Les trouvères lorrains : acteurs d’une identité régionale au cœur de la Lotharingie. Étude des réseaux géographiques, politiques et littéraires dans les jeux-partis lorrains

MÉLANIE LÉVÊQUE
Université de Paris IV (Sorbonne)

Résumé : Les jeux-partis, poèmes courtois très en vogue au XIIIe siècle, sont essentiels pour l’histoire littéraire car ils renferment les noms de nombreux poètes ou de ceux qui les protégeaient. Le texte retrouve son sens étymologique en tissant, par le biais de l’onomastique, des réseaux géographiques, politiques et littéraires. La poésie devient un espace de communication qui favorise les relations politiques et littéraires qui ont notamment influencé les trouvères lorrains.

Dans un royaume de l’entre-deux comme la Lotharingie et, a fortiori, au cœur de ce royaume, dans une région telle que la Lorraine, qui regarde tantôt en direction du royaume de France, tantôt vers le Saint-Empire germanique, les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant dans la construction de l’identité régionale.

Ces réseaux sont-ils pour autant le reflet d’un sentiment d’appartenance à une région ? Plus généralement, la littérature lorraine construit-elle consciemment une identité qui lui est propre ou bien s’agit-il d’un concept imposé par notre vision moderne ? Nous chercherons à savoir si, dans le domaine littéraire, cette situation géographique et politique complexe a joué un rôle fédérateur ou au contraire annihilé toute identité régionale.

Mots clés : Moyen Âge, Jeu-parti, Trouvère, Lorraine, Région, Identité, Réseaux, Politique 

 

Table des matières
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    Les jeux-partis[1] sont essentiels pour l’histoire littéraire car ils renferment les noms de nombreux poètes ou de ceux qui les protégeaient et que « ces partenaires sont toujours, semble-t-il, des personnages réels[2] ». Le texte retrouve son sens étymologique en tissant, par le biais de l’onomastique, des réseaux géographiques, politiques et littéraires. Cette poésie courtoise particulièrement appréciée au XIIIe siècle devient un espace de communication favorisant les relations politiques et littéraires qui ont influencé les trouvères, poètes du nord de la France, apparus vers 1150, qui furent les « émules en langue d’oïl des troubadours de langue d’oc[3] » vivant dans le Sud.

    Dans un royaume de l’entre-deux comme la Lotharingie[4] (espace géographique médian situé entre la Meuse et le Rhin et partagé entre langues allemande et française) et, a fortiori, au cœur de ce royaume, dans une région telle que la Lorraine qui regarde tantôt en direction du royaume de France, tantôt vers le Saint-Empire germanique, les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant dans la construction de l’identité régionale.

    L’histoire de la Lotharingie témoigne en effet d’une absence d’unité ethnique et linguistique. Avec le redécoupage de l’Empire carolingien à Verdun en 843 est créée la Francie médiane à laquelle on donnera le nom de Lotharingie après la mort de son souverain Lothaire II en 869, et plus précisément lors du traité de Meersen (ville située près de Maastricht), en 870, qui partage le royaume du défunt entre les deux oncles de ce dernier, Charles le Chauve, qui obtient la Lotharingie occidentale (avec Toul et Verdun) et Louis le Germanique, à qui revient la Lotharingie orientale (avec Metz et Thionville). On parle alors des Lotharienses, c’est-à-dire des « gens de Lothaire », comme on parlait du regnum Lothariense (« royaume de Lothaire »)[5]. Par la suite, « le mot Lotharingia subit des transformations ; il devient en particulier Loheraigne, puis Lorraine[6] ».

    Les duchés de Haute et Basse-Lotharingie ont été créés en 959. La Basse-Lotharingie correspond à la partie de la Lotharingie qui se trouve au nord de la Chiers, c’est-à-dire, globalement, à l’actuel Benelux. Avec le temps, elle sera appelée duché de Lothier. La Haute-Lotharingie, partie méridionale du royaume et ancêtre de la Lorraine actuelle, comprend les Ardennes, la haute vallée de la Meuse et la vallée de la Moselle et correspond à la province ecclésiastique de Trèves[7]. Aujourd’hui encore, la Lorraine couvre les quatre départements français que sont la Meuse, la Moselle, la Meurthe-et-Moselle et les Vosges[8].

    Nous chercherons à savoir si, dans le domaine littéraire, la situation géographique et politique complexe de cette région a joué un rôle fédérateur ou au contraire annihilé toute identité régionale. Les réseaux sociaux mis en œuvre à travers l’onomastique dans les jeux-partis lorrains sont-ils le reflet d’un sentiment d’appartenance à une région ? Plus généralement, la littérature lorraine construit-elle consciemment une identité qui lui est propre ou bien s’agit-il d’un concept imposé par notre vision moderne ?

    Pour cette étude, nous nous appuierons sur la sélection réalisée par Jacques Kooijman à partir du chansonnier n°308 de la Bibliothèque bodléienne d’Oxford[9]. Monsieur Kooijman propose une édition bilingue des jeux-partis lorrains, constituant par là-même « une Lorraine avant l’heure[10] », puisque cette région était encore terre d’Empire. Cet ouvrage sans précédent, analogue à celui que Prosper Tarbé avait consacré aux trouvères champenois[11], regroupe les textes dont les personnages et les lieux mentionnés étaient lorrains.

    Toutes les personnes identifiées dans les jeux-partis lorrains ont vécu entre 1280 et 1320. Le jeu-parti est en effet un genre qui connut un franc succès dans les concours de poésie (les Puys) que de nombreuses villes organisèrent dès le XIIIe siècle. Au-delà des duchés et des terres indépendantes, nous constatons que les noms de la vie courtoise des pays barrois et verdunois se retrouvent ensemble dans nos poèmes lorrains pour improviser des débats de casuistique amoureuse.

    Les ouvrages ou articles critiques touchant aux jeux-partis se sont surtout penchés sur l’identification formelle des partenaires des jeux-partis. Beaucoup évoquent certains de ces partenaires au détour d’une analyse plus globale. Quelques-uns, comme Fritz Lubinski[12], Maurice Delbouille[13] et Pierre Marot[14], offrent une étude plus systématique. Force est de constater que quelques partenaires ou juges ne sont pas identifiables. C’est par exemple le cas de « Lorete[15] », de « Cardons[16] » ou de « Jehans d’Archis[17] ». À l’instar de Pierre Marot, nous laisserons volontairement de côté les personnages désignés par le simple prénom et dont l’identification semble par conséquent hasardeuse, voire impossible. Après un nouvel examen de ces recherches, nous tenterons de relier entre elles ces identifications afin de faire apparaître les réseaux sociaux qu’elles génèrent et de montrer dans quelle mesure ces réseaux participent à l’élaboration d’une identité lorraine.

    L’idée de réseau comme facteur d’identité est légitime dans la société médiévale car, au Moyen Âge, un individu tire son identité des traits qu’il partage avec les membres du groupe auquel il appartient, contrairement à l’époque moderne où l’identité de l’individu se construit plutôt en se distinguant de celle des autres et où émerge la notion d’identité individuelle. La constitution d’une identité collective au Moyen Âge prend alors tout son sens, puisque l’unité du groupe, aussi bien que l’appartenance à un groupe, reposent sur le caractère de ce qui est identique. La société médiévale se considère elle-même comme une unité construite autour de l’identité chrétienne, sur le modèle d’un corps unique décliné en membres distincts : c’est la societas christiana grégorienne. Or, la situation géopolitique médiane de la Lorraine donne une dimension interactionniste à la notion d’identité : en Lorraine plus encore qu’ailleurs, l’identité est ce qui permet à l’individu de se situer par rapport à un groupe ; elle se construit entre similitude et différence, souvent à travers le regard de l’Autre, de l’étranger.

    Dans les jeux-partis se créent des réseaux de relations superposés. Nous distinguons tout d’abord le premier degré du réseau social : le réseau géographique. Celui-ci s’établit à partir de l’origine et du lieu de vie des personnages cités dans les jeux-partis. Il atteste l’origine lorraine des manuscrits mais ne permet que de circonscrire le cadre géographique dans lequel se déroulent les jeux-partis lorrains. L’appartenance à une même région sans autre forme de relations constitue en quelque sorte le « degré zéro » du réseau social. La réalité féodale donne corps à un second réseau. Il s’agit du réseau politique car l’identité régionale vient aussi de l’expression de la reconnaissance de l’autorité à laquelle on est soumis. Le poète, comme tout bon vassal, est dépendant d’un ou plusieurs seigneurs. Le pouvoir politique étant affaire d’hérédité, les liens politiques se mêlent aux liens de parenté, indéfectibles et indéniables. Il faudrait toutefois partir du principe que les référents des noms de personnes présents dans nos poèmes sont clairement identifiés, ce qui n’est pas toujours le cas. Enfin, cette multitude de réseaux fait apparaître le plus significatif de tous : le réseau littéraire dans lequel évoluent nos trouvères et qui semble faire de la Lorraine une province littéraire.

    Premier degré du réseau social : le réseau géographique, établi à partir de l’origine et du lieu de vie des personnages cités dans les jeux-partis

    L’idée d’un réseau géographique pose la question d’un sentiment d’appartenance à une même région : la Lorraine. Elle trouve donc sa place dans la problématique de l’identité. Les notions de réseau et d’identité géographiques sont toutefois problématiques car elles fluctuent au rythme de la mobilité physique des individus qui se développe au Moyen Âge. L’identité collective, normalement liée à une région, se change alors en identité individuelle selon l’origine et les différents déplacements d’un individu au cours de son existence. La notion d’identité géographique est donc objectivement mobile. Voilà pourquoi nous devons être attentifs à une identité géographique plus subjective : celle formulée par nos jeux-partis.

    Tous les personnages des unica des jeux-partis d’Oxford qui ont pu être identifiés appartiennent à l’est de la France. La quasi-totalité de ces personnages réside ou est originaire des duchés de Bar (pour la plupart) et de Lorraine. Seuls Jean de Chison[18], originaire du Nord, Roland de Reims[19] et Gautier de Formezèle[20], originaire d’une petite localité près d’Ypres (en région Flamande) font exception. Cette appartenance à une même région crée un réseau géographique. Ces personnages vivaient à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe.

    Le lien établi entre certains de nos personnages est ténu dans la mesure où l’identité lorraine ne prendrait corps qu’à travers la proximité géographique, l’appartenance à une même région. C’est le cas pour « Jaikes de Billi[21] », « Raous de Mercis[22] » et « Gillet d’Avocort[23] ».

    Maurice Delbouille précise que Jacques de Billy « était sans doute originaire de Billy sous-Mangienne, dans la Meuse (canton de Spincourt, arrondissement de Commercy)[24] ». Ce personnage est isolé par rapport à l’ensemble des réseaux familiaux qui se font jour dans les jeux-partis. En effet, ce nom, que l’on retrouve à plusieurs reprises dans les jeux-partis, n’est pas clairement identifié. Il n’appartient pas à la branche de la puissante famille barroise de Billy[25] (encore mal connue). Pierre Marot pense qu’il s’agit d’une localité lorraine (car c’est l’origine prouvée de la plupart des jeux-partis) plutôt que d’autres villages du nord de la France[26]. Ainsi Jacques de Billy trouve-t-il sa place dans nos textes grâce à son origine géographique : la Lorraine. Une première étape de l’identité lorraine se forme à travers ce réseau géographique régional.

    À l’instar de Jacques de Billy, Raous de Mercis n’est lié aux autres personnages des jeux-partis que par son origine géographique : Mercy se trouve dans l’arrondissement de Briey, dans le canton d’Audun-le-Roman. Cette localité fait partie du département actuel de Meurthe-et-Moselle. Raoul appartenait peut-être à la famille très puissante de Mercy, mais cette lignée reste mal établie[27].

    Enfin, Gillet d’Avocort trouve lui aussi une place légitime dans le cadre géographique esquissé par les jeux-partis dans la mesure où Avocourt est une commune de la Meuse. Ce personnage ne prend part à aucun réseau familial ou littéraire[28].

    Les autres personnages rejoignent le cercle lorrain tout en participant chacun d’un ou plusieurs autres réseaux (familial, politique ou littéraire) que nous étudierons successivement suivant leurs spécificités.

    Le réseau géographique régional pose donc les fondations de la société des jeux-partis ; il s’agit d’une communauté presque exclusivement lorraine. Ceci n’est pourtant que le premier échelon d’un réseau plus déterminant pour l’identité lorraine : le réseau politique.

    Une réalité féodale qui fédère la Lorraine et les régions environnantes autour de réseaux familiaux et politiques

    Si le réseau géographique offre un point de vue plutôt neutre et descriptif de la société lorraine, le réseau politique est au contraire le fruit d’une volonté et d’une action proprement humaines qui façonnent l’identité régionale lorraine. Ce réseau d’alliances politiques s’établit sur les liens du sang.  Au XIIIe siècle, les « maisons » se partagent le pouvoir féodal, régissant la politique territoriale de la Lorraine. Ce pouvoir est étroitement lié à la notion de lignage. Quelques familles influentes, du point de vue ducal et comtal, gouvernent la région et nos trouvères rendent compte de ces réseaux en nommant quelques membres de ces illustres familles. La fréquence à laquelle apparaissent ces noms dans nos textes semble, du reste, proportionnelle à leur importance.

    Un premier réseau politique se tisse autour du personnage de la « comtesse de Linaige[29] »qui vit en Moselle, au cœur du duché de Lorraine, et en quiPierre Marot reconnaît Jeanne d’Apremont[30], sœur de Joffroi, Thomas et Mahaut, épouse de Ferri de Linange (Ferri IV, mort en 1316). La famille de Linange appartient à la branche de la famille allemande de Leiningen ayant eu des possessions en Lorraine. Elle possède notamment le comté de Dabo (qui équivaut à la Moselle actuelle) depuis 1225 et la seigneurie de Réchicourt-le-Château. Ces terres appartenaient au Saint-Empire germanique mais étaient enclavées dans le duché de Lorraine dont elles étaient indépendantes.

    Linange est la forme francisée de Leiningen qui représente le Palatinat[31]. La famille de Leiningen est également présente dans le Tournoi de Chauvency. Jacques Bretel parle de «Admes de Lunenge et Ferci[32]». Il s’agit de Emich et Friedrich von Leiningen (« Ferri de Linange »), invités de marque du comte de Chiny à Chauvency-le-Château. Dans la première moitié du siècle, les biens de la maison de Leiningen avaient été partagés entre Ferri III et Emich IV[33], tous deux fils de Ferri II. Emich IV mourut en 1280-81 ; son fils Emich prit sa succession. Ferri III, âgé en 1285, laissera sa place dans le texte au personnage de Ferri IV, qui succédera à son père avant 1282 et qui recueillera l’héritage de son cousin Emich (fils d’Emich IV) en 1289. Or, en 1282, Ferri IV épouse Jeanne d’Aspremont.

    Nous observons d’ores et déjà la mise en place de réseaux familiaux puisque plusieurs membres d’une même famille, d’une même lignée, font leur apparition dans le champ littéraire. Ces réseaux peuvent être également qualifiés de politiques, dans la mesure où nos personnages sont de rangs élevés, possèdent des terres et gouvernent par conséquent une partie de la Lorraine ou des régions limitrophes. Or, l’importance de ces réseaux se voit renforcée par la mise en scène, dans différentes œuvres littéraires, de mêmes personnages historiques ou d’une même lignée. Ce phénomène montre que la famille de Linange devait nécessairement jouer un rôle politique important dans le nord et l’est de la France à cette époque, comme le montre sa présence aux tournois. Ces réunions, grandes fêtes de chevalerie, avaient une fonction essentielle en politique et permettaient aux seigneurs de montrer leur richesse et leur puissance.

    Jeanne d’Aspremont n’est toutefois pas nommée dans le Tournoi de Chauvency. Jacques Bretel ne mentionne que Mahaut d’Aspremont[34], femme de Symon de Lalain, également évoqué dans le Tournoi de Compiègne[35] (donné en 1238). Or, les jeux-partis font aussi état d’une certaine « Mahau de Commarsi[36] », « suer » (« sœur ») de la comtesse de Linange. Mahaut d’Aspremont figure dans deux de nos jeux-partis[37], écrits après 1305, avec le titre dame de Commercy. La comtesse de Linange, présentée comme sa sœur par ces jeux, était en effet Jeanne d’Aspremont, mariée en 1282 au comte Ferri IV de Linange, présent lui aussi à Chauvency[38].

    Mahaut d’Aspremont et sa sœur Jeanne ne doivent pas être confondues avec celle que Bretel nomme « madame d’Aspremont[39] ». Cette dame d’Aspremont était la femme de Joffroi, sire d’Aspremont et de Quiévrain et frère de Jeanne et Mahaut d’Aspremont[40]. Il est aussi question du « signor d’Aspremont[41] », qui est appelé plus loin « Joifrois[42] » et qui était le fils de Gobert III d’Aspremont et d’Agnès de Coucy[43].

    Le personnage de Mahaut, contrairement à celui de Jeanne, sa sœur, se trouve donc à la fois dans le Tournoi de Chauvency et dans les jeux-partis lorrains. Il établirait un lien direct entre ces œuvres. Toutefois, comme nous l’avons déjà souligné, l’identification des personnages dans les jeux-partis ne va pas de soi et l’identité de Mahau de Commarsi est loin d’être élucidée de façon ferme et définitive, comme l’explique Pierre Marot[44]. En réalité, on en sait bien peu sur la famille deCommercy. Devenue femme de Simon IV de Commercy (fils de Mahaut de Sarrebrück) dès 1270, Mahaut de Commercy mourut en 1285 et fut enterrée à Rieval, près de Commercy[45]. Le problème d’identification auquel nous sommes confrontés vient de ce que nous n’avons pas la certitude que les différentes Mahaut de Commercy signalées par les critiques aient une comtesse de Linange pour sœur. En outre, les Mahaut évoquées par G. Gröber, F. Lubinski, A. Långfors et P. Marot[46] ont vécu pendant le troisième quart du XIIIe siècle. Elles appartiennent donc à des générations antérieures à celle des personnages clairement identifiés dans ces jeux-partis. Maurice Delbouille identifie Jeanne et Mahaut d’Aspremont en retraçant la généalogie de la maison de Linange-Leiningen au cours du XIIIe siècle[47]. Ferri IV, fils de Ferri III et petit-fils de Ferri II, règne sur le comté de 1287 (à la mort de son père) à 1316. Il appartient à la lignée appelée l’Altleininger Linie. Il épouse d’abord Jeanne, fille du comte Simon II de Sponheim-Kreuznach. Toutefois, Maurice Delbouille évoque une seconde femme prénommée Anna ou Johanna[48] qu’il identifie comme étant Jeanne d’Aspremont, sœur de Joffroi, seigneur d’Aspremont (en Lorraine) dès 1282 et encore vivant en 1302. Or, le Tournoi de Chauvency, écrit en 1285 par Jacques Bretel, cite par deux fois une demoiselle « Mahaut d’Aspremont ». Il existe donc une Jeanne d’Aspremont devenue comtesse de Linange en 1282 et une Mahaut d’Aspremont encore demoiselle en octobre 1285, toutes deux sœurs de Joffroi, comte d’Aspremont. Maurice Delbouille a alors prouvé qu’il existait bien une Mahaut, femme de Simon III (appelé Simon IV, selon la tradition), morte en 1285[49], mais que celle-ci n’avait pas appartenu à la famille d’Aspremont. « La dame de Commercy prénommée Mahaut et née d’Aspremont fut la femme de Jean Ier, ce qui concorde pleinement avec les données du Tournoi de Chauvency : Mahaut d’Aspremont, encore demoiselle en 1285, devint par la suite dame de Commercy ; peut-être était-elle dès 1285 fiancée à Jean de Commercy car cette circonstance expliquerait pourquoi Jacques Bretel, aux deux endroits où il parle d’elle, la présente en compagnie d’Agnès de Commercy[50]. » Maurice Delbouille voit en Agnès de Commercy (par ailleurs inconnue) une troisième sœur de Jean Ier.

     La famille de Linange forme donc un premier réseau familial et politique influent en Lorraine.

    La famille de Bar tisse un second réseau permettant d’établir un nouveau lien entre nos différents jeux-partis, et, indirectement, entre nos jeux-partis et l’œuvre de Jean Bretel.

    « Jehan de Bair[51] », qui était certainement un fils du comte de Bar, Thiébaut II[52], apparaît le premier (et à deux reprises) dans les jeux-partis. Seigneur de Puisaye, frère de Thiébaut de Bar et du comte Henri III, il mourut en 1317.  

    Or, quelques vers plus loin, deux jouteurs s’entretiennent. « Thiebaus de Bair, li rois des Allemans[53] » (« le roi des Allemands ») est l’un d’eux. Selon Pierre Marot[54], Thiébaut de Bar était le fils du comte Thiébaut II, plutôt que Thiébaut II lui-même. Il occupa le trône épiscopal de Liège de 1302 à 1312 et mourut en 1312 au cours d’une expédition à Rome.

    La famille de Bar est une famille puissante. Sa présence dans les jeux-partis comporte nécessairement un aspect politique. Il n’est pas surprenant de constater que les deux principaux réseaux familiaux et politiques émanant des jeux-partis lorrains appartiennent aux duchés de Lorraine et de Bar qui ont donné naissance aux familles les plus influentes dans l’histoire de la Haute-Lotharingie. Depuis la création du duché de Haute-Lotharingie en 959 par Brunon de Cologne[55], ces deux familles voisines ont connu de perpétuelles rivalités à la suite desquelles le comté de Bar prit progressivement son indépendance. Le XIIIe siècle, qui voit naître nos jeux-partis, n’est pas épargné par ces conflits. En 1266, le chevalier bourguignon « Estene signor d’Oiseler » (« seigneur Etienne d’Oiselay ») est par exemple témoin d’un traité d’alliance signé entre Ferri, duc de Lorraine, et Henri de Luxembourg contre Thiébaut, comte de Bar[56]. Notre région d’entre Meuse et Moselle était en effet aussi disputée par la Maison comtale de Luxembourg (royale à partir de 1308 et impériale à partir de 1312) et la Maison rivale des comtes de Bar qui représentaient deux forces politiques dominantes aux XIIIe et XIVe siècles[57].

    « Hanris de Bair », « qui cortoisie / Et avoir et chivaillerie / Et amour maintient leaulment » (« qui maintient / Courtoisie et chevalerie, / Amour, toujours loyalement[58] »), est le père de Thiébaut II de Bar[59] et le troisième membre de la famille ducale à faire son apparition dans les jeux-partis. Il tient le rôle de juge (aux côtés de « Gautier[60] ») dans le jeu-parti qui oppose Jean d’Arcis et Cardon.

    Le Tournoi de Chauvency ne mentionne ni Jean, ni Thiébaut, ni Henri de Bar, mais la famille de Bar est présente à travers « la suer au signor des Barrois[61] » (« la sœur du seigneur des Barrois ») dont le mari, Louis V de Looz (comte de Chiny) [62], participe au tournoi qu’il a organisé dans le château de son frère cadet, Gérard de Looz, sire de Chauvency. Selon nous, il s’agit vraisemblablement de Jeanne de Bar, sœur du comte Thiébaut II de Bar et de Marguerite, veuve de Ferry de Blâmont en 1255-56, mère de Henri de Blâmont[63] et tante de Jean de Bar.

    Reflet de la société courtoise de l’époque, les jeux-partis se devaient de faire jouter les comtes de Bar régnant sur une cour riche où la poésie était en vogue.

    « Jehan de Baion[64] » et « Bronekin[65]» formeraient à leur tour un réseau familial, bien que leur lien de parenté reste ténu et incertain. Jean de Bayon est un personnage dont l’identification demeure problématique. Selon M. Fritz Lubinski, il porte le même nom qu’un chroniqueur dominicain de Marmoutier. M. Långfors émet quelques réserves sur ce point, faisant de lui un chroniqueur de l’abbaye Lorraine de Moyenmoutier. Ce dernier aurait été poète ou chroniqueur (ou les deux), comme en témoigne son œuvre Chronicon Medioni Monasterii, dans laquelle il se plaint de son style « peu digne d’une œuvre comme celle de Moyenmoutier[66] ». Pierre Marot propose une nouvelle identification : Jehan de Baion serait un membre de la famille noble de Bayon, « mort avant 1347[67] ». Bayon, localité de l’ancienne Lorraine, a en effet donné son nom à cette famille qui s’éteignit au XIVe siècle[68]. Or, ce noble lorrain est l’un des partenaires[69] de Bronekin, personnage inconnu, parent de Jacques de Bayon[70]. Il est donc vraisemblable que Bronekin et Jehan de Baion soient à la fois parents et interlocuteurs dans le même jeu-parti où ils prennent respectivement la place de jouteur et de juge.

    La famille de Briey tisserait un quatrième réseau familial, extérieur aux jeux-partis, dans la mesure où « Haibrant de Bruies[71] » n’a de lien de parenté avec aucun des personnages de nos jeux. En revanche, le Tournoi de Chauvency fait mention d’un certain « Hanri de Briey[72] » qui attaque le blond de Montigni lors du tournoi (le jeudi). Le frère de ce dernier, «Ourri» de Briey[73], participe également aux joutes.

    Nous rencontrons certaines difficultés quant à l’identification du « signor[74] Haibrant de Bruies ». Selon Pierre Marot, il y eut en effet plusieurs Haibrant de Broies[75] ou Haibrant de Briey du XIIe au XIVe siècle. Ils appartenaient à une famille noble bien connue qui joua un rôle important en Barrois et dont la généalogie a été établie par P.-L. Laîné[76]. Il y a eu au moins trois Habrant de Briey (branche de Landres) : Habrant Ier est le second fils d’Hezon II de Briey qui, cité en 1181, vivait encore en 1200 ; Habrant II est cité dans les textes depuis 1247 et meurt en 1270. Il est le petit-fils d’Habrant Ier. Habrant III, fils d’Habrant II, mourut sans postérité. Le personnage du jeu-parti ne peut donc pas être Habrant Ier. En revanche, l’hésitation est permise entre Habrant II et son fils Habrant III. Les poèmes du manuscrit d’Oxford paraissant tardifs[77], Pierre Marot avance l’hypothèse selon laquelle Habrant III correspondrait au personnage mentionné dans notre jeu-parti. Maurice Delbouille précise à son tour qu’il ne s’agit pas d’« un Haibrant de Broies inconnu », mais bien d’« un Habrant de Briey, probablement le fils de Habrant II (mort en 1270)[78] ». Habrant III semble donc être tout désigné pour remplir le rôle de juge dans notre jeu-parti. Toutefois, Jacques Kooijman traduit « signor Haibrant de Bruies » par « le bon seigneur de Breux, messire Haibrant[79] », sans doute en référence à la tige de Breux qui participe aussi de la généalogie de la famille de Briey. Bruies trouve donc deux explications distinctes et plausibles : Briey et Breux, qui correspondent à deux communes lorraines, la première étant une commune de Meurthe-et-Moselle, et la seconde, une commune de la Meuse. D’autres Habrant apparaissent après Habrant III. Habrant II de Briey a en effet eu trois fils : Habrant III (cité supra), Oury et Henri. Le fils de Oury se prénomme également Habrant. Ce dernier est né en 1279 et mort en 1360. Cependant, selon P.-L. Laîné, il porta le nom de Landres et non de Briey. Le prénom d’Habrant fut aussi porté par un descendant d’Henri de Briey, troisième fils d’Habrant II de Briey, tige de la branche de Breux[80]. Cet Habrant porta le nom de Breux et non de Briey. Ainsi la traduction de Jacques Kooijman laisse-t-elle planer le doute sur une identification de Habrant de Bruies avec ce dernier descendant. Il nous semble toutefois peu probable que cette identification soit pertinente dans la mesure où ce descendant arriverait trop tard dans la généalogie des Briey par rapport à la date du manuscrit d’Oxford.

    La dimension politique de ce réseau familial s’enrichit du lien de vassalité qui unit Henri et Oury de Briey au comte de Bar. Henri rend hommage au comte dès 1271 et son frère, Oury (seigneur de Landres), dès 1275[81].

    Quatre réseaux, à la fois familiaux et politiques, se partagent donc la société des jeux-partis : la famille de Linange, parente de celle d’Aspremont et de Commercy, la famille des comtes de Bar, ainsi que les familles nobles de Bayon et de Briey. Ces quatre familles, influentes politiquement et socialement, sont lorraines. Si leur réputation, louée par les trouvères du nord comme Jacques Bretel, excède les frontières régionales, elles n’en demeurent pas moins le symbole fort d’une communauté proprement lorraine.

    Nul doute que les auteurs anonymes de ces jeux-partis ont sillonné les châteaux de ces différents seigneurs à la recherche d’un généreux protecteur à même de leur offrir le confort matériel escompté. Si leurs poèmes n’ont pas écrit l’Histoire, ils contribuent néanmoins à dessiner le visage politique de la Lorraine à cette époque.

    Conséquence directe d’une réalité géographique et politique : la création de cercles littéraires

    Échanges directs entre les poètes ou les partenaires des jeux-partis

    Hors de tout réseau géopolitique, il existe un premier lien strictement littéraire entre les partenaires de nos jeux-partis : le personnage de « Rolan ». Identifié par Pierre Marot comme étant « Rolant de Reims », ce chef d’école, « dont la carrière poétique s’étendit de 1300 à 1320[82] », est cité comme partenaire dans vingt-cinq pièces sur vingt-six des unica d’Oxford[83]. Il joue donc un rôle central et fédérateur dans le milieu des jeux-partis. Nos jeux rassemblent ainsi leurs différents participants autour de cette figure. Cet élément fixe crée le fil directeur de notre réseau littéraire. Gravitant autour de ce personnage, les partenaires des jeux-partis ne cessent de se renouveler, ce qui favorise les rencontres et renvoie l’image d’une société littéraire unie.

    Les liens familiaux présents dans les réseaux politiques jouent aussi un rôle déterminant dans les échanges littéraires. Maurice Delbouille fait par exemple de l’un de nos partenaires « Jehan de Chison » le père du poète Jacques Bretel, auteur du Tournoi de Chauvency[84]. En effet, ce dernier, d’origine picarde, vécut en Lorraine à la fin du XIIIe siècle, ce qui explique sa familiarité avec cette province et sa noblesse. En outre, Charles-Victor Langlois a montré qu’il devait appartenir à la famille du trouvère arrageois Jean Bretel, qui fut le maître du genre des jeux-partis. Le grand-père de Jehan de Chison se prénommait Jacques, et un Jacques Bretel, sans doute frère de Jehan, était chanoine de Notre-Dame d’Arras en 1260. Or, Jehan est mort en 1272 à Arras. Par conséquent, l’auteur du Tournoi de Chauvency était peut-être son fils.

    Les coïncidences s’accumulent si l’on prend en compte cette identité de noms et de prénoms ainsi que le goût de l’écriture commun aux deux hommes. Maurice Delbouille en conclut que Jacques appartenait à la famille des Bretel arrageois. « Lui-même ne figure point dans les jeux-partis lorrains conservés, mais son origine, la mention de Jehan de Chison, la transplantation en Lorraine du genre arrageois des jeux-partis sont autant de faits qui s’accordent pour attester l’existence d’un mouvement qui dut transporter de Picardie vers l’Est, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, une part de la culture littéraire qui s’était épanouie dans le cercle d’Arras, aux environs de 1250[85]. »

    Par conséquent, le réseau formé par les trouvères lorrains naît en partie d’échanges directs entre trouvères d’une même école ou d’une même famille.

    L’entourage des seigneurs : un faisceau de relations propice aux échanges littéraires

    Toutefois, les échanges littéraires lorrains semblent principalement favorisés par le truchement des protecteurs de nos trouvères. C’est en effet par la proximité géographique souvent due à la protection commune d’un seigneur que les liens se créent entre certains de nos trouvères lorrains. Les trouvères et leurs seigneurs se côtoient alors au sein d’une société littéraire plus ou moins fictive formée par les jeux-partis.

    Nous avons vu que le poète Jacques Bretel et les auteurs anonymes de nos jeux-partis fréquentaient les mêmes milieux. Ils connaissaient par exemple la famille de Briey (Habrant, Henri et Ouryde Briey) et la famille de Linange (Jeanne d’Aspremont, Mahaut de Commercy, Ferri IV et Emich de Linange) puisque plusieurs membres de ces familles apparaissent dans nos jeux-partis ou dans le Tournoi de Chauvency, voire dans le Tournoi de Compiègne, parfois dans les trois. Ceci met une fois de plus l’accent sur les liens étroits qui existaient entre les régions du nord et de l’est.

    Outre la fréquentation des mêmes cercles familiaux ou politiques, le lien de vassalité, de protection, qui lie nos trouvères à certains seigneurs, comtes ou ducs influents, favorise également les échanges littéraires. Le trouvère lorrain « Jaiquet de Longuion[86] », auteur des Vœux du Paon (vraisemblablement écrits en 1312) et juge de l’un de nos jeux-partis, ainsi que certains de nos trouvères anonymes ont sans doute bénéficié de la protection commune de Thiébaut de Bar.

    D’une part, dans ses Vœux du Paon, Jacques de Longuyon désigne explicitement Thiébaut de Bar, évêque de Liège, comme son protecteur. Ce dernier était le fils du poète Thiébaut II de Bar (né en 1240 et mort en 1296)[87] et partageait le goût des lettres avec son père. Selon le manuscrit W des Vœux[88], cet ouvrage fut commandé par Thiébaut de Bar, comme le souligne l’épilogue : «Jaques de Langhïon define ci ses dis / Qui fu de Loherainne, .I. moult joieus paÿs, / Qui au conmant Tybaut, qui de Bar fu naÿs, / Rimoia ceste ystoire, qui bele est a devis[89]. » («Jacques de Longuyon, qui était de Lorraine, un pays très accueillant gouverné par Thiébaut, originaire de Bar, conclut ici son propos. Il mit en vers cette histoire qui est belle à raconter. »)

    D’autre part, certains de nos trouvères lorrains anonymes ont chanté les louanges de cet évêque si prompt à se lancer dans l’expédition italienne qui lui coûta la vie. Ce dernier se demande s’il doit « aler a Rome por avoir / L’ampire » (« aller à Rome pour avoir l’empire ») ou rester auprès de la dame « belle et bone et saige » («belle, noble et sage») qui « par amor aimme lou bacheler[90] » (« qui l’aime d’amour »). Il prendra finalement le parti d’aller à Rome car la cause est plus noble.

    Nos trouvères anonymes et Jacques de Longuyon semblent donc s’être mis sous la protection de Thiébaut de Bar.

    De même, le clerc Simon de Marville, chanoine à Metz et auteur des Vœux de l’Epervier, poème écrit en 1313 qui imite les Vœux du Paon, a sans doute bénéficié de la protection du frère de Thiébaut de Bar, Renaud de Bar, évêque de Metz. Les recherches récentes de Georg Wolfram ont en effet confirmé l’identification de Simon de Marville à un clerc proche de Renaud de Bar. Notre clerc était chanoine à Metz mais aussi à Liège et c’est sans doute grâce à la Maison de Bar qu’il connut Jacques de Longuyon[91].

    Le fait que ces différents trouvères se trouvent sous la protection de la famille de Bar explique que la tragédie de l’expédition italienne soit commune à l’un de nos jeux-partis, aux Vœux du Paon et aux Vœux de l’Epervier. L’épilogue des Vœux du Paon raconte que « Tybaus fu mors a Ronme avoec .I. Lembourgis / Qui empereres ert, si ot a non Henris, / De Luxembourc fu quens et chevaliers eslis[92] » (« Thiébaut mourut à Rome aux côtés d’un Limbourgeois qui était empereur, se nommait Henri, comte de Luxembourg, et était un excellent chevalier »). «Thiébaut de Bar avait en effet pour petit-neveu Henri de Luxembourg, l’empereur Henri VII, et l’accompagna dans son expédition en Italie, où tous deux trouvèrent la mort, le premier en 1312 et le second en août 1313[93]. » Enfin, cette campagne italienne est relatée par Simon de Marville lors de l’évocation du banquet de Milan où sont prononcés les Vœux de l’Epervier. Thiébaut de Bar rappelle alors l’intrigue des Vœux du Paon.

    Un patrimoine culturel luxembourgeois et barrois vient ainsi enrichir la littérature lorraine. Par ailleurs, le fait que nos jeux-partis et Les Vœux du Paon se trouvent dans un même manuscrit[94] montre une fois de plus que les différentes œuvres lorraines contribuent à un même fonds littéraire qui semble faire de cette région une province littéraire.

    Ce jeu d’échos entre les poèmes se vérifie également avec un autre frère de Thiébaut de Bar, Jehan de Bair[95], puisque celui-ci joue le rôle de juge aux côtés de Jacques de Longuyon dans l’un de nos jeux-partis et qu’on le retrouve dans les Vœux de l’Epervier. Ces deux juges sont du reste réunis par Jehan de Chison, père du poète Jacques Bretel, dans la mesure où c’est lui qui invite Jacques de Longuyon à jouer le rôle de juge : «_ Je, Jehans de Chison, prier / Voil Jaiquet, come jugeor, / De Longuion, que il jugier / Voille li queilz prant la millor. » «_ Sur ce point, moi, Jean de Cysoing, / Je veux comme juge Jaquet / de Longuyon, afin qu’il veuille / Dire lequel aura raison[96]. » Notre réseau littéraire prend alors de l’ampleur.

    Ainsi Thiébaut de Bar (évêque de Liège et fils du poète Thiébaut II de Bar), le trouvère lorrain Jacques de Longuyon, le clerc Simon de Marville et Jean de Cysoing, identifié comme le père du poète Jacques Bretel, auteur du Tournoi de Chauvency, forment-ils un réseau littéraire qui montre encore une fois les liens culturels et politiques étroits qui existaient entre le nord et l’est de la France et, en particulier, entre Arras et la Lorraine. Rappelons que la période de composition de certains de nos jeux-partis tend à montrer que les unica du manuscrit d’Oxford sont des œuvres tardives[97], postérieures au Tournoi de Chauvency, qui attestent que « le genre du jeu-parti, après son épanouissement à Arras sous Jean Bretel, alla se survivre à lui-même en Lorraine au XIVe siècle[98] ». Nos jeux-partis seraient en quelque sorte la «dernière floraison d’un genre littéraire» très en vogue à Arras une quarantaine d’années plus tôt. Les Lorrains imitèrent tardivement les poètes du Nord[99].

    Les protecteurs, personnages politiques influents, contribuent ainsi à créer des liens plus ou moins forts entre les trouvères, favorisant par là-même un jeu de résonnance entre les textes. L’identité de nos trouvères se construit donc aussi à travers l’expression de la reconnaissance de l’autorité à laquelle ils sont soumis. En effet, si l’individu se définit à travers ses différences avec l’Autre, l’identité est aussi imposée par un ensemble plus vaste dans la société médiévale : l’environnement social. Elle se forme alors dans un rapport d’interaction entre les individus, ou entre les individus et le pouvoir.

    La proximité géographique et textuelle des trouvères semble façonner une identité lorraine, faisant de cette région une province littéraire qui se reconnaît dans certaines « maisons », dans certaines figures politiques autour desquelles elle gravite et qui portent l’image de la Lorraine. Enfin, la complicité textuelle qui lie certains trouvères montre à quel point la Lorraine se nourrit de ses échanges littéraires avec les régions voisines.

    Les trouvères lorrains font donc de leurs jeux-partis un espace de communication où réseaux et influences politiques et littéraires se dévoilent, s’entrecroisent. Géographiquement et politiquement, nos jeux-partis font de la Lorraine une région à part entière qui, malgré les alliances politiques fluctuantes avec le Saint-Empire germanique ou le royaume de France, possède ses propres réseaux politiques et littéraires. La Haute-Lotharingie d’hier, située au cœur de l’ancien royaume de Lothaire II, prend, à travers nos poèmes, le visage de la Lorraine de demain[100], qui deviendra la région française que l’on sait.

    Nos trouvères contribuent ainsi à donner une certaine image de la Lorraine. Paradoxalement, cette région d’entre-deux fait des choix politiques qui la rapprochent du Saint-Empire germanique tandis que nos trouvères se tournent résolument vers le Royaume de France (notamment vers les poètes du Nord et de la Champagne) ainsi que vers des seigneurs tels que les comtes de Bar, étroitement liés à la France. La frontière linguistique qui partage la Lorraine à cette époque a sans doute largement contribué à cette tendance. C’est pourquoi nous aurions tort de ramener la province littéraire chantée par nos trouvères à la Lorraine stricto sensu. Les Maisons de Bar et de Luxembourg ont elles aussi contribué au patrimoine de cette région d’entre Meuse et Moselle, au même titre que les trouvères du nord de la France.

    En faisant jouter différents partenaires autour de débats de casuistique amoureuse, nos jeux-partis mettent nécessairement en exergue la notion de réseau, créant en premier lieu un lien plus ou moins explicite entre nos trouvères et, dans un second temps, un lien entre nos trouvères et leurs protecteurs, seigneurs influents qui occupent le devant de la scène politique lorraine. Cette littérature courtoise fédère une société littéraire, à la fois actrice et spectatrice de ces débats, qui bénéficie sans nul doute d’un facteur déterminant : l’appartenance des partenaires de nos jeux-partis à un même rang social.

    Références

    [1] « Le jeu-parti est un genre poétique apprécié au XIIIe siècle. Chevaliers, clercs, poètes, dames et demoiselles s’interrogent mutuellement en proposant une joute où des « situations », dans lesquelles l’Amour a toujours le premier rôle, seront défendues pro et contra. Des juges sont invités à trancher par les jouteurs eux-mêmes. » Jacques Kooijman, Trouvères lorrains : la poésie courtoise en Lorraine au XIIIe siècle, Nancy, Club du livre lorrain, 1974, p. 29.

    [2] Arthur Långfors, dir., Recueil général des jeux-partis français, tome II, Paris, E. Champion, 1926, p. VII.

    [3] Michel Zink, « Troubadours et trouvères », dans Daniel Poirion, dir., Précis de littérature française du Moyen Âge, Paris, Presses Universitaires de France, 1983, p.133.

    [4] Sur l’histoire de la Lotharingie et les délimitations géographiques de cette région, on consultera l’ouvrage de Michel Parisse, Histoire de la Lorraine, tome 2 : L’époque médiévale : Austrasie, Lotharingie, Lorraine, Metz, Serpenoise ; Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « Encyclopédie illustrée de la Lorraine », 1990, 253 p. Michel Parisse y montre notamment l’évolution historique et géographique de la Lotharingie vers ce qui deviendra la Lorraine. L’article de Michel Margue offre une perspective plus politique de cette évolution : « De la Lotharingie à la Lorraine : les pouvoirs en Lorraine dans la seconde moitié du XIe siècle », dans Georges Bischoff et Benoît-Michel Tock, dir., Léon IX et son temps : actes du colloque international organisé par l’Institut d’histoire médiévale de l’Université Marc Bloch, Strasbourg-Eguisheim, 20-22 juin 2002, Turnhout, Brepols, 2006, p. 471-494.

    [5] Michel Parisse, Encyclopédie illustrée de la Lorraine… ,p. 69.

    [6] Ibid., p. 70.

    [7] Ces délimitations des territoires sont données dans l’ouvrage de Laurent Martino, Histoire chronologique de la Lorraine : des premiers Celtes à nos jours, Nancy, Place Stanislas, 2009, p.41 suiv.

    [8] Michel Parisse, Encyclopédie illustrée de la Lorraine… ,p. 70.

    [9] Georg Steffens, « Die altfranzösische Liederhandschrift der Bodleiana in Oxford, Douce 308 » [Le manuscrit de vieilles chansons françaises bodléiennes à Oxford, Douce 308 ], Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen [Archives pour l’étude des langues et littératures modernes],Braunschweig, Westermann, 1846-1930, voir les no 98 (1897) et 99 (1897).

    [10] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains… , p. 8.

    [11] Prosper Tarbé, dir., Les chansonniers de Champagne aux XIIe et XIIIe siècles, Genève, Slatkine ; Paris, Champion, 1980 (1850), 163 p.

    [12] Fritz Lubinski, « Die Unica der « Jeux-Partis » der Oxforder Liederhandschrift (Douce 308) » [Les unica des « jeux-partis » du manuscrit des vielles chansons d’Oxford (Douce 308)], Romanische Forschungen [Études romanes], Erlangen, Fr. Junge (Junge & Sohn), XXII, 1908, p. 506-598.

    [13] Maurice Delbouille, « À propos des jeux-partis lorrains du chansonnier Douce 308 », Revue belge de philologie et d’histoire, Bruxelles, Société pour le progrès des études philologiques et historiques, 1933, p. 132-140.

    [14] Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires et juges des « unica » des jeux-partis du Chansonnier d’Oxford », tome LXXXVIII, Bibliothèque de l’École des chartes, (s. l., s. n.), 1927, p. 266-274.

    [15] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains… , p.56.

    [16] Ibid., p. 68.

    [17] Ibid.

    [18] Ibid., p. 44. « Jehan de Chison » tient probablement son nom de la ville de Cysoing, comme le souligne Maurice Delbouille. « À propos des jeux-partis… », p. 138. Rappelons que Cysoing se trouve dans le département du Nord (59).

    [19]Ibid,, p.30-55 ;62 ;66 ;70-74. Reims est une commune de la Marne.

    [20] « Gautier », juge de Chardon (ou Cardon) est identifié à « Gautier de Formezèle » (ou « Formeseles ») par Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires…», p. 273 et Holger Petersen Dyggve, Onomastique des trouvères, Helsinki, Imprimerie de la Société de littérature finnoise, 1934, p. 111. Il intervient successivement dans deux jeux-partis. Arthur Långfors, dir., Recueil général des jeux-partis français, p.186 (n°CXLVII, 38) ; p.187(n°CXLVIII, 1). Selon Holger Petersen Dyggve, il s’agit peut-être d’un « Waltherus miles, dominus de Formeseles », qui figure dans les documents entre 1207 et 1236 et qui tire son nom d’une localité près d’Ypres appelée aujourd’hui Voormezele. (Voir introduction du Recueil général des jeux-partis français, Ibid., tome I, p. XXIII). Voormezele est une section de la ville belge d’Ypres située en région flamande dans la province de Flandre-Occidentale.

    [21] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains…, p. 32 ; 40 ; 42.

    [22] Ibid., p. 40.

    [23] Ibid., p. 74.

    [24] Maurice Delbouille, « À propos des jeux-partis lorrains… », p.133.

    [25] Billy-sous-Mangienne, Meuse. Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires…», p. 270.

    [26] Ibid.

    [27] Ibid., p. 270.

    [28] Pierre Marot identifie le Gilles des jeux-partis à Gilles II qui était certes moins connu que Gilles Ier. Ibid., p.269-270. Il existe une biographie de Gilles Ier écrite par Germain de Maidy, « Gilles Ier, Jacques, Conrad et Burnequin d’Avocourt», Bulletin de la Société d’archéologie lorraine, Nancy, 1922, p.178-188. Cependant la biographie de Gilles II promise par le même auteur n’a jamais vu le jour. Il était surnommé « Gillet », comme le juge des jeux-partis. En plus, Gilles II vécut à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe. Il était donc contemporain de nos jeux-partis.

    [29] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains…, p.32.

    [30] Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires…», p.267.

    [31] Sur la famille de Linange, voir Pierre Marot, Ibid.

    [32] Jacques Bretel, Le tournoi de Chauvency, éd. Maurice Delbouille, Liège, Imprimerie H. Vaillant-Carmanne ; Paris, Droz, 1932, v.335. Nous avons choisi l’édition de Maurice Delbouille qui a servi de référence au colloque qui s’est tenu à Metz les 27, 28 février et 1er mars 2007 sur le thème Lettres et musique en Lorraine du XIIIe au XVe siècle autour du Tournoi de Chauvency: http://anneazema.com/colloque/index.html, consulté le 3 février 2012.

    [33] Sur les personnages d’Emich et de Ferri, voir l’introduction de Jacques Bretel, Le tournoi de Chauvency, « Les personnages historiques », p. LXXX et LXXXI.

    [34] Ibid., v.158, 163, 1305.

    [35] Édouard de Barthélémy, Le tournoideCompiègne qui eut lieu en présence du roi Saint-Louis au mois de juin 1238, publié d’après le manuscrit de Valenciennes, Saint-Quentin, Triqueneaux-Devienne, 1873, 35 p.

    [36] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains… , p.32. Commercy est une commune française, située dans le département de la Meuse.

    [37] Ibid., p. 30-32 ; 56-60.

    [38] Le lien entre Jeanne d’Apremont et Mahaut de Commercy est explicité dans l’introduction du Tournoi de Chauvency de Jacques Bretel, p. LXXVII.

    [39] Ibid., v.173, 1011, 1295.

    [40] Ibid., p. LXXVII.

    [41] Ibid., v.340.

    [42] Ibid., v.1578.

    [43] Ibid., p. LXXXII.

    [44] Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires… », p. 268.

    [45] Ibid., p. 267, note 2.

    [46] Maurice Delbouille récapitule les différentes hypothèses au sujet de ce personnage, « À propos des jeux-partis… », p.134.

    [47] Ibid., p. 135.

    [48] Ibid., note n°1.

    [49] Ibid., p. 136-138.

    [50] Ibid., p. 138.

    [51] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains…, p. 38 ; 46. Bair pour Bar est une graphie lorraine.

    [52] Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires… », p. 266.

    [53] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains… , p. 64.

    [54] Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires… », p. 267.

    [55] On consultera sur ce point l’ouvrage de Michel Parisse, Encyclopédie illustrée de la Lorraine…, notamment la partie intitulée « Le duché partagé », p. 77-80, ainsi que « La maison ducale », p. 81-86.

    [56] Jacques Bretel, Introduction au Tournoi de Chauvency, p. LXXXVI.

    [57] Michel Margue, « Les vœux sur les oiseaux : fortune littéraire d’un rite de cour – usages politiques d’un motif littéraire », dans Catherine Gaullier-Bougassas, dir., Les « Vœux du Paon » de Jacques de Longuyon : originalité et rayonnement, Paris, Klincksieck, 2011, p. 255-289.

    [58] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains… , p. 70-71.

    [59] Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires… », p. 273.

    [60] Selon Pierre Marot, il s’agit de Gautier de Formezèle, Ibid.

    [61] Jacques Bretel, Le tournoi de Chauvency, v.866.

    [62] Louis V de Looz vécut de 1268 à 1299 ; sa femme, Jeanne de Bar, mourut après 1295 et le comte Thiébaut de Bar vécut de 1239 à 1294. Ibid., p. LXXV.

    [63] Henri Ier était le fils de Jeanne de Bar et le cousin de Henri III de Luxembourg, fils de Marguerite de Bar. Cousin du duc Ferri III, il était aussi sénéchal de Lorraine. En 1266, il épouse Cunégonde, fille du comte de Leiningen Emich IV et donc beau-frère d’« Admes de Lunenge » (v.335). Il meurt en 1331. Ibid., p. XCIV.

    [64] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains…, p. 48, identifié par Pierre Marot comme « Jean de Bayon ». «Identifications de quelques partenaires… », p. 267.

    [65] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains…, p. 48. Ce « Bronekin » est identifié par Jacques Kooijman comme « Bronequin » de Riste. Ibid., p. 29.

    [66] Dom Calmet, Histoire de Lorraine, tome II, Paris, Palais Royal, coll. « lxiij », 1973.

    [67] La famille de Bayon est issue des ducs de Lorraine à la fin du XIIIe siècle. Sur les identifications successives de Jean de Bayon, voir Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires… », p. 267-268.

    [68] Ibid., p. 268.

    [69] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains…, p. 48-52.

    [70] Ce lien de parenté est identifié à deux reprises dans l’édition du manuscrit d’Oxford (Recueil général des jeux-partis français, tome II, p.242, CLXIV, 15, 29.

    [71] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains…, p. 74.

    [72] Jacques Bretel, Le tournoi de Chauvency, v.343 et 861.

    [73] Ibid., v. 344.

    [74] « seigneur ».

    [75] Selon Pierre Marot, la correction de « Habrant de Bruies [ms.] » en « Habrant de Broies » faite par M. Långfors n’est pas pertinente. « Identifications de quelques partenaires…», p. 269. Étant donné la rareté du prénom Habrant et le fait que les textes nous apprennent l’existence, du XIIe au XIVe siècle, de plusieurs Habrant de Briey, identifier notre « Habrant de Bruies » à l’un de ces Habrant de Briey semble tout à fait approprié.

    [76] Michel de Pierredon, Généalogie de la maison de Briey, nouvelle édition revue et continuée jusqu’à nos jours, Paris, Firmin-Didot, 1911, p. 66 suiv., cité dans Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires…», p. 269.

    [77] Les poèmes de ce manuscrit datent du début du XIVe siècle alors que les jeux-partis furent surtout en vogue au XIIIe siècle.

    [78] Maurice Delbouille, « À propos des jeux-partis… », p. 133.

    [79] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains…, p. 74-75.

    [80] M. Schaudel, Annales de l’institut archéologique de Luxembourg, tome XLI, Arlon, Institut archéologique du Luxembourg, 1906, p.134-139, cité dans Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires…», p. 269, note 2.

    [81] Jacques Bretel, Introduction au Tournoi de Chauvency, p. LXXXIII.

    [82] Hélène Bellon-Méguelle, Du Temple de Mars à la Chambre de Vénus, le beau jeu courtois dans les Vœux du Paon, Paris, H. Champion, 2008, p. 485.

    [83] Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires…», p. 268.

    [84] Maurice Delbouille, « À propos des jeux-partis…», p. 139.

    [85] Ibid.

    [86] S’il existe effectivement une commune de Meurthe-et-Moselle appelée Longuyon, qui appartenait au XIVe siècle au duché de Bar, certains critiques tels que Hélène Bellon-Méguelle (dans sa thèse, Du Temple de Mars à la Chambre de Vénus…, p. 474-488) émettent toutefois l’hypothèse selon laquelle notre poète serait d’origine picarde, eu égard à un passage du Songe du Vieil Pelerin (1386-1388) où Philippe de Mézières parle de l’auteur des Vœux du Paon comme d’un « dicteur de chansons et de virelais qui estoit de la ville d’Avaisne ». Philippe de Mézières, Le Songe du Vieil Pelerin, éd. G. W. Coopland, Cambridge, University Press, 1969, 2 volumes, II, p. 221. Or Avesne est une ville du Nord, non de Lorraine. En outre, le fait que la grande majorité des manuscrits des Vœux du Paon soit picarde contribuerait à l’hypothèse d’un poème d’origine septentrionale. Concernant l’identification même de Jacques de Longuyon, Hèlène Bellon-Méguelle soulève le problème des homonymes : plusieurs pièces judiciaires datant de 1293 sont en effet signées par un certain « Jacomet de Longuion », prévôt d’Etalle (grand-duché de Luxembourg) et de Longuyon. Du Temple de Mars à la Chambre de Vénus…, p. 485.

    [87] Cette identification nous vient de Maurice Delbouille, « À propos des jeux-partis… », p. 133 et de Pierre Marot, « Identifications de quelques partenaires…», p. 267.

    [88] Manuscrit français de la BNF fr. 12565 : John Barbour, The Buik of Alexander, tome II, éd. R.L. Graeme Ritchie, 4 volumes, Edimbourg et Londres, The Scottish Text Society, 1921-1929, p. XIX-LXIX.

    [89] Les premiers vers de l’épilogue nous viennent de l’édition de R.L. Graeme Ritchie, Ibid., p. 441 (v.8769-8772). Dans sa thèse, Hélène Bellon-Méguelle considère toutefois que ces éléments sont sujets à caution. Elle remet notamment en cause l’attribution de l’œuvre à Jacques de Longuyon du fait de la présence de ce nom dans un seul des manuscrits des Vœux (le manuscrit W). Par ailleurs, elle envisage l’hypothèse selon laquelle le copiste de W aurait imaginé la fiction de la commande de Thiébaut de Bar à partir des Vœux de l’Epervier (écrits par Simon de Marville en 1313) et du prologue du Parfait du Paon Jean de Le Mote (écrit en 1340). Sur le débat autour de la datation et de l’attribution des Vœux du Paon, on se réfèrera à la thèse d’Hélène Bellon-Méguelle, Du Temple de Mars à la Chambre de Vénus… , p. 471-488, ainsi qu’à l’article de Michel Margue, « Les vœux sur les oiseaux… ». Sur la question du destinataire des Vœux du Paon, on verra aussi l’article de F. Bonnardot, « À qui Jacques de Longuyon a-t-il dédié le poème des Vœux du Paon ? », Romania, vol. 24(1895), p. 576-581.

    [90] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains… , p.64-68.

    [91] Michel Margue, « Les vœux sur les oiseaux… », p. 276-277.

    [92] Édition de R.L. Graeme Ritchie, The Buik of Alexander, p. 441, v.8773-8775.

    [93] Catherine Gaullier-Bougassas, Les « Vœux du Paon »…, p. 7-32, voir 10.

    [94] Georg Steffens, « Die altfranzösische… ».

    [95] Jacques Kooijman, Trouvères lorrains… , p. 46.

    [96] Ibid., p. 46-47.

    [97] Outre l’intérêt d’établir un réseau familial au sein de la lignée de Linange, l’identification de Jeanne et Mahaut d’Aspremont permettrait de dater les deux jeux-partis dans lesquels ces dames sont appelées à rendre jugement si, comme le prouve Maurice Delbouille, la comtesse de Linange est effectivement Jeanne d’Aspremont et sa sœur, Mahaut (d’Aspremont), la dame de Commercy. En effet, « Jeanne fut comtesse de Linange de 1282 à 1316 (date de la mort de Ferri IV), et Mahaut fut dame de Commercy de 1305 à 1329 ; c’est donc entre 1305 et 1316 qu’il faut placer la composition des deux pièces où elles sont citées avec ces titres ». Maurice Delbouille, « À propos des jeux-partis… », p. 138. Maurice Delbouille précise à ce sujet que, « si l’on accepte que Jeanne ait porté le titre jusqu’à sa mort (date inconnue), il faut alors descendre jusqu’à 1329 comme terminus ante quem ». Cette datation nous amène à effectuer un nouveau rapprochement entre les jeux-partis et le Tournoi de Chauvency.

    [98] Ibid.

    [99] Pierre Marot, «Identifications de quelques partenaires… », p. 271.

    [100] Au XIIe siècle, la Haute-Lotharingie perd le qualificatif de « haute » et se transforme étymologiquement en Lorraine dans les textes. Laurent Martino, Histoire chronologique de la Lorraine, p. 67.