« S’amuse bien qui s’amuse chez Dupuis » : les loisirs, la vie sociale et culturelle des employées de Dupuis Frères entre 1920 et 1960

Stéphanie Piette
Université de Montréal

 

Table des matières
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    Le grand magasin Dupuis Frères de Montréal a marqué, grâce à ses 110 ans d’existence, l’imaginaire des Québécois. Il a également eu une forte incidence sur les femmes qui ont intégré la « grande famille » Dupuis pour y travailler, et ce parfois durant de très nombreuses années. Dans ce qui suit, il sera question d’un aspect en particulier de la vie de ces travailleuses : leurs loisirs, de même que leur vie sociale et culturelle. Nous constaterons qu’en plus d’être leur gagne-pain, leur emploi chez Dupuis Frères devient un pilier central de leur existence, une nouvelle façon de se définir en tant que femme, un moyen de rencontrer des gens et une opportunité de se divertir autrement qu’au travers des structures familiales ou paroissiales traditionnelles. Ce faisant, nous tenterons aussi de montrer que l’organisation des loisirs par Dupuis Frères représente une stratégie de gestion paternaliste qui vise à s’assurer de leur loyauté et à maintenir sa bonne réputation dans l’opinion publique.

    Cet article s’inscrit dans le cadre de notre mémoire de maîtrise concernant la culture de travail des employées de Dupuis Frères de 1920 à 1960 et ses liens avec l’évolution de la féminité au XXe siècle. Cette recherche repose essentiellement sur le dépouillement systématique du journal d’entreprise de Dupuis Frères, Le Duprex, conservé dans le fonds d’archives Dupuis Frères Limitée à HEC Montréal et certains autres documents, notamment de la correspondance interne, des photos, des coupures de journaux, etc. Publié pour le personnel en étroite collaboration avec le syndicat (dont les dirigeants, en 1926, font aussi partie de la direction de l’entreprise), Le Duprex, qui compte un total de 190 numéros publiés entre 1926 et 1960, est à la fois un média par lequel les employé(e)s s’expriment et un outil de communication pour l’employeur[1]. Après un rapide survol de l’historiographie des grands magasins et de la culture de travail féminine, nous dresserons un bref historique de Dupuis Frères de même qu’un portrait de ses travailleuses. Ensuite, nous nous pencherons successivement sur leurs amitiés et leurs relations amoureuses, les activités et événements auxquels elles participaient ainsi que leur contribution à la rédaction du Duprex.

    Historiographie

    Beaucoup d’historiens se sont penchés sur la question des grands magasins, tant en Europe, qu’aux États-Unis et au Canada anglais[2]. Fascinés par ce phénomène, ils se sont intéressés à leur croissance rapide, à leurs succès économiques phénoménaux, à leur mode de gestion paternaliste, à la réussite de leur adaptation à la modernité, à l’attrait qu’ils ont exercé sur les femmes, mais aussi au personnel, notamment aux vendeuses. Parmi les ouvrages qui se sont plus particulièrement attardés sur ce dernier point, nous retenons surtout celui de Susan Porter Benson. Paru en 1986, l’auteure y explore les relations entre les directeurs commerciaux, les employées et les clientes des grands magasins américains, tout en décrivant la culture respective de ces trois groupes interagissant quotidiennement[3]. Cette étude est intéressante dans la mesure où elle montre que chaque groupe possède un pouvoir et que l’interaction entre eux prend la forme d’un triangle complexe d’alliances, de pressions et de conflits.

    Dans l’historiographie canadienne des grands magasins et des vendeuses, une vaste part des chercheurs ont privilégié l’étude de la famille Eaton. C’est notamment le cas de Donica Belisle qui a publié trois articles et un livre au sujet du syndicalisme, du paternalisme, de la culture de consommation et de l’aliénation qu’elle peut causer, et ce, toujours dans le cadre eatonien[4]. Dupuis Frères a été, pour sa part, beaucoup moins étudié.Si la grève de 1952 a fait l’objet d’au moins deux études récentes[5], seule Mary Catherine Matthews s’est intéressée aux stratégies paternalistes de gestion de la direction pour conclure qu’elles se sont désagrégées à la suite de ce conflit de travail[6].

    La culture de travail féminine, définie par Joan Sangster comme « the informal and customary values, rituals and rules that are part of the workplace[7] », a également attiré l’attention des chercheuses depuis plusieurs décennies. Pratiquement toutes celles qui en ont traité insistent sur l’importance et la variété des rituels et activités compris dans la culture de travail des femmes : showers, fêtes, potlucks, piqueniques, danses, sports, clubs, etc. Elles s’accordent aussi, pour la plupart, sur un autre aspect : la fonction principale de cette culture est d’humaniser la sphère de travail, de rendre la journée moins longue et pénible[8]. Certaines, notamment Kathy Peiss, ont par ailleurs montré comment, avec leur culture de travail, des travailleuses ont su se construire une nouvelle identité distincte de celle de la femme au foyer[9] qui se détache toutefois rarement de la féminité traditionnelle[10]. S’inspirant de ces conclusions, notre étude de la culture de travail chez Dupuis Frères cherchera à voir si c’est également le cas dans ce grand magasin canadien-français de Montréal.

    Portrait du magasin et de ses employées

    Le premier magasin Dupuis Frères est ouvert en 1868 par Nazaire Dupuis, l’aîné d’une famille de neuf enfants, sur la rue Ste-Catherine, coin Montcalm. L’entreprise prend de l’expansion avant de s’établir définitivement en 1882 sur la même rue, à l’intersection de la rue St-André[11]. C’est toutefois au XXe siècle, sous la présidence d’Albert Dupuis (1924-1945), qu’elle connaît son ascension la plus fulgurante. Malgré son succès, elle commence à manifester des signes d’essoufflement après la Deuxième Guerre mondiale, surtout à compter de 1952, lorsqu’une grève marquante, qui durera au total 13 semaines, éclate[12]. Le magasin sera finalement vendu en 1961 à d’autres intérêts et le déclin continuera jusqu’à la faillite en janvier 1978. Malgré tout, il a eu une influence notable sur le développement du commerce dans la partie est de la rue Sainte-Catherine[13].

    Comme dans la plupart des grands magasins, une proportion importante du personnel à l’emploi de Dupuis Frères est composée de femmes[14]. Celles-ci occupent surtout des emplois de vendeuses ou de commis de bureau, mais aussi de laveuse, étiqueteuse, caissière, couturière, etc. Elles sont le plus souvent issues des classes populaires et sont pratiquement toujours d’origine canadienne-française et de confession catholique. Plusieurs indices nous laissent également croire qu’une bonne partie d’entre elles est célibataire et le reste un long moment, voire toute leur vie[15]. Cette situation expliquerait d’ailleurs le fait que le magasin occupe une place de taille à leurs yeux. En outre, même si la tendance semble être à la baisse vers la fin de la période étudiée, beaucoup de ces femmes ont une longue carrière à l’emploi des Dupuis, une carrière pouvant s’étaler sur plusieurs décennies[16]. Toutes ces années passées au magasin les poussent d’ailleurs à développer d’étroites relations avec leurs collègues, ce qui renforce leur identité de travailleuse.

    Les amitiés et relations amoureuses des employées

    Plusieurs indices laissent penser que les employées de Dupuis Frères deviennent de véritables amies, notamment les nombreuses photos réparties dans la plupart des éditions du Duprex, montrant par exemple des femmes qui se tiennent par la main[17]. Le journal nous renseigne également, par ses rubriques de nouvelles, sur les fêtes que les employées organisent pour leurs amies et qui correspondent aux moments importants de leur vie : anniversaires, fêtes de départ, showers, où elles s’offrent souvent des présents financés grâce aux dons amassés parmi les collègues de travail. Ces manifestations, d’ailleurs fréquemment soulevées dans l’historiographie, sont typiques de la culture de travail féminine et sont intimement liées à des rites de passage, tels que le mariage et la maternité, qui marquent le parcours de vie des femmes.

    Chez Dupuis comme ailleurs, souligner de tels événements est important : au total, entre 1926 et 1960, on dénombre dans Le Duprex pas moins de 235 mots de remerciements pour des cadeaux de noces offerts par la maison ou des collègues. Ces échanges de présents montrent que pour les travailleuses de Dupuis Frères, le mariage constitue une dimension fondamentale de leur vie, un état auquel elles aspirent et qui est toujours largement valorisé. Ils démontrent aussi que leur intégration au marché du travail leur permet de créer des liens en dehors de leur cercle familial, souvent présenté comme le centre de la vie des femmes, et de donner à ces événements une résonnance publique beaucoup plus large. Le fait que la famille Dupuis leur offre aussi des cadeaux indique, par ailleurs, qu’elle se préoccupe de ses employés. Ce geste qui semble en surface généreux n’est toutefois pas désintéressé. Comme le montre Donica Belisle, il s’agit d’une stratégie paternaliste qui a pour but, entre autres, de s’assurer de la loyauté des employés et de développer parmi eux une mentalité consumériste[18]. On peut également penser que le magasin profite de ces amitiés entre travailleuses dans la mesure où elles augmentent leur productivité[19]. En effet, des employées heureuses de se rendre au travail pour voir leurs amies et enclines de collaborer entre elles, car proches les unes des autres, ne peuvent que représenter un atout pour un employeur.

    Source : Archives – HEC Montréal, Fonds Dupuis Frères Limitée, P049/W2, 0009, Le Duprex, vol. 9, n° 4, juillet 1937, p. 61.

    L’amitié entre vendeurs et vendeuses semble aussi exister, mais tout porte à croire qu’elle débouche le plus souvent sur des relations amoureuses[20]. Selon Denise Girard, les couples montréalais francophones de l’entre-deux-guerres se rencontrent très souvent sur leurs lieux de travail[21]. Avec ses centaines d’employés, Dupuis Frères regroupe un bassin de population considérable et représente, pour les jeunes employées célibataires qui y passent une grande partie de leur temps, un lieu propice aux rencontres, même si les femmes sont plus nombreuses que les hommes au sein du personnel[22]. Ainsi, dans Le Duprex, on retrouve au total 104 mentions de fiançailles, dont 20 sont clairement identifiées comme étant entre employés de la famille Dupuis, soit près de 20 %[23]. Cela pousse d’ailleurs un chroniqueur du journal, en octobre 1939, à déformer, sous le couvert de l’humour, le slogan officiel du magasin, « Achète bien qui achète chez Dupuis », pour « Choisit bien qui choisit chez Dupuis »[24]. Les photos que contient Le Duprex sont d’ailleurs révélatrices de la nature des relations hommes-femmes au sein du magasin, comme en témoigne un cliché datant de juillet 1940 sur lequel on aperçoit un groupe d’employés des deux sexes avec, au premier plan, un homme assis avec une jeune et jolie femme sur chaque genou.

    Source : Archives – HEC Montréal, Fonds Dupuis Frères Limitée, P049/W2, 0010, Le Duprex, vol. 10, n° 10, juillet 1940, p. 227.

    Il semble clair, selon la proximité qui les unit sur cette photo, que les contacts (y compris les contacts physiques) et le flirt sont fréquents en milieu de travail, alors que jusqu’aux années 1950, le discours social dominant continue de valoriser les fréquentations chastes et bien encadrées. Visiblement, il peut arriver que les employées de chez Dupuis vivent des expériences qui vont à l’encontre de ce discours et ne font pas reposer leur identité féminine sur le strict respect des vertus, comme la pudeur et la réserve, associées à la féminité « traditionnelle ».

    Les activités et événements rapportés dans Le Duprex

    Outre leurs relations interpersonnelles, la vie sociale et culturelle des travailleuses est aussi très animée, comme en fait foi une multitude d’articles du Duprex qui relate soit des activités organisées par la maison elle-même, soit des loisirs pratiqués par les employées en dehors de l’entreprise. Ainsi, chaque année, le journal fait mention d’événements spéciaux, planifiés par le magasin, qui prennent la forme de grandes réceptions ou de banquets accueillant des centaines d’invités, autant de la maison que de l’extérieur[25]. Plusieurs occasions sont susceptibles d’en faire l’objet : l’anniversaire de fondation du magasin, du président ou d’un autre membre important de la direction, ou encore la fin de la saison des activités sportives organisées par l’AAAD, (l’Association Athlétique Amateur Duprex)[26]. Les employées semblent apprécier ces réceptions qui s’inscrivent, elles aussi, dans les stratégies de gestion paternalistes de Dupuis, dans la mesure où elles lui permettent d’étaler aux yeux du public sa grande générosité envers son personnel.

    D’autres événements spéciaux ponctuent la vie au magasin. Notons, par exemple, la fête des employés, tenue autour de la fête des Rois presque tous les ans de 1938 à 1949. Lors de cet événement spécial en l’honneur du personnel, la direction organise un dépouillement du sapin de Noël et les invités pratiquent le rituel de la galette des rois. Pour ce qui est des autres festivités à grand déploiement de l’année, non seulement les employées sont, la plupart du temps, invitées à y assister[27], mais elles participent souvent à leur organisation qui peut démarrer plusieurs semaines à l’avance. Outre le repas, les prix de présence et les discours de circonstance, la musique et la danse occupent très souvent une place de choix au programme de ces soirées spéciales et sont, d’ailleurs, des éléments incontournables de la culture de travail féminine chez Dupuis comme dans d’autres entreprises[28]. Plusieurs photos nous transmettent un peu de l’ambiance de ces fêtes populaires[29].

    Source : Archives – HEC Montréal, Fonds Dupuis Frères Limitée, P049/W2, 0014, Le Duprex, vol. 14, n° 3, avril 1950, p. 81.  

    Célébrées en grandes pompes, elles suscitent même, à l’occasion, des articles dans des journaux importants tels que La Presse, au plus grand plaisir des dirigeants qui s’assurent ainsi de faire voir, au grand public, à quel point les relations avec leur personnel sont harmonieuses[30].

    D’autres activités moins fastes, bien que tout aussi courues par les employés, sont organisées par Dupuis Frères et l’AAAD. Ces activités sociales, réparties sur toute l’année, visent certes à divertir les employés, mais également à faire en sorte que leur temps libre soit occupé par des loisirs respectables, toujours dans un esprit paternaliste. Plusieurs de ces activités parmi les plus populaires reviennent au programme saison après saison, comme les piqueniques à l’île Ste-Hélène ou les sorties au Parc Belmont l’été[31]. Durant les autres saisons, on note la célébration de l’Halloween, les excursions de ski dans les Laurentides ou les parties de sucre. Grâce à cette offre de divertissements, Dupuis Frères permet à ses employées de s’amuser sainement, tout en s’assurant que leur moralité et leur féminité ne soient pas compromises par des passe-temps inappropriés; la participation des femmes à ces activités favorise par ailleurs l’expression d’une féminité qui n’est pas seulement axée sur le devoir (de mère et d’épouse en particulier), mais qui fait place au loisir et au plaisir.

    Source : Archives – HEC Montréal, Fonds Dupuis Frères Limitée, P049/W2, 0011, Le Duprex, vol. 10, n° 11, octobre 1940, p. 252.

    Pour assurer leur bien-être (et pour détourner, peut-être, l’attention du public des conditions de travail difficiles dans lesquelles les employées vivent), Dupuis Frères leur fournit également certains services et installations, comme une salle à manger, une salle de repos, une infirmerie et une bibliothèque[32]. Dans un but éducatif, il procure également, à celles qui en manifestent l’intérêt, des cours et des ateliers. Au fil des années, l’AAAD organise des cours dans différentes matières, mais les leçons de couture semblent les plus populaires[33]. Au comptoir postal[34], il existe même, à la fin des années 1940, un cercle de couture dirigé par la fille du président, Renée Dupuis. Plusieurs mentions dans Le Duprex concernent ce groupe : y sont publiées, par exemple, des photos des créations des étudiantes[35]. D’autres ateliers sont aussi organisés, tels que des cours de vente, de secourisme ou des leçons de cuisine[36]. Comme on peut le constater, les activités éducatives offertes par Dupuis à ses employées font la promotion d’une féminité traditionnelle qui ne remet aucunement en question les rôles genrés : en effet, Dupuis montre aux femmes comment bien remplir leurs tâches de ménagères, couturières et cuisinières. Comme c’est le cas pour les concours de beauté organisés par certaines entreprises dans l’après-guerre et décrits par Joan Sangster[37], ces cours visent sans doute à confirmer la féminité des travailleuses, compte tenu du fait qu’elles se trouvent sur le marché de l’emploi et que, par ailleurs, elles ont l’opportunité d’y fréquenter des jeunes hommes loin de la surveillance parentale.

    Les employées de Dupuis portent aussi de l’intérêt aux activités sportives, organisées en grand nombre par l’AAAD[38] : quilles, ski, tennis, tennis sur table, natation, patinage, golf, sacs de sable, mississippi, etc. Toutefois, il semble que leur sport favori soit les quilles. Des tournois sont organisés chaque année et, à plusieurs reprises, l’AAAD planifie même des rencontres entre les employés de Dupuis et ceux du magasin Paquet de Québec[39]. Dans les dernières années de parution du Duprex, on note l’existence d’équipes de quilles mixtes, mais auparavant (dès la saison 1929-1930 plus précisément), hommes et femmes jouent dans des équipes séparées regroupées dans deux sections qui chacune couronne une équipe gagnante au terme de la saison[40]. L’ensemble des activités sportives offertes aux employées montre une certaine ouverture de la part de Dupuis face à la participation des femmes aux sports, un phénomène qui a rencontré sa part de résistance dans la société québécoise[41]. Cependant, on constate également que l’entreprise a longtemps favorisé la ségrégation des sexes, du moins en ce qui concerne les quilles, une manière peut-être d’éviter que leur féminité soit trop directement remise en question.

    Source : Archives – HEC Montréal, Fonds Dupuis Frères Limitée, P049/W2, 0010, Le Duprex, vol. 10, n° 4, mai 1939, p. 79.

    Pour agrémenter la vie des employées, mais aussi sans doute pour que celles-ci développent un plus fort sentiment d’appartenance envers la maison, Dupuis Frères crée différents clubs auxquels elles peuvent adhérer. Certaines conditions sont cependant requises pour en devenir membre, comme être à l’emploi de Dupuis depuis un certain nombre d’années ou être un employé méritoire. Peu de témoignages concernant la fonction ou la signification de l’adhésion à ces clubs subsistent, mais on peut supposer que cela comble certains besoins de reconnaissance ou d’attachement à un groupe distinct d’employés anciens ou méritants. Parmi les clubs existants chez Dupuis Frères, notons, par exemple, l’Ordre des Optimistes Dupuis (ODOD). Fondé par Albert Dupuis en 1933, l’ODOD recrute ses membres en fonction de leurs aptitudes à la vente[42].

    Cependant, le groupe le plus populaire et dont les membres sont les plus nombreux (car il est ouvert à tous les employés) est sans aucun doute le Club des 25, avec sa filiale le Club des 50, réservé aux employés qui acquièrent respectivement 25 et 50 années d’expérience à l’emploi de Dupuis Frères. Fondé en juin 1944 par Albert Dupuis, le club a pour but de remercier les employés de longue date de leurs loyaux services[43]. Sous la présidence d’Albert et de Raymond, Dupuis Frères tient un banquet bisannuel pour souligner l’entrée dans le club de nouveaux membres. Lors de ces festivités, un parrain ou une marraine[44] préalablement désigné présente le candidat, auquel il ou elle remet un certificat, une montre et, pour les femmes, un bouquet de corsage. Les membres du Club des 25 ont également droit à certains privilèges, notamment celui d’avoir davantage de congés de maladie payés[45] ou encore de voir leur biographie publiée dans Le Duprex, comme c’est le cas pour Mme J.L. Bourassa en avril 1948[46]. Le nombre de membres du club ne cesse de croître au fil des années : au début, en 1944, on en compte une quarantaine (dont environ la moitié sont des femmes); en 1950, il y en a 70 (dont 30 femmes); en 1953, leur nombre s’élève 181 membres et plus tard, en 1965, à 221[47]. Ces statistiques montrent que si elles sont minoritaires parmi ce groupe, les travailleuses en représentent tout de même une proportion considérable. Cette participation laisse deviner que le travail salarié a constitué, pour elles, une part importante de leur vie à une époque où les femmes sont encore liées de près à la domesticité.

    Bien que la vie au sein de l’entreprise soit très animée, les employées pratiquent différents loisirs en dehors du cadre de leur travail dont Le Duprex fait également mention à l’occasion. Ainsi, tout au long de la période étudiée, les chroniqueurs rapportent fréquemment la tenue de soirées de jeux de cartes, une activité facilement accessible aux femmes des classes moins nanties dont sont issues les employées. Des photos envoyées au Duprex montrent aussi que les travailleuses s’adonnent de temps à autre, notamment lors des vacances d’été, à l’équitation ou même à des loisirs typiquement masculins tels la pêche et la chasse[48]. Manifestement, certaines femmes n’hésitent pas à défier les normes traditionnelles de la féminité dans leurs loisirs personnels, sans d’ailleurs que cela ne suscite de commentaires ou de moqueries dans le journal.

    Source : Archives – HEC Montréal, Fonds Dupuis Frères Limitée, P049/W2, 0011, Le Duprex, vol. 10, n° 11, octobre 1940, p. 253.

    Plusieurs employées de Dupuis Frères sont également membres de l’APEM (l’Association Professionnelle des Employées de Magasin), affiliée à la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. Fondée en 1906 sous la supervision d’un prêtre et longtemps dirigée par une certaine Églantine Phaneuf, l’APEM, en plus de procurer des cours aux jeunes Canadiennes-françaises employées dans différents commerces de Montréal, se donne alors pour mission d’améliorer leurs conditions de travail, de les orienter moralement et professionnellement, de les préparer à accomplir leur rôle dans la famille et la société ainsi que finalement, de les divertir[49]. Dans cette optique, l’APEM organise des activités appropriées et variées pour les travailleuses : cours (de diction ou de culture physique par exemple), conférences, goûters, causeries, sorties culturelles, soirées de cartes, etc.

    Yolande Pinard note que l’APEM, également prise en charge par Henriette Dupuis, la femme d’Albert, n’a toutefois jamais vraiment cherché à améliorer les conditions de travail des vendeuses. Elle aspire plutôt à agir comme intermédiaire entre le patron et les employées de manière à éviter les conflits de travail et à leur apprendre à se satisfaire de leur sort[50]. Les cours offerts aux membres de l’association visent d’ailleurs tout autant, sinon plus, à défendre les intérêts des patrons que ceux des travailleuses puisqu’ils cherchent à les rééduquer pour les rendre plus performantes et à créer, à l’avantage des premiers, « une élite de travailleuses »[51]. Les associations de travailleuses liées à la FNSJB sont aussi guidées par le conservatisme de la fédération qui est plutôt réticente au travail féminin et désire « préserver la fonction « première » des femmes en tant que reproductrices »[52]. Toutefois, cela ne signifie pas que les femmes ne puissent en tirer profit : elles peuvent, en y participant, se divertir, acquérir des connaissances professionnelles utiles et s’y faire de nouvelles amies. Selon Pinard, les associations d’employées représentent aussi une alternative aux syndicats qui demeurent encore essentiellement masculins au début du XXe siècle[53]. Quoi qu’il en soit, sans pouvoir savoir si elle est vraiment importante auprès d’une majorité de vendeuses, l’APEM, qui cherche à préserver une forme plus traditionnelle de féminité, est active chez Dupuis, si on se fie au Duprex, au moins jusqu’en 1943[54].

    La participation des employées au Duprex

    En plus des loisirs qui font l’objet de nombreux articles dans Le Duprex, les employées elles-mêmes participent à la rédaction du journal d’entreprise en composant divers articles et en rédigeant des rubriques. Plusieurs femmes qui y écrivent, souvent sous un nom de plume[55], y envoient des chansons et des poèmes qui expriment toutes sortes de sentiments, que ce soit l’attachement à l’entreprise, l’amitié, la fierté face à la victoire sportive, le patriotisme, la vie de vendeuse de grand magasin ou l’amour :

    On aime sans rien faire, oh non! Rien pour cela
    Parce qu’on est passée alors
    Et que cet instant-là vaut bien la vie entière!
    On aime, vois-tu bien, parce qu’il faut aimer
    Mais on ne choisit rien, ni l’heure, ni l’aimé[56].

    Certaines employées se lancent même dans la composition d’œuvres littéraires, notamment des contes ou des feuilletons – romans publiés par tranches et dont le sujet tourne généralement autour d’intrigues amoureuses -, une forme littéraire qui a la cote dans la presse populaire et les magazines féminins de l’époque[57]. C’est ce modèle que suit Angélique, une collaboratrice régulière du Duprex. Durant l’année 1930, elle fait paraître un feuilleton particulièrement évocateur de la vie des vendeuses : il raconte l’histoire fictive de Jeanne, employée de Dupuis qui tombe en amour avec un nouveau collègue, riche héritier d’un grand magasin américain. En plus d’en révéler beaucoup sur l’ambiance qui règne dans les grands magasins, la popularité que le roman a eue auprès des lectrices permet de constater l’attrait que le romantisme et le glamour exercent sur elles. Ce succès montre que pour bon nombre d’employées, le mariage, de préférence à un homme fortuné, représente un sort bien plus enviable que la poursuite d’un emploi plus ou moins bien payé[58]. Par ailleurs, la direction ne s’est sans doute pas plainte de la bonne publicité que Jeanne lui offre lorsqu’elle affirme « qu’il fait bon de travailler dans une maison si sympathique à ses employés »[59].

    Finalement, une autre forme d’expression des travailleuses qui s’incarne dans Le Duprex est l’humour. Partie intégrante de la culture de travail féminine selon plusieurs auteures[60], il permet aux femmes de dédramatiser leur situation, de faire passer plus vite leur journée de travail. Chez Dupuis, plusieurs petites rubriques humoristiques ponctuent les pages du journal d’entreprise avec des blagues, petites histoires ou jeux de mots qui révèlent la capacité des femmes à rire d’elles-mêmes. En août 1928, une blague particulièrement savoureuse en témoigne : « Une dame dit à une autre : « J’espère que vous nous quittez pour une meilleure position. » L’autre répond : « Oh non, madame, je vais me marier! » »[61]. Cet extrait montre aussi que certaines femmes jettent un regard critique sur le mariage, cette institution traditionnelle au cœur même de la féminité; malgré un discours social qui le glorifie et malgré le fait que la majorité y aspire, elles semblent aussi le considérer avec suspicion, sans doute conscientes du fait que s’il peut assurer leur sécurité financière, il n’est pas nécessairement gage de bonheur.

    Par ailleurs, comme cela a déjà été mentionné, les travailleuses prennent aussi énormément part à la production du journal d’entreprise en y envoyant des photos personnelles. À celles déjà évoquées, ajoutons surtout les nombreuses photos de famille, d’enfants, de mariage et même d’animaux domestiques[62]. On peut ainsi constater à quel point la sphère domestique et la famille occupent une place incontournable, même pour les femmes ayant un emploi. En effet, leur identité de travailleuses englobe aussi leur identité d’épouses, mères, sœurs, filles, etc. Elles intègrent ainsi la sphère domestique dans leur culture de travail, par exemple en montrant à leurs collègues des photos des membres de leur famille et en échangeant à ce sujet avec elles.

    Source : Archives – HEC Montréal, Fonds Dupuis Frères Limitée, P049/W2, 0009, Le Duprex,vol. 9, n° 3, mai 1937, p. 46.

    Un autre type de clichés très fréquemment envoyés au Duprex dépeint les souvenirs de vacances des employées. Chaque saison estivale, quelques pages sont accordées à la publication de ces photos révélatrices des loisirs extérieurs féminins. On y apprend que certaines d’entre elles, en plus de travailler côte à côte, passent également leurs semaines de vacances ensemble dans un chalet, dans des pensions ou même en road trip[63]! À ce sujet, Maude-Emmanuelle Lambert avance qu’au début du XXe siècle, les excursions en voiture représentent, pour les femmes qui en font, la modernité, la liberté, l’indépendance ainsi que « l’affirmation de leur ascension sociale »[64]. Si on se fie au Duprex, c’est surtout dans les années 1940 que certaines employées partent ainsi à l’aventure. Il n’en demeure pas moins que cette pratique, symbolisant une certaine émancipation féminine, ne leur est pas étrangère avant cette décennie. On constate également qu’outre celles qui profitent de leur congé d’été dans des endroits traditionnels comme chez des membres de leur famille ou dans une pension, certaines employées voyagent, parfois même assez loin. Certes, la plupart voyagent au Québec, par exemple dans les Laurentides, mais, après la Deuxième Guerre mondiale, on voit apparaître dans Le Duprex certaines photos d’employées qui se rendent aux États-Unis, en Amérique du Sud et même en Europe.

    Conclusion

    Comme il a été possible de le constater, la vie des employées de Dupuis Frères entre 1920 et 1960 est bien remplie. Elles créent des liens avec leurs collègues, participent aux activités organisées par leur employeur, suivent des cours, pratiquent des sports, écrivent dans leur journal d’entreprise, etc. Ces activités sont largement encadrées par des patrons soucieux d’assurer le bon fonctionnement de leur gestion paternaliste; pour bien paraître auprès du public et pour s’assurer de créer des liens solides entre tous les membres de la « grande famille Dupuis », ceux-ci exploitent les loisirs et, de manière plus large, la culture de travail de leurs employées, en leur faisant une large place dans son journal, soulignant la tenue d’un shower dans tel département ou publiant une chanson composée par telle employée. La direction encourage aussi le développement de cette culture de travail féminine en multipliant les événements spéciaux et les activités sociales susceptibles de la consolider.

    L’étude du Duprex révèle toutefois que cette culture de travail féminine, qui repose en grande partie sur une féminité centrée sur la préparation à la vie domestique, le mariage et la maternité, tend également parfois à s’en distancer. Ainsi, si le flirt hétérosexuel, la romance, les showers, les cours de couture ou même les danses et autres activités sociales organisées par la maison et auxquelles les employées participent ne remettent certes pas en question la conception dominante de l’identité féminine, on ne peut en dire autant des sports, de la chasse, des excursions en voiture ou de l’humour. En fait, l’analyse du Duprex laisse voir que la formation d’une famille demeure une préoccupation importante pour les travailleuses comme pour l’entreprise qui cherche à encourager leur association à la sphère domestique. Cependant, cet examen montre aussi que le travail salarié donne aux femmes l’opportunité de multiplier les rencontres et de s’adonner à des loisirs qui dépassent le giron familial. Ainsi, on peut en conclure que les cadres de la féminité « respectable » ont peu à peu été élargis au XXe siècle.

    Références

    [1] Afin d’enrichir le contenu de cet article, j’ai jugé pertinent de reproduire certains extraits tirés de mon mémoire de maîtrise. Benoit Marsan, « Battez-vous, ne vous laissez pas affamer ! » : la lutte des sans-emploi et le Parti communiste du Canada durant la Grande Dépression à Montréal (1930-1935), Mémoire de maîtrise (histoire), Université de Sherbrooke, 2013, 142 p.

    [2] Voir, notamment : Geoffrey Crossick et Serge Jaumain, dir., Cathedrals of Consumption. The European Department Store. 1850-1939, Aldershot, Ashgate, 1999; Michael B. Miller, The Bon Marché. Bourgeois Culture and the Department Store, 1869-1920, Princeton, Princeton University Press, 1994; Joy L. Santink, Timothy Eaton and the Rise of his Department Store, Toronto, University of Toronto Press, 1990; Lorraine O’Donnell, « Le voyage virtuel. Les consommatrices, le monde de l’étranger et Eaton à Montréal, 1880-1980. », RHAF, vol. 58, n° 4 (2005), p. 535-568.

    [3] Susan Porter Benson, Counter Culture: Saleswomen, Managers, and Customer in American Department Stores, 1890-1940, Urbana, University of Illinois Press, 1986.

    [4] Donica Belisle, « Exploring Postwar Consumption: The Campaign to Unionize Eaton’s in Toronto, 1948-1952 », CHR, vol. 86, n° 4 (2005), p. 641-672; « A Labour Force for the Consumer Century: Commodification in Canada’s Largest Department Stores, 1890 to 1940 », Labour/Le Travail, vol. 58 (2006), p. 107-145; « Negotiating Paternalism: Women and Canada’s Largest Department Stores, 1890-1960 », Journal of Women’s History, vol. 19, n° 1 (2007), p. 58-81; Retail Nation: Department Stores and the Making of Modern Canada, Vancouver, UBC Press, 2010.

    [5] John Willis, « Cette manche au syndicat: la grève chez Dupuis Frères en 1952 », Labour/Le Travail, vol. 57 (2006), p. 43-91; Joan Sangster, « Souriez pour les clients: Retail Work, Dupuis Frères, and Union Protest », Transforming Labour. Woman and Work in Post-War Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2010, p. 108-144.

    [6] Mary Catherine Matthews, Working for Family, Nation and God: Paternalism and the Dupuis Frères Department Store, Montreal, 1926-1952, mémoire de maîtrise (histoire), Université McGill, 1997. Josette Dupuis-Leman a elle aussi publié, en 2001, une histoire du magasin, en grande partie basée sur des souvenirs personnels, mais néanmoins très intéressante. Josette Dupuis-Leman, Dupuis frères, le magasin du peuple : plus d’un siècle de fierté québécoise, Montréal, Stanké, 2004. Son père était Albert Dupuis, président du magasin de 1924 à 1945.

    [7] Joan Sangster, Earning Respect: The Lives of Working Women in Small Town Ontario, 1920-1960, Toronto, University of Toronto Press, 1995, p. 83.

    [8] Voir notamment : Leslie Tentler, Wage-earning Women: Industrial Work and Family Life in the United States, 1900-1930, New York, Oxford University Press, 1979; Joan Sangster, « The Softball Solution: Female Workers, Male Managers and the Operation of Paternalism at Westclox, 1923-60  »,  Labour/Le Travail, vol. 32 (1993), p. 167-200; Emmannuelle-Minnie Bouvie, Talons hauts et bas de soie : les téléphonistes de Bell Téléphone à Montréal, 1920-1939, mémoire de maîtrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 2004; Claudine Drolet, Shawiniganaises et travailleuses: les employées de bureau de la Shawinigan Water and Power, 1945-1963, thèse de doctorat (histoire), Université du Québec à Montréal, 2010.

    [9] Kathy Peiss, Cheap Amusements: Working Women and Leisure in Turn-of-the-century New York, Philadelphie, Temple University Press, 1986.

    [10] Patricia Cooper, Once a Cigar Maker: Men, Women, and Work Culture in American Cigar Factories, 1900-1919, Urbana, University of Illinois Press, 1987; Susanne Morton, « The June Bride as the Working-Class Bride: Getting Married in a Halifax Working-Class Neighbourhood in the 1920’s », dans Bettina Bradbury, dir., Canadian Family History, Mississauga, Copp Clark Pitman, 1992, p. 360-379; Vicki Howard, « »At the Curve Exchange »: Postwar Beauty Culture and Working Women at Maidenform », Entreprise and Society, vol. 1, no. 3 (2000), p. 591-618.

    [11] Dupuis-Leman, Dupuis frères, p. 43 à 48.

    [12] Sangster, « Souriez pour les clients », p. 132.

    [13] Daniel Charbonneau, L’émergence d’une artère commerciale la rue Sainte-Catherine de Montréal, 1870-1913, mémoire de maîtrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 2006, p. 152.

    [14] Selon Willis, les femmes représentent en 1930 68% du personnel. En 1952, elles constituent 57% du personnel syndiqué. Voir : John Willis, « Cette manche au syndicat », p. 57-58. Les grands magasins engagent plus de femmes, car elles leur coûtent moins cher. Dans l’entre-deux-guerres, plus de la moitié du personnel des grands magasins canadiens est féminin. Voir : Donica Belisle, Retail Nation, p. 159.

    [15] Par exemple, parmi les femmes qui acquièrent le titre de membre du Club des 25 (voir p. 13), plusieurs se font encore appeler « mademoiselle », malgré leur âge avancé, ce qui signifie qu’elles sont demeurées célibataires. Par ailleurs, selon Belisle, de 1890 à 1940, la plupart des employées de grands magasins ne sont pas mariées. Donica Belisle, Retail Nation, p. 164.

    [16] Archives HEC Montréal, Fonds Dupuis Frères Limitée, P049, Dossier « Études sur l’organisation, les effectifs et les salaires, 1962-1968 », Lettre de F. Tessier à J-P Deslierres, 16 juin 1965. Selon lui, les employées quittent traditionnellement à 22 ans, reviennent à 35 et partent pour de bon autour de 55 ans.

    [17] LD, vol. 9, n° 4, juillet 1937, p. 61. Les femmes sur la photo se sont peut-être rapprochées les unes des autres à la demande du photographe. Toutefois, on peut avancer que celle-ci cherche à projeter l’image d’employées très unies, que ce soit vrai ou non.

    [18] Donica Belisle, Retail Nation, p. 111. Les employés, en retour, offrent des cadeaux à leurs patrons, par exemple une plaque commémorative pour le 70e anniversaire du magasin. À cette occasion, le président Albert Dupuis remercie le personnel au nom de la maison et du sien et accorde une semaine de congé additionnel. AHEC, FDFL-P049, Dossier « Jubilé de progrès, 70e anniversaire : banquet, 1938 ».

    [19] Sharon Strom, Beyond the Typewriter: Gender, Class, and the Origins of Modern American Office Work, 1900-1930, Urbana, University of Illinois Press, 1992, p. 375.

    [20] D’après Strom, la sociabilité est essentiellement homosociale jusqu’en 1930, même en milieu de travail hétérosocial. Voir : Sharon Strom, Beyond the Typewriter, p. 369.

    [21] Denise Girard, Mariage et classes sociales : les Montréalais francophones entre les deux guerres, Sainte-Foy, IQRC, 2000, p. 60.

    [22] En ce sens, il est possible de faire un rapprochement entre le cas de Dupuis et celui des employées de bureau décrites par Kate Boyer. Selon cette auteure, le bureau est un milieu « sexually charged » : le flirt fait partie du travail et les relations qui se développent entre collègues ne sont pas rares. Dans « « Neither Forget Nor Remember Your Sex »: Sexual Politics in the Early Twentieth-Century Canadian Office », Journal of Historical Geography, vol. 29, n° 2 (2003), p. 220.

    [23] Les fiançailles ne sont sans doute pas toutes rapportées dans Le Duprex; il y en a probablement plus que cela au cours de la période.

    [24] LD, vol. 10, n° 6, octobre 1939, p. 122.

    [25] Cela semble être particulièrement le cas durant la présidence d’Albert qui constitue un « âge d’or » des relations entre Dupuis et ses employés ainsi que de la vie sociale au magasin. Albert paraît beaucoup plus apprécié du personnel que son successeur, son fils Raymond.

    [26] L’AAAD est fondée en 1927. AHEC, FDFL-P049, Dossier « Certificat de reconnaissance syndicale, 1944-1963 », Anecdotes du syndicat depuis sa fondation, 8 novembre 1944.

    [27] Certains événements semblent toutefois exclusivement réservés au personnel masculin, comme en témoignent des photos prises lors de la fête aux huîtres organisée pour l’anniversaire de naissance d’A.J. Dugal, où on aperçoit seulement des hommes. LD, vol. 8, n° 12, 23 novembre 1936, p. 168.

    [28] La musique et la danse semblent aussi importantes dans la culture de travail des employées de Dominion Corset et de la Shawinigan Water and Power. Voir : Jean Du Berger et Jacques Mathieu, Les ouvrières de Dominion Corset à Québec, 1886-1988, Sainte-Foy, PUL, 1993, p. 119; Claudine Drolet, « Shawiniganaises et travailleuses », p. 67-68.

    [29] Il est possible de se questionner par rapport à la participation des employés à ces activités, car il s’avère difficile d’en dresser un portrait exact pour l’ensemble de la période à l’étude. Au début, les soirées semblent être courues : LD signale souvent la présence de plusieurs centaines d’employés et mentionne le tirage de prix de présence, ce qui incite probablement des gens à s’y présenter. En plus, le fait que le nombre de places soit parfois limité peut fausser les données : peut-être que certains ont été refusés, faute de place. Quoi qu’il en soit, à partir de la fin des années 1940, la participation aux activités en général semble graduellement s’estomper en même temps que le climat de travail se détériore.

    [30] LD, vol. 14, n° 3, avril 1950, p. 81.

    [31] Selon Yvan Lamonde et Raymond Montpetit, les parcs d’amusement, ouverts pour toute la famille, accueillaient aussi fréquemment des fêtes professionnelles. Voir : Yvan Lamonde et Raymond Montpetit, Le parc Sohmer de Montréal, 1889-1919, Québec, IQRC, 1986, p. 182.

    [32] LD, vol. 9, n°11, juin 1938, p. 228; LD, vol. 14, n° 12, octobre 1953, p. 308; LD, vol. 16, n° 7, avril 1958, p. 118; LD, vol. 11, n° 7, février 1942, p. 172.

    [33] On fait souvent mention, tout au long de la période à l’étude, des cours de couture, mais pour ce qui est des autres cours, nous n’avons pu trouver d’information montrant ou même estimant le nombre de femmes qui s’y inscrivaient.

    [34] Inauguré en 1921, le comptoir postal est une entité distincte du magasin située dans le quartier Saint-Henri. Il embauche un nombre important d’employées de bureau qui travaillent surtout à la réception, la gestion et l’envoi de commandes postales et téléphoniques.

    [35] Voir par exemple : LD, vol. 13, n° 5, septembre 1947, p. 196.

    [36] Un document de 1968 rapporte l’organisation de cours de décoration intérieure et d’habillement. Il serait plausible que de telles activités aient également été offertes auparavant, c’est-à-dire avant 1960. AHEC, FDFL-P049, Dossier « Club culturel et social Dupuis-Sogena: communications, 1967-69 », Avis à tout le personnel de la part de J-G Judd, représentant pour le club, octobre 1968.

    [37] Joan Sangster, « « Queen of the Picket Line »: Beauty Contests in the Post-World War II Canadian Labor Movement, 1945-1970 », Labor: Studies in Working Class History of the Americas, vol. 5, no. 4 (2008), p. 83-106.

    [38] Le but de l’AAAD, dont le slogan est « S’amuse bien qui s’amuse chez Dupuis », est de « donne[r l’] occasion de s’amuser gaiement et sainement. » AHEC, FDFL-P049, Dossier « Spicilège, 1946-1955 », Soirée récréative annuelle de l’AAAD au chalet de la montagne, 24 mai 1947.

    [39] Au moins entre 1947 et 1960.

    [40] Voir, par exemple, LD, vol. 10, n° 4, mai 1939, p. 79. L’équipe dont il est question dans cet article est composée de femmes du magasin et du comptoir postal, ce qui montre que malgré l’éloignement des deux bâtiments, il arrive que les employées des deux sections de l’entreprise se mêlent.

    [41] Selon Élise Detellier, la participation des Québécoises francophones aux activités sportives (surtout les sports d’équipe) a longtemps été ralentie par un discours social, très présent jusqu’aux années 1950, voulant que celles-ci menacent leurs capacités reproductrices, au cœur même de leur féminité. Voir : Élise Detellier, « « Bonifier le capital humain »: le genre dans le discours médical et religieux sur les sports au Québec, 1920-1950 », RHAF, vol. 62, n° 3-4 (2009), p. 492-293.

    [42] LD, vol. 7, n° 7, mars 1934, p. 106 à 108. Même si, selon une photo parue dans Le Duprex de juin 1938 (vol. 9, n° 11, p. 243), plusieurs femmes sont membres de ce club, selon la liste des promotions de l’ODOD parue dans Le Duprex de septembre 1937 (vol. 9, n° 5, p. 79), peu d’entre elles y obtiennent des postes honorifiques. Sur cette liste de promotions, 33 noms sont inscrits, dont 12 noms de femmes. Aucune d’entre elles n’est promue « grand maître », tandis que plusieurs hommes le sont.

    [43] AHEC, FDFL-P049, Dossier « Club des 25, 1944-1967 », Club des 25: 4e dîner donné aux membres par la maison DFL, 3 juin 1946.

    [44] Dans les premières années, on remarque que les nouvelles membres ont toujours une marraine, tandis que les nouveaux membres ont quant à eux un parrain, ce qui reflète sans doute la division sexuelle présente sur les lieux de travail.

    [45] Notons que ce ne sont pas tous les employés, ni même tous les membres du Club des 25, qui ont droit à une pension de retraite. De plus, 50% des membres du club sont des chefs de rayon. Dès lors, on peut supposer que beaucoup de ceux qui restent longtemps à l’emploi de Dupuis Frères le font parce qu’ils y ont une meilleure position. Voir : AHEC, FDFL-P049, Dossier « Club des 25, 1944-1967 », Lettre d’Eugène Poitras à Raymond Dupuis, trésorier, 23 mars 1945.

    [46] LD, vol. 13, n° 7, avril 1948, p. 253. Dans les dernières années de parution du Duprex, on voit apparaître une rubrique, écrite par Cécile Tessier, dédiée aux biographies des nouveaux membres du club.

    [47] On demeure membre du club même après sa retraite, de sorte qu’en 1965, sur les 221 membres, seulement un peu plus d’une centaine sont encore au travail. AHEC, FDFL-P049, Dossier « Club des 25… », DF fête onze de ses employés, 24 novembre 1965.

    [48] Maude-Emmanuelle Lambert, « Québécoises et Ontariennes en voiture ! L’expérience culturelle et spatiale de l’automobile au féminin (1910-1945) », RHAF, vol. 63, n° 2-3 (2009-2010), p. 327.

    [49] LD, vol. 3, n° 6, mars 1929, p. 8.

    [50] De plus, selon Pinard, « les associations répudient tout recours éventuel à la grève comme moyen d’action ». La FNSJB privilégie plutôt la formule de la collaboration entre les patrons et les employées. Voir : Yolande Pinard, Le féminisme à Montréal au commencement du XXe siècle (1893-1920), mémoire de maîtrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 1976. p. 206-207.

    [51] Ibid., p. 204 et 208. Le conservatisme de la FNSJB pousse les associations à offrir beaucoup de cours d’instruction ménagère.

    [52] Ibid., p. 203.

    [53] Ibid.

    [54] L’APEM paraît sur le déclin chez DF dès les années 1930, car de moins en moins d’articles du Duprex en parlent. Selon Pinard, dès 1918, l’APEM connaît une baisse de ses effectifs, avant de se réorganiser en 1926. Elle n’indique pas jusqu’à quand l’APEM a été active. On peut penser que son idéologie conservatrice a nui, au fil des années, au recrutement de nouveaux membres; c’est du moins ce que suggère Sangster. Voir : Joan Sangster, « Souriez pour les clients », p. 120.

    [55] Selon Line Gosselin, l’usage de pseudonymes est pratique courante chez les journalistes québécoises de 1880 à 1930. Qui plus est, les noms de plume des francophones se limitent souvent à un prénom féminin. Non seulement cette identité fictive leur procure une certaine liberté, mais celle-ci montre leur désir d’instaurer des rapports plus intimes avec leur lectorat. Voir : Line Gosselin, Les journalistes québécoises, 1880-1930, Collection RCHTQ, Études et documents n° 7, 1995, p. 101 à 103. Les collaboratrices du Duprex ont sans doute voulu imiter cette pratique observée dans la presse populaire.

    [56] LD, vol. 8, n° 6, mars-avril 1936, p. 87.

    [57] Selon John Dickinson et Brian Young, les feuilletons constituent une forme importante de littérature populaire et un attrait majeur auprès du lectorat de la plupart des journaux. On en publie dans divers quotidiens même après 1945. Voir : John Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, Sillery, Septentrion, 2003, p. 264.

    [58] Dans les mois qui suivent le dernier chapitre du feuilleton, beaucoup de lettres sont envoyées au Duprex par des femmes voulant féliciter Angélique.

    [59] Angélique dépeint effectivement de façon idyllique la vie des vendeuses chez Dupuis Frères : a-t-elle reçu des commandes ou directives de la part de ses patrons? Faisait-elle elle-même partie de la direction? Dans la mesure où elle reste anonyme, il est difficile de le savoir. LD, vol. 4, n° 8, mai 1930, p. 104.

    [60] Voir notamment : Claudine Drolet, « Shawiniganaises et travailleuses », p. 151.

    [61] LD, vol. 2, n° 11, août 1928, p. 6. Une autre blague intéressante se trouve dans Le Duprex d’avril 1927 : « Q : Que font toutes les jeunes filles chez Dupuis? R : Elles vieillissent ». LD, vol. 1, n° 7, avril 1927, p. 5.

    [62] LD, vol. 9, n° 3, mai 1937, p. 46.

    [63] LD, vol. 14, n° 1, septembre 1949, p. 37.

    [64] Selon l’auteure, le symbole de la femme automobiliste semble être d’autant plus fort que la voiture, au tournant du 20e siècle, est intimement liée à « une nouvelle conception de la masculinité ». Voir : Maude-Emmanuelle Lambert, « Québécoises et Ontariennes », p. 322.