« Ostalgie »

« Frontière invisible » et rupture identitaire allemande à l'exemple du cinéma allemand contemporain

LUCILE CHARTAIN

Résumé : Le contexte de la guerre froide opposait a priori deux Allemagnes ennemies. La question du statut de la frontière intérieure était très prégnante : s’agissait-il d’une frontière réelle, encadrant deux identités allemandes distinctes, ou bien s’agissait-il d’une frontière abstraite, élaborée fictivement ? Une fois l’Allemagne réunifiée, l’identité est-allemande, réelle ou rêvée, aurait pu disparaître, ou se fondre au sein d’une identité nationale unifiée. Or on observe sa résurgence, qui semble même plus signifiante qu’avant la chute du mur. Ce phénomène est notamment dû aux déceptions engendrées par la réunification. Beaucoup d’Allemands de l’Est ont eu le sentiment d’une colonisation, et évoquent un « mur dans les têtes ». C’est dans ce contexte que les débats autour de l’Ostalgie – terme allemand jouant sur la contraction des termes « Nostalgie » et « Ost » (Est) –  s’amplifient. Si elle correspond, a priori, à un sentiment mélancolique et positif d’Ostalgie, elle peut aussi être perçue comme le synonyme d’un repli identitaire. C’est cette question du lien entre Ostalgie et résurgence d’une frontière invisible qui nous intéresse : l’Ostalgie est elle la manifestation d’une rupture identitaire profonde entre Est et Ouest ? Nous nous proposons d’analyser cette thématique à travers l’exemple du cinéma allemand : en effet la RDA est devenue un des terrains d’action privilégié des cinéastes. Les succès de Good bye Lenin ! (2003) et de La vie des Autres (2007) ont relancé les débats autour de l’Ostalgie et de la frontière invisible.

Mots-clés : Ostalgie – frontière intérieure – chute du mur de Berlin – identité est-allemande – mémoire collective – mur dans les têtes – cinéma allemand

 

Table des matières
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    Introduction

    Il s’agit ici d’interroger la représentation de la RDA au sein de la société allemande contemporaine, plus particulièrement à travers le lien entre Ostalgie, rupture identitaire allemande et cinéma. Notre question principale concerne ainsi la définition même du phénomène « ostalgique » : que manifeste ce phénomène ? Pourquoi est-il né en Allemagne dans les années 1990 et quelle est sa signification par rapport à la problématique de la résurgence d’une frontière invisible entre l’Est et l’Ouest ?

    Tout d’abord, nous évoquerons rapidement la question de la frontière intérieure en Allemagne pendant la guerre froide : en quoi le  degré d’abstraction de cette frontière était-il lié aux différentes phases de la guerre ? Nous étudierons ensuite la naissance du phénomène de l’Ostalgie dans les années 1990: quelle est la signification de ce phénomène par rapport à la problématique du « mur dans les têtes » ? Enfin, nous analyserons comment l’ex-RDA est représentée au sein du cinéma allemand contemporain : en quoi le cinéma allemand actuel peut-il être considéré comme l’écho des débats autour de l’identité est-allemande ? Peut-il agir sur la perception de cette frontière intérieure, en effaçant ou en renforçant l’impression d’une identité est-allemande ?

    Nous nous appuierons, tout au long de notre réflexion, principalement sur les analyses sociologiques récentes autour de l’Ostalgie et de la chute du mur. Il existe en réalité peu d’ouvrages consacrés entièrement à ce phénomène « ostalgique ».

    Les recherches, que ce soit en Allemagne ou en France, sont souvent consacrées à la période de la guerre froide en elle-même : beaucoup d’ouvrages s’intéressent soit à la vie quotidienne en RDA, soit à la répression politique du régime de l’ex Allemagne de l’Est[1]. Ces études sont intéressantes pour notre sujet, car elles permettent d’interroger l’existence réelle et/ou imaginée d’une identité est-allemande avant la réunification. Elles favorisent une meilleure compréhension de la réalité est-allemande et surtout, interrogent presque systématiquement la période de transition qui a immédiatement suivie la chute du mur, même si elles ne s’intéressent pas directement au phénomène de l’Ostalgie, qui est né plus tard, à la fin des années 1990. Parmi ces recherches, nous pouvons notamment évoquer l’ouvrage de référence de Stephan Wolle, Le monde parfait de la dictature[2].

    Concernant la perception actuelle de la RDA en Allemagne, et la façon dont le passé communiste de l’Allemagne est appréhendé par la population, il existe encore peu d’ouvrages. Une recherche nous a paru cependant particulièrement intéressante : il s’agit de l’ouvrage collectif La RDA au passé/présent[3]. Cette recherche, parce qu’elle propose une approche diachronique et interroge les traces actuelles du passé socialiste au sein de l’imaginaire collectif allemand, permet de questionner la mise en mémoire de la frontière est-ouest au sein du contexte contemporain.

    Il existe également encore peu d’ouvrages concernant le traitement de la thématique de la frontière intérieure au sein du cinéma allemand contemporain. Nous nous appuierons ici sur des ouvrages généraux concernant le cinéma allemand : les derniers ouvrages parus, notamment 100 ans de cinéma allemand de Monika Bellan[4], proposent des réflexions intéressantes sur la prolifération de films concernant l’ex-Allemagne de l’Est depuis le début des années 2000.

    L’identité est-allemande pendant la guerre froide : une entité établie ?

    a) La partition de 1945 : des frontières à l’origine artificielle

    Après la fin de la seconde guerre mondiale, le statut de l’Allemagne est entre les mains des puissances alliées victorieuses. Le discours des vainqueurs concernant le sort de l’Allemagne, directement après la guerre, est le suivant : une Allemagne unifiée serait un danger pour le monde, elle doit demeurer sous contrôle des Alliés qui occupent l’intégralité du territoire vaincu et procède à sa dénazification. La conférence de Yalta entérine alors cette rhétorique d’une Allemagne vaincue, menace pour la paix mondiale, et qui doit s’en remettre entièrement aux mains des Alliés[5]. Le pays est ainsi complètement remodelé après de longues discussions autour de ses frontières : plusieurs propositions sont présentées, chacune d’elles mettant en place des frontières complètement différentes[6]. Le début de la guerre froide scelle ensuite la division du pays sur la base de ces frontières est/ouest : les Etats-Unis, qui craignent qu’une Allemagne réunifiée ne soit à la solde de l’URSS, favorise la création des deux Etats en 1949[7].

    Ainsi les nouvelles frontières allemandes mises en place par les Alliés ne correspondent ni à un découpage culturel, ni à un découpage ethnique ou politique : elles résultent d’un jeu complexe de politique internationale qui voit l’Allemagne prendre une place primordiale au sein du nouvel ordre mondial entre Est et Ouest. Cette partition première est cependant primordiale pour l’Histoire de la frontière intérieure allemande, puisque c’est elle qui pose les bases de la future division Est/Ouest et de la séparation de l’Allemagne en deux Etats. La mise en place de deux Allemagnes, et par conséquent la question des deux identités allemandes différentes découle ainsi directement de ce puzzle territorial décidé lors de la conférence de Yalta. Les frontières artificielles et presque contingentes de 1945 vont, petit à petit, se solidifier : la création des deux Etats allemands en 1949 tout d’abord, puis la construction du mur de Berlin en 1961 concrétisent et rendent effectives la mise en place d’une frontière intérieure politique, qui très vite deviendra aussi la frontière entre Europe de l’Est et de l’Ouest, bloc soviétique et bloc américain. Cette frontière, rapidement, va acquérir un pouvoir symbolique fort : après 1961 sa matérialisation en un rempart de béton la rend définitivement concrète, tangible, et elle n’est désormais plus désignée que sous sa forme objectivée : « le mur de Berlin ».

    La question qui se pose désormais est la suivante : cette frontière, certes concrétisée, rendue visible par le mur de Berlin, conditionne-t-elle nécessairement la constitution de deux identités allemandes distinctes pendant la guerre froide ? Elle constitue certes une démarcation politique et économique, mais correspond-elle à une démarcation nationale entre les deux Allemagnes ?

    La question actuelle d’une frontière intérieure entre l’Est et l’Ouest de l’Allemagne doit ainsi être reliée à l’élaboration artificielle des nouvelles frontières allemandes après la seconde guerre mondiale. Comment cette frontière est-ouest, a priori élaborée de toutes pièces par les puissances victorieuses à la fin de la guerre, peut-elle encore constituer une frontière invisible entre pans géographiques d’un pays désormais unifié ?

    Pour examiner cette question, nous devons donc tout d’abord analyser le statut de la frontière intérieure de l’Allemagne pendant la guerre froide, afin de saisir les éventuelles modalités de construction de deux identités allemandes distinctes.

    b) L’Est après la construction du mur : autarcie et renfermement

    Il faut rappeler tout d’abord que l’Allemagne est le pays frontière entre les deux blocs, pas seulement la concrétisation d’une séparation entre la RFA et la RDA. Le statut de la frontière intérieure allemande est donc un enjeu primordial non seulement pour les deux Etats allemands, mais aussi pour les deux superpuissances.

    Lors de la création des deux Etats allemands en 1949 par exemple, la guerre froide vient de débuter, et les tensions sont très vives. Les deux Etats se constituent alors l’un contre l’autre, chacun devant représenter les différents traits caractéristiques des deux superpuissances. La RFA doit représenter le « monde libre », la « démocratie » et les valeurs de la société de marché, tandis que la RDA se constitue comme Etat socialiste satellite de l’URSS : son organisation se doit de représenter les bienfaits du communisme. La guerre froide n’est pas une guerre directe et frontale, mais il s’agit tout de même d’une « guerre », et l’Allemagne, pays traversé par le rideau de fer, est au cœur de cette guerre invisible. Ce statut influence nécessairement le rapport entre la RFA et la RDA, et par la même la perception d’une rupture identitaire allemande.

    En 1949, les deux Etats sont ainsi « ennemis[8] ». Cependant, de facto, la frontière entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest n’est pas encore solidifiée ni réellement effective : beaucoup d’Allemands de l’Est émigrent à l’Ouest, et les contacts entre les individus de part et d’autre de la ligne de démarcation sont encore nombreux. La RDA, percevant le danger d’une frontière trop perméable entre les deux Allemagnes, renforce alors progressivement l’étanchéité de la démarcation est-ouest : la construction du mur de Berlin en 1961 est l’ultime étape de ce processus de solidification et de concrétisation politique de l’établissement de la frontière entre les deux Allemagnes. La mise en place d’une frontière de béton tangible est le seul recours de l’Allemagne de l’Est face à l’exil massif de ses citoyens vers la RFA.

    Et de fait le mur va, pendant près de 30 ans, entraîner un développement en autarcie de la société est-allemande. Les contacts entre RFA et RDA sont réduits, et le régime de la RDA accroît son influence et son pouvoir sur la société, en développant notamment des instruments de propagande et de répression tentaculaires. Pendant 30 ans les deux Allemagnes vivent coupées l’une de l’autre ; les deux sociétés se développent parallèlement selon des modèles différents : américanisation et miracle économique à l’Ouest, soviétisation et socialisme réel à l’Est. Les organisations sociales, économiques et politiques de la RDA et de la RFA sont diamétralement opposées.

    A la fin des années 1980, la RDA est une société  renfermée sur elle-même : la répression s’est amplifiée sous Erich Honecker qui, au lieu de suivre la politique de détente menée par Gorbatchev en URSS, favorise un développement du contrôle de la Stasi, la police secrète d’Etat. Le régime se replie de plus en plus sur une identité est-allemande largement fantasmée, et se raccroche à l’utopie de la mise en place d’une « personnalité socialiste est-allemande ». La société est-allemande vit en autarcie et semble « pourrie de l’intérieur », pour reprendre une expression courante en Allemagne au moment de la chute du mur. Cette théorie est notamment développée par Stephan Wolle, qui évoque le « monde parfait de la dictature » (« die heile Welt der Diktatur ») : la RDA était une société qui reproduisait indéfiniment les mêmes schémas, qui vivait sur la base d’une utopie socialiste qui n’a jamais été concrétisée.

    Mais Wolle nuance cependant l’existence d’une culture et d’une mentalité spécifiquement est-allemandes: il évoque davantage des habitudes culturelles spécifiques qu’une identité est-allemande clairement identifiable[9].

    Ainsi l’identité est-allemande n’apparaît pas comme une donnée immédiate : son existence même est remise en cause. Ce problème identitaire est perceptible à travers la difficulté de nommer les habitants de la RDA : ces derniers n’avaient pas de nomination précise, ils étaient simplement appelés « citoyens de la RDA » (« Bürger der DDR »).

    Ainsi en 1974 Honecker revient à une distinction entre « citoyenneté : RDA » et « nationalité : allemande », une définition qui signifie que l’identité allemande demeure au-delà des clivages et qui laisse ouverte l’hypothèse de la réunification. On le voit, en l’absence de cadre étatique et de réels points d’appui, l’identité culturelle est-allemande est une identité largement indéterminée qui se définit en creux, c’est-à-dire essentiellement par opposition à ce qui serait une identité culturelle ouest-allemande. Elisa Goudin pose ainsi la question de savoir si cette identité est « uniquement négative[10] ». De quoi est faite cette notion ? Elisa Goudin, pour répondre à cette question, s’interroge sur la possibilité de transposer le modèle de Jean-Claude Passeron à l’analyse de la culture est-allemande. Jean-Claude Passeron distingue en effet trois sens de la culture, dans son ouvrage Le raisonnement sociologique, L’espace non poppérien du raisonnement : la culture comme style de vie ; comme comportement déclaratif ; ou comme corpus d’œuvres valorisées. Elisa Goudin aboutit à la conclusion que, si la culture est style de vie, il existait bien un style de vie est-allemand particulier, distinct de celui des citoyens de la RFA. Mais elle souligne la difficulté à donner une version systématique de la culture est-allemande. En effet la culture comme comportement déclaratif suppose la « mise en discours d’une revendication d’existence propre, un mécanisme d’auto-définition d’une culture[11]. » D’autre part, selon Elisa Goudin, il y a bien eu également deux arts allemands, deux littératures allemandes qui ont façonné des façons de penser et de vivre différentes.

    Mais c’est surtout la méconnaissance mutuelle entre les deux Etats, due principalement à ce repli de la RDA sur elle-même, qui crée, après la chute du mur, une incompréhension entre ex- Allemands de l’Est et de l’Ouest et qui est à l’origine de la résurgence d’une identité est-allemande dans les années 1990.

    c) 1989 : l’euphorie de la « nation retrouvée » (« Wir sind ein Volk »)

    Car si les sociétés ont connu des développements différents, il ne semble pas que la partition ait conduit à la mise en place de mentalités très différentes. Nous l’avons vu, pendant la guerre froide et malgré les propagandes respectives des deux Etats,  beaucoup de voix s’élèvent pour rappeler le fait que les deux Allemagnes ne sont en fait qu’une seule nation, et que les « Allemands de l’Ouest » et les « Allemands de l’Est » sont avant tout « Allemands ». 

    Ainsi, un des mots d’ordre de la révolution pacifiste (« die friedliche Revolution ») en Allemagne de l’Est à la fin des années 1980, qui va notamment largement contribuer à la chute du mur, est le slogan « Wir sind ein Volk » (« Nous sommes un peuple »). Le sentiment d’oppression sociale et identitaire en RDA, l’impression d’une société « pourrie » va en effet conduire une partie de la population est-allemande à agir pour une réunification de l’Allemagne et la fin du régime autoritaire. Les manifestations contre le gouvernement de Honecker et la répression qui sont, tout d’abord, davantage une revendication d’autonomie et de souveraineté de la part du peuple (« Wir sind das Volk » / « Nous sommes le peuple »), évoluent peu à peu et deviennent, à l’automne 1989, des manifestations pour le rétablissement d’une unité politique et culturelle de l’Allemagne : « Wir sind ein Volk ! ».

    Directement après la réunification, l’euphorie de la nation réunifiée favorise ainsi un gommage provisoire de la question de la rupture identitaire. La charge symbolique du slogan « Wir sind ein Volk » est considérable : enfin, les Allemands de l’Est et de l’Ouest ne forment plus qu’un seul peuple. C’est avant tout une impression de retour à la normale qui se met en place : la frontière intérieure était une frontière non naturelle, une hérésie qui séparait facticement des individus dotés en réalité d’une même identité culturelle. La déclaration de Willy Brandt juste après la chute du mur est, à cet égard, particulièrement significative : « Maintenant se réunifie ce qui doit former un ensemble » (« Jetzt wächst zusammen, was zusammengehört[12] »).

    On pourrait ainsi penser que la frontière arbitraire mise en place par les puissances victorieuses après la guerre appartient désormais au passé. Or, peu de temps après la réunification, dès le début des années 1990 apparaissent en Allemagne des contre-discours qui s’opposent à cette euphorie de la nation retrouvée. Rapidement, l’affirmation « Wir sind kein Volk » (« Nous ne sommes pas un peuple ») surgit au sein de l’espace public, notamment dans les médias. De nombreux articles et caricatures évoquent la prégnance d’une rupture identitaire entre l’Est et l’Ouest de l’Allemagne[13]. Des voix s’élèvent, notamment du côté des anciens citoyens de la RDA, pour signifier que les discours unificateurs de la réunification n’étaient qu’un leurre, et que au sein de la nouvelle Allemagne coexistent en réalité toujours deux identités distinctes, est et ouest-allemandes. Elisa Goudin cite notamment Günter Grass : « Comme les Allemands vivent, d’un point de vue politique, économique et militaire, davantage les uns contre les autres que les uns à côté des autres, ils ne réussissent plus à se concevoir comme une nation. […] La possibilité pour eux de former une nation culturelle leur est refusée[14]. »

    Paradoxalement donc, c’est surtout après la réunification que la question de l’identité est-allemande se pose. Cette question est toujours très prégnante aujourd’hui, surtout à l’heure du bilan des 20 ans de la chute du mur : quel est le rapport entretenu par les Allemands à l’ancienne frontière intérieure ? Comment s’exprime le phénomène de l’Ostalgie par rapport à ces représentations et comment s’exprime-t-il particulièrement au sein du cinéma allemand contemporain ?

    La naissance de l’Ostalgie : une définition a posteriori de l’identité est-allemande ?

    Les modalités de la réunification : une « colonisation » de l’Est par l’Ouest ?

    Beaucoup d’Allemands de l’Est ont ainsi eu le sentiment d’une colonisation, que la réunification s’était effectuée « sans eux ». Le sentiment d’être rejeté et mis à l’écart explique ainsi en partie la volonté de se rattacher à une identité positive, celle de la RDA.

    Il faut en effet rappeler que la réunification en Allemagne s’est effectuée sur le mode de l’absorption de l’Est par l’Ouest : la RFA a intégré la RDA dans ses structures. Beaucoup d’Allemands de l’Est qui ont participé à la révolution pacifique de la fin des années 1980 sont alors déçus par les modalités de la réunification. Car s’ils militaient pour une unité politique de l’Allemagne et la fin du régime autoritaire de la RDA, d’autres modalités d’unité avaient également été envisagées, comme par exemple la proclamation d’une seconde république fédérale sur la base d’une nouvelle loi fondamentale, alternative qui aurait notamment pu atténuer la sensation d’un déséquilibre politique entre l’Est et l’Ouest[15]. Alors que les Allemands de l’Ouest conservent leur régime politique, leur organisation sociale et leurs habitudes de vie, les Allemands de l’Est voient leur mode de vie, leur cadre économique et politique s’effondrer brutalement, et doivent s’adapter entièrement aux règles de la vie ouest-allemande.

    D’autre part les nouveaux Länder – c’est-à-dire les anciens Länder de la RDA intégrés désormais à la RFA – subissent également de plein fouet les conséquences économiques de la réunification. Beaucoup d’entreprises autrefois nationalisées sont rachetées par des entrepreneurs privés qui s’empressent de les fermer pour supprimer la concurrence. Le taux de chômage est par exemple environ 5 fois plus élevé en ex-RDA que dans le reste de l’Allemagne. Les cartes des indicateurs économiques et sociaux tendent ainsi, effectivement, à recréer cette frontière qui a été abolie, ce « mur dans les têtes[16] ».

    b) La méconnaissance de « l’autre Allemagne » : le paternalisme de l’Ouest

    La presse, notamment, développe ce qui, en Allemagne, a été par la suite nommé « Ostdiskurse » (« discours sur l’Est »). Ces discours émanent de journalistes ouest-allemands qui développent une rhétorique partiale autour des Ossis, les présentant comme « sous-développés », « inadaptés à la nouvelle société allemande[17] ». Cette dévalorisation des connaissances et des capacités des Allemands de l’Est crée un sentiment d’injustice chez les anciens citoyens est-allemands, qui se sentent incompris et surtout méprisés, d’autant plus que ces discours témoignent, comme nous l’avons évoqué précédemment, d’une méconnaissance totale de la réalité du contexte social de l’ex-RDA.

    Les Ostdiskurse et l’impression d’être paternisés créent alors, chez les Allemands de l’Est, l’impression d’être considérés comme des Allemands certes, mais des Allemands de seconde zone, des « étrangers dans leur propre pays. »

    Certains Allemands de l’Est évoquent ainsi, notamment en réaction aux Ostdiskurse, une mentalité est-allemande qui serait plus solidaire, plus chaleureuse, davantage tournée vers la communauté. On retrouve ici, en filigrane, les discours de propagande que nous avons évoqués précédemment, et qui étaient d’usage pendant la guerre froide. Stefan Wolle analyse ce caractère paradoxal du manque de liberté qui a mené, en Allemagne de l’Est, à une forme de repli sur un quotidien serein, communautaire et hédonique[18] – dont le souvenir est, aujourd’hui, réinvesti subjectivement, en réaction à une certaine forme de mépris social vécu par les Ossis. La vie quotidienne en RDA peut alors paraître paisible, certes répétitive mais rassurante et emplie de quiétude. Elle semble plus humaine, plus calme, presque plus pacifique, car moins attachée à la matérialité. Elisa Goudin fait ainsi remarquer que ce qui est souvent associé l’identité est-allemande, c’est une « solidarité humaine plus grande qu’en RFA[19] ».

    Stefan Wolle, cite, quant à lui, une chercheuse de la vie quotidienne qui, lors d’une allocution radiophonique en 1996, évoque le caractère collectif de la vie quotidienne en RDA. Ce caractère collectif, dû à une structure sociale moins concurrentielle, aurait rendu les Ossis plus décontractés, plus détendus, plus heureux, et aurait favorisé la mise en place de deux mentalités très différentes[20]. Ce point de vue peut cependant paraître un peu manichéen et simplifié. Il reflète surtout une reproduction de l’image que le régime voulait donner de lui-même : il s’agissait de propager un sentiment de sécurité, notamment par les médias, et de donner une impression d’ordre, de propreté, de normalité, la RDA se transformant en « Reich der Ruhe und des Glücks[21] ».

    Ces différences de mentalité semblent être ainsi, en réalité, plus présentes dans les discours que dans les faits. Il ne faut pas non plus oublier que le quotidien en RDA était également fait de peur et de délation, et que la Stasi était un organisme policier tentaculaire qui exerçait son emprise, insidieusement, sur tous les domaines de la vie quotidienne. Mais, à la surface, s’exercait ce que Günter Grass a, par la suite, nommé une « dictature commode[22] », c’est-à-dire une dictature qui propageait un sentiment de sécurité faussé, et qui, paradoxalement, pouvait permettre une vie sociale sereine. Une des notions qui a influencé la recherche sur la RDA est ainsi celle de Eigensinn : notion transposée dans le contexte de la RDA par Thomas Lindenberger pour permettre de comprendre la « domination » comme pratique sociale. « Cette notion désigne l’ambiguïté potentielle des attitudes et des actions des individus, et, à la différence des termes comme opposition et résistance, elle n’est pas explicitement négative par rapport au pouvoir. […] En français elle se traduit tantôt par “entêtement” et “obstination”, mais aussi par “domaine réservé” et “quand à soi”[23]. »

    Toute cette rhétorique autour d’un monde protégé et heureux constitue alors une revalorisation symbolique pour certains Allemands de l’Est, qui se sentent méprisés et rabaissés par les Ostdiskurse[24].

    Ainsi les désignations péjoratives d’Ossis – terme désignant les Allemands de l’Est à l’Ouestet Wessis – terme désignant les Allemands de l’Ouest à l’Estressurgissent par exemple au milieu des années 1990. A bien des égards, les films « ostalgiques » comme Good bye Lenin ! sont alors perçus comme des moyens de pallier cette incompréhension mutuelle entre Ossis et Wessis.

    c) L’Ostalgie : la réaffirmation d’une identité est-allemande positive ?

    C’est dans ce contexte que naît le phénomène de l’Ostalgie, qu’il s’agit donc d’appréhender avant tout comme un phénomène discursif, comme un discours sur l’Allemagne de l’Est. Il est à la fois l’expression et la prolongation de ce sentiment de déception et de colonisation qui naît chez les anciens Ossis après la réunification.

    Mais il est aussi, à ces débuts au milieu des années 1990, un phénomène commercial : il s’agit de récupérer les aspects folkloriques de la RDA et d’en créer une mode. Les produits de la RDA[25], sont de nouveau commercialisés. Ces produits sont souvent présentés par les campagnes de publicité comme des « survivants ». Ils seraient également « plus naturels », « plus frais ». On retrouve, en filigrane, la résurgence de la rhétorique d’une différence de mentalité. L’Allemagne de l’Ouest serait trop « affectée », trop sophistiquée, alors que les Allemands de l’Est auraient su cultiver les valeurs simples et naturelles.

    Cette mode prend ainsi rapidement, dans le contexte que nous venons de décrire, une autre signification : pour les anciens Allemands de l’Est elle est aussi un moyen d’affirmer une identité positive, en réaction notamment aux Ostdiskurse.

    Le cinéma allemand contemporain participe alors de ces débats. Il s’agit ainsi d’interroger la discursivité autour de ce mécanisme de symbolisation : en quoi est-elle révélatrice des débats identitaires qui « agitent » l’Allemagne ? La question du rapport entre Ostalgie et identité est-allemande peut aussi se poser de la manière suivante : l’Ostalgie peut-elle être apparentée à une tentative d’auto-définition de la culture est-allemande ?

    Le cinéma allemand contemporain apparaît ainsi comme un biais particulièrement intéressant pour appréhender la question de la frontière intérieure et de la rupture identitaire allemande. En effet les deux plus grands succès du cinéma récent en Allemagne sont deux films qui mettent en scène, sur un mode très différent, la société de la RDA : Good bye Lenin ![26] (2003) et La vie des autres[27] (2007). Nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement à ces deux productions allemandes, car elles traitent de la RDA selon des points de vue très différents, et leurs thématiques divergent très sensiblement. Le choix de ces deux films est principalement lié à l’ampleur de leur succès, qui a suscité de vifs débats, ainsi qu’à la diversité de points de vue offerts : alors que Good bye Lenin ! semble a priori participer d’une certaine vision ostalgique de la RDA par le biais de l’humour, La vie des autres propose, dans un registre plus dramatique, une mise en scène du système politique de l’Allemagne de l’Est.

    Ces deux films semblent ainsi emblématiques de l’ambiguïté intrinsèque concernant la vision actuelle de la RDA : d’une part cette dernière peut être perçue comme une sorte de paradis perdu, une alternative au capitalisme destructeur, d’autre part elle peut également être analysée comme un régime totalitaire dictatorial et inégalitaire. Les deux films semblent cependant présenter une vision nuancée de cette opposition caricaturale et exclusive entre Ostalgie et dictature. C’est précisément cette image contrastée et ambiguë qu’il s’agit d’interroger et de mettre en évidence, afin d’éclairer les modalités et les enjeux de la mise en mémoire de la RDA en Allemagne.

    Ces films ont ainsi suscité beaucoup de débats autour de la représentation de l’Allemagne de l’Est outre-Rhin, et c’est cet espace de discursivité que nous nous proposons maintenant d’analyser. En quoi ces deux films notamment peuvent-ils constituer le point de départ d’une réflexion autour de la définition de l’Ostalgie ? En quoi peuvent-ils servir de pierre de touche de la notion « d’identité est-allemande » ?

    Cinéma et « frontière invisible » : vers une redéfinition de l’Ostalgie ?

    Le cinéma allemand contemporain « à succès », par ailleurs très historique, semble ainsi s’intéresser de plus en plus au contexte socio-historique de la RDA[28]. En Allemagne, le cinéma participe ainsi activement à la construction de la mémoire collective et individuelle.

    La chute du mur est, en effet, une rupture qui appelle une « réaction artistique » pour reprendre les termes de Monika Bellan[29]. La réunification favorise l’apparition d’un champ nouveau de thématiques, que ce soient les thématiques liées à la RDA ou les thématiques traitant de la Wende. L’Allemagne doit désormais gérer la mémoire de la RDA, qui apparaît multiple et complexe.  

    L’art joue ainsi un rôle non négligeable d’exutoire des questions et des souffrances issues de l’Histoire, en l’occurrence de la division et de l’unité[30].

    Ainsi les succès de Good bye Lenin ! et de La vie des autres attestent également que, au-delà de leur caractère de divertissement, ils ont su répondre à un besoin particulier de la population, à un « désir d’est » peut-être qui n’avait pas été assouvi. Ils correspondent, en quelque sorte, à un souhait de la population, à une envie de comprendre le passé récent. Siegfried Kracauer, dans sa Théorie du film, évoque ainsi un « échange permanent entre les rêves des masses et les contenus filmiques[31] »  Le cinéma, reflet de la mentalité d’une nation, exprime ainsi des questionnements sous-jacents à la réalité sociale. Il produit une image de la société tout en étant lui-même un produit de cette société. Il est souvent analysé comme son reflet : il en donne une image particulière, il est porteur de visions du monde socialement et historiquement situées. En ce sens il peut être perçu comme une analyse sociale, un reflet du Zeitgeist. Mais comme l’expose Marion Kroner, le film ne reproduit pas mécaniquement la réalité, mais choisit des éléments de cette réalité pour les réarranger en image rêvée[32].  Pour reprendre l’analyse anthropologique d’Edgar Morin, il s’agit de concevoir « le type d’articulation et le circuit qui s’opère entre le système ouvert qu’est le cinéma et le système culturel, social, lui-même dimensionnel[33]. »

    La RDA, elle aussi, devient à cet égard une « image rêvée » (Wunschbild) et provoque identification et reconnaissance: pour les spectateurs de l’ex-RDA les films évoquent des souvenirs, bons ou mauvais. Les expériences inconscientes et refoulées des spectateurs reviennent à la surface et s’incarnent dans le cinéma. Pour les Allemands qui n’ont pas vécu en RDA, celle-ci devient une réalité plus tangible, plus accessible, plus préhensible. Le succès public des films démontre en effet un intérêt des anciens Allemands de l’Ouest pour la RDA, même si celle-ci est alors appréhendée sous le mode de l’exotisme ostalgique.

    Peu à peu émerge ainsi une image de la société de la RDA, qui se base en partie sur la perception a posteriori que l’imaginaire collectif a forgée de cette société. Les spectateurs doivent ainsi reconnaître la RDA telle qu’ils se la représentaient avant d’avoir vu les films, ils retrouvent au cinéma les symboles associés collectivement et traditionnellement à la RDA : Lénine, le « ringardisme », les chants socialistes, la Stasi… Le cinéma se prête alors au jeu de reproduction de ces symboles. C’est pourquoi il peut, très rapidement, être apparenté au phénomène ostalgique.

    a) Good bye Lenin ! : « film de la réunification » ou « obsession ostalgique » ?

    Good bye Lenin! peut ainsi être perçu, par exemple, à la fois comme révélateur et catalyseur de la tendance de l’Ostalgie commerciale.

    Le film raconte l’histoire d’une famille est-allemande au moment de la réunification : la mère tombe dans le coma juste avant la chute du mur, et elle ne doit, à son réveil, rien apprendre à propos de la réunification ; car ce bouleversement politique pourrait susciter un choc émotionnel trop violent pour une ancienne partisane convaincue du régime. Son fils Alex décide alors de recréer l’univers de la RDA dans la chambre de sa mère, et de lui cacher la chute du mur. Le film présente ainsi une image de la vie quotidienne et du mode de vie en Allemagne de l’Est : il joue précisément constamment sur le décalage entre la nouvelle Allemagne réunifiée et l’ex-RDA qu’Alex reconstitue pour sa mère. Il présente une bonne partie des motifs du phénomène de l’Ostalgie : la Trabant – voiture symbole de la RDA –, le mobilier et les vêtements démodés, l’attachement aux icônes socialistes notamment.

    On perçoit, au sein des critiques de presse parues en Allemagne et en France à la sortie des deux films[34], un double discours autour de l’interprétation à donner au film: il y est soit présenté comme le « film de la réunification », soit comme le «film symbole de l’Ostalgie ». Or ces deux interprétations sont souvent en concurrence : soit le film a réconcilié les Allemands avec leur passé récent, en permettant notamment aux Allemands de l’Ouest de découvrir leurs voisins de l’Est sous un mode positif, soit il est au contraire symptomatique d’une obsession ostalgique synonyme de repli identitaire sur une identité est-allemande reconstruite a posteriori. On le voit, ce débat fait donc ressurgir les thématiques identitaires et pose la question de l’unité culturelle des Allemands.

    Les critiques du film ont avancé le caractère trop réducteur du film, qui jouerait précisément trop sur l’aspect commercial et caricatural de l’Ostalgie[35], et qui ne serait ainsi qu’une image superficielle de la RDA, occultant les problématiques liées au fonctionnement de l’Etat autoritaire. La mode ostalgique, et plus particulièrement Good bye Lenin ! ne seraient ainsi qu’une nouvelle forme de mépris envers les anciens citoyens de la RDA, dont l’expérience sociétale et culturelle est réduite à une succession de clichés folkloriques dénués de réelle réflexion sur la vie de l’autre côté du mur. Good bye Lenin ! serait ainsi symptomatique de la « présence de la RDA comme objet médiatique de grande consommation[36]. » L’inflation du débat autour de l’Ostalgie occulterait et cacherait la discussion autour des aspects dictatoriaux de l’ancien régime[37].

    Le film a ainsi été emporté par la « vague ostalgique », il est devenu un phénomène de société : un « hôtel de la RDA » où il est possible de louer des appartements version « Good Bye Lenin ! » s’est même ouvert à Berlin. L’Ostalgie est ainsi souvent apparentée à une mode : les objets de la RDA qui sont réinvestis par le mouvement ont perdu tout contenu sémantique, ils ne sont plus considérés que comme des objets vides de sens : « Il semble que la RDA soit devenue pour beaucoup l’objet d’un folklore apolitique. Ce n’est en aucune façon la RDA dans son existence réelle qui intéresse la plupart de nos contemporains ouest-allemands et de larges parts de la jeune génération est-allemande[38]. »  La mise en scène d’une image folklorique et caricaturale de la RDA peut, in fine, correspondre à un oubli.

    Cependant, d’autres voix se sont élevées en Allemagne de l’Est pour souligner qu’enfin, un film mettait en scène la RDA sous un jour plus positif et mélancolique. Le film montrerait la RDA sous un jour autre que celui de l’oppression et de la dictature, tout en n’occultant pas les traits autoritaires du régime, puisque la famille d’Alex est, elle aussi, séparée par le mur. Il permettrait ainsi de présenter la vie quotidienne en RDA comme une vie presque « normale » ; et surtout renverrait une image positive des Ossis, qui ne seraient finalement pas si différents des Wessis. En cela le film a aussi été qualifié, par certains médias, de « film de la réconciliation[39] ». En éclairant les Allemands de l’Ouest sur les conditions de vie des Allemands de l’Est, il aurait favorisé une meilleure intercompréhension entre les Allemands, intercompréhension qui, justement, aurait permis de pallier en partie la méconnaissance mutuelle des Allemands après la réunification. Surtout, il aurait mis en lumière, pour les Allemands de l’Ouest, le sentiment ressenti par les Allemands de l’Est à la chute du régime de la RDA : un sentiment de libération certes, mais aussi une impression de perte de repères et de déstabilisation.

    Le film serait ainsi non seulement révélateur du phénomène de l’Ostalgie, mais il agirait aussi directement sur le phénomène de la rupture identitaire en Allemagne. On perçoit ainsi l’impact du cinéma historique en Allemagne aujourd’hui : il est non seulement révélateur des débats autour de la mémoire, mais aussi acteur de ces débats. Une des remarques les plus courantes au sein des médias allemands est notamment, à la sortie du film, la suivante : « Les Allemands de l’Est et de l’Ouest peuvent enfin rire de concert autour de la RDA[40] » On perçoit ici le caractère cathartique du cinéma, et son effet libérateur.

    b) Good bye Lenin ! VS La vie des autres : la question de la normalisation de la RDA

    Cependant l’inflation du débat autour de l’Ostalgie, d’autre part, occulterait et cacherait la discussion autour des aspects dictatoriaux de l’ancien régime. L’Ostalgie, et plus particulièrement Good bye Lenin!, sont alors souvent accusés de mémoire sélective.

    C’est pourquoi la sortie de La vie des Autres en 2007 a été perçue, pour beaucoup de détracteurs de l’Ostalgie, comme un moyen de lutter contre ce phénomène de normalisation de la RDA qui aurait été à la fois relayé et initié par ce cinéma de l’Ostalgie. Le film, qui relate l’histoire d’un espion de la Stasi qui va, peu à peu, prendre parti pour le couple d’artistes qu’il est en charge de surveiller, se déroule en effet dans le cadre des rouages de l’Etat autoritaire. En présentant la face réelle de la dictature, le film permettrait de rétablir la vérité sur la RDA et de lutter contre une normalisation, voir une idéalisation trop marquée des conditions de vie en ex-Allemagne de l’Est. Il favoriserait également la compréhension du fonctionnement d’une police politique qui avait œuvré tant d’années dans l’ombre et le secret, et qui n’avait presque jamais, auparavant, été représentée. Pour beaucoup d’Allemands,  La vie des autres a été l’occasion de « mettre un visage sur la Stasi[41] ». On perçoit ici le pouvoir de l’art, sa capacité de figuration, et son action sur les visions du monde individuelles et collectives.

    Certains critiques ont cependant avancé le fait que le film était, lui aussi, réducteur par rapport à l’ex-RDA, puisqu’il la représentait de nouveau sous son biais autoritaire. La RDA ne se limiterait pas à la Stasi et à ses « hommes en gris », et ne montrer que la répression serait « trop commode »[42].

    Le film a ainsi pu être perçu comme un nouvel outil pour légitimer les modalités inégalitaires de la réunification, pour légitimer, en réalité, la colonisation de la RDA par la RFA. La RDA, de nouveau, était présentée sous son jour le plus sombre, dans une atmosphère triste et grise d’oppression.

    Les débats suscités par les deux films montrent ainsi à quel point la question de la frontière invisible est prégnante en Allemagne. L’opposition souvent manichéenne entre Good bye Lenin ! et La vie des Autres, relance en réalité les discussions autour de la normalisation de la RDA et pose la question du « mur dans les têtes ». Il s’agit en réalité de considérer ces deux films comme deux approches complémentaires de la question de l’identité est-allemande, approches révélatrices du rapport presque schizophrénique que les Allemands entretiennent avec la RDA. D’un côté l’Allemagne de l’Est était une dictature, de l’autre côté elle permettait aussi de « vivre sa vie » et avait « de bons côtés ».  On perçoit ici toute la complexité de la construction de la mémoire individuelle et collective.

    Les deux films sont des pans différents de la gestion de la mémoire de la RDA, ils la traitent selon une modalité différente. Les critiques qui assimilent Good bye Lenin! à une Ostalgie naïve semblent ainsi un peu réductrices, elles ne prennent pas en compte toutes les nuances apportées par le film et les aspects négatifs de la société de la RDA qu’il met en scène : par exemple l’obstination de la mère d’Alex, son idéalisme dépassé sont aussi le reflet des conséquences psychologiques désastreuses de la chute du mur. Comme nous l’avons déjà mis en évidence, Good bye Lenin! montre également le délitement des liens interpersonnels en mettant en scène une famille clivée.

    On perçoit ainsi la difficulté, une fois encore, de représenter la RDA, car des images contradictoires entre dictature et « vie quotidienne normale » se confrontent. Cette difficulté d’appréhension est ainsi résumée par Sonia Combe : « La RDA peut tout aussi bien apparaître comme une “société disciplinaire” qu’être qualifiée d’Etat-prison panoptique. Mais la définir ainsi exclurait la prise en compte des rapports sociaux qui s’y sont noués et qui ne reposaient pas tous sur la violence[43]. » La vie quotidienne permettait, d’autre part, de mettre en œuvre des marges de manœuvre par rapport à l’autorité surplombante, de développer une forme d’Eigensinn que nous avons évoqué précédemment.

    c) L’Ostalgie comme mode de remémoration individuelle du passé

    En réalité, l’aporie entre dictature et vie quotidienne « normalisée » peut être dépassée si l’on considère, avec Stephan Wolle qu’elles étaient en réalité étroitement imbriquées et qu’elles se conditionnaient : les deux versions de la mémoire extraites de La vie des autres et de Good bye Lenin ne sont donc pas concurrentes mais complémentaires, elle démontre le caractère dialectique de la représentation de l’Histoire.

    L’opposition manichéenne entre dictature et Ostalgie peut également être dépassée par une prise en compte des conséquences psychologiques et identitaires actuelles de la chute du mur.

    Il s’agit ainsi d’élargir le concept d’Ostalgie, en le considérant avant tout comme la conséquence d’une perte de repères et de valeurs. L’Ostalgie serait ainsi un point de repère dans un monde désenchanté, elle correspondrait à un réinvestissement d’une vague mémorielle, à une recherche d’identité personnelle. Il s’agit donc d’aller au delà de l’aspect marketing et folklorique de l’Ostalgie et de redéfinir sa signification par le prisme du cinéma.

    La Wende s’apparente en effet à la « fin d’un monde ». Stefan Wolle décrit cette sensation, ce sentiment de perte qui accompagne toute rupture historique. Ainsi cette sensation est avant tout une émotion irrationnelle qui correspond au sentiment d’un monde perdu. Becker lui-même, dans un entretien accordé au Figaro[44] le 10 septembre 2009, analyse cette même émotion qui ressurgit chez les spectateurs de l’ex-RDA qui vont voir son film : « Ils pensent aux temps révolus. Rien pour eux n’a été suffisamment fort depuis pour leur faire oublier le passé. Il suffit d’une odeur, d’un son pour que la mémoire resurgisse… »

    L’Ostalgie cristallise ainsi cette « ambiance d’adieu » (Abschiedstimmung), et rend compte des changements brusques de la vie quotidienne entraînés par la réunification. Le Wende est ainsi interprété comme événement, rupture fondamentale. Ainsi la première perception de la chute du mur reste sans doute celle d’un évènement au sens fort. Selon la définition que donne Reinhart Koselleck[45], un tel évènement rend caduc le champ d’expériences et vient trouer l’horizon d’attentes qui s’était constitué selon le champ d’expériences. Cet évènement radical a de plus la propriété d’être vécu comme irréversible : « Le passé s’éloigne irrésistiblement et la rive du futur est encore imperceptible. […] C’est sans doute le régime d’historicité du film Good bye Lenin !  où le fils veut épargner à sa mère une nage harassante, que lui-même ne peut éviter[46]. »

    Good bye Lenin! présente, en effet, la chute du mur comme une rupture fondamentale : elle est une perte de repères déstabilisante mais en même temps porteuse d’espoirs. En tant qu’événement fort, elle ne peut être « suivie » par les « personnes trop âgées ou trop engagées dans l’Ancien Régime pour accomplir le voyage révolutionnaire réclamé par l’évènement[47]. » L’Ostalgie peut alors se comprendre comme une dialectique entre espoir et regret. Good bye Lenin! peut ainsi être appréhendé comme un film du Wende car il  montre la continuité des ruptures historiques, la prégnance des habitudes autour de la RDA.

    On parvient ainsi, petit à petit, à percevoir les bases de ce qui pourrait être une redéfinition de l’Ostalgie. Il s’agit, avec Elisa Goudin, de considérer l’Ostalgie non pas comme « une volonté de revenir en arrière, ni comme une complaisance envers le régime de la RDA, mais comme la traduction d’une difficulté à trouver des repères au sein de nouvelles structures sociales[48]. » L’Ostalgie traduirait ainsi une confusion morale.

    On peut aussi proposer désormais différentes formes d’Ostalgie : l’Ostalgie commerciale, superficielle et réifiée, qui utilise des clichés et des symboles vides de sens, mais qui ne témoigne pas d’un réel intérêt pour la RDA. L’Ostalgie personnelle, privée, est au contraire basée sur des émotions, des impressions. L’Ostalgie revendicative se nourrit, quand à elle, de la frustration et de la déception qui ont suivi le Wende. L’Ostalgie revêt donc de multiples formes, elle n’est pas nécessairement incompatible avec le souvenir de la peur, de la délation et de la dictature.

    Good bye Lenin!, parce qu’il expose l’Ostalgie sur le mode personnel, n’est donc pas une vision édulcorée de la RDA mais plutôt une mise en image des modalités de remémoration personnelle qui apparaissent chez les Allemands de l’Est pendant le Wende.

    Conclusion

    L’Ostalgie, sous sa forme sociale, ne serait donc pas la manifestation d’une rupture identitaire profonde entre l’Est et l’Ouest, mais plutôt la sublimation d’un sentiment de perte de repères, de déstabilisation. Elle résulterait aussi d’une impossibilité, voire d’un refus de la part des ex-Allemands de l’Est de renier totalement les cadres sociaux et culturels qui ont été les leurs pendant 40 ans.  L’Ostalgie n’est pas une revendication d’un retour à l’ex-RDA, elle peut exister parallèlement à la dénonciation de ce régime. Les images de la RDA renvoyées par Good bye Lenin ! et La vie des Autres peuvent donc coexister, cohabiter au sein des visions du monde individuelles et collectives.

    Les représentations de la RDA au sein du cinéma allemand contemporain traduisent ainsi le rapport complexe et ambigu que les Allemands entretiennent avec leur passé récent. Il ne s’agit plus ici, au terme de notre raisonnement, d’évoquer une rupture identitaire qui s’exprimerait à travers le phénomène de l’Ostalgie, mais plutôt de reconnaître ce phénomène, tel qu’il est appréhendé au sein du cinéma allemand notamment, comme la reconnaissance d’une réalité est-allemande différente pendant 40 ans. L’Ostalgie s’apparente ainsi davantage à une forme de remémoration du passé qu’à une revendication d’une identité est-allemande positive. Le cinéma, parce qu’il se fait, comme nous l’avons vu, de plus en plus historien, est un outil d’analyse particulièrement intéressant à étudier pour approfondir cette question de la remémoration du passé de la RDA.

    Références

    [1] Voir notamment l’ouvrage de Jérôme Vaillant, dir., La déstasification : problématique et dimension idéologique de la confrontation au passé en Allemagne de l’Est in Allemagne d’aujourd’hui n°136, avril-juin 1996. La question de la mémoire de la RDA est ici abordée du point de vue de la mémoire de la Stasi : l’Allemagne a en effet été le premier pays au monde à décider, à la chute d’un régime autoritaire, l’ouverture des archives de la police d’Etat de ce dernier. Les dossiers de la Stasi doivent ainsi être conservés, archivés et l’accès doit en être accordé pour permettre de faire le point sur le passé de la RDA, tant sur le plan politique qu’historique et juridique. Grâce à cette mesure, prise dans le cadre de la destasification, chaque Allemand peut consulter son dossier personnel et découvrir l’identité et les méthodes des individus qui l’ont surveillé. L’ouverture des archives met ainsi au grand jour le fonctionnement interne même de la Stasi, qui était une des polices politiques les plus élaborées du monde, et qui employait notamment un nombre considérable de « Inoffizielle Mitarbeiter » (IM), des « travailleurs non officiel », c’est à dire des « mouchards » au sein de la population civile. La recherche s’intéresse alors non seulement aux mécanismes de cette police d’Etat, mais aussi aux conséquences de l’ouverture des archives de la Stasi sur la cohésion de la société allemande actuelle. Pour Jérôme Vaillant, le débat en Allemagne a ainsi tendance à réduire la mémoire de la RDA à la mémoire de la Stasi : « [Même si l’on trouve] condamnable de limiter la confrontation au passé à la seule dimension de la Stasi, il se trouve en effet que la confrontation au passé en RDA se fait fréquemment sur le mode de la référence privilégiée au phénomène de la Stasi, qui a profondément marqué les esprits en RDA.] (p. 3)

    Cf. également : Sonia Combe, Une société sous surveillance, Les intellectuels et la Stasi, Paris, Albin Michel, 1999 

    Et Jens GIESEKE, Mielke-Konzern. Die Geschichte der Stasi, 1945-1990, Stuttgart-München, Deutsche Verlag-Anstalt, 2001

    [2] Stephan Wolle, Die heile Welt der Diktatur, Alltag und Herrschaft in der DDR, 1971-1989, Berlin, Ch. Links Verlag, 1998.

    [3] Catherine Fabre-Renault, Elisa Goudin, Carola Hähnel-Mesnard, dir., La RDA au passé présent, Relectures critiques et réflexions pédagogiques, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2006.

    [4] Monika Bellan, 100 ans de cinéma allemand, Paris, Ellipses, 2001. Nous pouvons aussi citer l’ouvrage de Bernard Eisenschitz , Le cinéma allemand, Paris, Nathan, 2007 ou encore l’article de Malte Behrmann, dir. « Der Erfolg von Good Bye Lenin! in Frankreich », Kino und Spiele, Medien in Frankreich und Deutschland, Stuttgart, idibem-Verlag, 2005, p. 92-124.

    [5] Cf. Extraits des accords de Yalta du 11 février 1945 sur Cliotexte, 1997 (Mise à jour : septembre 2011), http://icp.ge.ch/po/cliotexte/la-seconde-guerre-mondiale/yalta.1945.html [consulté le 25 septembre 2011) : « Les plans adoptés prévoient que chacune des trois puissances occupera avec ses forces armées une zone séparée en Allemagne. (…) Nous sommes inflexiblement résolus à anéantir le militarisme et le nazisme allemands et à faire en sorte que l’Allemagne ne puisse plus jamais troubler la paix mondiale. (…) Il n’est pas dans notre intention d’anéantir le peuple allemand, mais les Allemands ne pourront espérer une existence convenable et une place dans le Conseil des Nations unies qu’après l’extirpation du national-socialisme et du militarisme. »

    [6] Cf. Pierre de Senarclens, Yalta de Pierre de Senarclens, Paris, Éditions PUF, 1984. Dans cet ouvrage, Pierre de Senarclens présente notamment les plans de partition envisagés par Churchill et Roosevelt, très différents de la partition finale de l’Allemagne. Churchill prévoyait notamment une division du pays selon des catégories religieuses : le nord protestant, le sud catholique, et l’ouest « mixte ».

    [7] Id.

    [8] Un des mythes fondateurs de la RDA est, par exemple, le « mythe de l’innocence » : seule la RFA serait responsable des crimes nazis, la RDA ne serait désormais constituée que d’anciens résistants farouches au régime d’Hitler. Le monde occidental serait seul responsable des horreurs perpétrées pendant la seconde guerre mondiale. On perçoit ainsi une ligne de démarcation très nette entre le « eux » et le « nous » : les Allemands de l’Ouest ne sont pas comme les Allemands de l’Est, ils sont a priori responsables du nazisme et prédestinés au fascisme. Ce mythe d’une population entièrement résistante pendant la guerre sera un des motifs majeurs de la propagande est-allemande pendant toute la période de la partition. Elle trouve encore des échos aujourd’hui auprès de la population est-allemande qui a connu la période de la guerre froide et qui, déçue de la réunification, se retourne vers les discours et la rhétorique de l’ex-RDA. Cf. à ce sujet, l’article de Herfried Münkler consacré aux mythes fondateurs de la RDA après la seconde guerre mondiale : Herfried Münkler, « Antifaschistischer Widerstand, frühbürgerliche Revolution und Befreiungskrieg, Die Gründungsmythen der DDR », dans Die Deutschen und ihre Mythen, Berlin, Rowohlt Verlag, 2009, p. 421-455.

    [9] Tout en reconnaissant l’autarcie de la RDA, il nuance aussi cette existence d’une culture et d’une mentalité spécifiquement est-allemande en soulignant  que les médias occidentaux étaient en fait très présents en Allemagne de l’Est, et qu’ils ont notamment influencé et facilité la réunification. Stefan Wolle, Die heile Welt,… p. 72 : « Die bundesdeutschen Rundfunk und Fernsehprogramme haben über 45 Jahre der Trennung die kulturelle Einheit der deutschen Nation aufrechterhalten. (…) Die DDR-Bevölkerung konnte die elektronischen Medien ohne wesentliche Einschränkungen empfangen.“ [« La radio et la télévision ouest-allemande ont, pendant les 45 années de la division, maintenu l’unité culturelle de la nation allemande. (…) La population de la RDA pouvait recevoir les médias électroniques sans restriction majeure. »]  La réception des médias ouest-allemands en RDA a ainsi, tout de même, limité les différences culturelles.

    [10] Elisa Goudin, Culture et action publique en Allemagne : l’impact de l’unification (1990 – 1998), Paris, Connaissances et savoirs, 2005, p. 230.

    [11] Ibid, p. 493.

    [12] Discours de Willy Brandt devant l’hôtel de ville de Rathaus, à Berlin, le 10 novembre 1989. Cité par Sabine Ylönen « « Jetzt wächst zusammen, was zusammengehört!“ Der lange Weg der deutschen Vereinigung », dans Ch. Hall et K. Pakkanen-Kilpiä, dir. Deutsche Sprache, deutsche Kultur und finnisch-deutsche Beziehungen, Festschrift für Ahti Jäntti zum 65. Geburtstag. Finnische Beiträge zur Germanistik Bd. 19, Frankfurt a. M., Peter Lang, 2001, p. 289-304.

    [13] Cette incompréhension mutuelle est notamment exprimée par le politologue est-allemand R.Schröder, qui en 2005 s’interroge sur cette inégalité symbolique entre Allemands de l’Ouest et de l’Est : Richard Schröder, « Was ist mit dem Osten los ? », Frankfurter Allgemeine Zeitung,  25/08/2005, p. 9 : « In Westen fragt man: „Warum sind die noch nicht wie wir? Und im Osten: Warum leben wir nicht wie sie, sondern mit 70 Prozent Westlohn und doppelt so vielen Arbeitslosen? (…) Und [im Westen] warum sind die Ostdeutschen nicht dankbarer? Die einseitige Forderung von Dankbarkeit ruiniert jede Beziehung : Und warum eigentlich dankt niemand den Ostdeutschen, deren Zivilcourage im Herbst 1989 die deutschen Einheit möglich machte und die eine unglaubliche Umstellungsleistung erbracht haben? » [« A l’Ouest on se demande: pourquoi ne sont-ils pas encore comme nous? Et à l’Est : pourquoi est-ce que l’on ne vit pas comme eux, mais avec seulement 70% de leur salaire et de fois plus de chômeurs ? (…) Et [à l’Ouest] : pourquoi ils ne sont pas plus reconnaissants ? Cette demande unilatérale de gratitude ruine toute relation : et pourquoi personne ne remercie les Allemands de l’Est, dont le courage civil, à l’automne 1989, a rendu l’unité allemande possible, et qui ont prouvé leur capacité d’adaptation extraordinaire [depuis la réunification] ?]

    Cf. Thomas Ahbe, Rainer Gries, Wolfgang Schmale, dir., Die Ostdeutschen in den Medien. Das Bild von den Anderen nach 1990, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2009 : [Les Allemands de l’Est dans les médias. L’image des autres après 1990] Cet ouvrage s’appuie sur un grand nombre d’articles de presse et de caricatures commentés pour déterminer, précisément, « l’image des Autres », des Allemands de l’Est au sein des médias allemands après 1990.

    [14] Ibid. p. 104

    [15] Nous nous appuyons ici notamment sur un article de Hélène Miard-Delacroix, La réunification de l’Allemagne, 2007 (mise à jour : avril 2011), http://cle.ens-lyon.fr/44506211/0/fiche___pagelibre/, [consulté le 23 octobre 2011]. La réunification a en effet été mise en œuvre sur la base de l’article 23 de la loi fondamentale de la RFA, qui prévoyait dès 1949 la possibilité de « l’adhésion d’autres parties de l’Allemagne » à la RFA. Cet article 23 avait déjà été utilisé pour intégrer les territoires sarrois à la République Fédérale après le référendum de 1956.  Cependant, L’unification de l’Allemagne, en 1990, n’est pas une évidence. H. Miard-Delacroix évoque notamment la position de Hans-Dietrich Genscher, ministre des Affaires étrangères, qui contrairement à Helmut Kohl « envisageait un rapprochement des deux Etats dans le cadre d’un élargissement rapide de la communauté européenne à l’Est ». Les mouvements citoyens de la RDA, eux, revendiquaient selon H. Miard-Delacroix davantage une réforme de la RDA qu’un processus d’unification. Miard-Delacroix précise également qu’une « querelle opposa partisans de l’article 23 (élargissement par adhésion) à ceux de l’article 146 (validité provisoire jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution qui prendrait en compte les changements souhaités par les Allemands de l’Est) ». Elle souligne que « cette deuxième solution, l’article 146, avait l’avantage d’élaborer un texte nouveau pour un État rassemblant deux populations réunies, mais l’inconvénient d’une grande lenteur et d’autant d’incertitudes. L’article 23 assurait au contraire stabilité et sécurité, donc aussi un soulagement pour les voisins européens, mais avait l’inconvénient de nourrir l’image d’une « puissante » Allemagne de l’Ouest avalant littéralement une RDA « anémiée ». C’est ce que suggérait le jeu de mots alors apprécié des opposants à cette solution : “Art. 23 : kein Anschluss unter dieser Nummer”, qui faisait allusion à la fois à l’Anschluss de l’Autriche par l’Allemagne nazie et à la célèbre tournure des services téléphoniques : “ il n’y a pas d’abonné au numéro que vous avez demandé.”»

    [16] Il est à cet égard intéressant de remarquer que les Allemands n’emploient pas, comme en France, le terme de « réunification » pour évoquer la période de la chute du mur ; mais qu’ils emploient le terme de Wende, qui signifie littéralement « tournant ». Ce terme est moins positivement connoté que le terme de « réunification » : il signifie que la chute du mur a été une source de transformation en Allemagne, mais la valeur de cette transformation n’est pas indiquée. La chute du mur a certes été un tournant ; mais les changements qu’elle a engendrés ne sont pas nécessairement perçus positivement par les Allemands.

    [17] On peut, à cet égard, citer le politologue de Berlin-Ouest Arnulf Baring, dont le discours est repris par l’ouvrage de Hans Stark et Michèle Weinachter, L’Allemagne unifiée 20 ans après la chute du mur, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2009, p.80 : « Le régime a, durant presque un demi-siècle, rabaissé les hommes, gâché leur éducation et leur formation. Chacun ne devait être qu’un petit rouage sans cervelle dans l’engrenage. Que quelqu’un de l’Est se dise aujourd’hui juriste ou économiste, pédagogue, psychologue, sociologue ou même médecin ou ingénieur, peu importe : de larges pans de ses connaissances sont totalement inutilisables. (…)… beaucoup de personnes ne sont plus d’aucune utilité à cause de leur manque de connaissances professionnelles. Elles n’ont tout simplement rien appris qui puisse leur servir dans une économie de marché libre. » Ce discours, très répandu dans les Ostdiskurse de la presse allemande au début des années 1990, propose une image très rabaissé du « Ossi ». Certains Allemands de l’Est ont même évoqué un « racisme interne » à l’Allemagne.

    [18] Stefan Wolle, Die heile Welt…, p. 82 : « Aus der Unfreiheit resultierte tatsächlich eine Art von Geborgenheit. Der Verzicht auf die ständiges Überangebot an Konsumgütern führte zu intensiveren und bewussteren Genuss des Vorhandenen. » [« De ce manque de liberté résultait, en réalité, une forme de sécurité. Le renoncement à la surenchère constante de l’offre de biens de consommation conduisait à une jouissance intensifiée et davantage consciente de ce qui était disponible »]

    [19] Elisa Goudin, Culture et action…, p. 176. Elle précise également l’impact de la réunification sur cette représentation d’une identité est-allemande solidaire : « Cette idée de solidarité est décrite comme l’un des éléments constitutifs de l’identité est-allemande que l’unification risque de mettre en danger à moyen terme. Et elle représente un objet positif, même si tous s’entendent pour reconnaître que cette solidarité était la conséquence du manque de liberté. D’autre part nous avons souvent été confrontés aux thèmes de la nostalgie d’un îlot social désormais perdu, à la chaleur des cercles de « l’émigration intérieure », de la bohème etc. » [Id.]

    [20] Stefan Wolle, Die Heile Welt…, p. 172 [zitiert eine Alltagsforscherin und Autorin, Sendung am 27.06.1996, in : Info-Radio ORB/SFB, 5.2.1996] : « Die Ossis sind sowieso eher zufriedenere Menschen als die Wessis, die eigentlich permanent…unzufrieden sind, unausgeglichen. Vielleicht wegen der Unterschiede in der gesellschaftlichen Struktur. Da die westliche Gesellschaft eher eine Konkurrenzgesellschaft war, demgegenüber die östliche eher eine Kollektivgesellschaft.  Und das unterscheidet die Mentalitäten grandios. » ([cite une chercheuse de la vie quotidienne et auteure, émission du 27 juin 1996, in : Info-Radui ORB/SFB, enregistrée le 5.2.1996] : « Les Ossis sont plutôt, de toute façon, des individus plus satisfaits que les Wessis, qui sont, en réalité, perpétuellement… insatisfaits, déséquilibrés. Peut-être à cause des différences de structures sociales. Puisque la société ouest-allemande était plutôt une société concurrentielle, alors que la société est-allemande, au contraire, était une société collective. Et cela crée une différence de mentalité énorme. »]

    [21] Ibid, p. 126 : “l’Empire de la paix et de la félicité”

    [22] Cette expression de « kommode Diktatur » (« dictature commode ») est utilisée pour la première fois par Günter Grass dans son roman Ein weites Feld (Toute une histoire), publié en 1995. Plus précisément, Günter Grass fait dire à son héros, Fonty, au sein d’une discussion avec sa femme, juste après la chute du mur et avant la réunification de l’Allemagne : « Wir lebten in einer kommoden Diktatur » (Nous vivions dans une dictature commode). Cette expression a ensuite été largement reprise au sein des débats publics autour de la mémoire de la RDA, par les intellectuels et la presse notamment. Beaucoup ont reproché à Grass de vouloir « normaliser » la RDA et de minimiser ces méfaits. Günter Grass, en réalité, dénonce dès le début des années 1990 les modalités de la réunification, accusant ouvertement – notamment par le biais de Ein weites Feld – l’Allemagne de l’Ouest d’avoir colonisé l’Allemagne de l’Est et d’avoir méprisé les expériences sociales des Allemands de l’Est.

    [23] C. Fabre-Renault, E. Goudin, C. Hähnel-Mesnard , dir.  La RDA au passé… p. 8.

    [24] Nous pouvons, à cet égard, citer le témoignage d’une ancienne citoyenne de la RDA, recueilli au sein de l’ouvrage de civilisation germanique de Stefan Adler et Uta Matecki Dreimal Deutsch, Eine Landeskunde für Anfänger, Stuttgart, Klett Verlag, 2010, p.43 : « Ich finde es nicht gut, dass sie heute die DDR so schlecht machen. Das kapitalistische System ist ja auch nicht so golden: Arbeitslose gab’s in der DDR jedenfalls nicht und die Wohnungen waren auch viel billiger. (…) Nicht alle haben von der Wende profitiert. » [« Je ne trouve pas ça bien que la RDA soit, aujourd’hui, présentée de manière si négative. Le système capitaliste n’est pas non plus si doré : en RDA il n’y avait pas de chômage et les appartements étaient beaucoup moins chers. (…) La chute du mur (le Wende) n’a pas profité à  tout le monde.]

    [25] Parmi ces produits de la RDA qui ont été re-commercialisés, on peut notamment citer le Club-Cola (le Coca-Cola de l’Est), les cigarettes Karo et F6, le vin mousseux Rotkäppchen etc.

    [26] Good bye Lenin !. (118 minutes). Réalisateur : Wolfang Becker, produit en 2003 par X Filme Creative Pool GmbH (Berlin).

    [27] La vie des autres (137 minutes). Réalisateur : Florain Henckel von Donnersmark, produit en 2006 par Wiedemann & Berg Filmproduktion in Co-Produktion (Munich).

    [28] Nous pouvons, à cet égard, citer quelques films allemands des années 1990 -2000 qui s’inscrivent dans ce contexte socio-historique, et qui ont eu un certain succès en Allemagne : Sonnenallee (1999, 94 minutes, réalisé par Leander Haußmann, produit par BojeBuck Produktion), Boxhagener Platz (2009, 103 minutes, réalisé par Matti Geschonneck, produit par Pandora Film Verleih), Nikolaikirche (1995, 133 minutes, réalisé par Franck Beyer, produit par Provobis), La Promesse (1994, 133 minutes, réalisé par Margarethe von Trotta, produit par Odessa Films), etc.

    [29] M. Bellan, 100 ans de cinéma…, p. 134.

    [30] Le cinéma est ainsi un lieu d’expression privilégié des problématiques liées à l’Histoire : il les met en forme, les interroge, les rend « visibles », pour ainsi dire. Il permet de mettre l’Histoire en images, de réactualiser un passé absent et de devenir ainsi objet de connaissance et de réflexion par rapport à ce passé. Le film révèle ainsi des interrogations contemporaines sur l’Histoire, il devient donc prisme social. Marc Ferro souligne par exemple l’« énergie d’information » que donnent les images et qui peuvent « étayer la crédibilité théorique d’un propos historique ». [Marc Ferro, Cinéma et Histoire, Paris, Gallimard, 1993, p. 120). L’analyse filmique devient alors, pour Marc Ferro, un moyen d’interroger le rapport qu’entretient une société avec son Histoire récente. Elle permet notamment de saisir les modalités dominantes de mise en mémoire culturelle de cette Histoire. Le rapport entre film, société et Histoire est alors dialectique : le film découle d’une certaine représentation de l’Histoire, et, dans le même temps, il façonne cette représentation. Les films récents autour de l’Histoire de la RDA participent du même mouvement dialectique : ils dévoilent les interrogations actuelles autour de ce passé tout en les façonnant. Le cinéma devient alors à la fois historien et objet d’histoire : c’est ce rapport entre la discipline historique, le document et le film qu’étudie notamment Christian Delage. Cf. Christian Delage, « Cinéma, enfance de l’Histoire », p.61, dans Christian Delage et Antoine de Baecque, dir., De l’Histoire au cinéma, Bruxelles, Editions Complexe, 2008, p.61-99 : « Si un film distant dans le temps peut interpeller l’historien aujourd’hui, c’est grâce (…) à sa force d’attraction sur nous et (…) parce qu’il nous enjoint de mettre son étrangeté à l’épreuve de l’analyse. Son statut d’archive (…) se manifeste autant dans les formes singulières de son écriture que dans sa capacité à imprimer physiquement les héritages qui balisent notre parcours. »

    [31] Siegfried Kracauer, Theorie des Filmes, Francfort sur le Main, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1964, p. 223.

    [32] Marion Kroner, Film – Spiegel der Gesellschaft, Versuch einer Antwort, Heidelberg, Queller & Meyer, 1973, p. 11 : « Das Filmbild sei ein Vermittler der physischen Realität. Dieser Erkenntnis trug dem Film jedoch einen Vorwurf ein, dass er nichts anderes tue, als mechanisch die Wirklichkeit zu reproduzieren. (…) Der Film reproduziere nicht ausgewählte Ereignisse oder Sachverhalte, sondern in ihm werde das ausgewählte Element der Realität neu arrangiert und dabei modifiziert. » [« Le film ne reproduirait pas des éléments ou des faits choisis, mais ce serait plutôt des éléments choisis de la réalité qui seraient, à travers lui, réarrangés et ainsi modifiés. »]

    [33] Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, essai d’anthropologie, Paris, Les Editions de minuit, 1956, p. XIII.

    [34] Nous nous appuyons ici en partie sur une revue de presse que nous avions élaborée en juin 2009 à partir de la base de données Factiva, une bibliothèque d’actualité en ligne qui recense tous les articles de presse des journaux français et européens sur 10 ans. Ce corpus comportait d’une part des critiques cinématographiques publiées lors de la sortie des deux films en France (en septembre 2003 pour Good bye Lenin ! et en janvier 2007 pour La vie des autres) dans les principaux quotidiens français (Le Monde, Libération, Le Figaro etc), et d’autre part des critiques publiées dans les journaux allemands (der Spiegel, die Welt, die Frankfurter Allgemeine Zeitung etc) au moment de la présentation des films outre-Rhin. Nous avions ainsi constaté, lors de l’analyse de ce corpus, que le discours de la presse française reprenait en grande partie celui de la presse allemande, notamment au niveau des thématiques analysées et de la signification à accorder au succès des deux films. C’est pourquoi nous présentons ici une présentation générale et simplifiée des discours de ces critiques de presse.

    [35] Ce phénomène est notamment analysé par Catherine Fabre-Renault et Elisa Goudin dans leur ouvrage consacré à la RDA, qui met en avant le caractère apolitique et parfois ridicule du phénomène ostalgique commercial : « Les sigles comme « FDJ » et « DDR », vidés de leur contenu politique, ornent les T-shirts et les sacs des adolescents (…) les « packs DDR » avec un shampoing est-allemand pour enfant, une Traband en carton à monter soi-même, et des chansons socialistes sont exposées dans les rayons des grandes librairies, et les films comme Sonnenallee (1999) et Good bye Lenin ! (2003) se voient fréquentés même à l’Ouest par un nombre exceptionnellement grand de spectateurs et dotés de nombreux prix » [C. Fabre-Renault, E. Goudin, C. Hähnel-Mesnard , dir.  La RDA au passé…,, p. 23]. On le voit ici, Good bye Lenin ! a parfois été assimilé à cette Ostalgie commerciale qui, par son aspect « cliché », a souvent été assimilé à une réduction des expériences socio-culturelles des Allemands de l’Est.

    [36] Ibid, p. 12.

    [37] [Ouvrage collectif] « L’Ostalgie » in Fakten in Akten, les dossiers classés de la presse germanophone, Paris, Ellipses, 2006, p. 25 « Die Ostalgie-Welle verdränge die politische Diskussion ums DDR-Erbe » [La vague ostalgique annihilerait les discussions politiques autour de l’héritage de la RDA.]

    [38] Ibid p. 25.

    [39] Cf.  François Modoux, « Le film de la revendication », Le Temps, 08/03/2003, p. 22 : « Les Ossis peuvent sourire à leur histoire, sans honte. Les Wessis peuvent adhérer aux sentiments de leurs «frères», sans esprit de supériorité. Réuni par le cinéma, un peuple longtemps divisé est en train de se bricoler une identité commune. » 

            Cf. également Odile Benyahia-Kouider, « Lézard à l’oscar en Allemagne », Libération, 16/04/2003 : « Il aura fallu plus de treize ans pour que les Allemands de l’Est et de l’Ouest puissent rire d’un même film. Un événement. » 

    Cf. également Odile Benyaha-Kouider, « Je revendique ma subjectivité », Libération, 10/09/2003, p. 41 « Depuis la chute du Mur, en 1989, aucun film sur le sujet n’avait encore réussi à faire l’unanimité à l’Est comme à l’Ouest. » La journaliste demande même au réalisateur s’il avait pour objectif de « faire tomber le mur dans la tête des Allemands »

    Cf. également le titre de l’article de Norbert Creutz, Le Temps, 10/09/2003 : « Wolfgang Becker scelle la réunification de l’Allemagne avec «Good Bye Lenin!». p. 33 : « L’Allemagne attendait depuis 13 ans son «film de la réunification». Elle l’a trouvé en Good Bye Lenin!, »

    L’Hebdo du 18/09/2003, dans l’article intitulé : « A l’Est, toujours à l’Est », cite Wolfgang Becker : « Pour Wolfgang Becker, le film a aidé les ex-Allemands de l’Est à ne plus avoir honte de leur passé. ». On retrouve cette même idée au sein d’un article du Figaro qui interview Manfred Wilke, professeur de sociologie politique à l’université de Berlin. [Jean-Paul Picaper, « Les Allemands de l’Est ont perdu leur raideur », Figaro, 05/04/2003 : « Les Allemands de l’Est et de l’Ouest rient ensemble et de tout coeur de cette RDA. C’est une preuve que l’Allemagne réunifiée se normalise et a déjà pris du recul. Le message à retenir, c’est que les Allemands de l’Est ont perdu cette raideur qui les empêchait de parler de leur passé. (…) Ce n’est donc pas un retour en force de la RDA que le film provoque. Il pousse les Allemands et Berlinois de l’Ouest à renouer avec leur passé antérieur à la RDA. En ce sens, l’identité allemande se reconstitue. »

    Le Temps du 24 septembre 2003 évoque aussi cette thématique de « film de la réunification » : « Les Allemands de l’Ouest (…) prennent la mesure du légitime désarroi que vécurent leurs «frères» de l’Est au tournant de 1989. Et ces derniers se réapproprient leur passé après s’être sentis rejetés comme des orphelins dévalorisés. » [François Modoux, « Après le film «Good Bye, Lenin!», une vague d’«ostalgie» déferle sur l’Allemagne. », Le Temps, 24/09/2003, p. 25].

    [40] Voir les extraits d’article cités en note de bas de page 39.

    [41] Nous pouvons, à cet égard, citer le chansonnier – ex-dissident de la RDA – Wolf Biermann, dont les propos sont repris dans un article du Point : « Wolf Biermann, dans Die Welt (…) rappelle qu’ « Une journée d’Ivan Denissovitch », de Soljenitsyne, en apprend plus sur le goulag que tous les livres d’histoire. « La Stasi savait tout sur moi. Mais je ne pouvais pas mettre de visage sur elle. Grâce à « La vie des autres », cela m’est désormais possible.» [François-Guillaume Lorrain, « Un espion sentimental », Le Point, 01/02/2007, p. 33.

    [42] C’est précisément le point de vue défendu par Wolfgang Becker, lorsque Libération lui demande s’il n’a pas peur que son film fasse oublier que la RDA était une dictature : il répond que son objectif était de montrer une certaine normalité : « Habituellement, les metteurs en scène se croient obligés de poser le décor avec le régime communiste, la Stasi et la prison. C’est une façon de se débarrasser de l’histoire que je trouve assez facile. Je n’ai jamais eu la prétention de faire un film sur la complexité du système de la RDA. Bien sûr, il y a eu des phases très autoritaires. Bien sûr, il y a eu de la répression. Mais il y a eu aussi une certaine normalité. Tout le monde n’était pas dissident. Mais tout le monde ne travaillait pas non plus pour la Stasi. » Odile Benyaha-Kouider, « Je revendique ma… », p. 41.

    [43] S. Combe, Une société sous surveillance … p. 74.

    [44] Emmanuèle FROIS, « La nostalgie, camarade… », Le Figaro, 10/09/2003, p. 23.

    [45] Cité par Catherine Fabre-Renault, Elisa Goudin, Carola Hähnel-Mesnard, dir., La RDA au passé présent, p. 38.

    [46] Id.

    [47] Elisa Goudin, Culture et action publique… p. 39.

    [48] Ibid, p. 163.