temps révoqué. Présentées comme inaptes à accéder à une lecture érudite ou du moins sérieuse, que ce soit Mme de Sévigné, Lamartine, ou des livres d’histoire, les grisettes et les nouvelles lectrices populaires ne suivraient que leur goût et s’orienteraient vers des lectures faciles, entrecoupée d’images[35], ou encore vers la « renommée » du nom de l’auteur : « …Eugène et Guillaume… Je prends cela. C’est par Picard, ce doit être bon! [36] ». L’absence de jugement critique dont elles feraient preuve relègue leur pratique du côté d’une lecture naïve et peu informée. De plus, ce mode de fonctionnement du marché littéraire nuirait à la littérature dans son ensemble, en incitant les auteurs à n’écrire que pour ces nouvelles lectrices. Observateur amusé, Paul de Kock devient presque empathique avec la grisette, qui, dans les autres physiologies, ne jure que par… Paul de Kock[37].
L’épouse, la lecture et l’oubli de soi
L’épouse et/ou la mère apparaît alors comme le contre-modèle vertueux des deux premiers types. Que ce soit Mme de Rênal dans Le Rouge et le Noir ou Renée de L’Estorade dans Mémoires de deux jeunes mariées, aucune n’a été pervertie par la lecture de romans : « Comme Madame de Rênal n’avait jamais lu de romans, toutes les nuances de son bonheur étaient neuves pour elle[38]. » Mieux, ses lectures, conseillées par une autorité morale – chez Balzac, le père de Renée – lui renvoient un modèle de vie qui doit augmenter sa vertu et la conforter dans la voie choisie : « Pendant que tu lisais Corinne, je lisais Bonald, et voilà tout le secret de ma philosophie : la Famille sainte et forte m’est apparue[39]. »
Pour autant, la femme mariée n’est pas uniquement représentée comme une lectrice exemplaire. Sa lecture favorite demeure le roman dont découlent deux risques principaux. Le premier serait qu’elle en oublie ses devoirs de femme au foyer, activités très concrètes : donner le linge à la blanchisseuse, cirer les chaussures, recoudre les vêtements, préparer un chocolat… autant de tâches matérielles qui lui incombent et qui limitent ses autres activités [fig. 1]. Ainsi, alors que chez Daumier, le nœud de la cravate devient la métaphore des liens du mariage[40] [fig. 2], le livre, nouvel attribut de l’épouse, symbolise son refus de s’exécuter et crée instantanément une distance dans le couple[41]. Pire, il lui renvoie, par un effet de miroir, une image négative de sa vie de couple, banale, quotidienne, terne, presque laide :
Les romans, et même tous les livres, peignent les sentiments et les choses avec des couleurs bien autrement brillantes que celles qui sont offertes par la nature! […]
Et vous auriez la bonhomie de croire que les manières, les sentiments d’un homme comme vous, qui, la plupart du temps, s’habille, se déshabille et…, etc., devant sa femme, lutteront avec avantage devant les sentiments de ces livres, et en présence de leurs amants factices à la toilette duquel cette belle lectrice ne voit ni trous ni taches? [42]
Accusé de détourner l’épouse de ses devoirs, le roman lui offrirait de plus la possibilité d’imaginer une vie autre que celle tenant à la réalité conjugale, une vie possiblement adultérine. Si au XVIIIᵉ siècle les discours sur les dangers de la lecture romanesque mettaient en garde aussi bien les hommes que les femmes, ils semblent se focaliser au siècle suivant sur les lectrices[43] à partir de la question des pratiques de la femme mariée. C’est l’angoisse majeure liée à la lecture féminine au XIXᵉ siècle, celle d’une inadéquation entre la norme bourgeoise du comportement conjugal – –et, par extension, maternel – et les exemples exposés dans les romans. Alors que le mariage bourgeois se fonde sur un ensemble de convenances, sur la maîtrise de soi et de ses sentiments, l’effet esthétique du roman, racontant des aventures passionnées, creuse un écart qui déclenche chez la lectrice l’envie d’éprouver à son tour des sentiments analogues, jusque-là inconnus. Indiana, lorsqu’elle s’enfuit pour rejoindre Raymond, est ainsi accusée de s’être laissé aveugler par le modèle d’amour d’un mauvais roman sentimental : « Vous êtes une folle! […] Où avez-vous rêvé l’amour? Dans quel roman à l’usage des femmes de chambre avez-vous étudié la société? [44] » Bien qu’on ne la voit jamais lire, toute sa passion pour Raymond, son comportement envers lui, ses paroles pour l’exprimer, sont expliqués par ses accusateurs masculins à l’aune de ses lectures. Elles provoqueraient une identification poussée à l’extrême, un comportement presque mimétique. L’épouse malheureuse de M. Delmare voit alors son attitude taxée d’exagération puis de folie romanesque, ce dont elle finit par se convaincre elle-même, donnant raison à Raymond[45]. « Lire, c’est créer, peut-être à deux[46]. » Phrase célèbre de Balzac, mais qui ne s’applique pas au couple marié : c’est possible avec l’amant fictif ou réel – Emma Bovary construit son adultère autour de l’acte de lecture partagé avec Léon –, mais non dans la réalité du mariage :
Le mari (lisant) : nous étions mollement étendus sur la mousse odorante, les rayons de la lune perçaient les branches du Saule, [..] par la Brise au soir. Enivrés d’amour nous lancions au ciel des serments qui retombaient dans nos cœurs.
La femme (à part) : Peut-on lire ces choses avec un bonnet de coton et une boule comme la sienne? [47]
Cette scène intime de la vie nocturne d’un couple prend chez Daumier une allure grotesque, soulignant l’impossibilité de construire le couple marié autour d’une lecture poétique.
Qu’elles soient parisienne, grisette, bas-bleu, femme libre, épouse et mère, quel que soit leur état et leur statut, leur âge, la plupart des personnages féminins sont présentés comme des lectrices potentielles. La multitude de ces portraits témoigne sans doute d’un plus grand accès des femmes à la culture lettrée. Mais les représentations littéraires et iconographiques des lectrices prennent un caractère normatif, lorsqu’elles rattachent leur pratique à une modalité unique de lecture, délimitant les caractères d’une lecture « féminine », lecture futile, peu sérieuse, voire amorale. « Cartographier » ainsi les lectrices dénote une inquiétude plus grande sur l’influence de la littérature[48] et spécifiquement du roman, entre la lectrice populaire à éduquer, l’épouse à surveiller et le bas-bleu à éviter.
Discipliner la lecture féminine
La définition d’une lecture « féminine » les exclut de fait d’une pratique universelle qui n’a pas de sexe a priori[49]. Largement diffusées, ces représentations trouvent des échos, voire des justifications, dans les discours scientifiques ou religieux de l’époque. Bien que ce ne soit pas une nouveauté[50], la question de la lecture des femmes redevient un enjeu éducatif et moral. Sous couvert de protéger les jeunes filles et les femmes des « mauvaises » lectures, les injonctions à la surveillance s’en trouvent renforcées.
Les dangers de la lecture sur la nature des femmes
Au tournant des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, les découvertes médicales renforcent la notion de hiérarchie entre hommes et femmes que soutient l’idée ancienne d’un corps féminin plus faible[51]. L’étiologie des « maladies de femmes » et surtout de l’hystérie reprend la représentation partagée des dangers encourus par les lectrices, rapportés à la supposée faiblesse de leur nature. Mais si ce discours était autrefois tenu par les pédagogues et les moralistes, le discours médical du XIXᵉ siècle apporte un argument de poids, celui de la preuve scientifique[52]. Le traitement prescrit incite à la modération aussi bien dans le choix du livre que dans la lecture elle-même.
Les préoccupations concernent tout d’abord le choix de la lecture. Pour Balzac, la déraison la porte à faire des choix erronés : « Laissez une femme libre de lire les livres que la nature de son esprit la porte à choisir![53] » Au lieu de faire preuve de sagesse, les femmes seraient tentées naturellement de choisir drames, passions, ou tout autre livre pouvant exciter leur imagination. Dans la continuité du discours médical sur la « nature féminine », faiblesse de l’esprit, mollesse du corps, exacerbation des sens sont donnés comme innés. Toutefois, alors qu’au XVIIIᵉ siècle l’hystérie, mal féminin, était perçue comme une maladie utérine, ayant des causes physiologiques[54], elle devient au XIXᵉ siècle une maladie du psychisme féminin, dont les causes sont essentiellement morales[55]. Trop de lectures, ou de mauvaises lectures, comptent parmi elles et expliquent le déclenchement des crises. Pour les prévenir, les femmes doivent alors mener une vie sans excès, car l’excès d’études d’une manière générale provoquerait une surexcitation du système sensitif. Même dans le cadre d’une instruction effectuée dans « de justes limites », les livres lus doivent être « utiles et intéressants[56] », et non « coupables de procurer de fortes émotions[57] ». Ce sont essentiellement les romans, rangés aux côtés des lectures lascives et des livres érotiques, dont on redoute les effets : incapable de les maîtriser, la lectrice risque de voir « son imagination exaltée » la tromper et l’égarer[58]. De fait, la lectrice, dont on insiste sur l’absorption, est présentée comme vulnérable, s’identifiant aux personnages fictionnels : Mathilde de la Mole reconnaît la nature de son amour pour Julien par comparaison à Manon Lescaut, La Nouvelle Héloïse ou Les Lettres d’une Religieuse portugaise, quand Emma Bovary s’identifie à « l’amoureuse de tous les romans, l’héroïne de tous les drames, le vague elle de tous les volumes en vers[59]. » L’identification, effet négatif, car relevant d’une lecture acritique, serait caractéristique d’une lecture féminine empathique[60]. L’argument sexuel ne disparaît pas pour autant du discours médical, puisqu’on retrouve le lien explicite établi au XVIIIᵉ siècle entre lecture et excitation sexuelle[61], dans la mesure où « les livres […] parlent aux organes[62]. » « Les romans donnent le diable aux femmes et les femmes au diable[63] », ironise Gavarni : schéma simple de l’excitation sexuelle qui pousse à commettre une faute morale condamnée par la société. Au-delà même de la crise hystérique, l’enjeu se situe alors au niveau du contrôle de la sexualité féminine. On tente de prévenir tout à la fois la première expérience sexuelle, l’adultère de la femme mariée et l’onanisme. Car par leurs lectures, les femmes seraient davantage tentées de faire de nouvelles expériences : par exemple, partager une lecture entre deux jeunes gens y incite, alors que Mme de Rênal, arrivée vierge de lectures de romans avant son mariage, a conservé une âme pure et innocente; à l’inverse, tout le parcours de lectures romanesques d’Emma la guide sur le chemin de l’adultère, dont elle devient la figure typique. Flaubert, au sujet de son héroïne, n’a jamais employé le terme d’hystérie; la critique postérieure s’en est chargé. À la fin du siècle, le « bovarysme » désigne alors cette attitude de lecture agissant sur le psychisme, et qui conduit à s’imaginer autre que ce que l’on est[64]. La pathologisation de la lecture féminine, naturalisée, est devenue partie prenante du débat sur l’infériorité des femmes et preuve de son contrôle nécessaire.
Toutefois, si certaines lectures séduisent l’esprit des femmes, les amenant à se comporter en séductrices elles-mêmes[65], dans une exacerbation de leur « nature » féminine, d’autres peuvent provoquer l’excès inverse, c’est-à-dire la perte de leurs caractères féminins. Les lectures « sérieuses » sont ainsi à même d’« expliquer par quel enchaînement de circonstances s’est accomplie l’incarnation masculine d’une jeune fille, comment Félicité des Touches s’est faite homme et auteur[66]. » Les caricatures virilisent à propos les bas-bleus : dans les Bas-Bleus n°36[67], trois femmes écoutent la lecture d’une fillette nonchalamment assises sur un canapé; le visage rond, la taille forte, elles ne correspondent en rien au canon de la beauté féminine dont font partie la grâce des gestes ou la finesse de la taille. Toutes présentent un visage fermé aux sourcils froncés, quand le sourire est signe de féminité. Déjà peu attractives, elles en deviennent repoussantes lorsqu’elles laissent exprimer une part de masculin. L’image du bas-bleu doit agir comme un repoussoir social : « Alors vous essaierez de reculer le plus longtemps possible le fatal moment où votre femme vous demandera un livre. Cela vous sera facile. Vous prononcerez d’abord avec dédain le nom de bas-bleu[68]. » Toutes les lectrices ne menacent cependant pas cet ordre des choses : dans les représentations, les grisettes demeurent féminines, voire incarnent une nouvelle forme de féminité, légère, à l’image de leurs lectures; ce sont les bas-bleus et leur prétention à accéder à un domaine culturel masculin qui le bouleversent.
Femmes, éducation à la lecture et répartition genrée des livres
En plein débat sur l’éducation des filles, la question des lectures autorisées ou non devient la partie visible de l’opposition entre plusieurs modèles éducatifs. Faut-il interdire certains livres aux femmes? Tous? De manière provocante, Balzac commence ainsi sa méditation XI, De l’instruction en ménage :
Instruire les femmes ou non, telle est la question. […] Arrière la civilisation! arrière la pensée!… voilà votre cri. Vous devez avoir horreur de l’instruction chez les femmes, par cette raison, si biensentie en Espagne, qu’il est plus facile de gouverner un peuple d’idiots qu’un peuple de savants[69].
D’un côté, l’éducation « libre », sans la surveillance d’une mère ou d’une religieuse[70], pousserait les jeunes filles à acquérir toujours davantage de connaissances, et entrerait en contradiction complète avec l’éducation traditionnelle dispensée dans les pensionnats laïcs ou religieux, où les jeunes filles de l’aristocratie et de la bourgeoisie aisée reçoivent une formation les préparant à la vie dans le monde : « […] elle [Mathilde] venait chercher le second volume de la Princesse de Babylone de Voltaire, digne complément d’une éducation éminemment monarchique et religieuse, chef-d’œuvre du Sacré-Coeur ![71] ». A l’opposé, l’instruction religieuse est raillée soit pour son inefficacité, soit pour sa tonalité monastique exagérée[72]; ce qui leur est lu et enseigné – l’Histoire sainte et les Conférences de l’abbé Frayssinous pour Emma – les maintiendrait dans un état de soumission par rapport à la doctrine catholique, ne leur apprenant pas à prendre une distance critique par rapport aux idées conservatrices ainsi transmises. La position oscille donc entre éducation morale et éducation intellectuelle; entre l’ignorance des grisettes incapables de lire les Lettres de Mme de Sévigné, la naïveté de Madame de Rênal élevée dans un pensionnat religieux, et l’étude approfondie des sciences qui dénature les femmes, ces extrêmes sont à éviter.
La répartition genrée de la lecture s’effectue alors en fonction des rôles sociaux et des normes de comportement, différenciés de façon inégalitaire entre femmes et hommes. C’est dès l’adolescence, âge sur lequel le XIXᵉ siècle porte un regard inquiet[73], qu’il faut agir : les jeunes filles se voient proposer une nouvelle gamme d’ouvrages orientés autour de quatre thèmes principaux – la morale, l’instruction, la piété et les loisirs. Ce genre de littérature, naissant au milieu du XVIIIᵉ siècle, explose dans les premières décennies du siècle suivant[74]. Car, malgré tous les efforts pour naturaliser la lecture féminine, on n’apprend pas à lire « comme une femme », les méthodes d’apprentissage ne sont pas différenciées entre les sexes[75]. C’est donc au niveau du choix que se situe la régulation des lectures féminines, la distinction entre « bonnes » et « mauvaises » lectures; pour cela, il s’agit d’éduquer les femmes à la lecture, d’éviter qu’elles ne tombent sur des mauvais livres ou qu’elles soient tentées de les lire en cachette[76]. Dans cette perspective, l’initiative de l’Église catholique prend une forme originale, tout en instrumentalisant les arguments de la fragilité des femmes vulnérables face au « poison » distillé par les romans. La fondation de l’Œuvre des Bons livres à Bordeaux en 1822 inaugure une série d’actions nombreuses dans le domaine à la fois de la culture et de l’éducation. À partir de cette date, elle s’occupe de mettre en place un réseau de bibliothèques paroissiales, prêtant des ouvrages sélectionnés au préalable; l’Œuvre de Bordeaux fait rapidement des émules, à Lyon, Paris ou encore Nantes. L’objectif premier est de fournir une lecture « instructive et intéressante », chrétienne, délivrant « de solides préceptes sur le dogme et la morale ». Les lectrices sont concernées au premier chef par cette nouvelle forme de censure. Si les « personnes du sexe » peuvent elles-mêmes choisir leurs livres, le prêtre se charge néanmoins de leur suggérer celui « qu’on croira [leur] être le plus utile » [77]. La marge de manœuvre effective laissée aux lectrices apparaît donc étroite[78]. Tout le problème, d’après ces textes normatifs, réside une nouvelle fois dans le choix de la lecture : puisque les femmes sont enclines « par nature » à choisir de mauvaises lectures, d’autres doivent jouer le rôle de censeur. Dans l’idéal catholique, il s’agit du prêtre ou du directeur de conscience, mais le mari peut également remplir ce rôle[79]. On retrouve ici les deux figures d’autorité de la société du XIXᵉ siècle chargées d’exercer une tutelle sur les femmes.
Dans la Physiologie du mariage est ainsi proposée une « bibliothèque idéale » que tout mari devrait pouvoir mettre à la disposition de sa femme. Ce genre littéraire en vogue au XVIIIᵉ siècle est encore d’actualité en 1830, avant de décliner dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle[80]. Rédigé sous la forme de conseils, il oriente les choix de lectures :
Et d’abord voyez les ressources immenses que vous a préparées l’éducation des femmes pour détourner la vôtre de son goût passager pour la science. Examinez avec quelle admirable stupidité les filles sont prêtées aux résultats de l’enseignement qu’on leur a imposé en France. […] Maintenez donc votre épouse dans cette belle et noble sphère de connaissances. Si par hasard votre femme voulait une bibliothèque, achetez-lui Florian, Malte-Brun, le Cabinet des Fées, Les Mille et une nuits, Les Roses par Redouté, Les Usages de la Chine, Les Pigeons par Mme Knip, le grand ouvrage sur l’Égypte, etc[81].
Ces ouvrages ne peuvent être taxés d’immoralité, et les conseils de Balzac reproduisent un modèle éducatif éprouvé, celui de distiller un peu de connaissances dans divers domaines, tout en ne poussant l’étude d’aucune science trop loin. L’enjeu de cette régulation se comprend dans l’objectif assigné à l’éducation des filles : elles doivent pouvoir par la suite remplir la fonction de « mère éducatrice » auprès de leurs propres enfants, et leur transmettre les valeurs morales qui constituent le fondement de la société patriarcale du XIXᵉ siècle. Leur instruction à proprement parler importe alors moins que leur éducation, dirigée vers l’économie domestique et l’apprentissage du rôle de mère, puisque sur elles repose l’idéal de moralisation de la société[82]. La maternité devient la fonction essentielle des femmes, élevant leurs fils pour en faire de futurs citoyens et voyant dans leurs filles de véritables doubles d’elles-mêmes[83]. La peinture célèbre tout au long du XIXᵉ siècle cette harmonie en représentant de manière idéalisée de nombreuses mères lisant à leurs enfants. Du coup, de mauvaises lectures risquent de les détourner de cette fonction « naturelle ». Daumier représente un bas-bleu entourée de livre, absorbée par l’écriture à sa table de travail, qui ne s’aperçoit même pas que son enfant est plongé, pieds et fesses à l’air, dans la bassine servant au ménage. À l’opposé de l’image de la mère éducatrice, Emma Bovary se désintéresse de l’éducation de sa fille Berthe. La visite de Mme Bovary mère sonne comme la condamnation à la fois de la faiblesse de Charles, qui n’a pas su interdire les romans à sa femme, et du choix d’Emma de consacrer trop de temps à leur lecture[84].
L’activité de la lecture dans le temps des femmes
La lecture est une activité. Qu’elle soit présentée comme un loisir ou un apprentissage, elle n’est pas passive, mais implique la personne, tant physiquement qu’intellectuellement. Elle demande du temps, qui est forcément pris sur autre chose. Nous voudrions donc revenir, pour finir, sur un ultime paradoxe relevé dans la littérature et l’iconographie examinées : la lecture des femmes y est perçue comme une activité strictement privée, mais néanmoins avec des implications qui dépassent les « individues », qui les isoleraient socialement, tant par rapport à leur(s) fonction(s) qu’aux autres. Un changement s’opère dans les manières de lire. La lecture, activité longtemps partagée oralement en famille, au village, dans les salons, devient de plus en plus solitaire. Cette évolution sur la longue durée n’est pas linéaire, et parmi les élites du XVIIIᵉ comme du XIXᵉ siècle, on lit encore à haute voix en société[85]. Néanmoins, les représentations des lectrices au XIXᵉ siècle accentuent le caractère intime de la lecture en ne présentant pratiquement que des lectrices solitaires[86]. Ces images ne concernent plus seulement les lectures pieuses sur le modèle valorisé de celles de la Vierge, lectures de recueillement et de méditation qui nécessitent la solitude, associées au temps religieux et donc pris en compte dans le déroulement de la journée. Mais de la grisette au bas-bleu, la lecture empiète sur leurs autres activités.
Un rapport complexe se noue autour de la question de l’oisiveté des femmes de la bourgeoisie. Si au XIXᵉ siècle se diffuse l’idéal aristocratique du temps de l’otium[87], la société ne tolère pas pour autant le gaspillage. Différentes pratiques culturelles, comme l’écriture de la correspondance[88], sont insérées dans l’emploi du temps de la femme bourgeoise aux côtés des autres activités : gestion du foyer et des domestiques, visites de courtoisie ou charitables, réception… Cela la maintient au centre d’une sociabilité bourgeoise dont elle est bien souvent le pivot. Dans ce rythme de la journée bourgeoise, la lecture n’est pas présentée comme une activité ayant un temps dédié, une activité construisant cette journée bourgeoise. Au contraire elle crée une rupture. Ce n’est pas l’inactivité, socialement admise pour les femmes bourgeoises, qui est critiquée en tant que telle, mais celle qui conduit à faire un mauvais usage de son temps, à le « consumer », selon les termes de Balzac. Lieu d’évasion de l’ennui bourgeois, le livre sert d’alibi à n’importe quelle situation : Emma apporte ses livres à table pour éviter la conversation avec son mari, se désespère de n’avoir plus rien à lire alors qu’elle ne veut pas coudre et finit par regarder le feu de cheminée et la pluie qui tombe. Ses lectures viennent briser la « douceur du foyer », image idéale de la famille bourgeoise où l’épouse et mère occupe une place centrale, et obligent le lecteur à porter un jugement moral sur les actions de l’héroïne de Flaubert[89].
A l’opposé de l’échelle sociale, les lectrices populaires sont couturières, portières, blanchisseuses, tenancières de pension, voire maîtresses de cabinet de lecture. Leur activité professionnelle est socialement acceptée, elle est même nécessaire, puisqu’elle n’a parfois pas d’équivalent masculin[90]. Mais là encore la lecture empiète sur leur travail :
La portière devient accessible, pourvu cependant que l’on sache prendre son temps et qu’on ne la dérange pas pendant qu’elle fait sa sieste, pendant qu’elle lit le journal, pendant qu’elle finit un roman, pendant qu’elle épluche ses légumes pour son pot… Le reste du jour, c’est à dire un petit quart d’heure de loin en loin, la portière est au service des habitants de la maison, et daigne se rappeler qu’elle n’est pas mise là uniquement pour lire Le Chevalier Douglas ou l’Enfant de la forêt, ni pour veiller au bien-être de ses volatiles et de ses enfants à quatre pattes[91].
La grisette de Paul de Kock quant à elle justifie la lecture rapide des femmes de la maison ainsi : « — oh! C’est que nous lisons vite à la maison. Ma tante ne fait pas autre chose; ma sœur, qui a mal au pouce, ne pouvait pas travailler… elle a souvent mal au pouce, ma sœur! [92] » Que ce soit la bourgeoise oisive, la femme de la classe moyenne qui néglige la cuisine ou la couture, ou encore la grisette, ce mésusage du temps touche les femmes de toutes les classes sociales. La lecture est présentée comme un lieu autre que l’activité normale, domestique ou professionnelle, un lieu de l’ailleurs des femmes. Le topos de la femme passant ses nuits à lire souligne le rapport excessif qu’elles entretiendraient avec la lecture : la grisette rapporte les livres empruntés la veille, et repart avec quatre gros volumes sous le bras; Emma lit jusqu’au petit matin des livres qui l’effraient. Un rapport au temps très particulier est mis en scène, entre l’ennui de la vie domestique et celui de la « rage de lire »[93], dans une exagération qui appelle la modération. En troublant l’ordonnancement net du mariage, il conduit à mettre en perspective le temps contraint de l’activité domestique et le temps dérobé, plus autonome, de la lecture.
Dans un dernier excès, le livre devient alors la métaphore de la vie d’une femme :
Quelquefois, le soir, … ma pensée est assez puissante pour me faire entrer en toi ; j’épouse alors ta belle vie si féconde, si violemment agitée, et je me demande à quoi te mèneront tes turbulentes préfaces ; ne tueront-elles pas le livre ? Tu peux avoir les illusions de l’amour, chère mignonne ; mais moi, je n’ai plus que les réalités du mariage[94].
Le succès éditorial d’un livre récent comme Les femmes qui lisent sont dangereuses pousse à questionner le caractère presque intemporel de l’image de la lectrice et à la replacer dans son historicité. La période présentée ici offre un bon exemple de la manière dont on peut interroger un stéréotype. On y repère à la fois des continuités et des enjeux spécifiques au contexte de la France post-révolutionnaire. À l’aune des représentations étudiées, l’image de la lectrice apparaît multiple, pouvant s’incarner désormais dans n’importe quelle femme, de la plus aisée à la plus populaire, célibataire, épouse ou mère. Pourtant, un trait commun ressort de leur analyse, celui d’une tension inhérente à ce qui serait une manière spécifiquement féminine de lire. Présentée toujours de manière excessive par rapport aux normes de genre, elle construit autour de la lectrice un imaginaire fait de danger autant pour elle-même que pour les autres.
Il importe donc d’interroger ces représentations sous l’angle du genre. Des travaux en sociologie de la lecture ont ainsi insisté sur le fait que, dans la lecture de romans sentimentaux, les femmes pouvaient trouver le sentiment d’être au centre de leur propre vie, d’en décider le déroulement et de satisfaire des besoins émotionnels[95]. On peut à l’inverse suivre les arguments de Kate Flint dans The Woman Reader et émettre l’hypothèse qu’en ne présentant la lecture des femmes que comme une forme d’évasion, où l’espace fictionnel valorise des valeurs « féminines », centrées sur la vie privée et émotive, on réitère le stéréotype d’un caractère « féminin » de la lecture. Or, si dans la première moitié du XIXᵉ siècle les condamnations portent avant tout sur la lectrice de romans, dont le personnage d’Emma Bovary condense tous les défauts, les pratiques de lecture des femmes sont beaucoup plus diverses. Il n’empêche qu’il y a bien une crainte derrière cette assimilation réductrice, celle d’une incapacité à en maîtriser les effets individuels et les conséquences sociales, la lecture n’étant pas seulement un lieu d’évasion, mais aussi un lieu d’acquisition de savoirs et de construction de l’identité.
Figure 1. Honoré Daumier, « Les Bas-bleus n°37 »,
Le Charivari, 31 juillet 1844.
Figure 2. Honoré Daumier, « Les Bas-bleus n°16 »,
Le Charivari, 13 mars 1844.
Références
[1] L’indicateur de base est le rattrapage du retard de l’alphabétisation des femmes sur celui des hommes, déjà palpable à la fin du XVIIIe siècle et achevé un siècle plus tard. Néanmoins, ces données chiffrées ne prennent pas en compte le fait qu’à l’époque moderne, beaucoup de femmes savaient lire mais non écrire, ce qui rend difficilement chiffrable le lectorat féminin. Voir Maurice Crubellier, « L’élargissement du public », in Histoire de l’édition t.3. Le temps des éditeurs. Du romantisme à la Belle-Epoque, Paris, Promodis, 1985, p. 25, et Gugliemo Cavallo et Roger Chartier (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil, 2001 (1997), p. 367-377.
[2] Sur cette fonction particulière du roman sous la monarchie de Juillet, voir Judith Lyon-Caen, La lecture et la vie. Les usages du roman au temps de Balzac, Paris, Tallandier, 2006, p. 19-20.
[3] C’est ainsi que Martyn Lyons définit les lectrices, aux côtés des paysans et des ouvriers, dans son ouvrage Readers and Society in the Nineteenth Century France. Women, Peasants and Workers, Houdsmill, Palgrave, 2008.
[4] L’historienne du féminisme Karen Offen parle même de « guerre du savoir » pour cette première moitié du XIXᵉ siècle. K. Offen, Les féminismes en Europe. 1700-1950, Rennes, PUR, 2012, p. 125.
[5] Nous renvoyons, pour les périodes antérieures, aux études de Sandrine Aragon, Des liseuses en péril. Les images de lectrices dans les textes de fiction de La Prétieuse de l’abbé de Pure à Madame Bovary de Flaubert (1656-1856), Paris Honoré Champion, 2003, pour la littérature, et de Fritz Nies, Imagerie de la lecture. Exploration d’un patrimoine millénaire de l’Occident, Paris, PUF, 1995, pour l’iconographie.
[6] C’est l’objectif de l’ouvrage pluridisciplinaire coordonné par Isabelle Brouard-Arends, Lectrices d’Ancien Régime (PUR, 2003). Mentionnons pour sur les femmes auteures ou les femmes peintres, Christine Planté, La petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur, Paris, Seuil, 1989, et Séverine Sofio, « Des discours aux pratiques, comment approcher la réalité des rapports de sexe ? Genre et professions artistiques au XIXᵉ siècle », Sociétés et représentations, n°24, 2007, p. 177-193.
[7] Pensons notamment au succès d’un livre comme Les femmes qui lisent sont dangereuses, de Laure Adler et Stephan Bollmann (Paris, Flammarion, 2006), qui a donné lieu à une suite, Les femmes qui lisent sont de plus en plus dangereuses, parue en 2011. Dans l’espace anglo-saxon, Janet Badia et Jenifer Phegley tirent le même constat au sujet du succès de la collection « The Reading Woman » édité par Pomegranate (J. Badia & J. Phegley, Reading Women : Literary Figures and Cultural Icons from the Victorian Ages to the Present, Toronto, Toronto Univesity Press, 2005).
[8] Jann Matlock, Scenes of seduction. Prostitution, Hysteria, and Reading Difference in Nineteenth-Century France, New York, Columbia University Press, p. 212.
[9] Si nous limitons notre cadre d’étude ici à la France, Kate Flint observe également la stabilisation du stéréotype de la lectrice dans l’Angleterre victorienne ; voir K. Flint, The Woman Reader (1837-1914), New York, Oxford UP, 1993.
[10] Le corpus présenté ici ne prétend pas à l’exhaustivité. Il est issu d’une recherche en cours plus large sur les romans réalistes, la littérature panoramique et les journaux satiriques de la monarchie de Juillet.
[11] Emile Littré, dans son Dictionnaire de la langue française, fait remonter sa généalogie à 1781 et au club littéraire de Mme de Montague, où un Anglais, M. Stillingfleet, portait des bas-bleus (bluestocking) et qui, par extension, désigne des « femmes de lettres ridicules et pédantes ». Cité dans Martine Reid, Des femmes en littérature, Paris, Belin, 2010, p. 48.
[12] Stendhal, Le Rouge et le Noir, Paris, Gallimard, Folio classique, 2000, p.387. A l’exception du Cocu de Paul de Kock, tous les romans cités le sont dans leur édition de poche la plus récente.
[13] Honoré de Balzac, Béatrix, Paris, Livre de Poche, p. 139. Félicité des Touches apparaît chez Balzac comme une lectrice et une auteure modèle, loin de l’image satirique des bas-bleus.
[14] Félicité des Touches a ainsi lu, à dix-huit ans, tout ce qu’un jeune auteur devrait avoir lu. ibid, p. 139.
[15] Claude Dulong, « De la conversation à la création », dans Natalie Zemon-Davis et Arlette Farge (dir.), Histoire des femmes en Occident. III. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Perrin, 2002 (1991), p. 461-490.
[16] Si les attaques principales contre les bas-bleus concernent celles qui écrivent, le livre lu est logiquement le déclencheur de cette ambition intellectuelle. Nous n’étudierons pas ce premier aspect, largement développé ailleurs, notamment dans A. Del Lungo et B. Louichon (dir) La Littérature en bas-bleu. Romancières sous la Restauration et la monarchie de Juillet (1815-1848), Paris, Editions Classiques Garnier, 2010, et dans C. Planté, La petite sœur de Balzac
[17] Frédéric Soulié, Physiologie du bas-bleu, Paris, Aubert, 1841, p. 10.
[18] Stendhal, Le Rouge et le Noir, p. 393-394.
[19] Françoise Parent-Lardeur, Les cabinets de lecture. La lecture publique à Paris sous la Restauration, Paris, Payot, 1982, p. 137.
[20] F. Soulié, Physiologie du bas-bleu, p. 15-16. Voir également la caricature de Daumier : « Au revoir Ophelia… ne manquez pas de venir mardi soir… c’est une réunion littéraire en petit comité… nous lirons des élégies et nous ferons du bischoff » ; « Les Bas-bleus, n°4 », Le Charivari, 10 février 1844.
[21] Les peintures de femmes lisant de Fragonard, Boucher ou Chardin sont l’image même de cette lectrice « charmante », belle et joyeuse, bien que ces représentations ne soient pas exemptes d’implicites, notamment concernant l’érotisation de la lectrice.
[22] Excentricité qui se retrouve dans d’autres domaines, comme la mode ou les goûts culinaires : on boit du bischoff ou du « rachachout » des Arabes.
[23] Taxile Delort, Physiologie de la parisienne, Paris, Aubert, 1841, p. 91.
[24] Une grisette est une jeune fille travaillant dans la mode (couturière, drapière, employée de magasin…) tandis que la lorette désigne une jeune femme entretenue par un ou plusieurs amants. Toutes deux sont d’origine populaire.
[25] Jean Hébrard, « Peut-on faire une histoire des pratiques populaires de lecture à l’époque moderne ? Les « nouveaux lecteurs » revisités », dans Histoires de lecture. XIXᵉ-XXe siècles, textes présentés par Jean-Yves Mollier, Société d’histoire de la lecture, Bernay, 2005, p.105-140.
[26] « […] mais si vous saviez l’histoire de France, vous auriez appris qu’il y a eu une nommée Jeanne d’Arc qui habitait Orléans, où elle avait une très bonne réputation. […]
Elisa. – Ah ! Bah ! Des contes de la mère l’oie… ; en tout cas c’était avant la Révolution… Après tout, ça ne me regarde pas… » ; L. Huart, Physiologie de la grisette, p. 100.
[27] Avant même l’apparition des marchés de masse caractéristiques de la seconde moitié du siècle, la croissance de la production est sensible, notamment dans deux catégories, le roman et la presse. Voir Frédéric Barbier, « Une production multipliée », dans Histoire de l’édition française. T.3, p. 103-121.
[28] Françoise Parent-Lardeur, Les cabinets de lecture, p. 129.
[29] Paul de Kock, Le Cocu, Paris, G. Barba, 1831, p. 11.
[30] Paul de Kock, Le Cocu, p. 13.
[31] Voir à ce sujet l’introduction de Brigitte Louichon, Romancières sentimentales (1789-1825), Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2009.
[32] Ibid., p. 292.
[33] James Rousseau, Physiologie de la portière, Paris, Aubert, 1841, p. 22.
[34] Maurice Alhoy, Physiologie de la lorette, Paris, Aubert, 1841, p. 55 et 16.
[35] On retrouve ici la dichotomie ancienne sur les représentations des compétences des lecteurs entre lecture lettrée, du texte, et lecture rudimentaire avec le support des images, relevée par Roger Chartier dans Lectures et lecteurs d’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1987, p. 356.
[36] P. de Kock, Le Cocu, p. 17 ; il s’agit des Aventures d’Eugène de Senneville et Guillaume Delorme, par L.-B. Picard, auteur prolifique de pièces de théâtre et de romans de mœurs, qui acquit une grande popularité dans les années 1810.
[37] Ibid., p. 16.
[38] Stendhal, Le Rouge et le Noir, p. 139.
[39] H. de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, Paris, Gallimard, Folio classique, 2012, p. 131.
[40] « – Bichette, viens donc arranger ma rosette !
– Voilà bien les hommes !… comme ils abusent de leurs droits ! parce qu’on a eu un jour la faiblesse de serrer avec eux les nœuds de l’hyménée, ils voudraient ensuite vous faire serrer à perpétuité ceux de leur cravates !… mais je suis décidée à suivre désormais les principes émis ce matin même par Artémise Jabot dans son remarquable article de la Gazette des Femmes libres : … A bas les nœuds de cravates et les boutons de pantalons ! » ; Daumier, « Les Bas-Bleus n°16 », Le Charivari, 13 mars 1844.
[41] On retrouve, dans la plupart des caricatures de Daumier, une mise en scène du couple similaire : la femme lisant tourne le dos à son mari, ne lève pas les yeux pour lui répondre, ou encore manifeste son exaspération d’être interrompue durant sa lecture.
[42] H. de Balzac, Physiologie du mariage, Paris, Gallimard, Edition de la Pléiade, t. XI, 1978, p. 1019-1020.
[43] Marie Baudry, Lectrices romanesques. Théories et représentations de la lecture XIXᵉ-XXe siècles, Paris, Garnier Classique, 2014, p. 25.
[44] George Sand, Indiana, Paris, Gallimard, Folio Classique, 2012, p. 217.
[45] G. Sand, Indiana, p. 247.
[46] H. de Balzac, Physiologie du mariage, p. 1019.
[47] « Mœurs Conjugales », Le Charivari, 29 octobre 1839.
[48] Jann Matlock, Scenes of seduction, p. 207.
[49] D’ailleurs les pratiques de lecture des hommes ne font jamais l’objet de tant de descriptions, n’étant pas pensées comme singulières, mais relevant du général.
[50] Dans un contexte différent, celui de la réforme catholique dans l’Italie de la fin du XVIe siècle, Xenia Von Tippelskirch a montré comment cette question s’est retrouvée au cœur d’un débat théologique. Voir X. Von Tippelskirch, Sotto controllo. Letture femminili in Italia nella prima età moderna, Roma, Viella, 2011. Au XVIIIe siècle, dans la postérité de Fleury et de Fénelon, elle anime les débats pédagogiques et philosophiques (Martine Sonnet, L’éducation des filles au temps des Lumières, Paris, Editions du Cerf, 2011 (1987), p. 16-17 et p. 263-270).
[51] Karen Harvey, « Le siècle du genre ? Genre, corps et sexualité au XVIIIe siècle (vers 1650- vers 1850)», Clio. Femmes, Genre, Histoire, n°31, 2010, p. 207-238, et Nicole Edelman, « Editorial », dossier « Quand la médecine fait le genre », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n°37, 2013, p. 9-20.
[52] Toutefois, comme le montrent M. Baudry et J. Matlock, ces arguments se nourrissent davantage des représentations communes sur la lecture féminine que sur une observation empirique.
[53] H. de Balzac, Physiologie du mariage, p. 1019.
[54] Natalie Zemon Davis et Arlette Farge (dir.), Histoire des femmes en Occident, III., p. 370-373.
[55] Nicole Edelman, Les métamorphoses de l’hystérique. Du début du XIXᵉ siècle à la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2003, p. 10. L’auteure montre qu’au début du XIXᵉ siècle, on assiste à une neurologisation de l’hystérie, auparavant étudiée comme une maladie du désir sexuel. Le premier médecin à soutenir l’argument des lectures dans le déclenchement de l’hystérie est le Suisse Samuel Tissot, en 1770.
[56] Jean-Louis Brachet, Traité de l’hystérie, Paris, JB. Baillière, 1847, p. 505.
[57] E-Frédéric Dubois, Histoire philosophique de l’hypocondrie et de l’hystérie, Paris, Librairie Deville Cavellin, 1833, p. 134.
[58] Jean-Louis Brachet, Traité de l’hystérie, p. 505.
[59] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Paris, Gallimard, Folio Classique, 2001, p. 350.
[60] M. Baudry, Lectrices romanesques, p. 125.
[61] Alexandre Wenger, « Lire l’onanisme. Le discours médical sur la masturbation et la lecture féminines au XVIIIe siècle », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n°22, 2005, p. 227-243. Toutefois, la corrélation entre la pratique, le sexe et la pathologie permet de circonscrire l’effet des mauvaises lectures à une maladie, l’hystérie, majoritairement féminine.
[62] E-Frédéric Dubois, Histoire philosophique de l’hypocondrie, p. 134.
[63] Gavarni, « Nuances du sentiment », Le Charivari, 23 juillet 1839.
[64] N. Edelman, Les métamorphoses de l’hystérique, p. 96 ; S. Aragon, Des liseuses en péril, p. 629.
[65] La séductrice est un des trois archétypes du féminin qui se retrouve abondamment dans la peinture des XVIIIe et XIXᵉ siècles ; voir Geneviève Fraisse et Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, IV. Le XIXᵉ siècle, Paris, Plon, 2002 (1991), p. 304. Dans cette catégorie, on retrouve l’image de la lectrice séduisante, dont la posture est érotisée ; voir F. Nies, « La femme-femme et la lecture : tour d’horizon iconographique », Romantisme, 1985, n°47, p. 97-106.
[66] H. de Balzac, Béatrix, p. 137.
[67] Le Charivari, 26 juillet 1844.
[68] H. de Balzac, Physiologie du mariage, p. 1018.
[69] Ibid., p. 1017.
[70] Félicité des Touches, orpheline, est élevée par son vieil oncle qui lui laisse un accès libre à sa bibliothèque ; Mathilde de La Mole réussit à consulter les livres qu’elle désire dans la bibliothèque paternelle.
[71] Stendhal, Le Rouge et le Noir, p. 347. Le Sacré-Coeur est un pensionnat parisien pour jeunes filles de l’aristocratie fondé pendant la Révolution Française.
[72] Françoise Mayeur, L’éducation des filles en France au XIXᵉ, Paris, Perrin, 2008 (1979), p. 52.
[73] G. Fraisse et M. Perrot, Histoire des femmes en Occident. IV, p. 218.
[74] Isabelle Havelange, « Des livres pour les demoiselles, XVIIIe-1re moitié du XIXᵉ siècle », dans I. Brouard-Arends (dir.), Lectrices d’Ancien Régime, p. 575-584.
[75] Kate Flint, The Woman Reader, p. 21.
[76] Dans Madame Bovary, la lingère apporte et « prêt[ait]e aux grandes, en cachette, quelque roman qu’elle avait toujours dans sa poche de tablier » ; p. 86.
[77] D’après l’ordonnance de fondation de l’Œuvre des Bons livres, 1er juin 1822, citée par Noé Richter, Les femmes et la lecture au XIXᵉ siècle, Bernay, Société d’histoire de la lecture, 2004, p. 19, et Les Manuels de l’Œuvre des Bons Livres, édité par Noé Richter, Plein Champ, 1996.
[78] Elle est d’autant plus réduite que, dès les années 1830, l’Eglise catholique se lance dans la publication de « bons » romans, à destination du public féminin. Voir à ce sujet Loïc Artiaga, Des torrents de papier. Catholicisme et lectures populaires au XIXᵉ siècle, PULIM, 2007, p. 18-20.
[79] Dans le récit postérieur de la fondation de l’Œuvre de Lyon est ainsi relaté un épisode dans lequel un mari, désespéré par les « mauvaises lectures » de sa femme, les « romans du jour », la conduit à l’Œuvre. Peu de temps après, elle est déclarée « guérie » ; dans Instruction pastorale sur les mauvais livres, au clergé et aux fidèles de Belgique, suivi de l’historique des œuvres des bons livres et des bibliothèques paroissiales, et de leur développement en France et en Belgique, Bruxelles, 1843, p. 101.
[80] M. Lyons, Readers and Society, p. 81-83.
[81] H. de Balzac, Physiologie du mariage, p. 1020-1021.
[82] F. Mayeur, L’éducation des filles, p. 69.
[83] Yvonne Knibielher et Catherine Fouquet, L’histoire des mères du Moyen-Age à nos jours, Paris, Editions Montalba, 1980, p. 198.
[84] G. Flaubert, Madame Bovary, p. 266.
[85] Roger Chartier, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, p. 207.
[86] G. Cavallo et R. Chartier, Histoire de la lecture, p. 377. Les études déjà citées de Nies et d’Aragon mettent l’accent sur le tournant du XIXᵉ siècle comme moment de la rupture entre pratique collective et pratique individuelle tant dans l’iconographie que dans la littérature : S. Aragon évoque plusieurs temps de la lecture : celui d’une pratique partagée, au centre d’une sociabilité, au XVIIe siècle ; celui d’un échange à deux ; celui enfin d’une pratique solitaire. Dans cette évolution, ce sont les femmes qui sont davantage représentées lisant seules.
[87] Alain Corbin, Le Temps, le désir et l’horreur. Essais sur le XIXᵉ siècle, Paris, Flammarion, 1991, p. 11.
[88] Déjà perçue comme une activité féminine dès le XVIIIe siècle, la pratique épistolaire, quotidienne, se généralise au XIXᵉ siècle, comme le montrent les nombreux manuels à leur intention. Voir Roger Chartier (dir.), La correspondance. Les usages de la lettre au XIXᵉ siècle, Paris, Fayard, 1991 et le dossier « Ecrire au quotidien », Clio. Histoire, femmes et sociétés, n°35, 2012.
[89] H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, [1978] 2010, p. 85. Voir également les pages 286 à 325 sur « La douceur du foyer ».
[90] Dans la Physiologie de la portière, le portier désigne uniquement le mari de la portière.
[91] J. Rousseau, Physiologie de la portière, p. 22.
[92] P. de Kock, Le Cocu, p. 11.
[93] Daniel Fabre, « Lire au féminin. », Clio. Histoire, femmes et sociétés, n°11, 2000, en ligne : http://clio.revues.org/219, consulté le 23 janvier 2014.
[94] Lettre de Renée à Louise. H. de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, p. 165.
[95] Notamment Janice Radway, Reading the Romance, University of North Carolina Press, 1996. Pour un aperçu des travaux, voir David D. Hall, « Les lecteurs et la lecture dans l’histoire et dans la théorie critique. Un exposé de la recherche américaine », dans Roger Chartier (dir.), Histoires de la lecture. Un bilan des recherches, Paris, IMEC Editions, 1995, p. 165-179.