Entre pouvoir central et gestion locale

Les maires du département du Pas-de-Calais, acteurs incontournables de l'administration impériale (1800-1815)

VINCENT CUVILLIERS ET MATTHIEU FONTAINE
Université d’Artois

Résumé : Dans notre article, nous nous proposons d’aborder trois aspects. Comme le prévoit la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), le préfet nomme les maires des communes rurales. Pour cela, il doit bénéficier de relais dans les municipalités et faire le « bon choix », le choix qui lui permet d’assurer une continuité administrative. Celui qui doit être le précieux auxiliaire du gouvernement se révèle être à l’origine de nombreuses tracasseries pour le préfet qui n’hésite pas à destituer les édiles les plus réfractaires. Représentant de la communauté villageoise, le premier magistrat doit concilier exigences du pouvoir central et intérêts de ses administrés. Cette tâche est annonciatrice de nombreux blocages, et l’application des décisions gouvernementales dépend d’elle. Le travail statistique, qui se généralise au début du XIXe siècle, donne un bon aperçu de la tension qui se dégage de cette double attente.

 

Table des matières
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    Dans une lettre du 6 fructidor an IX, l’inspecteur des forêts en résidence à Hesdin se montre plutôt vindicatif à l’égard des maires des communes rurales du département :

    Une institution qu’il serait bien essentiel d’anéantir est celle des magistrats de village. Ils sont fort bons en théorie, au théâtre surtout, mais la pratique n’en vaut pas le diable. Perpétuellement froissés entre les menaces de leurs administrés et leurs propres obligations, l’unique sentiment de la crainte dirige tous leurs mouvements. Le soin de se garantir personnellement de la vengeance des malfaiteurs les occupe beaucoup plus que la vindicte publique, et comme le danger présent est aussi le plus effrayant, leur étude s’applique moins à poursuivre les coupables qu’à sauver grâce devant eux en palliant leurs délits[1].

    Vision réaliste ou exagérée ? Cette citation peut donner lieu à une analyse mécaniste du fonctionnement des pouvoirs. Le maire est perçu comme craignant les représailles de ses administrés car il serait l’exécutant des décisions venant du gouvernement. On pourrait citer Chaptal qui affirme que les ordres iront du ministre à l’administré avec « la rapidité du fluide électrique »[2]. Dès lors, le maire ne cesse d’être présenté comme un obstacle, ce qui apparaît clairement à la lecture des rapports préfectoraux. Vision qui a été celle de l’historiographie influencée par les théories de Max Weber qui, abordant la modernisation de l’Etat de la société au travers l’action d’administrateurs professionnels, comme les préfets, ne s’est pas intéressée aux échelons intermédiaires comme celui des maires[3], « maillon faible » de la nouvelle pyramide administrative selon Jean TULARD[4].

    Dans leurs travaux qui questionnent le rapport entre le pouvoir central et les administrés, en s’attardant sur les échelons intermédiaires, Jean-Pierre JESSENNE propose de passer d’une « lecture par le haut à un questionnement décentré »[5] et Natalie PETITEAU affirme que « l’histoire du régime impérial ne peut pas se faire sans prendre en compte la façon dont les « gens d’en bas » l’ont vécu »[6]. On peut aussi citer Pierre GREMION qui, mettant en cause l’idée reçue de la toute-puissance de l’Etat central, appelle à étudier la complémentarité existant entre les notables et les administrateurs[7] ou encore Georges FOURNIER qui perçoit la commune comme étant la cellule de base politique et sociale face à l’Etat, après l’effacement des provinces[8].

    La seule certitude qu’a le préfet est qu’il est conscient qu’il « ne peut remplir les intentions du gouvernement sans le concours des [929] maires »[9] de son département.

    Les maires se révèlent être autant courroies de transmission du pouvoir central que freins à l’application des décisions de l’administration supérieure. Situation apparemment antinomique mais qui, dans les faits, à la lecture des sources, prend tout son sens. Le premier magistrat du village est à la fois continuateur des institutions anciennes – il remplace le bailli seigneurial de l’Ancien Régime –, et celui qui introduit les nouveautés administratives dans le village. Vivant sur place et issu des lieux, il est le mieux placé pour défendre les intérêts de la communauté face aux ordres venus d’en haut, tout en étant l’incarnation d’une administration nouvelle dont il est conscient qu’elle dépend en partie de lui. Ses administrés le savent bien, qui n’hésitent pas dans certains cas à l’intimider.

    Le maire, représentant du gouvernement central ?

    La nomination des maires : un choix cornélien ?

    La loi du 28 pluviôse an VIII met en place une administration municipale mais, le principe de l’élection étant aboli[10], la nomination des maires devient une des décisions les plus importantes pour le bon fonctionnement de l’appareil administratif[11]. Représentant du gouvernement à l’échelle municipale, le maire se doit de paraître avec son uniforme lors des cérémonies officielles. Ce costume[12] n’est pas un simple ornement puisqu’il contribue efficacement au maintien de l’ordre et à la considération due au pouvoir constitué par la loi. Le maire ne reçoit ni traitement ni indemnité et doit être choisi parmi l’élite aisée de la commune ce qui réduit d’emblée le nombre des candidats potentiels.

    Si la mise en place de l’administration préfectorale a été rapide, celle de l’administration édilitaire est plus problématique et plus longue. Le ministre de l’Intérieur s’étonne, qu’à la fin de l’an VIII, certaines communes n’aient toujours pas de maires et s’interroge sur la pertinence d’une administration qui doit fonctionner avec un mélange incohérent de l’ancien et du nouveau régime. Le ministre presse le préfet de les nommer,  parce qu’il « manque [à l’État] les instruments » dont il a besoin pour être efficace[13]. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, dès le début du Consulat, le ministre perçoit l’ambiguïté de la position du maire, héritier à la fois des communautés de l’Ancien Régime et des municipalités instaurées depuis le début de la Révolution.

    Pour effectuer ces nominations, le préfet est secondé par les sous-préfets[14], plus aptes à connaître les notables locaux. Dans son rapport annuel en l’an XII, le préfet précise que « ses premiers regards doivent se diriger vers ses collaborateurs [et qu’il suit] avec soin leurs opérations, leur correspondance », travail contraignant qui lui permet de « faire connaître les bons maires et ceux dont il [est] impossible d’espérer une administration tolérable »[15]. Cependant le sous-préfet de Montreuil précise, en octobre 1807, que « les personnes les plus dignes de remplir ces fonctions importantes sont celles qui témoignent le plus de répugnance à s’en charger »[16], ce qui complique les affaires préfectorales[17]. Lors du renouvellement de 1808, le préfet indique qu’il espère une « administration [qui] n’aurait plus que des coopérateurs zélés et très exacts, car tous doivent savoir que l’exactitude est en même temps le plus utile des services et le premier des devoirs ».

    La municipalité d’Aire-sur-la-Lys[18] est un exemple permettant de saisir l’évolution du choix des édiles municipaux.

    18001804180818121813
    MaireL. DeslionsL. DeslionsL. Joly de la VievilleC. d’HaluinC. d’Haluin
    1e adjointA. PapegayF. WaminF. WaminF. WaminO. de Gournay
    2e adjointM. HermantM. HermantM. HermantO. de GournayF. de Ghistelles
    Maires et adjoints d’Aire-sur-la-Lys de 1800 à 1814

    La première municipalité d’Aire-sur-la-Lys, nommée le 18 juillet 1800, est composée d’hommes ayant eu une part active dans les événements révolutionnaires. Louis Deslions, ancien membre du comité de surveillance de la ville, est qualifié de « terroriste » à partir de l’an IV. Membre d’une famille airoise aisée, il dispose d’un réseau bien établi. Adrien Papegay débute sa carrière politique après Thermidor mais subit la tourmente de Fructidor. Le second adjoint, Mathieu Hermant, représente cette bourgeoisie libérale active en 1789 mais qui est jugée suspecte lors de la Terreur. Ces trois hommes ont en commun d’être des acquéreurs de biens nationaux et d’être liés à la réussite d’un gouvernement défendant les acquis révolutionnaires. En 1808[19], la nomination de Louis Joly de la Vieville correspond au besoin qu’éprouve le gouvernement de s’appuyer sur les notables, les fameuses masses de granit. Major de la garde nationale, grand propriétaire foncier, il est conseiller général du département depuis l’an IV. Le choix de ce personnage est réalisé en fonction de sa valeur symbolique et non de son activité. Il est totalement effacé, étant âgé et en mauvaise santé, et laisse ses adjoints gérer la ville. En 1809, le gouvernement fait un geste en direction des membres de l’ancienne noblesse émigrée, puisque le 19 mai, Omer Titelouze de Gournay est nommé 2e adjoint alors qu’il n’est rentré d’émigration qu’en 1807[20]. La nomination de Charles d’Haluin comme maire ne fait que confirmer cette évolution[21]. Ce fils du subdélégué d’Aire, d’Haluin du Pont, exécuté sous la Terreur, émigre dès 1791, s’engage dans l’armée de Condé et ne rentre qu’en 1808 sans renier ses convictions royalistes.

    Le 22 prairial an XI, Vaillant, maire d’Arras, se plaint que « les prêtres et les amnistiés soient bras dessus-dessous, ces derniers briguent ouvertement toutes les places [et qu’il ne sera pas] surpris qu’avant un an tous les amnistiés se trouvassent maires des villages dont ils étaient les seigneurs »[22]. Dans le département de la Marne, Georges CLAUSE note que dans « des villages où la noblesse respectée a attendu la fin de l’orage, l’ancien seigneur est parfois déjà prêt à reprendre un rôle de protecteur et de mentor »[23], ce que démontre aussi François DELANNOY dans le département de la Manche[24].  Dans de nombreuses municipalités, le lien n’est pas rompu avec la situation prérévolutionnaire, les seigneurs retrouvent  leur place au sein du village en leur nom propre ou par l’intermédiaire d’un homme de confiance. Le choix du maire dépend aussi des rapports avec les communautés villageoises, le préfet pouvant choisir de nommer un membre de l’ancienne noblesse ou un homme proche des nouvelles élites, comme le maire de Saint-Omer-Capelle nommé grâce à l’appui du général Vandamme[25].

    Du changement et de la destitution des maires

    Si l’on étudie les nominations, il est nécessaire d’étudier les changements et surtout les motifs des destitutions prononcées. Les premières nominations ont été réalisées en l’an VIII puis un renouvellement a été opéré en 1808. Le département du Pas-de-Calais compte, durant la période qui nous intéresse 929 communes de moins de cinq mille habitants, ce qui signifie que normalement, le préfet a procédé à, au moins, 1858 nominations. Or les registres préfectoraux contiennent 886 arrêtés de changement de maires.

    Le premier motif est de loin celui de la démission volontaire du maire (57%), qui malheureusement pour nous n’est jamais justifiée. Le second motif est celui de son décès (17%), cause aisée à comprendre. Seuls 9% des maires refusent finalement de remplir les fonctions qui leur sont confiées, décision cruciale car le préfet peut dès lors les considérer comme des personnes hostiles au gouvernement. Le nombre de maires destitués est important puisque 6% doivent abandonner leurs fonctions sur ordre du préfet. Les notables des villages n’hésitent pas à migrer puisque 6% abandonnent leurs fonctions suite à un déménagement, malheureusement les destinations ne sont pas indiquées.

    Lorsqu’il prononce une destitution, le préfet indique dans son arrêté ses motivations. L’ensemble des destitutions représente un ensemble de 53 cas, répartis en sept catégories qui illustrent la manière dont les maires peuvent faire entendre leur voix discordante.

    Certains maires s’opposent plus ou moins ouvertement à la conscription (34%). Les conscrits réfractaires arrêtés peuvent obtenir le soutien plus ou moins direct des maires, comme celui de Fleurbaix qui, en floréal an IX, favorise l’évasion d’un conscrit venant d’être arrêté par les gendarmes[26]. Certains profitent de leur situation pour favoriser leurs familles et leurs réseaux, comme celui de Puisieux qui a « favorisé la désertion de deux de ses enfants »[27].

    Un comportement jugé incompatible avec la fonction de maire est à l’origine de 21 % des destitutions. Plusieurs sont condamnés par la justice pour vols, coups et blessures et parfois même pour tentative d’assassinat. Le maire de Marles est destitué pour avoir « conduit le conseil municipal despotiquement »[28], ce qui sanctionne des agissements portant atteinte au bon fonctionnement de l’administration municipale. Le préfet veille à ce que le maire soit respecté dans sa commune mais aussi à ce qu’il adopte une attitude respectable. Le 30 germinal an X, le maire du Wast est révoqué « pour avoir semé le trouble dans sa commune qu’il parcourt habituellement en état d’ivresse »[29]. Malgré une nomination par l’autorité préfectorale, le maire doit justifier de sa fonction  en assumant un certain rang social. C’est pour cette raison que le préfet, en l’an XII,  destitue le maire de Carvin en « considérant qu’il n’a ni fortune ni commerce et qu’il est vivement soupçonné d’abuser de sa place pour se procurer des ressources »[30].

    Le préfet, jugeant qu’un maire laissant un attroupement se dérouler dans sa commune commet une faute grave, n’hésite pas à le révoquer (10%), comme c’est le cas pour celui de Wavrans qui est dénoncé pour ne « pas être étranger à l’attroupement séditieux qui a eu lieu le 8 fructidor an IX dans sa commune et n’avoir pris aucune mesure pour le dissiper »[31], ou celui de Tilloy, coupable d’avoir pris la tête d’une véritable expédition punitive menée contre la commune voisine[32], exemple qui montre la persistance des rivalités entre les communautés villageoises[33]. Les employés des contributions directes sont souvent la cible d’insultes et parfois même de gestes violents, qui peuvent être réalisés par des maires, comme ceux d’Audrehem et de Clarques qui, en germinal an XI, sont à la tête d’une foule qui violente le contrôleur des contributions directes de Saint-Omer[34].

    La découverte d’un faux en écriture peut amener le préfet à ordonner la destitution du faussaire (14%), comme celui de Condette, suspendu pour avoir refusé de livrer au sous-préfet de Boulogne les registres des actes de mariage alors qu’il était soupçonné d’y avoir intercalé de faux actes de mariages[35].

    Les propos hostiles ou pouvant porter atteinte au régime impérial sont condamnés par la justice et peuvent provoquer la destitution d’un maire coupable (10%) comme celui de Boncourt, accusé d’être « propagateur et auteur de nouvelles alarmantes sur la santé de l’Impératrice et du Roi de Rome » en octobre 1811[36].

    Un maire peut parfois refuser de remplir ses obligations (4%), comme celui d’Hardinghem, qui est « un de ceux qui s’occupent le moins de leurs devoirs et qui font exécuter avec le plus de négligence les lois »[37].

    4% des cas de destitutions sont dus à l’attitude du maire face au représentant de l’Eglise, qu’elle soit constitutionnelle, réfractaire ou concordataire. Ainsi, le choix délibéré de soutenir l’ancien clergé constitutionnel contre le clergé concordataire peut amener le maire à accomplir des actes illégaux. Après une longue enquête, le préfet destitue le maire de Dourges accusé « d’avoir bastonné le curé avec plusieurs conseillers municipaux » pour le faire partir[38]. Certains maires n’hésitent pas à avoir une attitude délibérément hostile envers le clergé concordataire comme le maire d’Hénin-Liétard destitué pour avoir remis à deux prêtres nouvellement rentrés en France sans justificatif les clés de l’église et interdit l’entrée au prêtre titulaire, ou celui de Samer qui vient « assister en écharpe municipale à l’office célébré par un prêtre réfractaire dans un local de la ci-devant abbaye de Samer occupée par une anglaise »[39].

    Si l’on reprend l’image du maire obstacle à la centralisation, il est logique que le préfet ait utilisé la destitution des édiles les plus gênants, les plus résistants. Or si l’on regarde le nombre de destitutions (53 cas) par rapport aux nombres de nominations (prenons comme base de calcul les deux vagues de nominations générales de l’an VIII et de 1808, soit 1858 nominations au minimum), on constate que cela ne concerne que moins de 3 % des nominations. Si l’on accepte que la destitution soit l’ultime décision pour trouver une solution à une situation locale conflictuelle, il est certain que l’autorité préfectorale a recours à la médiation afin de résoudre le problème, ce qui nous permet de relativiser la vision uniquement conflictuelle entre le préfet et les maires.

    Des attributions des maires

    Le maire dispose d’attributions importantes puisqu’il hérite de toutes celles des administrations municipales antérieures et qu’il est seul chargé de l’administration, selon les termes de l’arrêté du Premier Consul du 2 pluviôse an IX et du décret impérial du 4 juin 1806. Le fonctionnement quotidien de l’administration transforme en fait le maire en agent d’exécution et d’action, strictement dépendant de l’administration préfectorale, mais lui attribue aussi un rôle en matière de régulation du corps social[40]. Une circulaire ministérielle du 1er mai 1812 résume l’ensemble de ses attributions. Celui-ci est chargé du budget, des hospices, des enfants trouvés, des bureaux de bienfaisance, de l’instruction primaire, du budget des fabriques, des dépenses imprévues, des dépenses extraordinaires, des incendies, des chemins vicinaux, des promenades publiques, des réparations des églises et des presbytères, de l’apurement des comptes, du vagabondage, de la correspondance, du recrutement, de la police rurale[41].

    Le 13 novembre 1812, le ministre de l’Intérieur rappelle de nouveau les devoirs des maires relatifs à la police rurale et à la police municipale, qui se compose de « tout ce qui intéresse la santé et la commodité du passage sur la voie publique, le soin de prévenir et réprimer les délits contre la tranquillité publique, le maintien du bon ordre, l’inspection sur la fidélité dans le débit des denrées et sur la salubrité des boissons et comestibles exposés en vente, les précautions à prendre pour faire cesser les accidents et les fléaux calamiteux et le soin d’obvier ou remédier aux événements fâcheux »[42].  Il est aussi officier de police judiciaire dans les communes dépourvues de commissaire de police. Il doit veiller à la circulation et à l’installation des étrangers dans sa commune[43]. Il est responsable de tous les actes et paroles proférées dans l’espace public, ce qui implique un contrôle des chanteurs publics les jours de marchés par exemple.

    L’état-civil représente une des activités les plus essentielles pour le maire car il s’agit d’un moyen de contrôle des populations et d’un outil indispensable pour les opérations de conscription. Cette importance amène le Conseil Général à faire travailler une commission sur le sujet, laquelle déclare que « les actes de naissances, mariages et décès sont frappés généralement dans les campagnes d’irrégularités, d’omissions et de faussetés »[44]. Le 1er fructidor an IX, le préfet transmet aux maires une « instruction sur la rédaction des actes de l’état-civil » dans laquelle il affirme que « l’uniformité de ces couverts  facilitera le classement et la recherche des registres aux archives de la préfecture et les garanties d’une foule d’avaries car, [selon lui], il n’est pas de précautions futiles lorsqu’il est question des titres qui consacrent l’état et les droits de chaque citoyen en matière civile »[45]. Cependant, chaque année, le préfet doit rappeler les règles établies, comme celle obligeant le maire à tenir les registres en double[46]. Les conseillers généraux ne peuvent, en 1807, que féliciter le préfet de ces mesures grâce auxquelles les actes sont mieux rédigés et les irrégularités ont disparu[47].

    Ainsi, il est possible de définir deux types de fonctions exercées par les maires : les premières sont propres à l’administration générale de l’État et n’en font que le préposé, l’agent de l’administration générale, qui ne peut et ne fait qu’appliquer les mesures approuvées par le préfet. Les secondes sont propres au pouvoir municipal et reconnaissent au maire le droit d’agir pour tout ce qui concerne particulièrement sa commune, mais en obtenant l’accord préalable ou a posteriori de l’autorité préfectorale. Cependant, pour définir ces types de fonctions, nous n’avons utilisé que les sources provenant des échelons administratifs supérieurs à celui de la municipalité, cela ne reste donc que la construction de la fonction édilitaire telle qu’elle est voulue par le gouvernement central et par les préfets, mais si l’on s’attarde sur les sources municipales, pouvons conforter cette définition ?

    Entre exigences gouvernementales et résistances locales

    L’homme du préfet au village ?

    Le maire demeure le principal interlocuteur du préfet et, qu’il soit compétent ou non, un relais précieux[48]. D’ailleurs lorsque, dans une circulaire, le préfet décrit les obligations  des maires, il n’hésite pas à parler de « service public »[49].

    Le respect de la fonction de maire est un principe défendu par les préfets qui ne peuvent accepter la mise en cause et les menaces envers les premiers maillons de la nouvelle chaîne administrative. Le préfet Poitevin-Maissemy trouve dans le commissaire du gouvernement près le tribunal criminel du département un auxiliaire pour qui ce respect « entre dans [ses] principes [et que l’on doit porter] honneur et révérence aux maires »[50]. Conscient de la pression exercée sur les maires par les familles des conscrits réfractaires, le préfet prend un arrêté interdisant les mariages des réquisitionnaires et des conscrits fuyards, et le justifie comme étant le seul moyen d’éviter « la haine de toute une famille au fonctionnaire qui refuserait de marier un déserteur »[51]. Dans une lettre du 31 janvier 1808, le préfet de La Chaise annonce à Garnier sa nomination à la tête de la municipalité d’Ardres et  lui donne quelques conseils afin d’éviter les conflits qui paraissent inévitables, insistant fortement sur l’importance de la modération dont il devra faire preuve en tant que maire :

    Vous avez des ennemis, je dois croire qu’ils vous ont calomniés, mais je dois également vous prier de mettre autant de douceur et d’aménité dans vos fonctions que vous avez de moyens pour les remplir. Faites le bien partout où il se présentera, voyez-vous des méchants par vos actions, condamnez les à la reconnaissance par des établissements d’utilité publique[52].

    Malgré tout, les maires sont parfois victimes de menaces directes, comme ceux de Carency, où « des malveillants brisent [ses] charrues et en ont éparpillés les morceaux dans les champs »[53], ou de Maresquel, qui trouve devant sa demeure « deux petites torches de paille, des allumettes et des charbons noirs, ce qui annonçait une menace d’incendie »[54]. A Mametz, en 1807, les deux derniers maires, Delattre et Lemaire, sont mis en jugement pour avoir, dans l’exercice de leurs fonctions, favorisé des déserteurs. Le 12 août, le préfet écrit au ministre de l’Intérieur et lui confie que « rien ne dégoûte ni n’intimide les maires comme ces dénonciations plus ou moins vagues d’une part, et les menaces très réelles des lâches de l’autre » et déplore que « leurs fonctions deviennent de plus en plus pénibles »[55].  Le maire est dans ce cas en première ligne face au mécontentement et à la vengeance de ses administrés. Les menaces proférées contre les maires peuvent parfois être plus violentes et occasionner des attroupements armés.

    Nous avons présenté le maire comme étant le principal interlocuteur du préfet. Il est intéressant, dans cette optique, de s’attarder sur les registres de correspondance et de les analyser.

    Les registres de la municipalité de Coulogne[56], remarquablement tenus à partir de 1807, nous permettent d’étudier la correspondance active du maire de cette commune de l’arrondissement de Boulogne et qui forme un corpus de 386 lettres. Nous avons regroupé les correspondants par « domaines d’activité ». Le maire de Coulogne correspond principalement avec le sous-préfet de Boulogne (77%). Cette correspondance est très variée, allant de la réponse à un questionnaire à l’envoi du signalement d’un habitant recherché pour désertion. Il ne contacte directement la préfecture que très rarement (2%), ce qui nous démontre ici l’utilité de cet échelon administratif intermédiaire, la sous-préfecture, qui détourne vers ses bureaux une grande quantité de lettres adressées à l’autorité préfectorale. Les envois de courriers à des correspondants liés à l’administration militaire (commandants de dépôt, capitaine de recrutement) concernent toujours le recrutement et l’envoi de signalements (6%). Les lettres adressées au percepteur, au contrôleur de l’octroi, … concernent des réclamations relatives aux rôles ou à l’emplacement d’un octroi (5%). Des domaines comme l’éducation, les infrastructures (routes, canaux, …), la justice ne paraissent pas être dans les priorités épistolaires du maire, tout comme la religion ou la santé par exemple, pour lesquelles aucune lettre n’est mentionnée dans les registres. Enfin, la correspondance entre les diverses autorités municipales n’est pas développée et se limite aux communes voisines (le correspondant le plus lointain est le maire d’Ardres et qui se situe à une dizaine de kilomètres).

    Des maires abandonnés par le pouvoir central ?

    Un des problèmes les plus fréquents rencontré par le préfet est celui d’une administration municipale privée des papiers nécessaires à la bonne gestion de la commune. Il est obligé de rappeler aux maires quittant leurs fonctions qu’ils doivent « former un inventaire des registres, titres, bulletins des lois, circulaires et autres instructions adressées aux municipalités par les autorités compétentes »[57]. Une correspondance entre le sous-préfet de Montreuil et le préfet nous renseigne sur les difficultés rencontrées lors de la transition à la tête des municipalités. Ainsi, après avoir été destitué, le maire de Maresquel refuse de donner les papiers à son successeur qui se plaint au sous-préfet qui demande à son tour au préfet la marche à suivre dans un tel cas. En marge de cette lettre, ce dernier a noté qu’il lui semblait «que l’on peut se servir de la gendarmerie accompagnée de l’adjoint »[58]. Mais quelques jours plus tard, le préfet revient sur cette mesure qu’il semble juger excessive et demande au sous-préfet de faire paraître devant lui le récalcitrant pour l’interroger et connaître les raisons de son attitude[59]. Les papiers de la municipalité prennent d’autant plus d’importance que certains sont utilisés pour organiser les opérations de conscription. Ainsi, en raison de la disparition opportune d’un registre d’état-civil, le maire de Burbure ne peut pas se charger du recensement des conscrits de l’an XIII[60].

    Mais le préfet doit à plusieurs reprises constater l’impuissance des maires, notamment en raison de l’absence de moyens, notamment coercitifs. Certains s’avouent débordés, comme celui d’Etaples qui demande au préfet de déléguer son adjoint aux affaires de sûreté de la ville, en raison du nombre croissant d’affaires et de délits dus à la présence des militaires dans la région[61]. Faute de maison commune, et reprenant en cela des habitudes héritées de l’Ancien Régime[62], certaines municipalités tiennent leurs réunions dans les cabarets, comme celle d’Eperlecques en brumaire an XII[63], ce qui est jugé par le préfet comme entraînant une foule d’abus.

    Maurice AGULHON et Louis GIRARD ont démontré que « de l’inculture et de l’incapacité aux errements administratifs, et des errements aux manœuvres plus coupables, on glisse aisément »[64]. Natalie PETITEAU voit dans l’incompétence de certains maires les traces d’une autre forme de contestation de l’ordre établi[65]. Plusieurs maires se permettent, en effet, de prendre des mesures qui sortent du cadre de leurs compétences, sans en référer à l’autorité supérieure. Ainsi, le maire de Cormont écrit au sous-préfet de Montreuil afin de justifier la décision qu’il a prise de suspendre de ses fonctions le garde-champêtre[66]. Ce renvoi n’est pas la seule faute de l’édile, puisqu’il a aussi fait assembler le conseil municipal sans autorisation préfectorale. La manière dont est rédigée la lettre témoigne de l’aigreur du magistrat face à cette intervention d’une autorité exogène dans une affaire purement municipale qu’il juge avoir réglée en toute légalité et légitimité. On peut y voir une preuve de la défiance envers cette administration qui centralise, déniant aux édiles municipaux cette part d’autonomie qu’ils s’étaient octroyés pendant la période révolutionnaire. Dans une circulaire de frimaire an X, le préfet se plaint de l’attitude des maires qui se rendent sur les lieux d’un délit en tant qu’officiers de police judiciaire, si lentement que les contrevenants ont le temps de se soustraire à toutes poursuites[67]. Le préfet dénonce aussi ceux qui accordent très largement des certificats d’indigence qui permettent aux délinquants de ne pas payer les amendes[68].

    Le préfet se dit souvent déçu par le comportement des maires. Dans sa circulaire du 11 germinal an X, il déplore qu’il doive « rappeler sur le champ toutes les obligations qui sont imposées relativement au service public », et qu’il est décidé à prononcer la destitution des édiles qui se montrent « indifférents, étrangers à des obligations aussi sacrées que celles de la défense de la patrie »[69]. Certains maires ne prennent pas la peine de répondre aux lettres du préfet. Celles-ci ne sont parfois mêmes pas lues et « certains fonctionnaires [s’en servent] pour allumer l’éternelle pipe de tous les fumeurs »[70]. Déjà le 1er frimaire an XII, le préfet affirme que dans les campagnes, certains maires ne se donnent même pas la peine de décacheter les paquets qui leur sont adressés, preuve de leur négligence[71]. Lors d’une tournée dans son arrondissement en février 1810, le sous-préfet de Saint-Omer découvre que « les maires mettent une lenteur et une irrégularité entravantes dans tous les renseignements qu’on leur demande [et aussi que] des lettres [de leur] prédécesseur ayant dix-huit mois en date et des [leurs] de quatre mois [ne sont pas] décachetées ». Il affirme que « quelque zèle, quelque dévouement qu’ait l’administrateur, il lui est impossible de marcher avec de pareils collaborateurs »[72]. En novembre 1812, c’est au tour du sous-préfet de Boulogne-sur-Mer de faire remarquer « que toutes les affaires générales où le concours des maires est indispensable s’expédient avec une extrême lenteur et que ce n’est qu’à force de lettres de sollicitations, de prières, d’exprès et de commissaires qu’on parvient à un résultat [et que] rien au monde n’est plus fâcheux ni plus désespérant pour les sous-préfets »[73].

    La grande fréquence des actes illicites est souvent considérée comme possible grâce à l’indifférence des maires. Ceux-ci doivent être surveillés par l’administration préfectorale car «l’exactitude des fonctionnaires inférieurs [dépend] beaucoup de celle que [le préfet met] à surveiller leur conduite »[74]. Le commissaire du gouvernement près le tribunal criminel du département se plaint auprès du préfet de l’inaction du maire de Licques alors qu’« il a déjà été commis l’attentat contre [une] jeune fille, le garde forestier a été menacé d’incendie et une de ses vaches a été éventrée »[75]. Mais, inaction réelle et factice, cet argument est toujours celui de l’autorité supérieure (préfet, commissaire de police) qui profite de l’occasion pour se déresponsabiliser et incriminer le maire de tous les maux dont souffre la commune.

    Le défenseur des intérêts locaux

    Certains maires utilisent leurs fonctions[76] afin de permettre à leurs administrés d’éviter la conscription. Ainsi, les agents chargés de la conscription se heurtent à l’hostilité affichée de certains édiles comme celui de Seninghem qui insulte le caporal chargé des opérations de recrutement en lui ordonnant « de foutre le camp [et qu’]il se foutait de ses ordres et que les officiers et sous-officiers de recrutement l’avaient ennuyé par leurs fréquentes visites »[77]. Les maires ont parfaitement compris que la conscription ne peut fonctionner sans eux[78]. Le 25 fructidor an XIII, le préfet ordonne aux maires d’établir une liste des conscrits avant le tirage au sort afin d’éviter de désigner des personnes décédées[79]. En avril 1808, le préfet fait remarquer que « plusieurs maires ne paraissent pas eux-mêmes assez pénétrés des obligations qui leur sont imposées »[80]. Il révèle publiquement que de nombreux réfractaires résident dans des communes rurales sans y être dénoncés par les autorités locales et ce des années durant. En 1815, le préfet incite les maires à « pousser » les conscrits à accomplir leurs devoirs, afin de permettre aux plus anciens d’être libérés de leurs obligations mais il doute sérieusement que ses circulaires aient toute la publicité nécessaire[81].

    Les habitants attendent de leur maire qu’il fasse un choix. L’un des exemples les plus marquants est celui de Maintenay qui est interrompu dans la lecture des publications légales à la sortie de la messe par un administré qui le prévient que « s’il annonçait que l’on ait à reboucher tous les trous à tourbe dans la commune, qu’il fallait commencer par reboucher le sien premier pour donner l’exemple aux autres », forçant ainsi le maire à prendre clairement position pour la communauté ou pour le gouvernement central qui entend réglementer le tourbage dont la gestion était jusque-là une question interne à la communauté villageoise[82].

    La pratique de la statistique se développe particulièrement avec la Révolution[83]. Être au courant de ce qui se passe, être capable d’envoyer aux ministres des renseignements précis et valables, sont les préoccupations majeures du préfet[84]. Dans cette optique, la statistique doit permettre de connaître dans le détail toutes les branches de l’administration, les besoins et les ressources du pays[85]. Pour cette raison, le préfet doit s’occuper continuellement de statistique, même si « les objets de cette étude varient continuellement [et que] plusieurs cessent et sont remplacés par d’autres inconnus jusqu’alors »[86] et doit gagner la confiance d’interlocuteurs fiables. Parmi ceux-ci, les maires tiennent naturellement un rôle éminent, ainsi que ceux des citoyens que leur notoriété, leur richesse et leur compétence rendent indispensables. Lorsqu’il transmet ses états des récoltes en août 1800, le sous-préfet de Saint-Pol précise que « les renseignements ont été fournis par des citoyens qui ont des connaissances exactes dans cette partie et sur le témoignage desquels j’ai tout lieu de compter »[87].

    La question de la fiabilité des chiffres fournis par les communes rurales se pose ouvertement à l’administration préfectorale. Le sous-préfet de Saint-Pol affirme que le travail statistique est difficile en raison de « l’effet de la défiance assez naturelle aux campagnards de faire connaître leurs véritables richesses »[88]. Son collègue de Boulogne-sur-Mer se montre quant à lui catégorique quant à la validité des renseignements fournis par les maires puisque ceux-ci « sont évidemment inexacts »[89]. À Montreuil, constatant qu’il lui est impossible d’avoir un travail fiable, le sous-préfet a collecté lui-même avec ses connaissances les renseignements permettant l’élaboration d’un tableau[90]. Quant à son collègue de Saint-Pol, il transmet sa statistique des laines en précisant que faute de renseignements fiables, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un « total d’additions » de réponses, dont une majorité ne sont que des estimations[91]. Le préfet anticipe pourtant les difficultés et les réticences des maires en leur rappelant que « rien ne serait plus inutile que des approximations dont les erreurs sont évidentes car c’est précisément pour rectifier celles qui se sont glissées dans nos premiers états de statistique [qu’il faut] tout vérifier et tout recommencer »[92].

    Le point d’achoppement principal entre maires et préfets consiste en la divulgation chiffrée des biens individuels et de ceux de la communauté. Forts d’une expérience pluriséculaire qui va au-delà des changements de régime politique, les ruraux savent bien qu’une connaissance précise des biens disponibles a toujours un but fiscal. Conscient que certains édiles falsifient volontairement leurs tableaux afin d’amoindrir le poids des réquisitions, le préfet écrit à l’ensemble des maires qu’à compter de juillet 1813, tous les renseignements qu’il recevra seront comparés avec les états précédents afin d’y trouver les erreurs et les falsifications[93]. Mais dans cet avertissement, synonyme d’un travail supplémentaire de vérification à accomplir qui alourdirait encore la machine administrative, ne doit-on pas voir simplement qu’un effet d’annonce, un coup de bluff ? Le sous-préfet d’Arras fait même imprimer des lettres types à envoyer aux maires retardataires dans lesquelles il leur signale « qu’il est indispensable qu’[ils répondent] exactement à toutes [ses] lettres afin [qu’il] puisse fournir à l’administration supérieure les renseignements dont elle a besoin [et qu’il regretterait] d’être forcé de les signaler comme entravant les opérations de l’administration »[94].

    Les demandes de statistiques et d’états divers se faisant plus nombreuses et plus précises à partir de 1808, la réticence des maires va croissant face à ce qui est perçu comme une intrusion gouvernementale dans la vie économique de la commune. Le sous-préfet de Béthune remarque que plusieurs « administrés refusent de donner les renseignements qui leur sont demandés [et attribue] cette mauvaise volonté à ce que dans les campagnes l’on craint l’établissement de quelques nouvelles contributions sur les objets dont il est question »[95]. À partir de la fin de l’année 1812 apparaît une nouvelle forme d’opposition à la statistique, celle du refus de répondre. Ainsi, en juillet 1814, le préfet est informé par le maire de Blendecques que le propriétaire de la papeterie de la commune refuse de transmettre les renseignements qui lui sont demandés[96]. Une variante de cette attitude est observée par le sous-préfet de Boulogne-sur-Mer qui constate que certains maires se contentent en 1813 de lui adresser les chiffres de la statistique de 1811[97].

    Ces édiles ruraux sont les premiers maillons de la chaîne administrative qui relie les citoyens à l’autorité centrale. Le préfet leur transmet des circulaires, des statistiques à remplir, écrit personnellement à certains d’entre eux. Chaque semaine, les maires reçoivent le Mémorial administratif, feuille imprimée par la préfecture qui permet de faire circuler les informations administratives. Le maire rural confronte la théorie administrative à la réalité du terrain, et de ce fait il contribue largement à la mise en place, à la concrétisation et à l’amélioration des nouvelles institutions.

    L’image négative du maire de la commune rurale, celle qui le présente comme un illettré et un incompétent, ne doit pas être généralisée car elle est le produit de la littérature administrative, notamment préfectorale. Il ne faut pas perdre de vue que le maire agit en qualité de protecteur des intérêts de la communauté villageoise dont il a la charge[98], ce qui peut l’amener à adopter une attitude plus ou moins bienveillante vis-à-vis des interventions du pouvoir central et qui peut évoluer en fonction des événements politiques. Nos recherches nous amènent à proposer un découpage chronologique en trois périodes[99]. De l’an VIII à 1806, l’administration préfectorale bénéficie de la mauvaise « publicité » des années directoriales principalement, et ne soulève donc contre elle que très peu de remarques négatives. Le souvenir négatif des années révolutionnaires peut inciter la majeure partie de la population et des maires à juger favorablement l’action du Premier consul. De 1807 à 1810, le département du Pas-de-Calais connaît un regain d’activité économique. Or, les notables se manifestent contre l’autorité préfectorale, les oppositions sont plus nombreuses notamment celles relatives aux contributions. De 1810 à 1815, les situations de crise et les mesures exceptionnelles prises amènent l’autorité préfectorale à contrôler plus durement la société et donc à réduire les oppositions, qui éclatent en 1814 et 1815 lors des changements de régime. Cela amène à un durcissement de la politique préfectorale qui se répercute immédiatement sur les maires poussés, parfois très vivement par leurs administrés, à choisir entre incarner le pouvoir central ou s’ériger en défenseur des intérêts de la communauté villageoise.

    Dans une proclamation relative aux élections des maires, le préfet présente ce magistrat, investi de la confiance de la population et du magistrat supérieur, comme étant celui qui informe de leurs besoins et demeure le défenseur de leurs intérêts. Il décrit le maire compétent comme étant celui qui est « fidèle à son mandat, une sentinelle qui veille à la sécurité [des] personnes, à la sûreté [des] propriétés, à la juste répartition des charges que les besoins de l’état exigent ou des avantages que sa munificence distribue ». Ce maire doit être « ferme dans l’exécution de la loi »[100]. Le maire se doit donc d’être un intermédiaire, un adaptateur, celui qui doit permettre, favoriser l’intégration du local au national.

    Références

    [1] A. D. Pas-de-Calais, 4J253/102, lettre de Guy, inspecteur des forêts en résidence à Hesdin, à Arnault, 6 fructidor an IX

    [2] Cité par Jacques-Olivier BOUDON, « La création du corps préfectoral en l’an VIII », Revue du Souvenir Napoléonien, n° 428, avril-mai 2000, p.10.

    [3] On peut citer les travaux de Stuart J WOOLF pour qui les problèmes rencontrés par les gouvernants sont liés avant tout aux postes locaux qui forment la base de la pyramide administrative (Napoléon et la conquête de l’Europe, Flammarion, 1990, p. 163).

    [4] Préface de Jean TULARD dans Elisabeth BARGE-MESCHENMOSER, L’administration préfectorale en Corrèze (1800-1848), Pulim, 2000, p. 8.

    [5] Jean-Pierre JESSENNE, « Communautés, communes rurales et pouvoirs dans l’Etat napoléonien », Voies nouvelles pour l’histoire du Premier Empire, La Boutique de l’Histoire, 2003, p. 163.

    [6] Natalie PETITEAU, Les Français et l’Empire (1799-1815), La Boutique de l’Histoire, 2008, p. 129.

    [7] Pierre GREMION, Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Seuil, 1976.

    [8] Georges FOURNIER, Démocratie et vie municipale en Languedoc du milieu du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle, Archives de la Haute-Garonne, 1994, 481 p.

    [9] A. D. Pas-de-Calais, 2K16, registre des arrêtés du préfet, arrêté du 12 thermidor an XII.

    [10] Loi du 28 pluviôse an VIII, titre II, article 18.

    [11] La durée du mandat n’est pas établie dans la loi du 28 pluviôse an VIII, mais l’arrêté du 19 fructidor an X la fixe à cinq années renouvelables. C’est le préfet qui a la charge de nommer le maire dans les communes de moins de 5000 habitants.

    [12] A. D. Pas-de-Calais, EDPE767D2, arrêté du Premier Consul du 8 messidor an VIII. Pour les maires des communes de moins de 5000 habitants, il s’agit d’un habit bleu uni avec ceinture. 

    [13] A. D. Pas-de-Calais, M1628, circulaire du ministre de l’intérieur aux préfets, 4 fructidor an VIII.

    [14] Dans son rapport de l’an XII, le préfet rapporte qu’il s’est « toujours assuré par les sous-préfets ou d’autres citoyens recommandables des choix que je faisais ». A. D. Pas-de-Calais, M1428, rapport annuel au ministre de l’intérieur, an XII.

    [15] A. D. Pas-de-Calais, M1428, rapport au ministre de l’intérieur, an XII.

    [16] A. D. Pas-de-Calais, M3451/1, lettre du sous-préfet de Montreuil au préfet, 4 octobre 1807. La question se pose de savoir quelles peuvent être les raisons qui empêcheraient les personnes les plus dignes d’accepter les fonctions édilitaires. Il faudrait pour cela effectuer un travail sur les refus mais les sources sont difficiles à trouver. On peut cependant émettre plusieurs hypothèses basées sur quelques cas particuliers, comme le refus d’un membre de l’ancienne noblesse de s’investir, le propriétaire terrien qui veut se consacrer uniquement à ses terres, la personne qui, ayant assumé cette charge durant la période révolutionnaire, refuse de s’impliquer de nouveau dans une vie politique qu’il a connu tourmentée.

    [17] Alain MAUREAU, « Maires et adjoints dans le Vaucluse de l’an VIII à 1815 », Provence historique, n°113, juillet-septembre 1978.

    [18] MAILLARD Louis, « Les municipalités d’Aire sous le Consulat et l’Empire (1800-1814) », Les nouvelles chroniques locales d’Aire-sur-la-Lys, n°7, juillet 1991,  pp. 27-30.

    [19] A. D. Pas-de-Calais, 1K3, arrêté du préfet, 5 mai 1808.

    [20] A. D. Pas-de-Calais, 1K3, arrêté du préfet, 19 mai 1809.

    [21] A. D. Pas-de-Calais, 1K4, arrêté du préfet, 6 juillet 1812.

    [22] A. D. Pas-de-Calais, 32J40, lettre de Vaillant à Dubois de Fosseux, 22 prairial an XI.

    [23] CLAUSE Georges, « L’administration de la Marne de 1800 à 1815 au temps du despotisme éclairé napoléonien », Mémoires de la société d’agriculture, commerce, sciences et arts, Châlons-en-Champagne, tome CXII, 1997, pp. 213 – 304.

    [24] DELANNOY François, L’administration préfectorale de la Manche sous le Consulat et l’Empire (1800-1815), sous la direction de Jean TULARD, Université Paris IV, 1992, thèse microfichée.

    [25] A. D. Pas-de-Calais, 3K1, lettre du général Vandamme au préfet, 13 septembre 1807.

    [26] A. D. Pas-de-Calais, 2K6, arrêté du préfet, 14 floréal an IX.

    [27] A. D. Pas-de-Calais, 1K2, arrêté du préfet, 20 avril 1807.

    [28] A. D. Pas-de-Calais, 2K14, arrêté du préfet, 20 prairial an XI.

    [29] Id., 20 germinal an X.

    [30] A. D. Pas-de-Calais, 2K6, arrêté du préfet, 21 fructidor an XII.

    [31]  A. D. Pas-de-Calais, 1K1, arrêté du préfet, 26 frimaire an X.

    [32] A. D. Pas-de-Calais, 2K10, arrêté du préfet, 27 floréal an X.

    [33] Robert MUCHEMBLED en donne des exemples pour les XVe, XVIe et XVIIe siècles dans La violence au village, Brepols, 1989.

    [34] A. D. Pas-de-Calais, 2K14, arrêté du préfet, 5 floréal an XI.

    [35] A. D. Pas-de-Calais, 4K7, arrêté du sous-préfet de Boulogne, 8 thermidor an VIII.

    [36] GOTTERI, Nicole, La police secrète du Premier Empire, Bulletins quotidiens adressés par Savary à l’Empereur de juillet à décembre 1811, Genève, Honoré Champion, 1999, n° 276, 22 octobre 1811.

    [37] A. D. Pas-de-Calais, 2K14, arrêté du préfet, 9 fructidor an XI.

    [38] A. D. Pas-de-Calais, 2K14, arrêté du préfet, 4 thermidor an XI.

    [39] A. D. Pas-de-Calais, 2K10, arrêté du préfet, 27 prairial an X.

    [40] Igor MOULLIER, « Police et politique de la ville sous Napoléon », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, n°52-4, avril-juin 2007, p. 117-139.

    [41] A. D. EDEP767D2, circulaire du ministre de l’intérieur aux maires, 1er mai 1812.

    [42] Mémorial administratif du Pas-de-Calais, n°173, 4 décembre 1812.

    [43] Id., n°109, 21 septembre 1810.

    [44] A. D. Pas-de-Calais, N1, registre des délibérations du conseil général, session de l’an IX.

    [45] A. D. Pas-de-Calais, 2K7, arrêté du préfet, 1er fructidor an IX.

    [46] Id., 6 messidor an XII.

    [47] A. D. Pas-de-Calais, N5, registre des délibérations du conseil général, session de 1807.

    [48] Nathalie PETITEAU, Les Français et l’Empire (1799-1815), La Boutique de l’Histoire, 2008, p. 88.

    [49] A. D. Pas-de-Calais, EDEP80D3, circulaire du préfet aux maires, 11 germinal an X.

    [50] A. D. Pas-de-Calais, 2U1, registre de la correspondance active du commissaire du gouvernement près le tribunal criminel du département du Pas-de-Calais, lettre au préfet, 8 germinal an IX.

    [51] A. D. Pas-de-Calais, EDEP318H2, circulaire du préfet aux maires, 19 frimaire an IX.

    [52] A. D. Pas-de-Calais, 15J132, lettre du préfet au maire d’Ardres, 31 janvier 1808.

    [53] A. D. Pas-de-Calais, 2K7, arrêté du préfet, 19 fructidor an IX.

    [54] A. D. Pas-de-Calais, 3U4/964, interrogatoire de Charles Beaurains, 10 prairial an XI.

    [55] A. N., F/1BII/Pas-de-Calais/25, dossier Mametz.

    [56] A. D. Pas-de-Calais, EDEP244D6.

    [57] Mémorial administratif du Pas-de-Calais, n°14, 8 avril I808.

    [58] A. D. Pas-de-Calais, 3Z347, lettre du sous-préfet de Montreuil au préfet, 3 mai 1808.

    [59] Id., 7 mai 1808.

    [60] A. D. Pas-de-Calais, M1130, lettre du sous-préfet de Béthune au préfet, 12 germinal an XII.

    [61] A. D. Pas-de-Calais, M4587/10, lettre du maire d’Etaples au préfet, 2 frimaire an XIII.

    [62] Voir Matthieu FONTAINE, Vivre dans les campagnes du nord de l’Artois (bailliages d’Aire et de Saint-Omer) de la reconquête française à la Révolution (1677-1790), thèse soutenue en 2009 à l’Université d’Artois.

    [63] A. D. Pas-de-Calais, EDEP297D2, registre des délibérations du conseil municipal d’Eperlecques, 25 brumaire an XII.

    [64] AGULHON Maurice, GIRARD Louis, Les maires en France du Consulat à nos jours, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 1986, p. 11.

    [65] Natalie PETITEAU, Les Français et l’Empire (1799-1815), La Boutique de l’Histoire, 2008, p. 140

    [66] A. D. Pas-de-Calais, 3Z367, lettre du maire de Cormont au sous-préfet de Montreuil, 3 brumaire an X.

    [67] A. D. Pas-de-Calais, EDEP767I15, circulaire du préfet aux maires, 21 frimaire an X.

    [68] Id., 19 fructidor an X.

    [69] A. D. Pas-de-Calais, EDEP80D3, circulaire du préfet aux maires, 11 germinal an X.

    [70] A. D. Pas-de-Calais, 1J1373, lettre du préfet au ministre de l’intérieur, 11 février 1808.

    [71] A. D. Pas-de-Calais, EDEP767K2, circulaire du préfet aux maires, 1er frimaire an XII.

    [72] A. D. Pas-de-Calais, M4587/22, lettre du sous-préfet de Saint-Omer au préfet, 16 février 1810.

    [73] A. D. Pas-de-Calais, M1300, lettre du sous-préfet de Boulogne au préfet, 29 novembre 1812.

    [74] A. D. Pas-de-Calais, M4587/3, lettre du ministre de l’intérieur au préfet, 13 nivôse an XI.

    [75] A. D. Pas-de-Calais, 2U2, lettre du commissaire du gouvernement près le tribunal criminel du département au préfet, 7 prairial an X.

    [76] Annie CREPIN, Histoire de la conscription, Folio Histoire, 2009, p. 148.

    [77] A. D. Pas-de-Calais, 2K13, arrêté du préfet, 20 pluviôse an XI.

    [78] A. D. Pas-de-Calais, 25J36, circulaire du préfet aux maires, 1er janvier 1807.

    [79] A. D. Pas-de-Calais, EDEP38/1H1, circulaire du préfet aux maires, 25 fructidor an XIII.

    [80] Mémorial administratif du Pas-de-Calais, n°14, 8 avril 1808.

    [81] Id., n°244, 20 janvier 1815

    [82] A. D. Pas-de-Calais, 3U4/964, interrogatoire de François Dubois, 11 floréal an XI.

    [83] Isabelle GUEGAN, Inventaire des enquêtes administratives et statistiques, 1789-1795, CTHS, Joué-lès-Tours, 1991, 331 pages.

    [84] J.-J. BRIDENNE, « Dieudonné, Bottin, et les débuts de la statistique régionale », Revue du Nord, 1964, tome XLVI, pp. 371-383.

    [85] A. D. Pas-de-Calais, 5Mi51R1, circulaire du préfet aux maires, 30 prairial an XII.

    [86] A. D. Pas-de-Calais, M1125, lettre du ministre de l’Intérieur au préfet, 28 prairial an XII.

    [87] A. D. Pas-de-Calais, M1140, lettre du sous-préfet de Saint-Pol au préfet, 1er fructidor an VIII.

    [88] A. D. Pas-de-Calais, M1284, lettre au préfet, 19 vendémiaire an X.

    [89] Id, lettre du 9 brumaire an X.

    [90] Id, lettre du 17 brumaire an X.

    [91] A. D. Pas-de-Calais, M1300, lettre du 21 décembre 1812.

    [92] Mémorial administratif du Pas-de-Calais, n° 16, 22 avril 1808.

    [93] Id, n° 196, 23 juillet 1813.

    [94] A. D. Pas-de-Calais, M1197, lettre du sous-préfet d’Arras au maire de Gouves, 8 novembre 1811.

    [95] A. D. Pas-de-Calais, M1121, lettre au préfet, 4 novembre 1808.

    [96] A. D. Pas-de-Calais, M1264, lettre du 22 juillet 1814.

    [97] A. D. Pas-de-Calais, M1261, lettre au préfet, 13 novembre 1813.

    [98] Ce qui demeure être l’une des conclusions de Natalie PETITEAU dans son étude sur le Vaucluse. Natalie PETITEAU, « Dysfonctionnement et contestations de l’ordre établi en Vaucluse », dans Jean-Jacques CLERE et Jean-Louis HALPERIN (dir.), Ordre et désordre dans le système napoléonien, Paris, Editions La mémoire du droit, 2003.

    [99] Vincent CUVILLIERS, « Des Empereurs au petit pied entre exigences gouvernementales et résistances départementales : l’exemple des préfets du Pas-de-Calais (1800-1815), Annales Historiques de la Révolution française, 2010, n°4, p. 121-129.

    [100] Mémorial administratif du Pas-de-Calais, n°261, 8 mai 1815.