Essai historiographique sur la taverne québécoise au lendemain de la Conquête, un forum privilégié de sociabilité et un vecteur culturel oublié

MATHIEU PERRON
Université de Sherbrooke

Résumé : Bâtis sur la toile de fond de traditions pluriséculaires, les lieux de consommations publiques d’alcools telles que la taverne et le café s’adaptent à la réalité coloniale nord-américaine. Il en sera d’abord question dans cet essai. Le présent bilan vise à démontrer qu’en dépit d’un fort potentiel pour la compréhension de la sociabilité et comme vecteur culturel, la taverne en tant qu’objet historique a longtemps été négligée ou reléguée au rang de l’anecdote. Nous montrerons d’abord comment fut traitée la taverne chez les premiers mémorialistes du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. Ensuite, nous porterons notre attention sur l’émergence au cours de la seconde moitié du XXe siècle d’un regard nouveau inspiré par l’histoire sociale sur la taverne. Pour finir, il sera expliqué de quelle manière, depuis le début du XXIe siècle, différentes analyses fondées sur l’histoire culturelle, de la consommation et de la nouvelle histoire politique raffinent les perspectives sur l’histoire de la taverne, particulièrement à la fin du XVIIIe siècle.

Mots clés : Auberge, Taverne, Public House, Café, Coffeehouse, Alcool, Espace public, Sociabilité

 

Table des matières
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    Le cabaret, l’auberge, la taverne[1] et le « café » (coffee house) sont des lieux privilégiés d’échange, d’interaction et de sociabilité. Espaces de liberté et de mœurs relaxées, ils font également l’objet d’une attention constante de la part des autorités civiles, militaires et religieuses. Ces lieux sont essentiels au commerce et au transport, à une époque où passer d’une ville à l’autre s’envisage en termes de jours, de semaines ou, dans le cas des voyages aux longs cours, de mois. Les tavernes et les auberges sont également des relais pour les idées et un théâtre où la société se met en jeu.

    Yvan Lamonde mentionne qu’en 1774-1775, les adresses envoyées par le Congrès continental aux  habitants de la Province of Quebec :

    […] sont lues dans le privé ou à haute voix, pour les analphabètes, dans les cafés et les auberges, dans les marchés publics, sur les perrons d’églises ou durant les assemblées de paroisses, et le message est répercuté dans les campagnes par les marchands anglais favorables aux libertés et aux droits[2].

    Ce chemin des idées s’incarne assurément dans un parcours physique, un lieu d’échange. La taverneest l’un de ces lieux privilégiés, c’est-à-dire un espace public où la sociabilité, la culture populaire et élitaire, se croisent et s’interpellent.

    Poumon des échanges économiques, le café, l’auberge, la taverne et le cabaret sont également des sources de revenus non négligeables, comme le marquis de Chastellux, en visite dans la jeune république des États-Unis, le fait d’ailleurs remarquer. Il écrit dans ses Voyages dans l’Amérique Septentrionale : « Cette différence entre auberge réelle & hospitalité payée, est entièrement à l’avantage des voyageurs, parce qu’en Amérique, comme en Angleterre, les aubergistes paient des taxes très fortes, & qu’ils s’en dédommagent par le prix exorbitant (sic) qu’ils mettent à leurs denrées[3]. » Or, l’évasion fiscale n’est jamais très loin. L’attribution des licences octroyées pour ouvrir ces établissements doit donc être analysée en tenant compte des intérêts opposés, d’une part ceux de l’État colonial, d’autre part des tenanciers et des marchands.

    La relation particulière que tout tenancier doit entretenir avec les autorités pour faire reconnaître son établissement comme légal, particulièrement dans le contexte suivant la Conquête, doit inévitablement s’enraciner dans une perspective pluriculturelle. Le droit et les institutions étatiques canadiennes sont alors en plein processus d’installation et d’adaptation. Licences, permis, certificats de bonnes mœurs, réglementations, procédures juridiques… la taverne est l’objet d’un large déploiement bureaucratique dont les archives gardent les traces.

    Le présent bilan vise à montrer qu’en dépit d’un fort potentiel pour la compréhension de la sociabilité et comme vecteur culturel, la taverne en tant qu’objet historique a longtemps été négligée ou reléguée au rang de l’anecdote. Nous montrerons d’abord comment fut traitée la taverne chez les premiers mémorialistes du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. Ensuite, nous porterons notre attention sur l’émergence au cours de la seconde moitié du XXe siècle d’un regard nouveau inspiré par l’histoire sociale sur la taverne. Pour finir, il sera expliqué de quelle manière, depuis le début du XXIe siècle, différentes analyses fondées sur l’histoire culturelle, de la consommation et de la nouvelle histoire politique raffinent les perspectives sur l’histoire de la taverne, particulièrement à la fin du XVIIIe siècle.

    La taverne, un forum privilégié dans un monde en bouleversement

    La taverne possède donc son histoire, qui s’enracine profondément dans les traditions et les pratiques européennes. Certaines traditions historiographiques ont traité plus abondamment de la taverne que d’autres. L’importance culturelle de cette institution est largement acceptée dans le monde anglo-saxon, mais beaucoup moins dans l’historiographie française et canadienne-française. Pourquoi cette différence quant à la considération de l’objet « taverne »? Comme il sera explicité plus bas, le boire et ses lieux de sociabilité attachés ne sont pas traditionnellement investis d’une charge symbolique et identitaire équivalente dans les deux cultures. Ainsi, en Angleterre dès le XVIIe siècle, la taverne et la consommation d’alcool incarnent la performance d’identités politiques et socio-ethniques forgées au cœur des conflits de la période moderne[4]. L’intérêt pour ces questions participe donc à une culture populaire bien ancrée. Cependant, le renouveau d’intérêt pour le Coffee-house ou la taverne britannique profite certainement des idées avancées par le philosophe Jürgen Habermas pour qui la société bourgeoise de la fin du XIXe siècle émerge dans ces lieux de sociabilité où une pensée critique et rationnelle s’articule en public[5].

    De même qu’en Europe, la taverne canadienne possède plusieurs visages issus de passés et de cultures diverses qui s’interpénètrent. Le passage dans le Nouveau Monde enrichit cette diversité et ajoute au brassage. Catherine Ferland pour la Nouvelle-France, ainsi que David W. Conroy et Sharon V. Salinger pour le Massachusetts et les treize colonies ont bien souligné ces lignes de fractures et de continuités[6]. Bâties sur la toile de fond de traditions pluriséculaires, de nouvelles fondations et mutations s’opèrent.

    Dans le cadre canadien, l’impact de la Conquête est à cet égard loin d’être banal. La conquête militaire de la Nouvelle-France en 1760 et sa cession à la Grande-Bretagne en 1763, on le sait, sont fortement chargées symboliquement. Les pratiques culturelles et les coutumes de gouvernances diffèrent. De nouvelles lois et un nouveau système de justice sont institués, parfois, au détriment des lois précédemment en vigueur. Plus qu’un simple changement de régime, la Conquête initie une multitude de transferts culturels.

    Donald Fyson est l’un des rares historiens contemporains ayant abordé la période sous l’angle de la construction de l’état colonial britannique en sol canadien. Dans Magistrats, police et société. La justice criminelle ordinaire au Québec et au Bas-Canada (1764-1837)[7], son analyse part d’un élément particulier, l’exercice de la justice, mais s’ouvre ensuite sur un spectre plus large englobant le social, le politique et le culturel. C’est ainsi que la société canadienne, constituée des hautes sphères aristocratiques et commerçantes, de religieux aux confessions multiples, d’artisans et d’agriculteurs, de soldats et de gens de la mer de même qu’exilés de fortune, s’est progressivement construite au cours du siècle et demi précédant son mariage forcé avec la société britannique. L’étude de la taverne dans le cadre préindustriel canadien mériterait de s’inspirer de l’approche de Fyson.

    D’autant plus qu’il serait possible de pister les idées des Lumières et de la révolution américaine dans le contexte canadien. En effet, Yvan Lamonde, dans son Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896, affirme qu’au lendemain du transfert de souveraineté de la colonie laurentienne, les cultures politiques dissemblables et proches à la fois s’entrecroisent. Suite à l’indépendance des treize colonies, les habitants du Québec auront à se frotter aux armes de ces nouveaux envahisseurs, mais aussi à leurs idées, à leur dissidence. Comme le souligne Louis-George Harvey dans Le Printemps de l’Amérique française, certaines de ces idées sont carrément républicaines[8]. L’idéal constitutionnel anglais s’immisce de plus en plus dans les mœurs politiques québécoises alors en plein bouleversement. Lamonde ajoute que « les intérêts divergents des groupes sociaux suscitent une activité intellectuelle remarquable dont la Chambre d’assemblée, les brochures, les “gazettes” et les cafés deviennent les forums»[9]. Cependant,  ces différents lieux sont attachés à des catégories sociales qui excluent, jusqu’à tard au XIXe siècle, les tranches non lettrées de la population. Ce « monde » dans lequel circulent ces publications n’est pas ouvert à tous.

    Le dialogue entre les diverses historiographies nationales est quasi inexistant tout autant à l’époque qu’aujourd’hui. Néanmoins, puisque l’histoire québécoise, particulièrement la période du Régime anglais, s’inscrit à la convergence des cultures et des traditions britanniques, américaines, françaises et canadiennes, il apparaît d’autant plus légitime d’explorer ces diverses traditions afin d’éclairer certaines préconceptions culturelles entourant la taverne. Le lecteur tirera ses conclusions quant à l’image et au rôle culturel de la taverne véhiculé par chacune de ces traditions ainsi qu’en ce qui a trait à leurs ressemblances ou dissemblances.

    Le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle: la taverne, un sujet d’érudition et d’édification nationale

    De la fin du XIXe siècle jusqu’au début des années 1950 dans le cas du Québec et du Canada, les historiens amateurs qui se penchèrent sur la question des tavernes en Amérique du Nord eurent pour objectif essentiel de cataloguer et de répertorier les établissements disséminés dans les campagnes et les villes. Leurs principales sources étaient les récits de voyages d’Européens bien nantis commentant avec condescendance, sinon avec dédain, ces gîtes qui ponctuaient leurs déplacements. Néanmoins, ce que les premiers mémorialistes n’analysent pas clairement, c’est en quoi la mécanique sociale promeut la taverne en tant qu’institution sociale tout comme ils n’éclaircissent pas le rôle politique pris par la taverne et ses répercussions dans la construction d’un imaginaire identitaire. La répartition de ces récits selon leurs origines nationales montre que le corpus français et canadien-français est extrêmement ténu, comparé au corpus anglo-saxon. Les ouvrages français trahissent un projet d’édification national fondé surtout les préjugés du siècle. Pour les Britanniques, le public house est compris comme une institution identitaire, dont la valorisation participe le plus souvent d’une idéologie conservatrice nostalgique affectant un passé idéalisé et romancé, tandis que pour les Canadiens français du XIXe siècle, l’institution n’a que peu d’attrait puisque conçu comme temple du vice faisant ombrage à l’Église.

    L’historiographie française : le repoussoir identitaire

    Dans la France du XIXe siècle, particulièrement celle du Second Empire (1852-1870), si la littérature historique abonde, la somme des ouvrages recensés ayant pour thème le cabaret, l’auberge où la taverne demeure limitée et peu loquace sur la situation prévalant dans les colonies d’Amérique.

    L’ouvrage Histoire des hôtelleries, cabarets, hôtels garnis, restaurants et cafés et des hôteliers, marchands de vins, restaurateurs, limonadiers, etc. etc. de Francisque Michel et Édouard Fournier, malgré l’ambitieux portrait étalé sur deux tomes, explore l’institution de l’Antiquité à la Modernité dans un contexte essentiellement européen, avec une courte digression vers l’univers turc[10]. La thématique, bien irriguée de sources diverses, passant des édits et ordonnances aux chansons et poèmes paillards, s’endigue néanmoins dans un projet d’édification nationale pesante. Ainsi, abordant la question des taverniers parisiens sous l’occupation anglaise durant la Guerre de Cent Ans, les auteurs écrivent :

    Ces gens, qui vivent de la joie et de l’abondance, devaient naturellement être les premières victimes de la détresse publique et de la famine. C’est ce qui arriva; nos vins, proie de la conquête, étaient emportés par immenses naulées en Angleterre. A la place, on nous rendait cette froide ale anglaise dont nous avons déjà dit l’histoire en lui laissant le nom de godale (bonne ale), qu’on lui donnait alors un peu par antiphrase. On nous laissait aussi, comme par grâce, nous abreuver d’une mauvaise piquette faire de pomme et de prunelles, et qu’on appelait despense[11].

    Ces jugements chauvins et à l’emporte-pièce parsèment l’ouvrage. On voit pourtant clairement dans cet extrait la hiérarchisation des boissons d’après leurs origines et leurs matières premières qui prévaut chez l’élite française sous le Second Empire. Le vin est considéré comme l’unique et la plus noble des boissons incarnant la nation, violé et pillé par l’envahisseur. Pour Francisque et Fournier, la taverne ne constitue qu’un prétexte à l’étalement érudit d’informations éparses articulées dans un récit accentuant les stéréotypes nationaux. 

    Le récit proposé par Gustave Courbet, Leopold Flameng et Felicien Rops dans leur Histoire anecdotique des Cafés & cabarets de Paris, relève de tendances similaires. La culture anglaise constitue le principal contre-pied comme dans cet extrait :

    Je ne vous étonnerai pas en disant que l’at home, qui est la caractéristique du tempérament anglais, est complètement inconnu en France, – je veux dire à Paris, où l’on s’extériorise volontiers. Vivre chez soi, penser chez soi, boire et manger chez soi, aimer chez soi, souffrir chez soi, mourir chez soi, nous trouvons cela ennuyeux et incommode[12].

    On reconnaît néanmoins des traditions européennes diversifiées tout en insistant sur le particularisme français :

    De là les cabarets, de là les cafés, de là les buvettes parisiennes, – cousines germaines des xénies grecques, des popines romaines, des kellers allemands, des public-houses anglais, des ventas espagnoles, des osterie italiennes, des slaatuintjes hollandaises, des kabacks russes, des mehanas hongrois, des cong-quans chinois et des carchemats polonais. Mais avec cette différence que les autres peuples ont en petite quantité ce que nous avons en foule, et que là où, chez eux, il y a un cabaret, nous en avons vingt: on compte les leurs, on ne saurait compter les nôtres[13].

    Courbet et ses collègues offrent une certaine analyse sociale. Pour chacun des quarante-quatre établissements dont le portrait est tiré (un par chapitre), quelques commentaires sont alloués à l’environnement social, de même qu’à l’origine socioprofessionnelle de sa clientèle, voire de ses propriétaires. Le tableau est plus impressionniste qu’analytique. Si le trait manque de précision et verse volontiers dans l’anecdotique, il s’avère pourtant vif, tant les informations dispensées sont stimulantes.

    Un trait commun réunit les écrits de ces auteurs. L’époque, le milieu du XIXe siècle, apparaît être un moment charnière chez ces premiers historiens de la taverne française insufflés du conservatisme du Second Empire. En dépit de leur insistance sur le caractère anecdotique ou de divertissement littéraire, les travaux français soutiennent que les pratiques de consommation d’alcool incarnent le caractère de la nation. Ces préoccupations apparaissent également être partagées chez les historiens canadiens-français et anglo-saxons de la seconde moitié du XIXe siècle.

    L’historiographie canadienne-française : un sujet d’anecdotes…

    Il n’apparaît pas utile ici de résumer l’histoire des relations entre la France et le Québec après 1763, sinon d’insister à la suite de Jacques Portes, sur le « Lien conservateur »[14]. Les rapports culturels et intellectuels entre le Québec et une certaine frange de la France nostalgique, catholique et antimatérialiste, voire antiaméricaine, perdurent. Une démonstration étendue n’est pas nécessaire pour relever que la taverne et les débits de boissons prennent une part négligeable dans l’idée que ces conservateurs se font du récit national fondé essentiellement sur la préservation des institutions françaises d’Ancien régime et de la religion catholique[15]. En bref, pour la « survivance » ne passait pas par les portes de la taverne, tout au contraire…

    Avant la professionnalisation définitive de la discipline au Canada français et l’ouverture des premiers départements universitaires dans les années 1960, l’histoire était étudiée et écrite par des érudits passionnés se regroupant au sein de sociétés d’histoire. Le bulletin des recherches historiques est l’organe officiel du Bureau des Archives du Québec. Ce mensuel, publié de 1895 à 1968, s’inscrit dans cette tendance. Fortement imprégnés de l’air du temps saturé de providentialisme et d’historicisme, ces érudits critiquent peu leurs sources. Ils se contentent le plus souvent de les accumuler, de les cataloguer et, lorsqu’ils en font le compte-rendu, leur lecture est la plupart du temps teintée de ce qui fut nommé a posteriori de clérico-nationalisme. Bien que les thématiques de la taverne et du boire alcoolique soient assurément peu enclines à conforter la « race » ou la religion, pivot de cette idéologie, elles furent tout de même traitées ponctuellement par quelques historiens canadiens-français.

    Deux courts articles signés par Philéas Gagnon dans Le bulletin des recherches historiques ont pu être retrouvés : « Le premier cabaret tenu à Québec », est paru en 1898[16], puis « Réponses. Les enseignes sous le Régime français » a été publié en 1912[17]. Ces deux textes sont constitués essentiellement de retranscriptions de sources. Leur intérêt demeure plutôt anecdotique.

    Les « Notes sur l’industrie de l’hôtellerie à Montréal sous le régime français » d’Édouard-Zotique Massicotte, texte édité pour le compte de la Société royale du Canada en 1927[18], ainsi que son article dans Le bulletin des recherches historiques sur « La pension Morand à Montréal au XVIIIe siècle »[19] conservent également ce caractère descriptif, certes utile lorsque vient le moment de glaner des informations, mais les articles manquent désespérément d’analyse critique, un trait qui demeure typique de la période précédant l’institutionnalisation et la professionnalisation de la discipline historique au Canada français. Un article de Gérard Malchelosse publié en 1943 dans Les cahiers des dix et intitulé « Ah! mon grand-pèr’, comme il buvait! »[20] fait le point sur l’importation d’alcool après la Conquête. Il établit les volumes, considérables, mais aussi les types d’alcools. Malgré la fermeture aux exportateurs français du marché laurentien à partir de1759,le vin continue à y tenir le haut du pavé. L’origine diffère, bien sûr. Les vins espagnols, portugais et italiens remplacent les crus bordelais. Le fort volume d’eau-de-vie, genièvre (Gin) et whiskey est un autre détail notable. Cette ouverture aux circuits commerciaux britanniques, conjuguée à l’entrepreneuriat britannique, stimule l’infrastructure industrielle de la colonie. Ainsi, l’importation de mélasse des Antilles soutient une distillerie établie à Québec dès 1769. Un phénomène qui, à la lecture de David Conroy, a déjà lieu quelques décennies avant au Massachusetts. Malheureusement, l’article de Malchelosse est également imbu des préjugés et préconceptions de son époque. La question mérite d’être reconsidérée et retravaillée.

    L’historiographie anglo-saxonne : le pub dans la construction identitaire

    Contrairement au monde francophone, la taverne, l’auberge ou le public house participe au discours identitaire dans l’aire culturelle anglo-saxonne. En effet, dans les années 1880-1900, c’est-à-dire la fin de l’ère victorienne, l’escalade des tensions sociales et la perte progressive du poids politique des élites conservatrices traditionnelles atteignent un paroxysme à la suite de près de trois siècles de conflits sociaux, trouvant partiellement leurs racines dans le mouvement des enclosures. Ce « climax » de conflagration sociale a suscité un fort climat d’angoisse dans la société britannique, d’où ce besoin de se réfugier dans un certain « âge d’or » imaginaire, d’une rusticité simple et bon enfant. Ainsi, dans la littérature en particulier, la campagne anglaise est peinte comme un monde où les conflits sociaux sont inexistants, où la sociabilité est paisible et où le landlord vient, après une chasse à courre, partager une chopine de bitter avec les braves paysans locaux. C’est cet « âge d’or » que B.W. Matz, au lendemain de la Première Guerre mondiale, catalogue dans son ouvrage Dickensian Inns & Taverns[21]. Aux États-Unis et au Canada anglais se dégage une tendance similaire.

    Les historiens états-uniens du dernier quart du XIXe siècle aux années 1920 décrivent la taverne des ancêtres pionniers comme étant un lieu de confort et de repos où la bonne entente et une saine moralité règnent. Ce sont les « good old days » d’avant la Guerre civile, l’immigration massive et les affres de l’industrialisation. En bref, on retrouve chez ces historiens un objectif commun : celui de peindre le portrait d’une société et de son lieu de sociabilité par excellence, sous des traits paisibles, confortables et sans heurts. Le livre The Colonial Tavern[22] de Edward Field publié en 1897, ainsi que Old Boston taverns and tavern clubs[23]de Samuel Adams Drake, édité vingt ans plus tard, représentent bien cette tendance historiographique étatsunienne. L’apport novateur de Drake vient peut-être de l’exposition d’une certaine sociabilité élitaire institutionnalisée, autour des clubs.

    L’intérêt des historiens pour la taverne est un peu plus tardif au nord du 41e parallèle. L’ouvrage canadien le plus représentatif de cette volonté de catalogage et d’édification nationale est bien celui d’Edwin Clarence Guillet, Pionneer inns and taverns[24], dont le premier volume sur cinq fut publié en 1954. Cet ensemble d’ouvrages présente la somme d’un long et énorme travail de recherche. Il contient une mine d’informations. Plusieurs sources sont publiées intégralement, comme les listes nominatives des taverniers par région, des gravures et des photographies inédites. L’auteur s’est appuyé principalement sur un des récits de voyage historiques qu’il est allé recueillir jusque dans les fonds d’archives anglaises et écossaises. La moitié du second volume traite en abondance du Québec et s’avère une source incroyable de récits de voyage. Guillet recense également tous les tenanciers présents dans le catalogue Lowell’s et des ­City’s Directory au moment du tirage du premier numéro pour Québec, Montréal et Trois-Rivières, en 1790, [1842], 1867. L’œuvre semble participer, par contre, à cette édification nationale typiquement canadienne-anglaise des lendemains de la victoire sur l’Allemagne nazie et de l’autonomie accordée par le traité de Westminster. La taverne est, en effet, présentée dans l’ensemble selon cette idée d’un passé à la fois policé et civilisé, ayant un développement autonome de la métropole. La taverne telle qu’exposée par Guillet n’est donc pas soumise à l’archétype du saloon américain, cet établissement de la frontière vaguement ou carrément hors la loi. Du même souffle, la filiation avec l’héritage britannique est constamment soulignée.

    L’historiographie britannique a donc abondamment discuté du public house, une institution culturelle aux origines lointaines et solidement ancrées dans la culture populaire anglo-saxonne. La taverne a été beaucoup moins étudiée selon cette perspective dans l’historiographie canadienne-française.

    Le XXe siècle: circonscrire le boire et la taverne au sein des sociétés et des cultures

    À la fin des années 1940, se forme autour de certains historiens associés au Parti communiste anglais une nouvelle école d’histoire sociale puisant ses sources dans un marxisme non dogmatique. C’est ce qu’Éric J. Hobsbawm et E.P. Thompson nommèrent l’histoire from below, par le bas, c’est-à-dire une histoire qui tente de rendre compte des discours et des aspirations des classes sociales inférieures autrement qu’à travers les préjugés des élites. Au même moment, l’école française des Annales y allait de sa propre proposition très axée sur l’histoire quantitative. Ainsi, quelques historiens, dont Peter Clark est le plus illustre représentant, revisitent à cette époque l’histoire de la taverne dans une perspective d’histoire sociale. Les points de vue sur la taverne changent. D’espace hors du temps, où se mettait en scène une vision édulcorée et figée de la sociabilité du passé, la taverne devient alors le produit d’une société réelle en constante évolution. Pour la première fois, l’historiographie entrevoyait ces débits de boisson comme des lieux d’interaction sociale, avec leurs tensions et contradictions que l’on pouvait inscrire dans les paramètres de la longue durée. Cette approche novatrice, ainsi que ses avatars, continue à inspirer les historiens de la taverne.

    Boire public, culture populaire et autorégulation sociale

    Le plus grand apport de cette nouvelle approche consiste à conceptualiser la taverne comme une institution où des mécanismes sociaux peuvent être observés au sein d’une société donnée. The English Alehouse : A Social History, 1200-1830[25] de Peter Clark est un ouvrage majeur auquel tous les auteurs qui ont publié postérieurement font référence. La perspective de longue durée qu’emprunte l’historien britannique n’occulte pas le détail. Par contre, Clark s’arrête peu à la dynamique sociale animant la vie à l’intérieur de la taverne. En fait, le seul chapitre qui aborde la question de plus près se contente d’établir une typologie sociale des besoins et du genre d’institutions que chaque classe fréquentait. Quoi qu’il en soit, cet ouvrage demeure pertinent et constitue un incontournable pour tous ceux qui veulent travailler sur la question. Par ailleurs, l’ouvrage de Paul Jennings datant de 2010, The Local. A History of the English Pub[26] enrichit et approfondit les principales thèses de Clark.

    En 1988, en vue du bicentenaire de la Révolution française, Thomas Brennan publia Public Drinking and Popular Culture in Eighteenth Century Paris[27]. Brennan consommait ainsi un changement de paradigme dans l’historiographie des classes populaires et introduisait une toute nouvelle approche. Scrutant dans les archives judiciaires le compte rendu des altercations et incidents ayant pour cadre les cabarets, cafés et guinguettes du Paris du XVIIIe siècle, l’historien moderniste de Princeton montre comment une frange active, principalement des artisans établis, ne faisait pas que boire dans ces tavernes. Une dynamique d’autorégulation s’opérait à l’intérieur des débits de boissons. Ce n’est qu’en cas d’infractions aux règles de sociabilité établies à l’intérieur même du cercle populaire que les forces de police pouvaient intervenir. Brennan déboulonne quelques mythes concernant la violence, le vol et le viol qui étaient censés gangréner ces antres de perdition d’après l’opinion véhiculée par l’élite. L’examen des archives indique que cette brutalité prend rarement place dans les débits de boissons parisiens. De même, Brennan montre bien dans ce travail pionnier que les discussions et activités ayant cours dans ces cabarets et guinguettes faisaient partie intégrante du réseautage populaire et de la vie quotidienne du peuple. L’œuvre de Brennan démontre que la taverne est un objet d’histoire de tout premier ordre lorsque vient le temps d’étudier la culture populaire du XVIIIe siècle.

    L’article de Peter Delottinville « Joe Beef of Montreal : Working-Class Culture and the Tavern, 1869-1889 »[28] vient élargir également l’approche initiée par Clark. Plus encore, il soulève l’importance du rôle que peut prendre le tenancier dans l’articulation de la culture populaire dans un cadre urbain. En matière de régulation, la culture populaire, qui se manifeste par une autorégulation spontanée, est à mettre en opposition avec la culture élitaire, fondée sur le réformisme social et ayant notamment recours à des politiques de contrôle. Ces dernières ont pour conséquence d’affaiblir l’autorégulation populaire, perceptible à travers les relations qu’entretient la clientèle des tavernes et les tenanciers. En bref, il semble que l’intérêt d’étudier la taverne déborde du seul cadre culturel national ou institutionnel.

    La thèse de Julia H. Roberts défendue dans In mixed company : taverns and public life in Upper Canada[29] s’appuie sur un corpus de sources qui inclut le journal inédit d’un tenancier Quakers, Ely Playters[30]. Pour Roberts, le mode de consommation de boissons alcooliques et de fréquentation des tavernes dans le Haut-Canada était fondé sur la mixité, une mixité s’exprimant autant du point de vue du genre que de l’ethnicité et de l’appartenance sociale. De plus, boire de l’alcool serait une forme de consommation marquée par la modération et la civilité, puisque les comportements déviants étaient régulés par les pairs d’après un code moral populaire flexible. Malgré la grande qualité de l’ouvrage, il est permis de s’interroger sur la portée des conclusions de l’auteure. Est-ce que cette autorégulation et cette mixité sociale étaient vraiment la règle ou l’exception dans le cadre pionnier? Est-il possible d’étendre ces conclusions à la société urbaine, ou même rurale, de la vallée du Saint-Laurent de la période?

    Anthropologie et symbolique du boire : la place de l’Homme et de la taverne

    Inspirés du second mouvement des Annales,lui-même influencé par les nouvelles approches anthropologiques en vogue dans les années 1970 et au début des années 1980, certains historiens commencèrent à interroger les sources d’une manière différente. Une abondante littérature qui aborde la question de la consommation d’alcool a été écrite durant ces décennies. Les approches issues de cette école permettent de situer dans une perspective diachronique les pratiques du boire prenant pour cadre, une chopine après l’autre, les tavernes.

    L’anthropologue Bertrand Hell propose une approche fondée sur l’investissement symbolique de la consommation et la production de bière en Alsace. Dans cette veine, L’homme et la bière[31] propose une approche différente des ouvrages précédemment mentionnés. L’ouvrage est pionnier et inspirant. Hell écarte le jugement de valeur et tente d’observer la consommation d’alcool (et sa signification) pour ce qu’elle est en soi. L’anthropologue alsacien revisite la tradition brassicole ainsi que la signification de la consommation de bière d’un point de vue culturel et symbolique. Bien que l’ouvrage se concentre essentiellement sur le Moyen Âge et le début de la période moderne, il n’en propose pas moins une approche analytique intéressante qui pourrait être transposée dans le contexte de la Province of Quebec et du Bas-Canada.

    Plus récemment, Josiane Massard-Vincent dans Le temps du pub. Territoires du boire en Angleterre[32] ouvre les portes du pub anglais contemporain. Cette étude succincte menée par cette anthropologue française analyse de manière très originale le rôle du tenancier dans la socialisation de sa clientèle. Chaque tenancier, par sa personnalité, définit la couleur particulière de son établissement, un phénomène que l’on peut retracer également dans le passé. Le Montréalais Charles McKiernan, alias Joe Beef, est un excellent exemple. Ainsi, les schèmes d’analyse proposés par les anthropologues peuvent s’avérer fructueux en certaines occasions pour l’historien de la taverne.

    L’ouvrage de Catherine Ferland, Bacchus en Canada[33] est un excellent exemple de cette adaptation des thèses anthropologiques à la période moderne et à la situation coloniale prévalant en Nouvelle-France. Prenant une perspective longue durée, l’historienne développe sa démonstration selon trois angles différents. Tout d’abord, elle explore tout ce qui a trait à la production, distribution/importation et consommation des boissons alcooliques. Ensuite, elle analyse les pratiques de boire ainsi que les lieux de consommation pour chaque couche sociale présente dans la colonie. Enfin, l’historienne analyse la consommation d’alcool chez les Amérindiens et le rôle particulier que l’ivresse prend pour ce groupe. À la lecture de Ferland, on conçoit que certaines habitudes de consommation sont intimement liées à la différenciation socioéconomique et, sur le plan de l’investissement symbolique, d’après le contexte culturel. Ainsi, boire des vins importés et coûteux dans un service de vaisselle raffiné est réservé à l’élite qui peut se le permettre. Cette thèse spécifique de la distance culturelle fut également développée dans un article publié dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, « Le nectar et l’ambroisie : La consommation des boissons alcooliques chez l’élite de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle[34]». Le cabaret et l’auberge n’attirent pas le même type de clientèle ni ne sont dirigés par des membres de la même classe sociale. De même, la consommation d’alcool chez les Amérindiens n’est pas investie du même sens symbolique que pour les colons d’origine européenne. En fin de compte, cette vaste étude présente les pratiques du boire ainsi que la taverne comme étant fortement intégrées dans les sociétés dans lesquelles elles s’incarnent.

    L’étude des mouvements de prohibitions

    En termes historiographiques, les années 1990-2000 sont transitoires. Ce qui fut considéré par plusieurs comme le monolithe de l’histoire sociale et celle issue de l’école des Annales commença à se fissurer. De nouvelles approches se popularisèrent. Andrew Barr fut le premier à proposer une étude globale sur l’histoire de la consommation d’alcool états-unienne. Les angles d’approches sont inspirés à la fois de l’histoire sociale et de l’anthropologie. Dans les faits, l’objectif de Drink : a social history of America[35] est d’exposer en quoi l’histoire de la consommation a joué un rôle important dans l’histoire des États-Unis, mais également de revisiter cette histoire selon la signification de cette consommation. L’originalité de cette étude est aussi de prétendre pouvoir englober les attitudes contradictoires en face de la consommation alcoolique, entre la prohibition et l’octroi de licences, ou bien entre condamnation morale et célébration enthousiaste, pour paraphraser Barr. Quoi qu’il en soit, cet ouvrage permet d’envisager comment l’histoire de la consommation axée sur un aspect de la vie en société, tel que la consommation d’alcool, peut s’enchâsser dans une histoire sociale plus large.   


    William Hoggart, Beer Lane (à gauche) et Gin Land (à droite) Peter Clark, The English Ale: A Social History 1200-1830, New York, Longman, 1983, p. 209-215

    Dans Canada Dry. Temperance Crusades before Confederation[36], Jan Noel propose une étude originale par son cadre. En effet, aucun historien n’avait proposé d’étudier de manière exhaustive les mouvements de tempérance avant l’établissement de la Confédération. Tout comme Craig Heron, elle prend un cadre géographique très large, les colonies de l’Amérique du Nord britannique incluant les Territoires du Nord-Ouest. Les chapitres sont quelque peu décousus les uns des autres, ce qui est peut-être inévitable avec un cadre d’analyse si ambitieux. Cependant, pour Noel, la raison majeure de la popularité du mouvement de tempérance de la décennie 1840, qui obligea des centaines de taverniers à mettre la clé sous la porte, provient du renouveau chez les classes moyennes, guidées par la résurgence de l’Église catholique et ses prédicateurs tels que l’abbé Chiniquy, des valeurs et des croyances religieuses. Des valeurs qui ne seraient pas uniquement liées à une attitude matérialiste, mais plutôt à une attitude propre à l’éthique pragmatique et industrialiste.

    Craig Heron dans Booze : a distilled history paru en 2003 défend la thèse classique de l’émergence des mouvements de prohibition suivant l’industrialisation[37]. Cette thèse s’inspire largement de l’historiographie marxiste et propose d’étudier l’émergence et les resserrements des contrôles aux couches populaires que tentent d’imposer les élites. Inversement, la dynamique s’opère dans une dialectique de résistance de ces mêmes couches envers ces tentatives de contrôle. L’étude volumineuse et abondamment illustrée de Heron constitue une analyse croisée du social, du politique, de la sexualité, de la médecine, de l’ethnicité et de la culture à travers l’histoire canadienne d’après 1867. Heron est un historien spécialisé dans l’histoire des classes ouvrières. Aussi, l’analyse à large spectre qu’il propose dans ce livre est très inspirée de l’approche d’E.P. Thompson et teinte l’ensemble. L’étude des mouvements de tempérance et prohibitionnistes y est étudiée en parallèle avec la formation d’une éthique sociale de la tempérance et de l’efficacité, imposée par les élites afin de mieux contrôler les masses ouvrières afin d’améliorer la productivité.

    En résumé, l’interprétation de Craig Heron est discutable en ce qu’elle évacue la participation omniprésente des moralistes chrétiens dans la montée de ces discours réformistes voir prohibitionnistes. Jan Noel a très bien souligné cette participation du religieux pour ce qui est des sociétés préindustrielles et préconfédérales. De même, le problème d’alcoolisme se pose très tôt dans les Amériques, comme l’expose Barr, avec l’introduction du produit du développement et la popularisation des techniques de la distillation : le rhum, le gin et le whisky[38].

    À l’orée du XXIe siècle : étude de la consommation, de la sociabilité et de l’émergence de l’État moderne

    Depuis quelques années en Occident, les thématiques de l’identité, de la consommation et de l’alimentation gagnent en popularité. Comme lieu de boire, de restauration et de repos, l’étude historique de la taverne n’échappe pas à cette tendance. Les perspectives d’analyses sont vastes et diversifiées. Le concept de consommation peut être entendu de diverses manières qui appellent chacune une analyse particulière. Qu’elle soit fondée sur sa plus simple expression comme participant à l’alimentation humaine ou bien articulée autour des pratiques orientées vers le marché, une pléthore d’approches demeure possible et justifiée. L’histoire de la taverne, par contre, appelle un resserrement de l’analyse autour de la notion de consommation alimentaire et de boissons alcooliques, sans oublier celle de la construction identitaire et culturelle. L’histoire politique et de la construction de l’état moderne ou colonial transpire également dans l’étude de la taverne puisqu’elle s’enchâsse dans les cadres des marchés, légaux et illégaux, de la distribution des denrées ainsi que les lois et réglementations qui les encadrent.

    L’historiographie québécoise a peu exploré ces questions jusqu’à maintenant. Néanmoins, Catherine Ferland traite longuement de ces aspects pour la Nouvelle-France dans son ouvrage Bacchus en Canada. Avant elle, à part quelques livres grand public de peu d’intérêt, seul Craig Heron avait proposé une synthèse sur l’histoire de la consommation alcoolique, mais celle-ci se concentrait, pour l’essentiel, sur le Canada d’après 1867. Bref, malgré la qualité des études pionnières, la thématique demeure un terrain en friche, particulièrement pour ce qui est des dernières décennies du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle.

    L’histoire des alcools : esquisse d’un portrait de consommation

    L’histoire de la consommation est des courants historiographiques en ascension depuis une vingtaine d’années. Les liens entre consommation et culture gagnent à être explicités davantage puisqu’ils ouvrent des pistes de réflexion tissant un réseau englobant de multiples aspects historiques tels que l’histoire économique, matérielle, de la sociabilité et des pratiques. Les portraits qui en découlent soulignent les apports des échanges culturels à la construction des identités nationales.

    Didier Nourrisson propose une étude sur la consommation d’alcool, mais dans la perspective du buveur français du XIXe siècle[39]. L’approche demeure, somme toute, également à large spectre. Partant d’une description de la France divisée selon les boissons de prédilection de chaque région, l’auteur en vient à établir qu’une dynamique culturelle et commerciale alimente la construction de l’identité nationale et de l’État français, particulièrement à une époque où s’accélère l’industrialisation du pays. Ainsi, l’arrivée des chemins de fer et l’élargissement des moyens de communication stimulent la diffusion du vin au-dehors des régions vinicoles du Sud, vers les régions cidricoles ou brassicoles du Nord. Les conflits d’envergure nécessitant la mobilisation de conscrits contribuent à l’homogénéisation des pratiques du boire. Cette homogénéisation participe assurément à la construction identitaire française, bien que Nourrisson n’insiste pas sur ces aspects, se concentrant plutôt sur l’évolution des attitudes sociales entourant la prévention de l’alcoolisme.

    On peut penser qu’à l’échelle du XVIIIe siècle, l’entrée de la colonie laurentienne dans les circuits commerciaux britanniques (rhum de la Jamaïque, porto du Portugal, porter, ales et stout de Londres, Bristol et Dorchester) et leurs percolations dans les réseaux de revente rurale par l’entremise des marchands locaux, jointes à l’ouverture de nouvelles routes et voies maritimes, ont pu avoir un impact similaire sur la culture éthylique canadienne au XVIIIe et XIXe  siècle[40].

    Déjà, le travail pour la Nouvelle-France a été fait par Catherine Ferland en particulier dans son article « De la bière et des hommes. Culture matérielle et aspects socioculturels de la brasserie au Canada (17e-18e siècles) »[41]. Cet article couvre un large panorama, décloisonné des études très circonscrites dans l’espace et le temps qui permettent d’esquisser certaines tendances formant la toile de fond du Régime anglais et des périodes postérieures. La perspective comparative permet de décloisonner l’analyse historique et d’ouvrir les pistes d’investigations. Cela est particulièrement utile pour une période, le Régime anglais et les débuts du Bas-Canada ainsi que pour un thème de recherche comme celui de la taverne.

    Martyn Cornell et Ronald Pattinson[42] sont, en ce moment, les plus actifs et les plus rigoureux historiens britanniques, voire mondiaux, traitant de la bière. Leurs ouvrages permettent de situer dans le contexte général de la culture brassicole et de la culture nationale britannique les nouvelles pratiques importées de la nouvelle mère patrie. Dans Amber, Gold & Black. The History of Britain’s Great Beers[43], Cornell exploite des sources inédites et rarement utilisées, soit des publicités de l’époque victorienne, journaux de bord (logbooks) de brasseurs, guides touristiques anciens, etc., ce qui permet de montrer que les clients du pub créent le plus souvent leurs propres catégories de boissons. Par exemple, ce que les brasseurs nomment Pale Ale sera rapidement baptisé Bitter, une appellation que l’on ne retrouve pas en Amérique du Nord, mais qui migre dans les autres colonies britanniques comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Bref, il s’agit d’une manière intéressante de pénétrer dans l’univers des tavernes par la porte du langage populaire.

    Dans Beer, the Story of the Pint[44], Cornell peint un large tableau de l’évolution de la bière comme boisson nationale anglaise, déboulonnant au passage quelques mythes concernant quelques grands styles tels que le porter, une boisson qui a fait la fortune du XVIIIe siècle anglais lors de son industrialisation. La synthèse de Cornell se présente comme un incontournable pour quiconque désire approfondir la question de la consommation de la bière dans un univers culturel qui, inévitablement, se britannise après la Conquête.

    Les lieux de boire, le commerce de l’alcool et leur rôle dans l’émergence de l’État moderne

    Pour les classes populaires, particulièrement pour celles du XVIIIe siècle, la taverne est une nécessité. Ces débits de boisson sont en effet dispensateurs, en quelque sorte, de « services sociaux » que ni l’État ni les églises ne semblent pouvoir ou vouloir prodiguer. L’article de Delonteville cité plus haut expose bien cette situation pour la seconde moitié du XIXe siècle en traitant du cas de Joe Beef, tavernier, qui offrait un service d’accueil aux indigents, jeunes hommes sans domicile fixe. En même temps, la taverne est aussi considérée comme une sorte de filet social, fournissant un moyen de subsistance aux veuves, estropiés et vétérans qui n’auraient pas d’autres moyens de gagner leur pitance. Face aux tentatives de limitations du nombre d’allocations de licence, les classes populaires font pression sur les autorités pour en maintenir ou augmenter le nombre. Cette dynamique de pouvoir, David Conroy en traite en détail dans In Public Houses: Drink & the Revolution of Authority in Colonial Massachusetts[45]. Pour Conroy, cet enjeu de pouvoir serait précurseur du mouvement révolutionnaire américain de la fin du XVIIIe siècle. 

    Sharon V. Salinger traite également de cet enjeu dans Taverns and Drinking in Early America[46], mais d’après le point de vue des autorités. Le cadre géographique de l’étude est plus large que celui de Conroy, ce qui offre un portrait plus englobant de l’évolution des politiques entourant la taverne dans les colonies américaines. Si Salinger entre peu dans la dynamique de confrontation et de résistance de la part des pouvoirs locaux, elle insiste cependant davantage que Conroy sur les mutations de la taverne jusqu’à la Révolution américaine et les changements dans les habitudes de fréquentations qui en découlent. Selon l’historienne, il existe une volonté d’établir des règles claires d’attributions de licences motivées par des considérations morales puis sociales, mais sans posséder ni les moyens de leurs ambitions ni même une vision uniforme. L’improvisation et l’arbitraire caractériseraient les politiques étatiques d’attribution des licences. Salinger souligne néanmoins que l’évolution dans les modes de sociabilité au XVIIIe siècle, c’est-à-dire une dichotomie croissante entre les établissements à caractères élitaires, comme les cafés et les Public Houses traditionnels, fracturerait la culture de fréquentation de la taverne globalement homogène au XVIe siècle. La diversification des types de sociabilité entourant la taverne soulève donc des questions quant à la dynamique révolutionnaire et contre-révolutionnaire en Amérique du Nord à la fin du XVIIIe  siècle.

    La taverne : sociabilité et bouleversements politiques de la fin du XVIIIe siècle

    Alimentés par les écrits du philosophe Jürgen Habermas[47], plusieurs historiens de la fin du XXe siècle et du XXIe siècle commencèrent s’interroger sur la validité historique de l’émergence d’une sphère publique et l’expression de critiques rationnelles détachées de la tradition et des autorités. Si pour certains, comme Roger Chartier, cette sphère se restreint aux cafés et salons de la seconde moitié du XVIIIe siècle anglais et français, pour d’autres chercheurs, les établissements américains auraient également été le théâtre de l’émergence d’une opinion publique critique préludant la Révolution américaine. Chartier insiste beaucoup sur la diffusion et la réception de l’écrit et de l’imprimé dans la constitution d’un public à l’époque des Lumières et à la veille de la Révolution française, et critique l’importance des lieux de sociabilités – tant élitaires que populaires – dans l’articulation et l’émergence d’une « opinion publique » dans le sens d’une opinion critique éclairée et de nouvelles formes de sociabilités politiques[48].

    L’ouvrage Rum, Punch & Revolution : Taverngoing & Public Life In Eighteenth-Century Philadelphia[49] de Peter Thompson diverge de l’approche de Salinger et se rapproche des thèses de Brennan et de Conroy. Pour Thompson, l’univers de la taverne coloniale est pour l’essentiel égalitaire tout en s’inscrivant dans un contexte sociétal très inégalitaire. La société du XVIIIe siècle voit donc s’amplifier la dichotomie entre culture élitaire et populaire. Rappelons que, selon Conroy, la taverne s’oppose essentiellement à l’autorité instituée, alors que cette opposition alimente un sentiment populaire républicain menant à terme à une redéfinition de la nature même de l’autorité par la promulgation de la république. Thompson, quant à lui, un peu comme Julia H. Roberts, considère plutôt la taverne comme un espace public où tous les discours peuvent s’exprimer sur un pied d’égalité, au dehors des divisions de classes.

    Comme le souligne Marcel A.J. Fortin dans son mémoire Popular culture and public drinking in Eighteenth-Century New France : Louisbourg’s taverns and inns, 1713-1758[50], le coup de maître de Conroy tient dans sa démonstration de l’enracinement profond des conflits associés avec la fréquentation des tavernes. De même, en mettant en exergue les significations politiques et culturelles de ces tensions, Conroy a réussi à établir la fréquentation des tavernes comme un sujet d’une importance centrale dans l’histoire sociale du Massachusetts et, par extension, de l’Amérique coloniale[51]. Fortin inscrit les conclusions de son mémoire dans la lignée de celles de Conroy. Si la réflexion de Fortin s’arrête brusquement à la prise de Louisbourg par les Britanniques en 1763, il a au moins pu démontrer que la démarche de Conroy est également opérationnelle  à l’intérieur de la société de la Nouvelle-France. La réflexion mériterait d’être prolongée au Régime anglais.

    Le livre de Brian Cowan, The Social Life of Coffee. The Emergence of the British Coffeehouse[52] se situe quelque peu en porte-à-faux avec la démarche de la plupart des auteurs précédemment mentionnés. Cowan débute sa réflexion à partir des modalités de l’introduction réussie d’un produit exotique, le café, dans l’Angleterre du XVIIe siècle, un  succès qui s’expliquerait par la popularité de ce produit chez une frange particulière de l’élite cultivée imbue d’un certain orientalisme, les virtuoso. Quoi qu’il en soit, la consommation de café s’institutionnalise grâce à l’émergence du coffee house, une forme particulière et élitaire du public house. En opposition avec le courant inspiré de la pensée de Habermas, Cowan souligne le caractère exclusif de ces établissements. Assurément, il y a une différence entre la situation prévalant dans un contexte métropolitain et celle dans les colonies. Il n’en demeure pas moins que la nouvelle élite britannique s’installant dans la Province of Quebec, nouvelle possession de l’empire, partage un fort fond culturel avec la métropole. Reproduisent-ils de manières similaires le coffee house dans la ville de Québec?

    Bien entendu, la France et sa colonie des bords du Saint-Laurent possèdent également leur propre tradition d’auberge, de taverne et de cabaret. Or, qu’arrive-t-il lorsque les traditions françaises et britanniques, à travers leurs institutions, se rencontrent? Est-ce que sous l’influence des vapeurs éthyliques les langues se délient, les opinions s’expriment et les hiérarchies sociales s’émoussent, comme le suggère Thompson pour la Philadelphie de la période coloniale? Qu’arrive-t-il lorsque le métier de tenancier devient une nécessité alimentaire ou, inversement, un moyen d’ascension sociale? Le tenancier est-il un personnage important dans sa communauté? Est-ce un métier qui peut s’avérer un outil de pouvoir et de domination à l’échelle locale? Ces interrogations, l’historiographie québécoise n’y a répondu que partiellement. Les historiens n’ont jamais offert de synthèses abordant de front ces questions dans une perspective inspirée par l’approche, très stimulante et dynamique, de David Conroy voire de celle de Brian Cowan pour la sociabilité de l’élite.

    Conclusion

    On constate après ce survol que la taverne est un objet historique aux multiples facettes. L’historiographie la concernant est complexe et transcende les frontières. La taverne n’en demeure pas moins un objet d’étude fertile pour mettre en lumière, fut-ce partiellement, la sociabilité préindustrielle et les aspects culturel et politique qui en découlent. Yvan Lamonde souligne que : « Faire l’histoire intellectuelle du Québec, ce fut donc identifier la pluralité des héritages, dépasser la mémoire d’une seule mère patrie – la Française –, faire face à une autre, la Britannique, et envisage que le père participait de l’américanité[53]». En toute humilité, il n’est pas insensé d’affirmer que l’histoire de la taverne, compte tenu de ses paramètres d’implantation – politiques d’attribution des licences, contrôles juridiques –, de sa transformation – identités des tenanciers et des clients, transition et échanges entre les établissements de traditions françaises et britanniques –, ainsi que de son ancrage dans la culture et la mémoire populaires – plusieurs chansons traditionnelles, tant canadienne que britannique, ont pour thème le boire et mette en scène la taverne –, représente une avenue très riche pour renouveler les connaissances que nous avons de cette période historique quelque peu négligée qui suit la Conquête et précède les Rébellions de 1837.

    Références

    [1] D’après le dictionnaire de l’Académie française, quatrième édition, 1762 la taverne est définie comme suit : « Cabaret, lieu où l’on vend du vin en détail. Bouchon de taverne. Tenir taverne, aller à la taverne. C’est un ivrogne qui ne bouge de la taverne. Il ne se dit guère que par mépris. » La sixième édition datant de 1835 ajoute cette précision révélatrice : « Il se dit, en Angleterre, des lieux où l’on donne à manger à prix d’argent. La taverne de l’Ancre, de la Couronne. Dans le dictionnaire Littré (1872-77), cette autre précision est ajoutée : “En Angleterre, lieux où l’on donne à manger à prix d’argent. Par extension, il se dit avec ce même sens en France et ailleurs.” Et en citant Chateaubriand, Voyage en Amérique, “Je payai mon passage au capitaine, et lui donnai un dîner d’adieu dans une très bonne taverne auprès du port”. Pour ce qui est de la synonymie avec le terme cabaret, Émille Littré spécifie que : “Quand taverne est prise seulement au sens où l’on va boire, il s’y attache une idée de mépris qui n’est pas dans cabaret; et, quand il est pris au sens de lieu où l’on donne à boire et à manger, il indique un établissement plus relevé que le cabaret.” D’après A Dictionary of the English Language publié par Samuel Johnson publié en 1755: « TAVERN, n.f. [taverne, Fr. Taberna Latin.] A house where wine is sold and drinkers are entertained.” et citant Jonathan Swift : “To reform the vices of this town, all taverns  and alehouses should obliged to dismiss their company by twelve at night, and no woman suffered to enter any tavern or alehouse.” Dans le présent essai, le terme taverne sera utilisé dans son sens générique et privilégié à auberge et cabaret.

    [2] Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, Tome 1, Montréal, Fides, 2000, p. 29.

    [3] François Jean de Beauvoir, marquis de Chastellux, Voyages de M. le Marquis de Chastellux dans l’Amérique septentrionale dans les années 1780, 1781, 1782, vol. 2, Paris, Chez Prault, imprimeur du roi, 1786, p.90.

    [4] Cf. Angela McShane Jones, « Roaring Royalists and Ranting Brewers : The Politicisation of Drink in Political Broadside Balads from 1640 to 1689 », dans Adam Smith, dir., A Pleasing Sinne: Drink and Conviviality in Seventeenth-Century England, Londres, Hushion House, 2004, 242 p.

    [5] Jürgen Habermas, L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, rééd. 1988, 324 p.

    [6] David W. Conroy, In Public Houses : Drink And The Revolution of Authority in Colonial Massachusetts, Chapel Hill – Londres, The University of North Carolina Press, 1995, 351 p.; Catherine Ferland, Bacchus en Canada: Boissons, buveurs et ivresses en Nouvelle-France, Québec, Septentrion, 2010, 413 p.; Sharon V. Salinger, Tavern and Drinking in Early America, Baltimore et London, The Johns Hopkins University, 2002, 328 p.

    [7] Donald Fyson, Magistrats, police et société. La justice criminelle ordinaire au Québec et au Bas-Canada (1764-1837), Montréal, Hurtubise, 2010, 592 p.

    [8] Louis-George Harvey, Le Printemps de l’Amérique française, Montréal, Boréal, 2005, 296 p.

    [9] Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, p.18.

    [10] Michel Francisque & Édouard Fournier, Histoire des hotelleries, cabarets, hotels garnis, restaurants et cafés et des hôteliers, marchands de vins restaurateurs, limonadiers, etc. etc., Paris, 1851 et 1859, tome 1 & 2.

    [11] Ibid., p.5.

    [12] Gustave Courbet, Leopold Flameng et Felicien Rops, Histoire anecdotique des Cafés & cabarets de Paris, Paris, Libraire de la Société des gens de lettres, 1862, p.V.

    [13] Ibid., p.VI.

    [14] Jacques Portes, L’impossible retour de la France : De « La Capricieuse » à De Gaulle, Montréal, VLB éditeur, 2008, 109 p.

    [15] Ibid., p.37-54.

    [16] Philéas Gagnon, « Le premier cabaret tenu à Québec », Le bulletin des recherches historiques, vol. 4, no. 4, 1898, p. 116-117.

    [17] Philéas Gagnon, « Réponses. Les enseignes sous le Régime français », Le bulletin des recherches historiques, vol. 18, no. 2, 1912, p. 19-23.

    [18] E.-Z. Massicotte, « Notes sur l’industrie de l’hôtellerie à Montréal sous le régime français. », Comptes rendus de la société royale du Canada, Ottawa, Société Royale du Canada, 1927, p. 97-112

    [19]E.-Z. Massicotte, « La pension Morand à Montréal au XVIIIe siècle », Le bulletin des recherches historiques, vol. 38, no. 11, 1942, p. 339-344.

    [20] Gérard Malchelosse, « Ah! mon grand-pèr’, comme il buvait! », Les Cahiers des Dix, no. 8, 1943, p.141-154.

    [21] B.W Matz, Dickensian Inns & Taverns, Londres, Cecil Palmer, 1922, 280 p.

    [22] Edward Field, The Colonial Tavern, Providence, Preston and Rounds, 1897, 296 p.

    [23] Samuel Adams Drake, Old Boston taverns and tavern clubs, Boston, W.A. Butterfield, 1917, 124 p.

    [24] Edwin Clarence Guillet, Pioneer inns and taverns, Toronto, The Ontario Publ., 1954. Édition combinée (2 tomes), 5 volumes.

    [25] Peter Clark, The English Alehouse : A Social History, 1200-1830, Londres, Longman, 1983, 353 p.

    [26] Paul Jennings, The Local. A History of the English Pub, Stroud, The History Press, 2007, 288 p.

    [27] Thomas, Brennan, Public Drinking and Popular Culture in Eighteenth Century Paris, Princeton, Princeton University Press, 1988, 333 p.

    [28] Peter Delotinville, « Joe Beef of Montreal : Working-Class Culture and the Tavern, 1869-1889 », Labour/Le Travail, Vol. 8-9, Automne 1981- Printemps 1982, p. 9-40.

    [29] Julia H Roberts, In mixed company: taverns and public life in Upper Canada, Vancouver, UBC Press, 2009, 240 p.

    [30] Julia Roberts, « Women, Men, and Taverns in Tavern-Keeper Ely Playter’s Journal », Social History/ Histoire Sociale, Toronto, University of Toronto Press, vol. 36, no. 72, 2003, p.371-405.

    [31] Bertrand Hell, L’homme et la bière, Paris, J-P Gyss, 1982, 219 p.

    [32] Josiane Massard-Vincent, Le temps du pub. Territoires du boire en Angleterre, La Courneuve, Aux lieux d’être, 2006, 116 p.

    [33] Catherine Ferland, Bacchus en Canada…, 413 p.

    [34] Catherine Ferland, « Le nectar et l’ambroisie : La consommation des boissons alcooliques chez l’élite de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle », Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 58, no. 4, 2005, p.475-505.

    [35] Andrew Barr, Drink : a social history of America, New York, Caroll & Graf, 1999, 466 p.

    [36] Jan Noel, Canada Dry. Temperance Crusades before Confederation. Toronto, University of Toronto Press, 1995, 310 p.

    [37]Craig Heron, Booze: a distilled history, Toronto, Between the Lines, 2003, 482 p.

    [38] Voir les gravures du peintre britannique William Hoggar datant de 1751 intitulés Beer Street et Gin Lane qui décrivent, d’une manière satyrique, une idée des mots sociaux apportés par les alcools distillés. D’un côté, la rue de la bière la société est représentée comme étant joyeuse, civilisée et industrieuse. De l’autre, l’allée du genièvre (Gin) est représentée comme chaotique, monstrueuse et violente. Un peu paradoxalement, c’est la modernité industrielle qui sort les spiritueux de la boutique de l’apothicaire pour devenir un produit de consommation de masse. L’industrie brassicole, en revanche, bien qu’en pleine transformation à l’époque, participent des cultures européennes depuis presque deux millénaires. Peter Clark, The English Ale : A Social History…, p. 209-215; Paul Jennings, The Local: A History of the English Pub…, p. 33-38.

    [39] Didier Nourrisson, Le buveur du XIXe siècle, Paris, Éditions Albin Michel, 1990, 378 p.

    [40] Sur la place de ces réseaux marchands ruraux, voir Allan Greer, Peasant, Lord, and Merchant : Rural Society in Three Quebec Parishes 1740-1840, Toronto, University of Toronto Press, 1985, p. 140-176.

    [41] Catherine Ferland,« De la bière et des hommes. Culture matérielle et aspects socioculturels de la brasserie au Canada (17e– 18e siècles) (archives) », Terrains et Travaux, ENS Cachan, vol. 2, no. 9, 2005, p. 32-50.

    [42] Cf. le blogue de Ron Pattison : http://barclayperkins.blogspot.com/

    [43] Martyn Cornell, Amber, Gold & Black. The History of Britain’s Great Beers, Stroud, The History Press, 2010, 240 p.

    [44] Martyn Cornell, Beer, the Story of the Pint, Londres,Headline Book Publishing, 2003, 328 p.

    [45] David Weir Conroy. In public houses : drink & the revolution of authority…, 353 p.

    [46] Sharon V. Salinger. Taverns and Drinking in Early America…, 328 p.

    [47] À l’instar de Jürgen Habermas, animateur de la seconde génération de l’école de Frankfort, qui adapte les thèses marxistes à la réalité d’après-guerre. Cf. Jürgen Habermas, L’espace public : archéologie de la publicité…, 324 p.

    [48] Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 2000, p.37-60; 173;215;220;229.

    [49] Peter Thompson, Rum, Punch & Revolution: Taverngoing & Public Life In Eighteenth-Century Philadelphia, Philadelphie, University of Pennsylvania, 1999, 265 p.

    [50] Marcel A. J. Fortin, Popular culture and public drinking in Eighteenth-Century New France : Louisbourg’s taverns and inns, 1713-1758, Mémoire de maîtrise (histoire), UBC, 2000, 70 p.

    [51] Ibid., p.12.

    [52] Brian Cowan, The Social Life of Coffee. British Coffeehouse, New Haven, Yale University Press, 2005, 354 p.

    [53] Yvan Lamonde, Historien et citoyen.  Navigations au long cours, Montréal, Fides, 2008, p.6.