Quand les industriels entrent en classe

Le cas du couvent de Port-Menier sur l'île d'Anticosti. 1925-1973

GENEVIÈVE PICHÉ
Université de Sherbrooke

Résumé : En 1925, les Sœurs de la Charité de Québec s’installent à Port-Menier, sur l’île d’Anticosti, et fondent un couvent et un pensionnat afin de dispenser un enseignement primaire aux enfants. Anticosti est alors aux mains d’un riche propriétaire français, qui la vendra l’année suivante à une compagnie forestière. De 1926 à 1973, les religieuses poursuivent leur œuvre, alors que l’île d’Anticosti est destinée à l’exploitation forestière. Afin d’assurer la pérennité de leur institution, elles devront constamment négocier avec les administrateurs de l’entreprise. Cet article dévoile les relations employées/employeurs qui se tissent entre les religieuses enseignantes et les industriels. Il vise à démontrer comment l’industrie a interagi avec une congrégation religieuse au sein même du couvent, dans sa gestion et son fonctionnement internes.

Mots-clés : Anticosti – Sœurs de la Charité – couvent – pensionnat – éducation – industrie forestière – Consolidated-Bathurst – Port-Menier

 

Table des matières
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    Introduction

    En 1895, le riche industriel Henri Menier, surnommé le « roi du chocolat de France[1] », recherche une île pour en faire son coin de paradis. Enchanté par ce qu’il entend dire au sujet de l’île d’Anticosti, il s’en éprend vite et l’achète[2]. Sous l’œil bienveillant des pères eudistes, chargés de la préfecture apostolique du golfe Saint-Laurent, Menier y bâtit un village moderne, Port-Menier, calqué sur les mœurs françaises d’alors. Lorsque le mécène décède en 1913, son frère Gaston hérite de l’île et, dès 1923, prend l’initiative d’y faire venir les Sœurs de la Charité de Québec, avec l’appui du clergé local. Les religieuses s’installent donc à Port-Menier en 1925 et fondent un couvent et un pensionnat afin de dispenser un enseignement primaire aux enfants. Toutefois, depuis quelques années déjà, Gaston Menier cherchait à se débarrasser de l’île, véritable gouffre financier. Il y parvient en 1926, alors que la compagnie forestière Anticosti Corporation achète l’île avant d’être absorbée par Consolidated Paper Corporation en 1932. Très vite, Port-Menier ne vit plus qu’à travers l’industrie forestière et les religieuses doivent s’acclimater aux nouvelles institutions et aux nouveaux rapports de classe instaurés par la compagnie forestière. La situation est donc en elle-même problématique. Comment la compagnie forestière s’investit-elle dans la gestion et le fonctionnement du couvent? Quelles sont les relations que ses représentants entretiennent avec les religieuses enseignantes? Et comment les sœurs perçoivent-elles cette ingérence?

    Puisque Anticosti est une propriété privée, tous les services à la population sont à la charge du propriétaire, y compris le couvent et le pensionnat[3]. Les religieuses deviennent ainsi de véritables « employées » de la compagnie. En outre, les industriels s’accordent un droit de regard sur leurs établissements, puisqu’ils en sont responsables devant le Département de l’Instruction publique. De 1925 à 1961, le couvent de Port-Menier ne fait partie d’aucune commission scolaire. Sa gestion relève d’abord et avant tout du bon vouloir des administrateurs de la compagnie forestière, à qui la loi reconnaît les mêmes devoirs et obligations qu’une commission scolaire. Par conséquent, c’est la compagnie qui engage le personnel enseignant, qui entretient et maintient l’école, qui fournit l’équipement scolaire et qui veille à ce que les programmes d’études soient suivis. Même après 1961, ils demeurent impliqués dans la gestion du couvent, puisqu’ils dirigent et financent la commission scolaire locale. Cette singulière collaboration entre industrie et religion se retrouvera donc au cœur de la dynamique du couvent de l’île d’Anticosti. Confrontées à un milieu très différent du leur, les religieuses devront constamment négocier avec les administrateurs de la compagnie forestière pour assurer la pérennité de leur œuvre.

    Survol historiographique

    Si l’île d’Anticosti est reconnue pour ses richesses naturelles exceptionnelles et a été largement étudiée par les biologistes et les botanistes, son histoire demeure toutefois peu connue. Tout un imaginaire s’est développé autour de cette île mystérieuse. Longtemps perçue comme le royaume du sorcier Gamache, terrorisant les marins qui la surnommaient le « cimetière du Golfe[4] », elle est devenue peu à peu synonyme de paradis de chasse et de pêche. Les seuls ouvrages qui traitent de son histoire sont les mémoires que nous ont laissés certains Anticostiens et des récits de voyage de contemporains. Bien que ces œuvres n’aient pas la rigueur d’un travail d’historien, elles ont par contre l’avantage de nous faire revivre la vie sur l’île, à une époque désormais révolue.

    Une étude sur le couvent de Port-Menier apporte non seulement un éclairage nouveau à l’histoire de cette région, mais aussi une contribution à l’histoire de l’éducation au Québec. Elle nous renseigne sur l’enseignement primaire que dispensaient les communautés religieuses féminines aux jeunes filles et aux jeunes garçons de l’époque. On ne peut comprendre le système d’éducation actuel sans jeter un regard dans le passé sur les apports des communautés religieuses enseignantes, sur le rôle qu’elles ont joué dans ce domaine. Pourtant, il est surprenant de voir à quel point les ouvrages de synthèse sur l’histoire de l’éducation au Québec passent sous silence les contributions des communautés religieuses féminines dans l’éducation des jeunes gens, et particulièrement celle des filles, alors que les pensionnats et les couvents étaient les seuls moyens pour elles de s’instruire[5].

    L’histoire de l’industrie forestière et des villages forestiers au Québec a été pour sa part largement étudiée[6]. Les historiens ont très tôt porté leur regard sur la Mauricie et le Saguenay, qui sont devenus très vite deux des régions les plus reconnues pour la production forestière. La Mauricie doit d’ailleurs la création de ses plus importantes villes (Shawinigan, Grand-Mère, La Tuque) à l’implantation d’entreprises industrielles et à l’exploitation de ses ressources naturelles (électricité, bois)[7]. Par contre, les relations entre l’Église, les compagnies industrielles et la population d’une région, si représentatives des « villages de bois » de cette époque, ont été peu étudiées[8]. Bien que certains ouvrages consacrent quelques paragraphes à l’importance et aux impacts qu’avaient les compagnies forestières et leur gérant dans les villages, Gérard Bouchard est l’un des seuls à se pencher attentivement sur la nature des relations qu’entretenaient les autorités religieuses, les administrateurs de la compagnie forestière et les travailleurs, en étudiant le cas particulier des Eudistes à Chicoutimi[9]. En explorant la vie quotidienne des Sœurs de la Charité de Québec sur l’île d’Anticosti, notre étude ne propose pas seulement un nouvel angle de perspective sur la vie socioreligieuse de ces villages de bois. Elle dévoile également l’univers d’un village forestier tout à fait particulier, celui de Port-Menier.

    Méthodologie

    La principale source de cette recherche est le fonds du couvent de Port-Menier, conservé aux archives des Sœurs de la Charité de Québec à la maison généralice de Beauport. Il contient de la correspondance entre la communauté religieuse, le diocèse et les propriétaires de l’île, des registres financiers et des registres d’élèves. La congrégation a aussi préservé les annales du couvent, qui sont ici une source inestimable puisqu’elles couvrent toute la période étudiée, soit 1925 à 1973. Écrites par la sœur annaliste, elles nous permettent de connaître les événements qui marquent la petite communauté, les faits et gestes importants, le cadre de vie et les activités quotidiennes des sœurs à Port-Menier. L’usage de ce corpus donne à notre travail une originalité certaine, puisque les études déjà publiées sur Anticosti ou sur la communauté des Sœurs de la Charité de Québec ne l’ont pas, ou très peu, exploité[10].

    La deuxième source essentielle à cette étude est le fonds d’archives de Consolidated-Bathurst Incorporated, conservé à BANQ à Montréal[11]. Les documents de ce fonds offrent une perspective sur l’histoire socio-économique et industrielle du Québec. Ils retracent l’origine de plusieurs entreprises qui se sont fusionnées pour devenir Consolidated Bathurst Incorporated, la compagnie propriétaire de l’île d’Anticosti entre 1932 et 1974. La correspondance nous donne une idée du fonctionnement de la compagnie et du quotidien des travailleurs. Ce fonds est unique dans la mesure où il comprend un dossier complet sur l’administration et la gestion de l’île d’Anticosti entre 1926 et 1962.

    Enfin, pour avoir une vue d’ensemble, il est nécessaire de recourir à des récits de voyages et à des récits de vie. Certains résidants ont écrit sur l’île d’Anticosti et sur son histoire. C’est le cas de Charlie McCormick et de Lionel Lejeune[12]. Ces Anticostiens nous donnent un aperçu de la vie sur l’île et décrivent bien les avantages et les désavantages des régimes qui se sont succédé. De plus, plusieurs voyageurs ont relaté leur périple à Anticosti. À travers ces récits, nous retrouvons des bribes d’informations sur l’île, sa population, les principaux événements qui ont marqué son histoire et sur la vie quotidienne de ses habitants. Les auteurs sont pour la plupart des clercs, mais nous retrouvons également des botanistes, des médecins et de simples voyageurs.

    Les villages de bois au Québec

    Dans le dernier quart du XIXe siècle et le premier du XXe siècle, le développement de l’industrie forestière au Québec entraîne l’apparition de villes et de villages sur la Côte-Nord, mais également en Mauricie, au Saguenay et en Outaouais. Entre 1886 et 1930, « les filiales des grandes entreprises et les villes nées de l’exploitation de ces richesses naturelles devinrent des caractéristiques importantes du paysage québécois[13] ». Dans plusieurs cas, ce sont les compagnies qui conçoivent ces nouvelles villes et mettent sur pied les services publics, les hôpitaux et les écoles : « Puisque les villages, pour la plupart, naissent avec l’arrivée d’une compagnie forestière, celle-ci s’en approprie le développement[14] ».

    Il y a toutefois un prix à payer pour la création d’un village : « Jusqu’aux années 1930, ces « villages » que créent les compagnies sont dits « fermés », c’est-à-dire que tout ou presque, terrains et bâtiments inclus, demeurent l’entière et unique propriété de la compagnie exploitante[15] ». C’est le cas à Clarke City, mais aussi à Shelter Bay et, bien sûr, à Port-Menier. Les habitants doivent se plier aux volontés des administrateurs des compagnies forestières, n’ayant pour ainsi dire aucun droit de parole sur la gestion du village. Il n’y a d’ailleurs ni municipalité, ni élection, ni taxe, scolaire ou municipale. Les industries papetières pèsent très lourd dans l’économie locale. Ce sont souvent les seuls employeurs du village, qui contrôlent les institutions locales et dont le gérant administre les affaires et règle la vie de la communauté[16].

    Malgré tout, « pour les Nord-Côtiers des années 1920, résider dans un village de compagnie, c’est « vivre en ville » », grâce à la diversité des services offerts[17]. L’aqueduc, les égouts et l’électricité sont signes de modernité. Des services d’éducation et de santé sont également disponibles. Dans les villages isolés, en particulier l’hiver, la compagnie encourage fortement les loisirs. S’il y a compétition entre villes et entre compagnies au niveau de la production, il y a également une rivalité au niveau du baseball, du hockey ou du curling. Des cinémas, des salles de danse, des gymnases et des arénas sont construits pour les travailleurs et leurs familles. Les compagnies assurent ainsi le confort de leurs employés, et développent une image de « bon patron[18] ». La majorité d’entre elles prennent à cœur leur bien-être. Certaines compagnies innovent également en créant des assurances collectives et en offrant des cours du soir. Les familles travaillent presque toutes pour la compagnie, qui construit parfois les maisons à ses frais, à qui appartiennent les magasins et qui, dans certains cas, instaure sa propre monnaie. Les compagnies font ainsi vivre les villages où elles s’installent, entretenant du coup des relations de dépendance, voire des relations dominants/dominés, avec la population locale[19] : « Cette situation met les habitants à la merci des gérants de compagnies, sans compter qu’ils peuvent décider arbitrairement de l’embauche ou du renvoi d’un employé[20] ».

    Le développement des municipalités et des paroisses dépend également de la prospérité des compagnies, ce qui explique la précarité des peuplements. Les villages sont longtemps des missions avant de devenir des paroisses. La population doit se contenter d’une chapelle plutôt que d’avoir une église, car les autorités religieuses craignent de s’endetter si elles construisent des églises dans de nouvelles paroisses qui sont par la suite abandonnées lorsque l’entreprise ferme ses portes. Les effectifs des villages varient donc beaucoup d’une année à l’autre. L’économie du village dépend entièrement de la forêt, d’où sa fragilité: « La place considérable prise par l’industrie forestière au détriment de l’agriculture a comme conséquence l’instabilité de la population[21] ».

    Dans ces villages de compagnie, les relations entre les autorités ecclésiastiques et les industriels sont particulièrement révélatrices des rapports de force entre pouvoir économique et pouvoir religieux. Pour certains, contrairement à la croyance populaire selon laquelle l’Église catholique aurait eu des attitudes conservatrices et même réactionnaires face au progrès économique, le clergé aurait plutôt contribué à l’introduction du capitalisme industriel dans les différentes régions du Québec[22]. En réalité, ses membres n’ont pas d’autre choix que de participer à l’industrialisation, d’une manière ou d’une autre : « Préférant jouer un rôle dans ce monde industriel qu’ils n’ont pas pu empêcher, les clercs tentent d’abord d’établir un lien entre cette nouvelle réalité et le discours traditionnel[23] ». Le travail contribuant à maintenir de bonnes mœurs chez les ouvriers, le clergé voit les entrepreneurs forestiers comme des alliés dans son œuvre. La doctrine catholique prône d’ailleurs la valeur du travail manuel. Ainsi, « le paternalisme patronal s’accommode fort bien du paternalisme clérical. Les employeurs mesurent en effet rapidement tout le profit qu’ils peuvent tirer de l’encadrement des populations catholiques[24] ». Le clergé devient donc un instrument de contrôle des ouvriers. Étant donné l’importance des industries forestières, les représentants des compagnies occupent une position privilégiée au sein de la hiérarchie sociale, détrônant même parfois le curé. Puisque ce sont souvent les compagnies qui payent pour la construction de chapelles et d’églises, elles se permettent même d’intervenir à l’occasion dans les affaires religieuses. Elles encadrent ainsi le curé, qui apprendra souvent à ses dépens « qu’il n’est guère bon de s’opposer au « bourgeois » de la compagnie[25] ».

    Il ne faut cependant pas minimiser le rôle des clercs dans le fonctionnement du village. Ils vont souvent s’impliquer dans les affaires de l’entreprise, dans la construction des rues et des établissements du village, dans le choix des travailleurs ou dans les litiges opposant la compagnie et ses ouvriers. Le clergé encadre la population, s’efforce de développer socio-économiquement la région, demande des subventions pour la construction d’infrastructures[26]. De plus, il tente de favoriser les meilleures relations possibles entre le patronat et les ouvriers, notamment en créant des centrales syndicales catholiques, pour éviter que l’industrie ne quitte la région[27]. Les syndicats catholiques s’assurent ainsi que les ouvriers ne soient pas trop revendicateurs et que le travail soit bien fait. Il est toutefois difficile de savoir si c’était réellement le cas, et si, comme le fait remarquer Jean-Pierre Charland, « les hommes d’affaires [devaient] au clergé la soumission des travailleurs et ces fameux syndicats locaux si raisonnables dans leurs attente[28] ». Certes, il y a des intérêts communs entre le clergé et les entrepreneurs, mais cela soulève la question de l’adhésion des ouvriers à ce discours, car il est malaisé de masquer les rapports de classe[29]. Pour certains, la fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, en 1921, reflète plutôt « l’importance du rôle de l’Église dans les luttes ouvrières […] le pouvoir de l’Église sur la réalité économique et sociable n’étant pas négligeable[30] ». Si les autorités religieuses se méfient d’abord du syndicalisme au XIXe siècle, la situation évolue progressivement au siècle suivant, alors que les évêques prennent souvent le parti des travailleurs lors de grèves. Ces conflits font d’ailleurs perdre aux syndiqués comme au clergé « leurs illusions sur la bonne volonté et la conscience sociale du patronat[31] ». Ce triangle relationnel, entre la population locale, les administrateurs de la compagnie forestière et les autorités religieuses, sera central dans l’évolution du village de Port-Menier.

    La spécificité de Port-Menier

    Sous l’ère des Menier, Anticosti a été dotée de services modernes, et ce, plusieurs années avant que la Côte-Nord ne les voit apparaître. Au début du XXe siècle, son existence semblait unique au Canada, ce qui stupéfiait la majorité des voyageurs qui accostaient sur ses rivages. Néanmoins, si Anticosti a commencé son développement à cette époque, elle prend véritablement son envol sous le patronage des compagnies forestières, qui donnent un regain d’énergie à son économie, fragile depuis la disparition de son mécène Henri Menier. Certes, plusieurs villages forestiers québécois connaissent la même existence d’un village de compagnie. Toutefois, si c’est le modèle de l’époque au début du XXe siècle, il disparaît progressivement dans les années 1920-1930[32]. Peu à peu, la population de ces villages forestiers demande au gouvernement du Québec d’obtenir une charte municipale et d’être incorporée à la province. Ce ne sera toutefois pas le cas pour Port-Menier, qui restera un village de compagnie jusqu’en 1974 et qui ne formera une municipalité qu’en 1984.

    Il y a également quelques distinctions à faire entre l’île d’Anticosti et les autres villages de bois. Isolés pendant plusieurs mois lorsque les glaces empêchent toute navigation, les insulaires ont un mode de vie tout à fait singulier. Par ailleurs, la compagnie forestière a conservé le règlement très strict élaboré par Henri Menier qui régissait entièrement la vie des habitants, instaurant une forme de « dictature paternelle », où « personne n’avait le droit de s’enrichir, de commercer, de chasser ou de pêcher sans le consentement des autorités », sous peine d’expulsion de l’île[33]. Presque tout le village travaille pour la compagnie : « Parce qu’Anticosti est une île appartenant à une compagnie, Consolidated emploie le prêtre pour l’église, les religieuses pour l’école », des mécaniciens, des plombiers, des électriciens, des menuisiers, des cuisiniers, des gardes forestiers, des chauffeurs, des météorologues, des gérants et commis de magasins, un personnel de bureau et quelque mille travailleurs saisonniers dans la forêt[34]. Le tableau I rend compte de l’évolution de la population permanente de l’île. Contrairement à plusieurs villages qui ont dû fermer leurs portes lors de la crise financière des années 1930, ou lorsque la compagnie forestière quittait les lieux, Port-Menier est toujours resté actif. Durant les périodes où il n’y avait pas de coupe forestière, soit de 1918 à 1926 et de 1930 à 1946, le village s’est tourné vers le tourisme, vers l’attrait de la pêche et de la chasse[35]. Anticosti était « heureusement la propriété d’un groupe assez puissant », Consolidated Paper Corporation, qui procurait de l’ouvrage aux habitants[36].

    Quand les religieuses rencontrent les bûcherons

    Lorsque les religieuses débarquent sur l’île en 1925, elles sont plutôt satisfaites de ce qu’elles voient. Le petit village qu’y a construit Menier est coquet et la population est fort aimable. Toutefois, lorsque l’île passe aux mains d’une compagnie forestière canadienne-anglaise, la forêt et ses possibilités d’emploi attirent de nombreux travailleurs saisonniers, dont les habitudes de vie ne plaisent guère aux  religieuses. De nombreux travailleurs sont anglophones et d’une autre religion, ce qu’elles déplorent, jugeant d’ailleurs plutôt sévèrement les non-pratiquants et priant pour la conversion des non-catholiques. Elles sont bien souvent offusquées du langage de bois des travailleurs, qui « ont sans cesse le blasphème sur les lèvres[37] ». Les conditions de vie sont rudes pour ces bûcherons et, au grand regret des religieuses, ils seront nombreux à « tomber dans le vice », à boire et à jouer[38]. Les sœurs, comme le curé, se plaignent de leur foi déclinante, de leur langage grossier, de leurs mauvaises mœurs et de leur pratique religieuse décevante, et craignent que cela n’influence les enfants, d’où l’utilité de l’école et leur ardeur à enseigner. Il faut avant tout « combattre les mauvaises influences que peut avoir sur les enfants une jeune société dont la vie est basée sur l’économie forestière et dont la culture est celle d’un monde masculin[39] ».

    AnnéesPopulation
    1871102
    1881676
    1891253
    1901442
    1911461
    1921451
    1931454
    1941424
    1951743
    1956856
    1961532
    1966494
    1971420
    1976293
    1981275
    Tableau I : Évolution de la population permanente de l’île d’Anticosti (1871-1981)
    [Source : Recensements du Canada, Statistique Canada, Ottawa]

    La compagnie Consolidated Paper Corporation (1932-1974) s’intéresse au plus haut point au couvent de Port-Menier, d’abord parce qu’il lui appartient, ensuite parce qu’elle est responsable devant les plus hautes instances d’en assurer le fonctionnement. Tout ce qui se passe au couvent, y compris les mauvais comportements des enfants, est connu de l’administration, qui peut même se prononcer sur le renvoi d’un élève. Un règlement stipule clairement « que les familles qui causeront tant soit peu de trouble aux Religieuses devront se retirer et ceux qui ne voudront pas faire instruire leurs enfants seront également congédiés[40] ». Un registre des présences vérifie l’assiduité à l’école et les parents qui n’y envoient pas leurs enfants sont sévèrement punis.

    Un contrat à salaires multiples

    Le contrat d’engagement des religieuses de Port-Menier paraît très satisfaisant à l’époque. Elles ont un salaire élevé et jouissent de plusieurs bénéfices. La compagnie paie le bois de chauffage, l’électricité, le logement, les services médicaux, les voyages entre Port-Menier et Québec, le fret des marchandises. Elles peuvent même compter sur un homme à tout faire, engagé par la compagnie, pour les aider dans leurs tâches domestiques. Le contrat stipule également que l’entretien du couvent ainsi que toutes les réparations qui pourraient survenir sont à la charge des industriels. De 1925 à 1973, le couvent subit ainsi de nombreuses réparations et rénovations, qui procurent innovation et modernité aux religieuses, avec entre autres l’électricité et le téléphone interurbain. La compagnie ne rechigne donc pas à améliorer la vie des religieuses et des élèves au couvent et la majorité des demandes sont exécutées. Toutefois, les coûts d’entretien du couvent, comme ceux du village, demeurent excessivement élevés pour les industriels, qui invitent les religieuses à réduire les dépenses autant que possible.

    Dès les années 1950, les religieuses devront toutefois livrer une chaude lutte aux administrateurs de la compagnie forestière, alors qu’elles perçoivent encore le même salaire qu’en 1925[41]. Les autorités ecclésiastiques et la supérieure générale de la congrégation s’en mêleront d’ailleurs, stupéfaits de voir l’entêtement des industriels à ce sujet. Les religieuses de Port-Menier sont alors moins bien payées que n’importe quelle institutrice sans éducation ni formation de la province. Il faudra attendre le début des années 1970 pour que leur salaire soit convenablement rajusté, alors qu’elles analysent leur rémunération par rapport à la convention collective des enseignants du Québec.

    La compagnie forestière paraît donc avare, et la question du nouveau couvent vient renforcer cette perception. À la fin des années 1950, la supérieure locale déplore l’état du vieux couvent, désuet, dont le toit coule et où le froid pénètre facilement. En 1960, la situation devient urgente et la supérieure provinciale demande au gérant de l’île d’autoriser des réparations majeures au couvent, car le bâtiment ne respecte pas les règlements du comité catholique du Conseil de l’Instruction publique. Le gérant semble appuyer la supérieure, mais l’administration montréalaise de la compagnie ne fera que le minimum, en faisant réparer le toit et améliorer le système de chauffage, tout cela « à un coût raisonnable[42] ». Finalement, en 1962, le couvent sera dans un tel état de décrépitude que la compagnie, accolée au pied du mur, n’aura d’autre choix que d’entamer une nouvelle construction.

    Les gérants de l’île sont généralement plus enclins à améliorer le sort des religieuses que les hauts-dirigeants, qui vivent à Montréal et sont moins touchés par leur situation. Toutefois, ces mandataires n’ont pas une marge de manœuvre indéfinie. Leur élan est parfois freiné ou stoppé par l’administration générale de la compagnie, pour qui tout est une question d’argent et de rentabilité. Ils seront donc souvent contraints de revenir à la charge pour obtenir gain de cause, ou alors d’abandonner leurs requêtes, au grand dam des religieuses.

    Quand la compagnie entre en classe

    À chaque ouverture des classes, le gérant de l’île est mis au courant du nombre d’élèves qui se présentent et en informe le directeur général. Le tableau II propose quelques statistiques sur le nombre d’élèves, ainsi que sur le nombre et le niveau des classes. Ces industriels tiennent à connaître la fréquentation scolaire, soit par intérêt pour leur œuvre éducative, sinon pour obtenir des subventions gouvernementales. Ils demeurent dans tous les cas soucieux du bien-être des enseignantes comme des élèves. Le directeur de la compagnie s’assure que rien ne manque pour l’organisation scolaire. Celle-ci laisse toutefois une pleine et entière liberté aux religieuses pour ce qui est du choix des livres scolaires. Il est à noter que les industriels participent très activement aux activités parascolaires du couvent. Ils sont très heureux de proposer leur concours pour organiser des séances cinématographiques, des pique-niques et des joutes scientifiques, en offrant des prix ou en prêtant leurs automobiles pour les déplacements. Ils sont également présents lors des remises annuelles de prix et de diplômes, tout comme ils visitent les ateliers de travaux manuels. Les gérants peuvent même à l’occasion décider d’accorder un jour de congé.

    AnnéesNombre d’élèves fémininsNombre d’élèves masculinsTotalNiveau de classeNombre de classes
    1925-19265437913
    1929-193078681464
    1930-19314449933
    1934-19354245873
    1940-19414045853
    1945-19464836849e année3
    1950-195155481039e année4
    1951-1952635311611e année4
    1952-1953506011010e année4
    1955-19564850988e année4
    1960-19615733909e année4
    1965-196654571119e année5
    1970-197136651019e année5
    1971-19724141829e année5
    1972-19732523489e année3
    Tableau II : Fréquentation scolaire du couvent de Port-Menier (1925-1973)
    [Source : Registre des élèves et des pensionnaires 1925-1973, ASCQ. Entre 1925 et 1973, le couvent a accueilli 4 698 élèves.]

    Les industriels interfèrent aussi dans le choix des cours offerts par les religieuses enseignantes. En 1950, elles sont priées d’enseigner la dactylographie, puis, en 1952, la sténographie. Les gérants réclament également un cours commercial pour les jeunes filles, afin d’obtenir des employées de bureau compétentes et ainsi, leur assurer un emploi à la compagnie. Pour cette raison, les religieuses acceptent avec grand plaisir d’offrir ces nouveaux cours. Afin d’assurer la meilleure éducation qui soit aux enfants de l’île, les gérants prendront souvent le parti des religieuses. Pour les aider dans leur tâche, la compagnie accepte même d’engager dès 1942 des maîtres laïcs. La communauté des Sœurs de la Charité de Québec connait alors de sérieux problèmes de recrutement et n’a d’autre choix que de faire appel à un personnel laïc. Cette main d’œuvre supplémentaire sera d’ailleurs très prisée dans les années 1960. Si la commission scolaire soutient en 1969 que le nombre d’enseignants, tant religieux que laïcs, est excessif pour le couvent de Port-Menier, le gérant considère toutefois que tout est dans les normes et maintient ses engagements.

    Si cette collaboration entre une compagnie forestière et une congrégation religieuse paraît à première vue paisible, la participation des industriels à la vie quotidienne du couvent revêt quelques fois l’allure d’une ingérence. La classe d’anglais, par exemple, fera l’objet d’une haute surveillance par les gérants. C’est qu’une grande partie de la population de l’île est anglophone, la compagnie forestière propriétaire étant elle-même canadienne-anglaise. Mieux vaut donc savoir parler anglais pour y travailler! En 1936, la compagnie songe à remplacer l’une des religieuses par un professeur d’anglais laïc, « preferably Protestant », mais la supérieure locale est loin de partager cette idée. Puisqu’il revient à la congrégation de décider des individus qui composent le personnel enseignant, les gérants devront réitérer à plusieurs reprises leur demande afin d’obtenir de meilleures classes d’anglais.

    D’autres tensions apparaissent dans les années 1950, alors que les religieuses enseignent à des garçons très âgés (entre 15 et 19 ans). Selon elles, ces jeunes hommes auraient besoin d’une autorité plus ferme et ne devraient pas côtoyer le sexe opposé en classe. La compagnie engage donc un professeur laïc en 1956 pour prendre en charge les élèves masculins de la 4e à la 9e année, mais revient sur sa décision en 1962. Pour le gérant, il vaut mieux envoyer les garçons les plus âgés à l’extérieur, plutôt que de continuer à rémunérer un professeur laïc. Douze garçons, de la 7e à la 9e année, sont finalement placés au collège de Haute-Rive, mais il reste encore ceux de la 5e et de la 6e années. Pour la supérieure, il s’agit d’empêcher qu’une religieuse se charge de ces grands garçons. Ces élèves ont le droit de faire en entier leur cours élémentaire dans leur paroisse et, selon elle, il faut prendre en considération ce qui est le meilleur pour eux, même si cela signifie que la compagnie devra continuer à débourser pour un professeur laïc. De plus, selon les règlements de la congrégation, les garçons de cet âge ne devraient pas se retrouver dans les classes des religieuses, qui plus est avec des filles. La compagnie demande ni plus ni moins de passer outre à ce règlement. Cette intrusion des industriels dans le fonctionnement du couvent irrite la supérieure, qui s’en plaint à la direction générale de la congrégation. Finalement, en 1963, devant les tensions qui ne cessent de monter, la compagnie décide de maintenir l’engagement d’un professeur laïc, qui deviendra le titulaire de la classe des garçons de la 6e à la 9e année. Pour cette fois, les religieuses ont eu gain de cause, mais elles ont dû se battre et faire appel aux autorités de leur congrégation.

    Conclusion

    Au XIXe siècle, plusieurs congrégations religieuses se sont implantées dans des villages forestiers. Elles ont ainsi accompagné le mouvement d’industrialisation de certaines régions de colonisation, pour offrir des services de santé et d’éducation. Dans la majorité des cas, dès les années 1920, les écoles publiques ont été prises en charge par des commissions scolaires indépendantes des autorités des compagnies forestières. Toutefois, le cas de Port-Menier demeure particulier dans la mesure où l’île appartient encore au XXe siècle à une entreprise forestière, qui est responsable d’administrer le couvent. Dès lors, cet établissement donne lieu à un véritable jeu de pouvoir, alors que sa gestion est prise en charge conjointement par les autorités de Port-Menier et par les Sœurs de la Charité de Québec[43]. Si, durant les premières années, les religieuses regrettent l’époque Menier, elles s’adaptent rapidement à vivre sous la tutelle de la compagnie forestière. D’ailleurs, cette collaboration perdurera de 1925 à 1973, beau temps mauvais temps.

    Les dirigeants de la compagnie forestière ont sans contredit joué un grand rôle dans le fonctionnement et l’évolution du couvent de Port-Menier. Ils sont assurément l’une des causes de sa pérennité, voire ses principaux responsables. Sans eux, il eût été difficile pour une commission scolaire de subvenir à l’existence d’une communauté religieuse et d’assurer un enseignement primaire aux enfants de l’île. À Port-Menier, les religieuses sont toutefois dans une situation tout à fait particulière, car elles sont considérées comme des employées de la compagnie forestière. De bonnes relations entre ces intervenants sont donc de précieux atouts pour assurer le bon fonctionnement de l’établissement et, dans une large mesure, les religieuses ont apprécié les gérants qui s’y sont succédé. En général, ceux-ci ont participé aux activités du couvent, secondé les demandes des sœurs et accepté de rénover et d’entretenir correctement la bâtisse. À vivre si près les uns des autres, certains se sont même lié d’amitié avec les religieuses.

    Si les industriels de Port-Menier ont fait beaucoup pour la cause de l’instruction, en soutenant, moralement et financièrement, les religieuses dans leur tâche, leurs actions signifient néanmoins qu’ils peuvent interférer dans les affaires internes du couvent qui, après tout, relève d’eux auprès du Département de l’Instruction publique. Les cours et les classes du couvent de Port-Menier se sont donc adaptés aux demandes des gérants et à la situation particulière d’Anticosti. Par ailleurs, si le contrat des religieuses semble au départ avantageux, le voile se lève bien vite. Négociant constamment avec des gérants majoritairement anglophones et protestants, leurs conditions se détériorent quelque peu au fil des ans. Leur salaire n’est pas ajusté, leur couvent devient vite désuet et la pénurie de religieuses au sein de la congrégation amplifie leur désarroi. Les écrits des sœurs annalistes, comme la correspondance de la supérieure locale, laissent transparaître que les religieuses se sentent souvent isolées sur l’île d’Anticosti, déconnectées du monde moderne que leur avait procuré jusque-là la capitale nationale. Si certaines ont apprécié leur expérience, d’autres ont dû se sentir délaissées, à la merci d’une compagnie forestière et de ses dirigeants. Mais n’est-ce pas justement cette insularité, cet isolement qui a pu inciter les religieuses à tenter l’aventure d’Anticosti? Ces femmes pouvaient trouver dans l’habit religieux et son monde des défis à relever et le couvent de Port-Menier devait certainement en être un, du moins l’a-t-il été pour plusieurs d’entre elles.

    En 1973, devant sa situation financière instable, Consolidated Bathurst stoppe complètement ses activités forestières sur l’île d’Anticosti et la congrégation des Sœurs de la Charité de Québec retire les religieuses qu’elle y avait envoyées, mettant ainsi fin à un étonnant partenariat qui aura perduré près d’un demi-siècle. Cette étude du couvent de Port-Menier nous a permis, du moins en partie, de faire revivre la vie d’un village de bois du début du XXe siècle, alors qu’une communauté religieuse accepte d’aller offrir ses services à une population éloignée et isolée. Elle révèle surtout un cas original, puisque Port-Menier est l’un des derniers villages de compagnie du Québec. Les conclusions présentées dans ces quelques pages ne permettent malheureusement pas de généraliser la situation à l’ensemble des villages forestiers du Québec, mais une telle comparaison serait certes très intéressante et permettrait de dresser un portrait plus global de la vie dans un village de bois. L’invitation est d’ores et déjà lancée!

    Références

    [1] Henri Menier (1853-1913) était un homme d’affaires français, issu de la famille propriétaire de la chocolaterie Menier. Voir l’ouvrage de Donald MacKay, Le paradis retrouvé, Anticosti, (Montréal, Éditions La Presse, 1983), p. 8.

    [2] L’île d’Anticosti est située à l’embouchure du golfe Saint-Laurent. D’une longueur de 220 kilomètres, sa largeur maximale atteint 56 kilomètres. Elle couvre une superficie de 7 943 km2. Lors du dernier recensement canadien de 2006, l’île comptait 281 habitants, concentrés dans la seule agglomération de l’île, Port-Menier.

    [3] D. MacKay, Le paradis retrouvé…, p. 108. En 1902, Georges Martin-Zédé, gouverneur de l’île, « avait fait retirer Anticosti du comté du Saguenay sur le continent, et l’île se trouvait dans la situation particulière de n’appartenir à aucune municipalité, de sorte que la compagnie devait supporter tous les frais d’entretien des routes, de la police, de l’école, du service des incendies, de l’approvisionnement d’eau, de tout ce qui était nécessaire à la vie du village. »

    [4] Frère Marie-Victorin, Croquis laurentiens, Montréal, F.E.C., 1920, p. 112. Le frère Marie-Victorin (1885-1944), né Conrad Kirouac, explore dès 1913 la flore de l’île d’Anticosti, pour publier ses études en 1920.

    [5] C’est notamment le cas pour Louis-Philippe Audet, Histoire de l’enseignement au Québec, 1608-1971, Montréal, Holt, Rinehart et Winston Ltée, 1971, 2 vol. et pour Andrée Dufour, Histoire de l’éducation au Québec, Montréal, Boréal, 1997, 123 p. Au mieux, un chapitre traite de la question. Pour plus de détails, il faut chercher dans des monographies, notamment celles de Micheline Dumont et Nadia Fahmy-Eid, Les couventines. L’éducation des filles au Québec dans les congrégations religieuses enseignantes, 1840-1960, Montréal, Boréal, 1986, 315 p.; Marie-Paule Malouin, Ma sœur, à quelle école allez-vous? Deux écoles de filles à la fin du XIXe siècle, Montréal, Fides, 1985, 167 p.

    [6] Notons les recherches de Jean-Pierre Charland, Les pâtes et papiers au Québec, 1880-1980, Technologies, travail et travailleurs, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, « Documents de recherche » no. 23, 1990, 447 p.  et de Jean Saint-Onge, Les interrelations entre les industries des pâtes et papiers et du sciage et le développement économique de l’Est du Québec de 1950 à 1980, Rimouski, UQAR, « Cahiers du Grideq », no 7, 1982. La plupart des études sur les villages forestiers se retrouvent dans des ouvrages plus généraux sur des régions forestières. Voir entre autres les ouvrages de Pierre Frenette, dir., Histoire de la Côte-Nord, Collection « Les régions du Québec », n.9, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, PUL, 1996, 667 p. et de Chad Gaffield, dir., Histoire de l’Outaouais, Collection « Les régions du Québec », n. 6, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, PUL, 1994, 876 p.

    [7] Claude Bellavance, « Patronat en entreprise au XXe siècle : l’exemple mauricien », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 38, no 2, automne 1984, p. 186. Voir également l’ouvrage de René Hardy et Normand Séguin, Forêt et société en Mauricie. La formation de la région de Trois-Rivières 1830-1930, Montréal, Boréal Expess/Musée national de l’Homme, 1984, 222 p.

    [8] L’expression « village de bois » est empruntée à Pierre Frenette, dans P. Frenette, Histoire de la Côte-Nord…, p. 383.

    [9] Voir Gérard Bouchard, « Les prêtres, les capitalistes et les ouvriers à Chicoutimi (1896-1930) », Le Mouvement social, no 112 (juillet-septembre 1980), p. 5-23. Selon Bouchard, les Pères Eudistes témoignent une sincère sollicitude envers les dirigeants de la compagnie, à leurs yeux de bienveillants bienfaiteurs, pourvoyeurs d’emplois aux familles ouvrières et généreux donateurs pour l’Église. Ils reconnaissent qu’il existe un clivage dominants/dominés dans la population et craignent plus que tout les bouleversements sociaux que revendiquent les syndicalistes. Ils s’allient ainsi aux puissants, à la classe dominante, en cherchant un appui à leur action, ainsi qu’une protection des privilèges acquis.

    [10] Seul l’ouvrage de Francine Roy, Yvonne Ward et Nive Voisine, Histoire des Sœurs de la Charité de Québec, tome II : Des maisons de charité, Beauport, Éditions MNH, 1998, 305 p. accorde quelques pages au couvent de Port-Menier, en tirant profit du fonds d’archives de l’établissement (voir p. 190-192). Le sous-chapitre rappelle quelques éléments historiques au sujet de l’arrivée et du départ des religieuses sur l’île d’Anticosti, résume leurs activités à Port-Menier, cite quelquefois les annales et donne certaines statistiques sur la fréquentation scolaire. L’information y est donc très succincte et le fonds d’archives n’est pratiquement pas exploité.

    [11]Une description très détaillée de ce fonds d’archives se retrouve sur le site web de la BANQ. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds Consolidated Bathurst Incorporated, 1900-1971, 2006, http://pistard.banq.qc.ca/unite_chercheurs/description_fonds?p_anqsid=201102221400 132058&p_centre=06M&p_classe=P&p_fonds=149&p_numunide=2121, [page consultée le 22 février 2011]. Les informations qui suivent sont tirées de ce site.

    [12] Lionel Lejeune et Jean-Noël Dion, Anticosti, l’époque de la consol, 1926-1974, Saint-Hyacinthe, Éditions JML, 1989, 198 p. et Charlie McCormick, Anticosti, Chicoutimi, Éditions JCL Enr., 1979, 229 p.

    [13] John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, traduit de l’anglais par Hélène Filion, (Sillery, Éditions du Septentrion, 1992), p. 217.

    [14] P. Frenette, Histoire de la Côte-Nord…, p. 312.

    [15] Ibid., p. 385.

    [16] Ibid., p. 312.

    [17] Ibid., p. 386.

    [18] J.-P. Charland, Les pâtes et papiers…, p. 225.

    [19] Id.

    [20] P. Frenette, Histoire de la Côte-Nord…, p. 312.

    [21] Ibid., p. 318.

    [22] G. Bouchard, « Les prêtres, les capitalistes et les ouvriers à Chicoutimi (1896-1930) », Le Mouvement social, no 112 (Juillet-septembre 1980), p. 6.

    [23] J.-P. Charland, Les pâtes et papiers…, p. 229.

    [24] Ibid., p. 228.

    [25] P. Frenette, Histoire de la Côte-Nord…, p. 313.

    [26] Ibid., p. 403.

    [27] William F. Ryan, The Clergy and Economic Growth in Quebec (1896-1914), Québec, PUL, 1966, p. 5.

    [28] J.-P. Charland, Les pâtes et papiers…, p. 229.

    [29] Id.

    [30] Bernard Denault, « Sociographie générale des communautés religieuses au Québec (1837-1970). Éléments de problématique », dans Bernard Denault et Benoît Lévesque, Éléments pour une sociologie des communautés religieuses au Québec, Montréal, PUM, Université de Sherbrooke, 1975, p. 93-94.

    [31] Jacques Rouillard, Le syndicalisme québécois. Deux siècles d’histoire, Montréal, Boréal, 2004, p. 85. Par exemple, en 1925, l’évêque auxiliaire de Québec, Mgr Joseph-Alfred Langlois, appuie les ouvriers de la chaussure dans leurs revendications et leurs grèves. Ces ouvriers faisaient partie de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC). Créée en 1921 dans le but de faire échec aux syndicats internationaux étrangers, la CTCC ne prendra un véritable essor que vers la fin des années 1930 : « Pour véritablement s’implanter parmi les travailleurs, les syndicaux catholiques ont dû écarter la conception utopique des relations de travail qu’ils préconisaient avant la Première Guerre mondiale pour adopter des pratiques syndicales empruntées aux syndicaux internationaux » (p. 89).

    [32] P. Frenette, Histoire de la Côte-Nord…, p. 385.

    [33] Id.

    [34] D. MacKay, Le paradis retrouvé…, p. 116.

    [35] Ibid., p. 107.  Au cours de ces périodes, l’île sera constamment en déficit. Même après 1946, alors que la production recommence, les quantités de bois ne seront jamais à la hauteur des espérances de la compagnie forestière.

    [36] Id.

    [37] Lettre de sœur Saint-Nazaire, supérieure locale, à sœur Sainte-Lutgarde, 4 février 1927, ASCQ.

    [38] Id.

    [39] Chad Gaffield, dir., Histoire de l’Outaouais, Collection « Les régions du Québec », n. 6, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, PUL, 1994, p. 236.

    [40] Lettre de sœur Saint-Nazaire, supérieure locale, à sœur Sainte-Christine, supérieure générale, 15 février 1926, ASCQ. L’instruction obligatoire et gratuite avait été instaurée sous le régime Menier dès 1895. Menier était alors influencé par les politiques françaises du ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry, qui avait promulgué en 1882 l’enseignement primaire obligatoire pour les enfants de 6 à 13 ans. La compagnie forestière suivra la même ligne, même si au Québec, devant les résistances tenaces des autorités cléricales, l’instruction obligatoire ne sera instituée qu’en 1943. Consolidated Paper Corporation a alors toute l’autorité nécessaire pour décréter l’obligation et la gratuité scolaire, même si les lois québécoises n’en sont pas encore là.

    [41] En 1955, les sœurs du couvent de Port-Menier reçoivent chacune 600$ par année. Par comparaison, à la même date, la commission scolaire de Rivière-au-Tonnerre, sur la Côte-Nord, offre entre 1000$ et 1300$ par année pour une religieuse enseignante. Informations tirées d’une lettre de sœur Saint-Clément de Rome, supérieure générale des Sœurs de la Charité de Québec, à Laurent Girard, surintendant de Consolidated Paper Corporation, 20 mai 1955, ASCQ.

    [42] Lettre de J.-A. Michaud, vice-président de la division forestière de Consolidated Paper Corporation Ltd, à sœur Saint-Archangéla, supérieure provinciale des Sœurs de la Charité de Québec, 27 juin 1960, ASCQ.

    [43] Lettre de Moise Arsenault, curé de Port-Menier, à Mère Sainte-Archangela, Conseillère générale des Sœurs de la Charité de Québec, 5 juin 1962, ASCQ.