Les sans-emploi et le Parti communiste du Canada pendant la Grande Dépression: un réseau social et politique généralement négligé par l’historiographie

BENOIT MARSAN 
Université de Sherbrooke

Résumé: La Grande Dépression est marquée par l’émergence d’un mouvement pancanadien des sans-emploi, au sein duquel le Parti communiste du Canada (PCC) tient un rôle de premier plan. L’historiographie du mouvement est somme toute restreinte et ses impacts restent encore difficiles à cerner. À ce sujet, les productions historiques canadienne et québécoise divergent dans leurs questionnements et conclusions réciproques, en plus d’évoluer en vase clos à certains égards. Il semble donc pertinent de confronter différents travaux sur les sans-emploi, le PCC et la Grande Dépression au Québec et au Canada afin d’en démêler les différents enjeux et, ainsi, actualiser certaines conclusions discordantes.

Mots clés: Québec, Canada, Communisme, Sans-emploi, Grande Dépression, Mouvements sociaux, Historiographie

 

Table des matières
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    L’actualité politique de 2011 et de 2012 a été marquée par d’importantes mobilisations politiques (les Indignés en Espagne, les « révolutions » du printemps arabe et le mouvement des 99% en Amérique du Nord) qu’on a associées au développement des réseaux sociaux sur Internet. Cependant, bien avant l’avènement du web 2.0, les dépossédés ont créé à travers l’histoire une multitude de réseaux, qu’ils soient sociaux, politiques ou économiques, pour prendre en main leur propre destinée. À travers le XXe siècle, ils ont pris de nombreuses formes: syndicats, partis politiques, conseils ouvriers, associations, coopératives, comités de quartier, etc. Le but de cet article est d’étudier l’un de ces réseaux qui est généralement négligé pas l’historiographie: le mouvement des sans-emploi et le Parti communiste du Canada (PCC) pendant la Grande Dépression des années 1930. L’importance moindre que l’on accorde à cette histoire est reliée à trois principaux facteurs. Premièrement, il existe une certaine tendance en Occident à concevoir les chômeurs comme étant apathiques et victimes des circonstances. Deuxièmement, une certaine historiographie aborde l’histoire des sans-emploi à travers l’intervention ou la non-intervention de l’État, sans situer les sans-travail au cœur de l’action. Finalement, le PCC est vu par certains comme un acteur marginal, car l’on considère strictement son impact à travers ses résultats électoraux et l’importance de ses effectifs, sans considérer son œuvre dans une dynamique de mouvement social et sa contribution à la dynamique de classe de la période.

    La Grande Dépression[1]

    Selon l’historien Ian McKay, la Grande Dépression est un événement-matrice. Dans une telle période, l’hégémonie libérale n’est plus seulement contestée par les « suspects habituels », c’est-à-dire les gauchistes, mais par de larges couches de la population. L’hégémonie est alors remise en question tant au niveau structurel qu’au niveau de la conscience. Ce type d’événement transforme à la fois la perception et la compréhension du vivant, mais aussi le langage du politique[2].

    These events alter, to some degree, the fundamental economic processes of society–the ways in which surplus value is extracted from labour, the family is reproduced and gender/sex roles determined, the state constituted and reconstituted, the nation imagine–and set in motion social and cultural processes of such magnitude that they cannot be assigned to any one particular person or set of persons. They constitute times that rigorously test the quality of the left analysis and activism that preceded them[3].

    Le concept d’événement-matrice permet de lier la confluence d’idées issues du mouvement socialiste au Canada, ici en l’occurrence le discours et la stratégie développés par le PCC à l’égard de la Grande Dépression, et la mobilisation pancanadienne des sans-emploi au cours de la période.

    Pour Gaétan Héroux et Bryan D. Palmer, la Grande Dépression est l’aboutissement de la phase de développement capitaliste qui a court entre 1830 et 1930 au Canada. Pendant un siècle, les crises sont la règle plutôt que l’exception. Dans les années trente, nous assistons à l’émergence d’un mouvement organisé des sans-emploi qui s’oppose à la logique de dépossession inhérente au capitalisme[4]. Selon l’historien John Manley, dans un tel contexte le PCC n’est pas un acteur isolé de la classe ouvrière. Par son action auprès des travailleurs inorganisés et des sans-emploi, il entre en contact et mobilise un large éventail de travailleurs et de travailleuses. Cette interaction entre le mouvement communiste et les travailleurs précaires participe à la plus grande mobilisation de classe en Amérique du Nord depuis les années 1919-1920[5]. C’est en gardant en tête ces éléments de la période que nous voulons aborder ce bilan historiographique.

    Les sans-emploi et la Crise des années 1930

    elon Matthias Reiss et Matt Perry, malgré le nombre croissant de recherches sur les sans-travail en Occident, ces derniers sont encore généralement présentés dans le rôle de victimes ou du moins comme étant apathiques à l’action. Les différents auteurs de Unemployment and Protest: New Perspectives on Two Centuries of Contention, s’attaquent à la conception du chômeur résigné à son sort à travers une approche transnationale de la mobilisation des sans-emploi depuis deux siècles[6].

    […] many of those who were out of paid employment protested against their fate, long before the unemployed were recognized as a distinct social group. This protest was not always politically motivated; nor was it necessarily collective. It was certainly not continous, but then, no protest activities ever are. Nor did all the unemployed, or even just a majority of them, participate, but this, too, mirrors the pattern of political participation in society at large. […] The repertoires and patterns of protest changed over time, as the essays in this book demonstrate, but the notion that the state had to pay attention to the unemployed to preserve social and political stability remains a constant feature of all economic and social crisis from the nineteenth to the twenty-first century[7].

    En ce qui concerne les années 1930 au Québec et au Canada, une partie de la production historique n’échappe pas aux constats que font ces auteurs. Dans Histoire du Québec contemporain, le Québec depuis 1930, le collectif d’historiens affirme que la mobilisation des chômeurs est « un phénomène minoritaire » et que « ce qui frappe surtout, c’est l’absence d’action collective massive de la part des chômeurs »[8]. Bien entendu, cet ouvrage date quelque peu, mais il sert toujours de référence de nos jours… Dans leur Brève histoire socio-économique du Québec, John Dickinson et Brian Young abordent brièvement la Crise et restent silencieux sur les sans-travail[9]. Dans sa synthèse sur l’histoire de Montréal, Paul-André Linteau se limite à la description des effets du chômage sur les classes populaires montréalaises et des maux dont elles sont victimes (problème de logement, manque de ressources financières et problèmes de santé)[10]. Plus récemment, Nadia Attalah procède aussi de la sorte en traitant de l’impact de la Grande Dépression sur les quartiers ouvriers montréalais, mais elle décrit uniquement les conséquences sur les conditions de vie de la classe ouvrière[11]. À la lumière de telles lectures, il est facile de conclure que les chômeurs québécois et montréalais sont apathiques et acceptent leur sort.

    La production historique relative aux secours présente en partie une perspective similaire. Elle décrit la situation difficile des chômeurs et de leurs dépendants et s’accorde sur l’insuffisance des secours, ainsi que leur caractère moralisateur et discrétionnaire. De plus, elle est unanime quant au fait que de telles mesures sont inadéquates pour faire face à l’ampleur de la Crise. Selon nous, le problème tient essentiellement au fait qu’on traite largement des sans-emploi, sans néanmoins les montrer en action. Ici, l’acteur est l’État et ses représentants. Dans les travaux de James Struthers, Terry Copp, Mary Mackinnon ou François Bisson, les sans-travail sont rarement présentés en position de résistance ou de mouvement, mais essentiellement à travers les politiques ou l’absence de politiques de l’État[12]. L’exception quant à l’historiographie des secours est sans aucun doute Suzanne Clavette. Bien qu’elle traite des mesures d’aide et de leur évolution tout au long de la Crise, les sans-travail occupent une place centrale dans son ouvrage. C’est d’ailleurs suite à leur mobilisation que les secours passent « des bons aux chèques »[13]. Abordant entres autres la question des secours, l’ouvrage de Claude Larivière fait cependant bande à part. Son étude est une analyse structurelle de la crise du capitalisme et des mesures de contrôle social employées par les autorités pour encadrer les sans-emploi. Les chômeurs sont néanmoins représentés à travers leurs luttes et leurs formes organisationnelles[14].

    Bien qu’elle ne s’intéresse pas en tant que tel au mouvement des sans-emploi durant la Crise, l’historiographie qui traite des questions de genre et de la famille campe néanmoins les sans-travail et leurs familles au cœur de l’histoire et démontre ainsi leur agencéité. Premièrement, dans Ménagères au temps de la crise, Denyse Baillargeon, à partir de sources orales, décrit et analyse comment les femmes d’origine ouvrière à Montréal sont affectées par la situation économique et sociale et expose les stratégies familiales que ces dernières emploient pour survivre[15]. Concernant l’Ontario, Lara Campbell, dans Respectable Citizens: Gender, Family, and Unemployment in Ontario’s Great Depression, aborde de quelles façons les hommes, femmes et enfants utilisent diverses stratégies de survie pour s’adapter à la réalité économique de la période[16].

    Pour aborder l’histoire des sans-emploi en tant qu’acteur du mouvement social, il faut néanmoins se référer aux études qui portent plus spécifiquement sur leurs luttes. Cette historiographie se divise en deux grandes catégories que nous abordons sans plus tarder.

    Les camps de travail et la Marche sur Ottawa de 1935[17]

    La première catégorie d’ouvrages porte sur la mobilisation des jeunes chômeurs célibataires dans l’Ouest canadien. Sous la forme d’une grande fresque narrative, We Were the Salt of the Earth! de Victor Howard retrace l’itinéraire presque quotidien des  événements, allant de la grève dans les camps de travail à l’émeute de Régina. Il reconstitue cette fresque à partir des témoignages de participants aux événements et d’observateurs de l’époque. Il insiste particulièrement sur l’effet de politisation que la Marche aura sur les participants, notamment par l’activité politique que ces derniers maintiendront après 1935. D’ailleurs, de nombreux marcheurs s’enrôleront par la suite pour défendre la République espagnole[18]. All Hell Can’t Stop Us de Bill Waiser présente les événements qui entourent l’émeute de Régina en se servant principalement des archives judiciaires[19]. Selon nous, l’ouvrage le plus complet est celui de Lorne Brown, La lutte des exclus, un combat à refaire[20]. Cet historien est celui qui s’avance le plus sur les conséquences politiques des événements. Selon lui, elles sont multiples: formation d’une nouvelle génération de militants de gauche au sein des organisations politiques et syndicales, contribution à la défaite du gouvernement Bennett aux élections de 1935 et levier politique pour les réformes de la deuxième moitié des années 1930[21]. Les trois ouvrages attirent aussi l’attention sur la contribution des militants communistes. Par l’entremise du Relief Camp Workers Union (groupe affilié à la Ligue d’Unité Ouvrière, LUO, syndicat relié au PCC) ces derniers se trouvent a être la principale force politique derrière le mouvement. C’est l’élément qui représente pour nous le plus grand intérêt dans cette historiographie. Cette dernière fait un lien direct entre l’action du PCC et la mobilisation des chômeurs.

    Les luttes des sans-emploi urbains

    Quant à elle, la deuxième catégorie porte moins sur un événement spécifique, mais étudie un phénomène plus large. Andrée Lévesque est la première historienne à avoir abordé la lutte des chômeurs urbains au Québec durant cette période dans son livre Virage à gauche interdit, publié en 1984. Bien que l’ouvrage décrive les socialistes et les communistes au Québec ainsi que leurs opposants, l’historienne s’attarde à leur implication dans l’organisation politique des chômeurs à Montréal et au Québec dans les chapitres 2, 3 et 4[22]. Bien qu’elle traite avant tout des actions menées aux Québec, Lévesque les lie avec les campagnes menées au Canada par le PCC et ses organisations de masse. La recension de différents groupes de chômeurs ainsi que leurs activités sont un point de départ incontournable pour l’étude du sujet.

    Bien que peu nombreux, quelques articles ont été publiés au Canada et au Québec depuis. À part l’article de Gordon Hak publié en 1985, il faut attendre les années 1990 pour voir un regain d’intérêt pour le sujet[23]. Les articles portent à la fois sur les luttes des chômeurs urbains et le rôle qu’y joue le PCC à travers la National Unemployed Workers Association (NUWA) et par la suite le National Committee of Unemployed Councils (NCUC), la LUO et la Ligue de Défense Ouvrière (LDO). Tous les auteurs recensent les revendications, les types d’action et les mots d’ordre lancés par les organisations de sans-emploi. Il faut en conclure qu’il s’agit d’un mouvement organisé et concerté qui s’active et se manifeste dans les différentes régions canadiennes. Lorne Brown est le seul auteur qui, sans nier le rôle des communistes, analyse le mouvement des sans-emploi dans son ensemble, au-delà des influences idéologiques et en liant les luttes urbaines et le mouvement dans les camps[24]. Les textes qui traitent plus globalement du phénomène sont sans aucun doute ceux de l’historien britannique John Manley et de Lorne Brown qui décrivent le mouvement dans les différentes villes et régions du pays.

    Par contre, les conclusions que tirent les auteurs sur la portée du mouvement diffèrent. Selon Lévesque, malgré un travail d’arrache-pied auprès des chômeurs, les efforts du PCC ne réussissent pas à se concrétiser par son implantation chez les francophones. Il faut cependant comprendre que la démarche de Lévesque porte avant tout sur le niveau de développement et d’influence du parti au Québec chez les Canadiens français. Elle ne considère pas la classe ouvrière dans son ensemble. Elle n’analyse pas non plus le succès ou l’échec du mouvement des sans-travail. Pour Campeau, il existe un lien direct entre la mobilisation des chômeurs et la tentative du gouvernement Bennett de faire adopter une première loi de l’assurance-chômage en 1935. Les conservateurs veulent ainsi couper l’herbe sous les pieds des communistes et contrer leur influence croissante auprès des sans-travail[25]. En fait, avec sa version canadienne du New Deal, qui ne sera finalement jamais mise en application, le gouvernement Bennett cherche avant tout à calmer la grogne populaire et restaurer la paix sociale[26]. Brown est moins affirmatif sur cette question, mais il reconnaît que l’interaction des groupes de sans-emploi avec d’autres acteurs du mouvement social canadien influencera éventuellement l’adoption de la Loi de l’assurance-chômage en 1940[27]. Cependant, selon lui, le mouvement contribue fortement à l’abolition des camps de travail; au retrait de l’article 98 du Code criminel; à la création de solidarités entre les chômeurs de différentes origines ethniques; à la croissance de l’effectif et de l’influence du PCC vers la fin des années 1930 et le début des années 1940; à la participation importante des militants du mouvement des chômeurs au Bataillon MacKenzie-Papineau ainsi que l’apport d’organisateurs expérimentés dans la mise sur pied du Congress of industrial Organizations (CIO)[28]. Finalement, Manley est beaucoup plus prudent et souligne qu’il est difficile de quantifier l’apport réel du mouvement. Selon lui, d’autres recherches sont nécessaires pour évaluer son impact[29]. Par contre, tout comme Brown, il estime que cette mobilisation brise l’isolement des sans-travail; insuffle un certain niveau de combativité chez les sans-emploi face à l’État; qu’elle contribue à leur redonner une certaine dignité ; que sans elle les secours auraient été probablement moins généreux et les conditions de vie des chômeurs et de leur famille encore plus précaires[30].

    Dans le contexte d’une historiographie peu développée sur le sujet, il est difficile de statuer définitivement sur les conclusions des auteurs. Nous croyons cependant que Manley est un peu trop prudent et qu’il est possible d’affirmer que le mouvement des chômeurs joue un rôle politique important dans cette période, notamment quant à la création éventuelle du régime d’assurance-chômage. Tout comme Manley, nous croyons que la multiplication d’études locales est essentielle pour évaluer l’impact réel du mouvement[31]. Chose indéniable, les communistes sont au cœur de l’action et sont partie prenante du mouvement des sans-emploi de la période.

    Le Parti communiste du Canada

    Quant à elle, l’historiographie du PCC peut-être aussi regroupée en deux catégories d’ouvrages. L’une, plus ancienne, aborde l’histoire du parti d’une façon plus institutionnelle comme l’on aborderait celle d’autres formations politiques canadiennes[32]. Ces historiens concluent que son histoire en est une d’échecs et qu’il ne réussit pas vraiment à percer significativement dans le paysage politique canadien. Une seconde, plus récente, la traite davantage sous l’angle d’un mouvement politique et social[33]. Cette deuxième approche nous semble de loin plus appropriée. Par sa nature d’organisation révolutionnaire, qui est entre autres illégale de 1931 à 1936, on ne peut aborder son histoire comme on aborde par exemple celle du Parti libéral ou du Parti conservateur.

    Les connaissances historiques sur le PCC au Canada ont sensiblement évolué depuis le premier ouvrage paru sur le sujet en 1968. Rodney définissait alors le parti comme un élément étranger au Canada et aux valeurs canadiennes et dirigé de Moscou par Staline. Depuis le milieu des années 1990, les recherches de John Manley ont permis de souligner le rôle non négligeable du parti au sein du mouvement ouvrier canadien dans l’entre-deux-guerres. Cet historien est devenu incontournable pour ceux qui s’intéressent à ce pan de l’histoire canadienne. L’évolution du nombre de membres du parti est significative et témoigne de son engagement dans les luttes ouvrières dans la première moitié des années 1930[34]. Selon Anne Burger,

    The CPC, then, was a relative success in the 1930s compared with other national organizations. However, the Party was far from reaching its goal of a Canadian labour-farmer socialist state, moving Canadian workers towards a mass revolutionary class[35].

    Finalement, Ian McKay reconnaît que « the Communist Party exerted an influence well beyond its limited numbers »[36].

    Au Québec, l’historiographie du PCC est beaucoup moins récente et moins diversifiée[37]. Elle semble aussi évoluer en vase clos à quelques égards et n’aborde pas les mêmes questionnements et enjeux que l’historiographie canadienne sur le sujet. Elle demeure encrée dans les limites de l’histoire nationale. L’inverse est cependant aussi vrai. Ceci relève d’un problème récurant en histoire du Québec et du Canada[38].

    La production historique québécoise relative au PCC conclut généralement que le parti ne réussit pas à percer chez les francophones et qu’un fort mouvement anticommuniste alimenté par l’Église et l’État québécois nuit à son développement. Bien que ces conclusions soient indéniables, elles soulèvent néanmoins d’autres questions. Le principal problème de l’historiographie québécoise est qu’elle tend à analyser le PCC comme le font au Canada anglais William Rodney et Ivan Avakumovic, c’est-à-dire comme un parti politique parlementaire où ses succès et échecs sont mesurés à la lumière des effectifs et des élections[39].

    Le parti est surtout actif auprès des chômeurs dans la première moitié des années 1930. Il est impossible de saisir les motivations qui sous-tendent son action sans les mettre en relation avec les politiques et les mots d’ordre de l’Internationale Communiste (IC). C’est seulement à la lumière des directives internationales qu’il est possible de comprendre pourquoi le PCC cesse d’organiser massivement les sans-emploi après 1935[40]. Bien que le contexte historique du Québec peut être vu de façon particulière, il est essentiel de s’attarder brièvement aux motivations de l’organisation dans un cadre plus large. Sinon, le risque est de ne pas comprendre dans quelles circonstances le parti inscrit et motive son action dans la province[41].

    Selon certains historiens,  la période inaugurée par le 6e congrès de l’IC en 1928 est vue comme étant une de sectarisme, de repli et d’échec[42]. Elle représente la quintessence de l’emprise de Moscou sur l’action des partis communistes nationaux[43]. Selon nous, l’exemple des chômeurs tend à démontrer que cette interprétation doit être nuancée. Sur le terrain, le travail du parti semble être plus flexible et s’adapter aux contextes locaux, sans pour autant remettre en question la ligne officielle. Les actions des communistes connaissent un succès relatif auprès de la classe ouvrière canadienne, succès probablement plus important que l’historiographie tend à le reconnaître[44]. D’après Manley, il faut faire attention aux critiques qui balaient du revers de la main l’action du PCC durant cette période. Selon lui, le parti est loin d’être un acteur politique isolé de la classe ouvrière. Par son action auprès des travailleurs inorganisés, il entre en contact et mobilise le plus large éventail de travailleurs et de travailleuses sur une base de classe, phénomène qui ne s’était pas produit en Amérique du Nord depuis les années 1919-1920[45]. De plus, se référant aux partis communistes canadien et américain,

    They consciously set out to organize groups whom the craft unions had often ignored or patronized—women, immigrants from Asia and south, east, and central Europe, and (in the United States) African Americans—and in the process burrowed into open-shop plants and established some of the salients from which the CIO would move forward a few years later[46].

    Conclusion

    Les historiographies canadienne et québécoise portant sur la Crise de 1929 et la Grande Dépression pourraient encore être enrichies davantage. Il en va de même pour celle portant sur les secours, les luttes des sans-emploi et le PCC. Bien que plusieurs de ces travaux soient antérieurs aux années 2000, il semble y avoir un léger regain d’intérêt depuis une dizaine d’années pour l’histoire des sans-travail et des communistes au Canada durant les années 1930. Ces travaux plus récents contredisent en partie une historiographie plus ancienne en abordant de nouveaux questionnements, tout en démontrant la mise en place d’un réseau de luttes et de solidarités chez les sans-emploi. Ils s’intéressent moins aux politiques publiques qu’à leur remise en cause. Aussi, les sans-emploi et le PCC deviennent des acteurs incontournables de la période. D’ailleurs, ces deux historiographies sont intimement liées et se nourrissent mutuellement. Par contre, au Québec le mouvement de renouvellement historiographique amorcé au Canada anglais semble tarder, bien que les travaux de Lévesque et de Fournier offrent la matière brute pour son amorce.

    Beaucoup de travail reste encore à accomplir. Si le lien entre l’apport du PCC à la grève dans les camps de travail est bien défini, il est plus ténu en ce qui concerne la portée et la signification de son intervention auprès des chômeurs urbains. Il est aussi difficile de quantifier l’apport politique du mouvement dans les transformations sociales de l’entre-deux-guerres. Une histoire de la NUWA/NCUC reste toujours à faire. De plus, les femmes sont quasiment absentes de cette historiographie[47]. Il serait aussi pertinent d’étudier comment s’articule la solidarité entre les chômeurs de diverses origines ethniques à une plus grande échelle que l’étude de Patrias[48]. Par exemple, voir à Montréal comment les sans-travail francophones interagissent avec les chômeurs fraîchement établis au Canada et d’étudier quel rôle y joue le parti.

    Néanmoins, nous considérons que l’histoire du mouvement des sans-emploi durant la Grande Dépression au Canada, tout comme l’histoire des sans-travail en général, ne reçoit pas l’ensemble de l’attention qu’elle mérite. D’autant plus, dans un contexte de crise économique mondiale qui perdure depuis 2008 et qui exacerbe les phénomènes de chômage de masse et de précarité qui caractérisent les sociétés occidentales depuis la fin des Trente Glorieuses. Par contre, un tel constat ne nous surprend guère, car entreprendre « une histoire critique en adoptant la perspective des vaincus – en essayant parfois d’écouter leurs voix souterraines, inaudibles à la surface, ignorées par les archives officielles ou effacées par les discours dominants »[49] représente un défi et une nécessité que nombre d’historiens et d’historiennes préfèrent ignorer.

    Références

    [1] Dans le cadre de cet article, nous avons abandonné la recension et l’analyse des synthèses sur la Grande Dépression. Elles sont peu nombreuses et datent quelque peu. Aucune de ces monographies n’apporte d’éléments ou de perspectives très utiles pour ce bilan historiographique. Les ouvrages portant sur la grève dans les camps de travail et la Marche sur Ottawa donnent un aperçu plus éclairant sur les conditions de vie de la classe ouvrière canadienne, de la situation globale du chômage et des défis économiques et sociaux que les sans-travail doivent affronter. Voici une liste non exhaustive d’ouvrages portant sur la Grande Dépression au Canada : A.E. Safarian, The Canadian Economy in the Great Depression, Montréal, McGil-Queen’s University Press, 2009 [1959], 261 p. ; Michiel Horn, dir., The Dirty Thirties : Canadians in the Great Depression, Toronto, The Copp Clark Publishing Company, 1972, 728 p. ; Blair Neatby, La Grande Dépression des années ’30, Montréal, La Presse, 1975, 202 p. ; Pierre Breton, The Great Depression 1929-1939, Toronto, McClelland and Stewart, 1990, 555 p. En histoire du Québec, ce type d’ouvrage est inexistant. Il faut donc se référer aux ouvrages de synthèse sur l’histoire du Québec contemporain ou encore aux travaux plus spécialisés, comme ceux qui portent sur l’histoire du PCC ou des secours et qui seront abordés ultérieurement dans ce bilan.

    [2] Ian Mckay,  Rebels, Reds, Radicals. Rethinking Canada’s Left History, Toronto, Between the Lines, 2005, p. 95-96.

    [3] Ibid., p. 96-97.

    [4] Gaétan Héroux et Bryan D. Palmer, « ‘Cracking the Stone’: The Long History of Capitalist Crisis and Toronto’s Dispossessed », Labour/Le Travail, no. 69 (2012), p. 9-62.

    [5] John Manley, « Moscow Rules?…», p. 47.

    [6] Matthias Reiss et Matt Perry, dir., Unemployment and Protest : New Perspectives on Two Centuries of Contention, New York, Oxford University Press, 2011, 438 p.

    [7] Matthias Reiss et Matt Perry, « Beyond Marienthal: Understanding Movements of the Unemployed », dans Matthias Reiss et Matt Perry, dir., Unemployment and Protest…, p. 6.

    [8] Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, et François Ricard, Histoire du Québec contemporain tome II, le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal, 1989 [1979], p. 82.

    [9] John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, Québec, Septentrion, 1992, 382 p.

    [10] Paul-André Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération, Montréal, Boréal, 2000, p. 283-312.

    [11] Nadia Attalah, « Les quartiers ouvriers de Montréal pendant la Grande Dépression », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, no. 27 (2008), http://ipr.univ-paris1.fr/spip.php?article402, consulté le 5 octobre 2010.

    [12] James Struthers, No Fault of Their Own : Unemployment and the Canadian Welfare State 1914-1941, Toronto, University of Toronto Press, 1983, 268 p. ; Terry Copp, « Montreal’s Municipal Government and the Crisis of the 1930s », dans Alan J. Artibise et Gilbert A. Stelter, dir., The Usable Urban Past: Planning and Politics in the Modern Canadian City, Toronto, Macmillan of Canada, 1979, p. 112-129. ; François Bisson, La gestion des chômeurs célibataires sans-abri au cours de la dépression: le cas du camp de Val Cartier, 1932-1936, Mémoire de maîtrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 1999, 195 p.; Mary MacKinnon, « Relief not Insurance: Canadian Unemployment Relief in the 1930s », Explorations in Economic History, vol 21, no. 1 (1990), p. 46-83.

    [13] Suzanne Clavette, Des bons aux chèques : aide aux chômeurs et crise des années 1930 à Verdun, Mémoire de maîtrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 1987, 364 p.

    [14] Selon Larivière, les mesures prises par les autorités publiques pour faire face à la Crise visent avant tout le contrôle social et sont une réponse à la mobilisation de la classe ouvrière. Claude Larivière, Crise économique et contrôle social (1929-1937): le cas de Montréal, Montréal, Éditions coopératives Albert St-Martin, 1977, 265 p. Il reprend ici la thèse de Piven et Cloward. C’est-à-dire que la mise en place de l’État-Providence, à travers ses politiques sociales (tel le New Deal aux États-Unis), vise avant tout à sauver le capitalisme, diminuer l’influence des radicaux au sein de la classe ouvrière et endiguer la révolte sociale. Frances Piven Fox et Richard A. Cloward, Regulating the Poor: the Functions of Public Welfare, New York, Vintage Books, 1972, 389 p.

    [15] Denyse Baillargeon, Ménagères au temps de la crise, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1993, 312 p.

    [16] Lara Campbell, Respectable Citizens: Gender, Family, and Unemployment in Ontario’s Great Depression, Toronto, University of Toronto Press, 2009, 280 p.

    [17] À partir de 1932, le gouvernement fédéral met sur pied des camps de travail pour les jeunes chômeurs célibataires et sans-domicile fixe. En 1935, une vague de grèves dans les camps de l’Ouest se transforme en marche sur Ottawa. Le 1er juillet 1935, les autorités répriment les marcheurs et leurs sympathisants à Régina. Les camps sont fermés en 1936.

    [18] Victor Howard, We Were the Salt of the Earth! : A Narrative of the On-to-Ottawa Trek and the Regina Riot, Régina, University of Regina, 1985, 205 p. Brigade canadienne au sein des Brigades Internationales. Ces dernières sont organisées par le Komintern et combattent en Espagne de 1936 à 1938. Près de 1500 Canadiens se portent volontaires. Lawrin Armstrong et Mark Leier, « Canadians in the Spanish Civil War 1936-1938 », Beaver, vol. 77, no. 5 (1997), p. 19-27.

    [19] Bill Waiser, All Hell Can’t Stop Us: The On-To-Ottawa Trek and Regina Riot, Toronto, Fifth House, 2003, 316 p.

    [20] Lorne Brown, La lutte des exclus, un combat à refaire, Montréal, Écosociété, 1997, 310 p.

    [21] Notamment, l’abrogation de l’article 98 du Code criminel, l’abolition du programme des camps de travail, le débat entourant la création d’un régime d’assurance-chômage et la lutte pour les droits et libertés.

    [22] Andrée Lévesque, Virage à gauche interdit, les communistes, les socialistes et leurs ennemis au Québec 1929-1939, Montréal, Boréal Express, 1984, p. 41.

    [23] Gordon Hak, « The Communist and the Unemployed in The Prince George District, 1930-1935 », BC Studies, no. 68 (1985), p. 45-61.; Carmela Patrias, Relief Strike, Immigran Workers and the Great Depression in Crowland, Ontario, 1930-1935, Toronto, New Hogtown Press, 1990, 54 p.; Georges Campeau, « Aux origines de l’assurance-chômage canadienne : la revendication d’un régime non contributif », Bulletin d’histoire politique, vol. 9, no. 2 (2001), p. 132-143. ; John Manley, « ‘Starve, Be Damned!’ Communists and Canada’s Urban Unemployed, 1929-1939 », The Canadian Historical Review, vol. 79, no. 3 (1998), p. 466-491.; Lorne Brown, « Unemployed Struggles in Saskatchewan and Canada, 1930-1935 », Prairie Forum, vol. 31, no. 2 (2006), p. 193-216.

    [24] Lorne Brown, « Unemployed Struggles…».

    [25] Georges Campeau, « Aux origines de l’assurance-chômagecanadienne… »,p. 139.

    [26] L’adoption et la mise en application du New Deal de Roosevelt aux États-Unis poursuit exactement les mêmes objectifs, c’est-à-dire, sauver  le capitalisme, diminuer l’influence des radicaux au sein de la classe ouvrière et endiguer la révolte sociale. Frances Fox Piven et Richard A. Cloward, Regulating the Poor…, 389 p. Frances Fox Piven et Richard A. Cloward, Poor People’s Movements : Why they Succeed, How they Fail, New York, Vintage Books, 1979, 361 p. Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis : de 1492 à nos jours, Montréal, Lux, 2002, p. 447-460. Quenby Olmsted Hughes, « Red Flame Burning Bright: Communist Labor Organizer Ann Burlak, Rhode Island Workers, and the New Deal », Rhode Island History, vol. 67, no. 2 (2009), p. 54.

    [27] Lorne Brown, « Unemployed Struggles…», p. 213.

    [28] Ibid., p. 212-213.

    [29] John Manley, « ‘Starve, Be Damned!’…», p. 491.

    [30] Lorne Brown, « Unemployed Struggles…», p. 212. John Manley, « ‘Starve, Be Damned!’…», p. 491.

    [31] John Manley, « ‘Starve, Be Damned!’…», p. 490.

    [32] William Rodney, Soldiers of the International : A History of the Communist Party of Canada 1919-1929, Toronto, University of Toronto Press, 1968, 204 p.; Ivan Avakumovic, The Communist Party in Canada, A History, Toronto, The Canadian Publishers, 1975, 309 p.

    [33] Irvin Abella, Nationalism, Communism and Canadian Labou : The CIO, the Communist Party, and the Canadian Congress of Labour 1935-1956, Toronto, University of Toronto Press, 1973, 256 p.; Ian Angus, Canadian Bolcheviks, The Early Years of the Communist Party of Canada, Victoria, Trafford, 2004 [1981], 339 p.; Norman Penner, Canadian Communism: The Stalin Years and Beyond, Toronto, Methuen, 1988, 319 p. ; John Manley, « ‘Audacity, audacity, still more audacity’: Tim Buck, the Party and the People, 1932-1939 », Labour/Le Travail, no. 49 (2002), p. 9-41; John Manley, « Canadian Communists, Revolutionary Unionism, and the “Third Period”: The Workers’ Unity League, 1929-1935 », Journal of the Canadian Historical Association, vol. 5, no. 1 (1994), p. 167-194; John Manley, « Moscow Rules?…», p. 9-49; John Manley, « ‘Starve, Be Damned!’…».; Anne Burger, The Communist Party of Canada During the Great Depression: Organizing and Class Consciousness, Mémoire de maîtrise (history), Simon Fraser University, 2004, 149 p.

    [34] Suite à la stalinisation de l’organisation en 1928-1930, les effectifs chutent d’environ 4 000  à 1 300 membres. En 1934, ils sont de 5 500 et finissent par atteindre 9 000 membres en 1935. John Manley, « Canadian Communists…», p. 189.

    [35] Anne Burger, The Communist Party of Canada…, p. 119. Cependant, en ce qui concerne la deuxième partie de ses conclusions, il faut se demander s’il s’agissait de l’objectif réel du PCC. À ce sujet, nous partageons les conclusions de Manley. Cette percée ne se mesure pas à la lumière d’une politique révolutionnaire. Malgré ses mots d’ordre et sa rhétorique, l’action du parti demeure essentiellement réformiste. Elle n’est que la continuation de la politique étrangère de Moscou dans sa volonté d’édification du socialisme dans un seul pays. John Manley, « Moscow Rules?…», p. 49.

    [36] Ian McKay, Rebels, Reds, Radicals…, p. 156. D’ailleurs c’est ce que tend à démontrer, du moins numériquement les travaux de John Manley. En tenant compte des organisations de masse affiliées au PCC nous arrivons au décompte suivant: La LUO compte entre 30 000 et 40 000 membres entre 1930-1935. John Manley, « Canadian Communists…», p. 167. La LDO compte 25 000 membres en 1933. John Manley, « ‘Audacity, audacity, still more audacity’…», p. 11. La NUWA compte 20 000 membres en 1932. John Manley, « ‘Starve, Be Damned!’…», p. 471.

    [37] Notons cependant le livre de Lévesque sur la vie de Jeanne Corbin paru en 1999 et ses deux articles publiés au début des années 2000, ainsi qu’un article de Dansereau publié en 2001, les autres publications datent des années 1970 et 1980. Andrée Lévesque, « Célébrations et manifestations des camarades.  La culture internationale et l’identitaire communistes au Canada pendant l’entre-deux-guerres », Labour/Le Travail, no. 49 (printemps 2002), p. 83-92. Andrée Lévesque, « Du rouge sur la ‘Main’ ». « Du Rouge sur la ‘Main’ pendant les années trente », Bulletin des chercheurs et chercheuses en histoire du travail au Québec (RCHTQ), (printemps 2003), p. 39-51.; Andrée Lévesque, Scène de la vie en rouge : l’époque de Jeanne Corbin 1906-1944, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1999, 309 p.; Bernard Dansereau, « La présence communiste au Québec (1929-1939) ou la présence de  “l’homme au couteau entre les dents” », Bulletin d’histoire politique, vol. 9, no. 2 (2001), p. 22-29; Robert Comeau et Bernard Dionne, dir., Le droit de se taire. Histoire des communistes au Québec, de la Première Guerre mondiale à la Révolution tranquille, Outremont, VLB, 1989, 542 p.; Marcel Fournier, Communisme et anticommunisme au Québec 1920-1950, Montréal, Albert Saint-Martin, 1979, 165 p.Bernard Gauvin, Les communistes et la question nationale au Québec: Sur le Parti communiste du Canada de 1921 à 1938, Montréal, Presses de l’unité, 1981, 151 p.; Andrée Lévesque, Virage à gauche interdit, 184 p.

    [38] Magda Fahrni, « Reflections on the Place of Quebec in Historical Writing on Canada », dans Christopher Dummitt et Michael Dawson, dir., Contesting Clio’s Craft: New Directions and Debates in Canadian History, London, Institute for the Study of the Americas University of London, 2009, p. 1-20.

    [39] Par exemple: Peut-on alors conclure à un échec sur la base de faibles résultats électoraux et d’un nombre réduit d’adhérents ? De plus, la composition des effectifs de l’organisation au Canada anglais ne diffère pas de celui du Québec. 90% des membres sont nés à l’étranger ou de parents nés à l’extérieur du Canada. Les historiens anglophones ne se basent pas pour autant sur un tel critère pour juger des succès du parti. Peut-on alors conclure à l’échec de l’activité communiste au Québec, car sont cercle d’influence est majoritairement composé de non francophones ? Nous croyons que l’histoire du parti au Québec devrait être abordée sous le même angle que la production historique canadienne-anglaise plus récente. Dansereau apporte cependant certaines nuances. Il parle plutôt d’échec relatif du parti dans les années 1930. Selon lui, bien que l’activité communiste ne se concrétise pas par des résultats électoraux et une augmentation substantielle des adhésions chez les Canadiens français, les luttes syndicales qu’il chapeaute, son implication dans le mouvement des chômeurs et son combat antifasciste sont les signes d’un certain succès dont témoigne la participation de milliers de travailleurs et de sans-emploi au cours des différentes mobilisations initiées par le parti. Cf. Bernard Dansereau, « La présence communiste au Québec…», p. 28. D’ailleurs, le dépouillement préliminaire de nos sources nous laisse croire qu’il y a matière à apporter certaines nuances à certaines conclusions assez catégoriques de l’historiographie québécoise sur le niveau d’influence du parti auprès de la classe ouvrière canadienne-française à Montréal pendant la Grande Dépression.

    [40] L’IC adopte et met en application la politique de Front populaire. Le PCC se porte alors à la défense de la démocratie bourgeoise face à la montée du fascisme. L’affrontement « classe contre classe » n’est plus à l’ordre du jour. Il cherche plutôt à construire des alliances interclassistes avec certains éléments de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie libérale. John Manley, « Moscow Rules?… », p. 487.

    [41] Les grandes lignes sont élaborées par le Congrès de l’IC, mais leur application concrète relève du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste qui est composé de plusieurs secrétariats. Les partis communistes  américain et canadien sont regroupés au sein du secrétariat anglo-américain. D’ailleurs, la composition de leurs effectifs respectifs est similaire. Il est alors normal de retrouver les mêmes types d’actions et de stratégies organisationnelles de part et d’autre de la frontière (par exemple : marche de la faim, marche sur la capitale, organisation des « minorités » et des travailleurs non qualifiés ou semi-qualifiés, organisations de chômeurs au niveau local et national, lutte contre les évictions de locataires, syndicalisme révolutionnaire, etc.). Ils font aussi face à une répression farouche de l’État. John Manley, « Moscow Rules? …». En ce qui concerne plus spécifiquement le parti américain, voir : Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis…, p. 427-460 ; Quenby Olmsted Hughes,« Red Flame Burning Bright…», p. 43-60.

    [42] En 1928, l’IC élabore une nouvelle analyse de la conjoncture mondiale. Il définit la situation comme étant la troisième période du capitalisme. Cette dernière se caractérise par une augmentation des contradictions au sein du système économique et mène inexorablement à la crise. Dans ce contexte, les États démocratiques sont en phase de fascisation, tout comme la social-démocratie ; et doivent être combattu au même titre que le fascisme par la mise en place d’une tactique de « classe contre classe ». Elle consiste à créer des organisations de masse distinctes des organisations réformistes, notamment dans le milieu syndical. Au Canada, l’application de cette ligne mène à la création de la LUO qui, outre la mise en application d’un syndicalisme révolutionnaire, se voit confier le mandat d’organiser les chômeurs. Cette politique a cours de 1928 à 1935.

    [43] Particulièrement l’historiographie trotskyste au Canada et au niveau international: Ian Angus, op. cit.; Pierre Broué, Histoire de l’Internationale Communiste 1919-1943, Paris, Fayard, 1997, 1120 p. À l’autre extrême, l’école révisionniste prétend que l’action des PC est autonome de Moscou et élaborée par les leaders de la base: John Manley, « Moscow Rules? …».

    [44] John Manley, « Canadian Communists…».

    [45] John Manley, « Moscow Rules?…», p. 47.

    [46] Ibid., p.47.

    [47] D’ailleurs, Brown et Manley soulignent ce fait et avancent quelques pistes à ce sujet. Lorne Brown, « Unemployed Struggles…» ; John Manley, « ‘Starve, Be Damned!’…».

    [48] Carmela Patrias, Relief Strike…

    [49] Enzo Traverso, « Marx, l’histoire et les historiens, une relation à réinventer », Actuel Marx, no. 50 (2011), p. 165.