« L’Orient a presque été une invention européenne, et a été depuis l’Antiquité un lieu poétique, de créatures exotiques, de souvenirs et de paysages obsédants, d’expériences remarquables […][1]. » C’est contre cette assertion d’Edward Saïd que s’inscrit notre pensée. Comme le souligne parfaitement Christine Peltre, cette idée selon laquelle l’orientalisme est un « style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur l’Orient » a fait des émules lors de la publication de l’ouvrage de Saïd dès les années 1980, mais cette thèse est aujourd’hui contestée. Certes, l’Orient[2], au moment de la campagne d’Égypte, est, sous certains angles, vu à travers le filtre de la pensée des Lumières en raison de l’émergence du concept de « despotisme oriental ». Néanmoins, il convient de nuancer ce propos. Les théories actuelles prennent le contrepied de Saïd. Des auteurs comme Michael Curtis[3], Robert Irwin[4] et John MacKenzie[5] ont démontré que l’argument impérialiste n’était pas valide. Le plus critique est sans nul doute Irwin[6], qui réfute d’emblée la thèse de Saïd faisant débuter l’orientalisme avec l’expédition d’Égypte et rejette l’idée qu’un discours hégémonique impérialiste ait influencé ce mode de pensée sur l’Orient. Michael Curtis abonde dans le même sens, en précisant clairement que les images ayant trait à l’Orient n’ont rien à voir avec une quelconque volonté d’exercer sur lui un pouvoir politique. Il en va de même pour les récits de voyage. Notre étude portera uniquement sur la contrée égyptienne et la manière dont elle fut perçue par les voyageurs français délégués par la France, du XVIIe siècle à la campagne d’Égypte. Il conviendra d’examiner quel est le bénéfice tiré par les explorateurs, dans quel but ils sont envoyés en Égypte, quel est l’apport qui résulte finalement de leurs travaux respectifs. Cette volonté de conquête naît déjà un siècle avant la campagne d’Égypte de 1798. C’est pour cette raison que cette étude a été restreinte à la France.
Au XVIe siècle, l’Égypte est encore une contrée à découvrir, considérée comme terra incognita[7]. C’est par le commerce qu’elle est liée à la France. Les produits venant d’Extrême-Orient transitent par la mer Rouge, et donc par Le Caire et Alexandrie, malgré la découverte du cap de Bonne-Espérance par Vasco de Gama[8]. À cette période, les explorateurs sont encore peu nombreux : c’est pourquoi notre étude débute au XVIIe siècle. Au Grand Siècle, le commerce entre l’Égypte et la France est florissant, tout un réseau se constitue entre les échelles du Levant[9] et Marseille. L’ensemble est favorisé par les mesures mercantilistes mises en place par Colbert, privilégiant les exportations et visant à la diminution des importations, ce qui équilibre les finances. L’Égypte fascine les collectionneurs et les amateurs d’art par son exotisme, elle devient aussi progressivement une terre à explorer et à étudier. Mais les récits qui en découlent ne peuvent être qualifiés de scientifiques. Ils restent plutôt fantaisistes et offrent souvent un point de vue original et insolite sur l’Égypte ancienne. Ils s’adressent, semble-t-il, plutôt à un public de curieux et d’amateurs. En revanche, les biens culturels, comme les objets d’art et les manuscrits, commencent progressivement à être pillés par un nouveau type de voyageurs mandatés par le pouvoir royal. C’est cette Égypte-là qui sera surtout source de connaissances à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, même si des prémices sont perceptibles quelques décennies plus tôt. L’Égypte continuera de séduire, mais les centres d’intérêt des voyageurs évolueront. Ceux-ci tentent alors de saisir les spécificités des contrées qu’ils explorent, livrant leurs impressions sur les mœurs, les coutumes, le gouvernement, le commerce, la faune, la flore, et, bien entendu, sur les monuments aussi bien antiques que modernes. C’est la vérité archéologique qui prime tout autre souci. La diversité séduit l’Européen, mais elle le choque aussi; il reste partagé entre fascination et répulsion. Les voyageurs vont autant que possible s’ouvrir à cette culture atypique qu’est la culture arabe. Le désir d’étudier le pays dans sa contemporanéité va réellement naître avec la campagne d’Égypte, même si l’entreprise de conquête, à la base, est un échec.
L’Égypte est une terre à conquérir. Qu’est-ce-qui motivera cette volonté de conquête? Nous verrons que des projets fleurissent bien avant l’expédition d’Égypte de Napoléon Bonaparte en 1798, autant de projets qui seront enfouis, mais qui nourriront finalement cette volonté d’appropriation. Le concept de despotisme oriental, qui apparaît au Siècle des Lumières, et l’émergence de la notion de progrès ne peuvent à eux seuls expliquer cette décision de conquérir l’Égypte. C’est à Montesquieu qu’il faut en attribuer la paternité, d’abord dans ses Lettres persanes, publiées en 1721, puis dans L’esprit des lois, en 1748. Il se fait le promoteur de la théorie des climats : les peuples issus des pays chauds semblent prédisposés à une faiblesse d’organes[10], ce qui les conduit à la paresse et à l’acceptation du despotisme. Un examen de la civilisation orientale doit permettre d’expliquer la dérive vers ce régime despotique. Le despotisme est ainsi défini dans l’Encyclopédie : « Gouvernement tyrannique, arbitraire & absolu d’un seul homme […]. Le principe des états despotiques est qu’un seul prince y gouverne selon ses volontés, n’ayant absolument d’autre loi qui le domine, que celle de ses caprices […][11]. » La notion de despotisme oriental est appliquée à l’Égypte pour expliquer la déchéance progressive de ce pays, jadis florissant dans l’Antiquité. C’est dès le XIIIe siècle, sous la domination arabe, que les voyageurs observent les premiers signes de déclin de l’Égypte. Sa chute, quant à elle, survient au XVIe siècle, lorsque les Turcs s’emparent du pays. À cela s’ajoute la notion de progrès, objet de débats au XVIIIe siècle, qui induit l’idée d’une phase de décadence des États despotiques. Ces thématiques s’insinuent dans le domaine littéraire, où elles seront développées notamment sous la plume de Voltaire et de Rousseau, et, à partir du XVIIIe siècle, imprègnent les esprits des voyageurs tout en influençant parfois leurs écrits. Autant d’éléments qui font de l’Égypte une terre à conquérir et, finalement, à civiliser. Certes, la Révolution française voit naître ce souhait de percer les fondements de la civilisation occidentale, les hommes des Lumières se tournent ainsi vers l’Égypte, qu’ils considèrent comme le berceau de la civilisation. Ces éléments ont probablement contribué à cette envie de conquérir l’Égypte. Mais c’est surtout dans la rivalité entre la France et l’Angleterre qu’il faudra chercher la réponse.
Une Égypte à découvrir
Comme l’énonce Robert Solé : « Au XVIe et au XVIIe siècles, l’Égypte occupe une place de choix dans les premiers cabinets de curiosités européens. On « voyage » alors en collectionnant toutes sortes d’objets exotiques[12]. » Le terme « exotiques » est ici entendu selon le sens qui lui est donné dans le Dictionnaire de l’Académie française de 1798, à savoir quelque chose d’« étranger, qui n’est pas naturel au pays[13]. » Ces objets qualifiés d’exotiques se veulent atypiques. Cette manie du collectionnisme voit le jour au XVIIe siècle, et n’épargnera pas les rois et leurs ministres. Les voyages en Orient se multipliant, les explorateurs français sont mandatés pour rapporter autant des biens culturels que des connaissances sur l’Égypte. L’aspect scientifique n’est pas encore prédominant; c’est la curiosité qui prévaut. Cette « curiosité » semble, de fait, relever de la passion : dans le Dictionnaire de l’Académie française, il s’agit de « passion, désir, empressement, de voir, d’apprendre, de posséder des choses rares, singulières, nouvelles & c.[14] », définition qui trouve un écho dans ce que Boileau dit du « curieux » dans les Caractères. C’est vraiment sous l’angle de la nouveauté et du dépaysement que les explorateurs abordent l’Égypte à ce moment-là.
L’exemple du père Jean-Michel Vansleb[15] est tout à fait évocateur. Il arrive à Paris, en 1670, où il est alors présenté à Colbert. En 1672, il est finalement mandaté par le pouvoir, de manière indirecte par le biais du bibliothécaire du Roi, Pierre de Carcavy, pour rapporter des manuscrits, des médailles, mais aussi des animaux momifiés, ce qui témoigne sans nul doute de ce goût pour l’exotisme. Vansleb recevera des instructions très précises ainsi qu’un catalogue des ouvrages orientaux que possède déjà Louis XIV[16]. Cela prouve qu’il s’agissait pour lui d’enrichir une collection déjà en partie constituée. Sans doute dans le but de faire découvrir cette culture orientale, il ne négligera pas de décrire les monuments antiques et modernes. La correspondance entre Vansleb et Colbert nous apprend que ce premier a envoyé en France « […] plus de trois cents manuscrits, des « idoles », des peaux de lézards et de crocodiles, une trentaine de médailles et trois momies humaines […][17] », autant d’objets hétéroclites qui viennent compléter les collections royales. En 1675, il est finalement rappelé en France par Colbert. Aucune volonté colonialiste n’est sous-jacente à cette démarche. Certes, il y a appropriation de biens culturels, mais dans une visée positive, puisque ces objets sont appréciés et alimentent l’intérêt pour l’exotisme ambiant. Dès 1667, Colbert avait profité du voyage de Monceaux et de Laisné en Égypte pour leur demander de rapporter des manuscrits et des médailles pour le cabinet du Roi[18]. C’est donc une pratique qui devient courante.
Cette pratique a encore cours au XVIIIe siècle. Ainsi, le but de Paul Lucas[19] n’est pas d’étudier les antiques, mais avant tout de faire du commerce en Égypte, préoccupation qui le rapproche plutôt des voyageurs du XVIIe siècle. En 1714, il est envoyé en Égypte sur ordre du Roi[20 afin de constituer une collection de pierres gravées, de médailles et de manuscrits. Cette mission est d’ailleurs en accord avec sa fonction d’antiquaire du roi Louis XIV. Une fois encore, de prime abord, il n’explore pas l’Égypte dans une intention scientifique. Pourtant, en 1716, il part avec un programme clairement défini par l’abbé Bignon, bibliothécaire du Roi : « Le sieur Paul Lucas procédera jusqu’au temple de Jupiter-Amon dont il fera une description exacte. Il ira ensuite au temple de Jupiter en Haute Égypte pour examiner les ruines de Thèbes, les antiquités près du lac de Moeris et la maison de Charon ou labyrinthe. Il essayera d’ouvrir ensuite quelques pyramides dans le but d’y trouver en détail ce que ce type d’édifice contient. [Il doit aussi] y faire recherche des plantes qu’on n’a point en France, de médailles, momies, manuscrits et autres curiosités[21]. » Ce programme, ainsi défini, atteste cette volonté du pouvoir en place de rassembler des éléments scientifiques sur les antiquités égyptiennes. Ce besoin d’accumuler des connaissances sur l’Égypte préfigure un besoin propre aux Lumières : la maîtrise par le savoir. L’apport réel de Paul Lucas est à nuancer, puisqu’il n’est pas le chantre de l’exactitude. Néanmoins, il a le mérite d’avoir popularisé l’Égypte. Jusque-là, l’apport des voyageurs français sur le plan scientifique est pour le moins faible.
Ce processus d’une véritable évaluation scientifique de l’Égypte va finalement s’amorcer avec Benoît de Maillet[22]. Le pays fait alors l’objet d’un réel examen critique, et tout est passé au crible : le climat, la situation géographique, la faune et la flore, les mœurs et les coutumes, les monuments antiques et quelquefois les modernes. Ce modèle d’analyse deviendra récurrent dans les récits de voyage au XVIIIe siècle. Le projet de De Maillet est ambitieux : il entend développer une science de l’Égypte[23]. Ses travaux préfigurent ceux des savants de Bonaparte : c’est dire la portée qu’ils ont eue. Il enverra ainsi en France de nombreux mémoires sur les antiquités égyptiennes et tous les éléments susceptibles d’éveiller l’intérêt du Roi. Les manuscrits coptes et arabes continuent d’être pillés. Il est tout à fait clair qu’au XVIIIe siècle l’Égypte demeure encore un pays à découvrir, et l’engouement pour cette civilisation est parfaitement perceptible. Comme a pu le préciser Marie-Noëlle Bourguet : « L’explorateur force l’imagination […]. Mais cette imagerie romantique oublie que l’explorateur est moins un aventurier qu’un éclaireur; que son voyage est l’accomplissement d’une mission, organisée et commanditée de l’arrière, par un prince, un groupe de marchands, une institution savante ou missionnaire, avec des objectifs précis, nés d’un savoir géographique provisoire[24]. » Chaque pays y envoie ses artistes et scientifiques afin de produire des relevés archéologiques, et une certaine concurrence entre chacun semble sous-jacente. L’idée était de partir à la découverte de cette contrée étrangère, d’en livrer une image qui se voulait réaliste. La France se doit de rester dans la course contre les autres pays européens. En tant que consul de France au Caire, Benoît de Maillet est immergé dans la vie égyptienne et apparaît donc comme tout indiqué pour livrer un ouvrage scientifiquement viable sur cette partie de l’Orient. Bien qu’il dénonce le despotisme oriental, sa vision du pays ne semble pas altérée.
C’est Sonnini de Manoncourt[25] qui va livrer une étude novatrice, davantage axée sur la botanique, la zoologie et la minéralogie. Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Pierre Belon. Pour son voyage, il reçoit des instructions du roi Louis XVI. Il semblerait également qu’une partie de ce voyage aurait été financée par Buffon[26]. Son ouvrage n’est malheureusement publié qu’en 1799; au moment de la campagne d’Égypte, il sera donc rapidement daté. Bien que Sonnini de Manoncourt soit séduit par la nature et les beautés de ce pays, ses propos sont clairement teintés d’a priori négatifs; il se veut très critique sur la situation de l’Égypte, qu’il juge sur le déclin[27]. Sa perception est d’emblée biaisée par sa pensée imprégnée des discours sur le despotisme oriental. Il commente « […] l’aspect hideux des vices qui dominent dans une société également dégénérée et corrompue […][28] ». La différence entre ces deux aspects le conduit à considérer ce peuple comme barbare. Certes, Sonnini de Manoncourt est influencé par les théories sur le despotisme oriental, mais ce ne sont là que quelques digressions qui ponctuent son récit, son intérêt se focalisant sur l’étude de cette contrée orientale et de sa diversité. En revanche, on ne peut arguer que ces propos sur le despotisme oriental, qui teintent les récits de voyage, soient le fruit des théories qui voient le jour au XVIIIe siècle, puisque de telles critiques sont déjà perceptibles bien avant. Par contre, l’exemple de Sonnini de Manoncourt, sortant du cadre de son étude, prouve à quel point cette idée du despotisme oriental était ancrée dans la mentalité française.
Certes, avec la campagne d’Égypte, la diversité culturelle donnera lieu à une catégorisation, la Raison apparaîtra comme un moyen de dominer l’Autre[29]. L’Égypte contemporaine captivera et méritera d’être véritablement étudiée. Quelques années auparavant, le récit de Volney[30] constituait déjà une véritable plongée dans l’Égypte moderne. Focalisant son analyse sur la géographie, le climat et la politique du pays, et s’intéressant aussi bien aux diverses races et mœurs qui le composent qu’à son gouvernement et à son commerce, il appréhende la réalité de l’Égypte du XVIIIe siècle et se veut un observateur impitoyable. Le choc des cultures[31] le conduira à émettre des considérations très critiques sur l’Autre, entendons ce peuple égyptien qu’il côtoie. On sent déjà poindre cette volonté de civiliser ce peuple qui verra le jour avec Napoléon. Ses travaux novateurs ont d’ailleurs eu un retentissement certain; Bonaparte a lu son ouvrage et s’en est servi pour l’expédition d’Égypte[31]. Enfin, le dernier livre à paraître avant la Description de l’Égypte, est celui de Vivant Denon[33]. Réalisant la synthèse entre la critique acerbe de Volney et l’œuvre teintée de pittoresque de Savary[34], séduit par la diversité culturelle de l’Égypte, il en propose une description moins sombre que celle de Volney. La question de l’altérité semble profondément éveiller la curiosité de Denon. Son intérêt pour l’Autre le conduira même à portraiturer des Arabes vêtus de costumes locaux, préfigurant ainsi les travaux développés dans le deuxième tome de la Description de l’Égypte, à propos de l’État moderne. Denon fait plutôt figure d’observateur neutre. Mais c’est le général Kléber qui décide d’ajouter une commission chargée d’étudier l’Égypte moderne[35]. L’Autre apparaît alors comme une curiosité, un élément « pittoresque »; la fascination cède la place à cette volonté de domination[36]. L’objet avorté de l’expédition d’Égypte étant la conquête, la vaste entreprise culturelle de la Description d’Égypte devait pallier cet échec sans précédent.
Une Égypte à conquérir et à civiliser
Comme le souligne Jean-Noël Brégeon : « Il y a plus d’un demi-siècle, François Charles-Roux avançait cette opinion : « L’expédition d’Égypte n’est pas une simple réminiscence de projets périmés, l’application à une fin nouvelle d’un moyen déjà proposé en vue d’autres fins. C’est la suite logique et la synthèse de tous les projets précédents; c’est la réalisation tardive d’un vœu maintes fois exprimé[37]. » Les racines de l’expédition d’Égypte remontent au XVIIe siècle, ses véritables raisons ayant été dissimulées par un projet d’ « entreprise culturelle ». Cette expédition résulte d’une bataille commerciale que se livrent l’Angleterre et la France. L’impossibilité où était celle-ci de s’attaquer directement à l’Angleterre ranimera effectivement sa décision de se rendre en Égypte, sans doute dans l’idée de faire main basse sur le canal de Suez, ce qui lui ouvrirait ainsi la route vers les Indes.
Le premier projet de conquête de l’Égypte est formulé sous Louis XIV par Leibnitz dans son Consilium Ægyptiacum, qu’il remet au ministre Arnauld de Pomponne en 1672[38]. Leibnitz entend dans un premier temps détourner Louis XIV de son projet de lancer une guerre en Hollande. Il mettra donc en avant tous les apports qui résulteraient de cette conquête de l’Égypte. La référence au despotisme oriental est bien entendu présente, lorsqu’il dit ceci au sujet du pays : « […] Jadis, mère des sciences et sanctuaire des prodiges de la nature, aujourd’hui repaire de la perfidie mahométane […][39]. » Les allusions à saint Louis et à Alexandre le Grand doivent achever de le convaincre. Leibnitz invoque l’apport commercial de l’entreprise. Grâce à la domination du canal de Suez, le commerce avec l’Inde serait facilité. Un argument de poids aux yeux de Leibnitz. Il va même jusqu’à prévoir la ruine de l’Empire turc en cas de réussite. Malgré le bénéfice avancé par Leibnitz, Louis XIV n’est pas convaincu[40]. Ici, la conquête n’est pas encore envisagée dans cette idée de civiliser l’Autre, argument qui sera avancé par Bonaparte, mais par rapport à ce que cela pourrait apporter au commerce de la France.
Cette perspective n’est pas abandonnée sous Louis XV : l’intérêt pour l’Égypte et sa culture persiste. Il émet d’ailleurs le vœu de faire transporter la colonne de Pompée, se trouvant à Alexandrie, à Paris, ce qui témoigne d’un attrait certain pour les monuments antiques. Finalement, c’est le duc de Choiseul, ministre des Affaires étrangères, qui, en 1769, relancera cette idée de conquête. Il s’agit en quelque sorte de contrecarrer les projets de l’Angleterre, qui a des vues sur l’Inde. Mais l’Égypte fait partie de l’Empire ottoman, alors allié de la France, ce qui rend l’entreprise compliquée. La politique commerciale de la France lui semblant menacée[41], Louis XV envisage plutôt de coloniser l’Égypte[42], dont il perçoit les richesses commerciales potentielles. Il entend donc que Vergennes, ambassadeur de Turquie, lui prépare une étude sur les possibilités d’une chute de l’Empire ottoman. Mais Vergennes s’insurge contre cette idée[43]. Le projet d’y apporter les Lumières, qui sera celui de Napoléon Bonaparte, est donc déjà en germe. C’est son successeur, Saint-Priest[44], qui engagera toute une réflexion sur la nécessité de conduire une expédition en Égypte. À ses yeux, l’Égypte ne semble donc pas seulement un moyen, mais se présente aussi comme un pays qui mérite de l’attention. La proximité avec le dessein de Napoléon est à souligner.
En 1777-1778, le baron de Tott est envoyé en Égypte pour une inspection dans les échelles du Levant. Dans sa présentation du voyage du baron de Tott, Jean-Pierre Bois essaie de montrer que toutes les études s’accordent « […] à dire que cette expérience répondait à deux soucis primordiaux : à savoir, une politique officielle de remise à flot des comptes des Échelles françaises du Levant, et une mission secrète d’espionnage de l’Égypte afin d’en préparer une éventuelle conquête […][45] ». Le baron Tott est tout désigné pour cette mission, en raison non seulement de ses nombreuses missions diplomatiques en Orient, mais aussi de sa connaissance parfaite de l’Empire ottoman et de sa maîtrise de la langue arabe. La nécessité pour la France de consolider ses positions a été évoquée au Conseil du roi. Cette mission officielle en cache une autre, officieuse, pour laquelle le baron Tott doit effectuer une reconnaissance du territoire. Il reçoit ses instructions de Sartine[47], le secrétaire d’État à la Marine. Ces directives prouvent qu’une offensive possible contre l’Égypte avait été envisagée sous Louis XVI. À la lecture des lettres du baron de Tott[48], la critique envers le despotisme est parfaitement perceptible. Il faut encore mentionner un passage tiré de ses Mémoires sur les Turcs et les Tartares, ouvrage lu par Bonaparte : « Après avoir considéré les monuments de l’Égypte, la beauté du ciel, la population, l’activité des habitants, et la richesse des productions, il ne reste qu’à jeter un regard de mépris sur son gouvernement […][49]. » Mais c’est avant tout l’aspect politique qui semble intéresser le baron de Tott; la culture ne se voit pas attribuer de place.
Rappelons que ce sentiment de la supériorité européenne apparaîtra aux alentours de 1750. C’est alors que se mettra en place le mythe de l’histoire de la Raison. Comme l’explique Henry Laurens[50], la Raison serait née en Égypte, avant de s’insinuer en Grèce et à Rome, puis chez les Arabes, et finalement en Europe. Mais au XVIIIe siècle, l’Égypte est considérée comme en pleine décadence. C’est une manière détournée de légitimer le progrès du continent européen, auquel appartient la France. Le concept de « civilisation », qui voit le jour après la Révolution française, sera à l’origine de cette volonté d’apporter les Lumières en Égypte.
C’est finalement Talleyrand qui, en 1797, va remettre ce projet de conquête de l’Égypte au goût du jour. Bonaparte, séduit par la perspective d’être auréolé de gloire, clame ceci : « Les temps ne sont pas éloignés où nous sentirons que, pour détruire véritablement l’Angleterre, il faut nous emparer de l’Égypte[51]. » Lorsqu’il décide finalement de se lancer, ses objectifs sont multiples. La constitution d’une équipe de savants avant le départ atteste que ce désir d’étudier le pays n’est pas qu’un simple contrecoup du projet initial de conquête. C’est dans ce but que sera créé l’Institut d’Égypte, le 22 août 1798, au Caire. La mission avouée de cet institut « pour les sciences et les arts » est la suivante : « le progrès et la propagation des lumières en Égypte; la recherche, l’étude et la publication des faits naturels, industriels et historiques de l’Égypte, de donner son avis sur les différentes questions pour lesquelles il sera consulté par le Gouvernement[52]. » Ce projet laisse clairement entendre que l’esprit des Lumières aspire à pénétrer cette contrée « barbare » et à civiliser ce pays. On peut parler d’un véritable projet de réforme et de régénération du pays, conçu à l’instigation de Bonaparte. Un deuxième centre d’activités intellectuelles est fondé à Rosette, dont la charge est confiée au général Menou; tous les sujets suscitent l’intérêt, mais en particulier l’étude des ruines antiques. Les savants s’imprègnent de la culture de l’Égypte, mais, surtout, apportent le savoir français en Orient. Le caractère scientifique de ces travaux est plus marqué que dans les précédents. Deux périodiques, le Courrier de l’Égypte et la Décade égyptienne, voient le jour et rassemblent les travaux scientifiques alors entrepris. Comme le montre la Décade égyptienne[53], le message est clair : il s’agit fondamentalement de faire découvrir l’Égypte et de laisser la Raison opérer les changements nécessaires. Tallien[54], l’éditeur de ce journal, s’ingénie à mettre en valeur les richesses du pays, qui méritent d’être enfin analysées avec justesse, ce qui constitue une critique à peine déguisée de ses prédécesseurs, critique pouvant notamment s’adresser à Denon, dont les travaux ne sont pas particulièrement novateurs, puisqu’ils résultent d’une compilation des études connues[55].
Un choc des cultures a incontestablement lieu, mais, malgré tout, les tentatives pour comprendre l’Autre semblent rester vaines, comme en témoignent les efforts infructueux des Français pour intéresser le peuple égyptien à leur culture[56] et les analyses d’Al Jabarti[57]. Il y a pourtant des transferts qui s’opèrent : ces Égyptiens, considérés comme « arriérés », seront notamment en mesure d’apporter des idées constructives dans le domaine technique[58]. Les voyageurs, comme les artistes, se nourrissent de cet Orient « rêvé », qui vient stimuler leur imaginaire. À la demande du pouvoir, la collecte d’informations par les voyageurs s’effectue sans volonté de domination impérialiste, ce qui démontre que la thèse de Saïd n’est pas valide. C’est véritablement dans le sens d’une comparaison que les Occidentaux abordent cet Orient qui leur paraît atypique, mais la curiosité l’emporte sur cette volonté de calquer une idéologie purement occidentale, du moins chez la plupart des voyageurs et des artistes. En revanche, il est évident que Bonaparte a profité de cet arrière-plan idéologique qui s’est progressivement élaboré au Siècle des Lumières.
Références
[1] Edward SAÏD, Orientalism. Western conceptions of the Orient (London, Penguin Books, 1995) [1980], 1 : « The Orient was almost a European invention, and had been since antiquity a place of romance, exotic beings, haunting memories and landscapes, remarquable experiences. »
[2] Christine PELTRE, Dictionnaire culturel de l’orientalisme (Paris, Hazan, 2008), 278.
[3] Michael CURTIS, Orientalism and Islam. European Thinkers on Oriental Despotism in the Middle East and India (New York, Cambridge University Press, 2009).
[4] Robert IRWIN, Dangerous Knowledge. Orientalism and its discontents (New York, The Overlook Press, 2006).
[5] John MACKENZIE, Orientalism. History, theory and the arts, New York-Manchester, Manchester University Press, 1995
[6] Ibid., 3-6.
[7] Jean-Joël BRÉGEON, L’Égypte française au jour le jour 1798-1801 (Paris, Perrin, 1991), 49.
[8] Marie-Cécile BRUWIER ; Florimond LAMY, L’égyptologie avant Champollion (Louvain-la-Neuve, Versant Sud, 2005), 67.
[9] Alexandre SAVÉRIEN, « Échelle », Dictionnaire historique, théorique et pratique de la marine, 1 (Paris, Chez Charles-Antoine Jombert, 1758), 369 : « On appelle ainsi, sur la Méditerranée ou mer du Levant, les isles de commerce, & les ports qui sont aux côtes des ilses d’Afrique & d’Asie, sous la domination du Grand Seigneur, tels que Smyrne, Saïde, Alep, Alexandrie, &c. où toutes les nations maritimes de la chrétienté tiennent des consuls, des facteurs, des magasins & des bureaux. On appelle particulièrement ces endroits là les Échelles du Levant, & ce nom d’échelle vient d’escale, vieux terme de la marine qui signifoit un port. »
[10] MONTESQUIEU, L’esprit des lois, 1 (Paris, Garnier Flammarion, 1979, [1748]), 348.
[11] Denis DIDEROT ; Jean Le Rond d’ALEMBERT, « Despotisme », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 4 (Paris, Briasson David Le Breton, 1751-1765), 886-887.
[12] Robert SOLÉ, « Le voyage en Égypte », Voyage en Égypte de l’Antiquité au début du vingtième siècle (Genève, Musée d’Art et d’Histoire, 2003), 13.
[13] Dictionnaire de l’Académie française, 1798, 5ème édition (http://artflx.uchicago.edu/cgi-bin/dicos/pubdico1look.pl?strippedhw=exotique).
[14] Dictionnaire de l’Académie française (Paris, 1694), 299.
[15] Jean-Michel VANSLEB : né en 1635 à Erfurt et mort en 1679. Il sera élève de l’orientaliste Job Ludolf. En 1663, le prince Ernst de Saxe-Gotha l’envoie en Éthiopie dans une visée politique et religieuse. Puis, Vansleb se rend en Égypte. C’est en 1670, qu’il arrive à Paris. Il est alors présenté à Colbert. Son voyage en Égypte de 1663 est publié en 1671 et motive une seconde expédition en 1672.
[16] M.-C. BRUWIER ; F. LAMY, L’égyptologie avant Champollion, op. cit., 132.
[17] Ibid., 133.
[18] Raoul CLÉMENT, Les Français d’Égypte aux XVIIe et XVIIIe siècle (Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 1960), 102-103.
[19] Paul LUCAS : il part en Orient en 1688, le but étant alors de faire commerce de pierres précieuses et d’antiquités. Il va effectuer un second voyage au Levant à partir de 1699 jusqu’en 1703, il découvre l’Égypte, Chypre, la Turquie, la Perse. C’est de ce voyage que va résulter la publication de son premier récit en 1704 sous le titre Description de la Haute Égypte suivant le cours du Nil depuis le Caire jusqu’aux cataractes […]. À son retour, il est nommé antiquaire du Roi. Les renseignements fournis par Paul Lucas ne sont pas toujours de la plus grande exactitude, néanmoins son ouvrage eut un succès incontestable et permit de « populariser » l’Égypte.
[20] Paul LUCAS, Voyage du sieur Paul Lucas fait en 1714 par ordre de Louis XIV dans la Turquie, l’Asie, Sourie, Palestine, Haute & Basse Égypte (Rouen, Chez Robert Machuel, 1714).
[21] M.-C. BRUWIER ; F. LAMY, L’égyptologie avant Champollion, op. cit., 147.
[22] Benoît DE MAILLET : né en 1656 et mort en 1738. Originaire de Lorraine, il est envoyé au Caire dès 1692. Il y reste 16 ans et exerce la fonction de consul de France de 1697 à 1707. En 1717, le Roi le nomme inspecteur des échelles du Levant et de la Barbarie.
[23] M.-C. BRUWIER ; F. LAMY, L’égyptologie avant Champollion, op. cit., 186-187.
[24] Marie Noëlle BOURGUET, « L’explorateur », dans Daniel ARASSE (dir.), L’homme des Lumières (Paris, Éditions du Seuil, 1996), 289.
[25] Charles-Nicolas-Sigisbert SONNINI DE MANONCOURT : né en 1751 à Lunéville et mort en 1812. Il fait des études de droit à Strasbourg. En 1772, il est envoyé en Afrique occidentale et en Guyane en tant qu’ingénieur et officier de la Marine. De retour en France en 1776, il repart avec le baron de Tott pour parcourir l’Empire ottoman. Quand il est finalement reçu avocat à la cour de Nancy en 1798, il se tourne vers sa véritable passion, à savoir l’histoire naturelle. En 1799, il dirige l’édition complète des œuvres de Buffon.
[26] Irini APOSTOLOU, « Les voyageurs naturalistes en Orient et en Egypte au XVIIIème siècle », Relations savantes : voyages et discours scientifiques, (Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2006), 54.
[27] Claude-Nicolas-Sigisbert SONNINI DE MANONCOURT, Voyage dans la Haute et Basse Égypte, fait par ordre de l’ancien gouvernement, et contenant des observations de tous genres, 1 (Paris, F. Buisson, An VII), I-II : « L’Égypte, dégradée de nos jours, et repaire de brigandage et de barbarie, peut espérer enfin reprendre l’éclat dont elle brilla jadis […] Il ne pouvoit donc être indifférent de faire connoître l’Égypte telle que les François l’auront trouvée ; de peindre les Mœurs des différens Peuples qui l’habitoient, et chez lesquels la civilisation succédera à la grossière et féroce ignorance; de décrire les débris des Monumens augustes […] Ce tableau mettra le Lecteur à portée de suivre avec intérêt les progrès d’une régénération inattendue […]. »
[28] Ibid., 265-266.
[29] Djamila CHAKOUR; Hédia YELLES, « « L’État moderne » dans la Description de l’Égypte », dans Jean-Marcel HUMBERT (dir.), Bonaparte et l’Égypte. Feu et lumières (Paris, Hazan-Institut du Monde Arabe, 2008), 96.
[30] Constantin-François Chasseubœuf (comte de Volney) : né en 1757 à Craon en Anjou et mort en 1820. Il fait des études de droit et de médecine à Paris. Son voyage en Orient a lieu en 1783. Il y est vraisemblablement envoyé par Vergennes, alors ministre des Affaires étrangères. Il publie le récit de ce voyage en 1787. En 1789, il devient député du tiers état. Sous la Terreur, il connaît l’emprisonnement. En 1795, il part pour l’Amérique, d’où il rapporte un tableau des climats. Il est de retour en France en 1798.
[31] Constantin-François VOLNEY, Voyage en Égypte et en Syrie (Paris-La Haye, Mouton & Co, 1799, [1787]), 76 : « […] Quel sujet de méditation, de voir la barbarie et l’ignorance actuelle des Coptes, issues de l’alliance du génie profond des Égyptiens, & de l’esprit brillant des Grecs ; de penser que cette race d’hommes noirs, aujourd’hui notre esclave & l’objet de nos mépris, est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences et jusqu’à l’usage de la parole […]. »
[32] J.-J. BRÉGEON, L’Égypte française au jour le jour 1798-1801, op. cit., 68.
[33] Dominique VIVANT DENON : né en 1747 et mort en 1825. Ce diplomate de formation est aussi connu pour ses travaux artistiques, en particulier des gravures, et comme romancier pour la publication de Point de lendemain en 1777. Il arrive à Paris au moment de la Terreur et survit grâce à son activité de graveur. En 1794, il a la chance de collaborer avec Jacques-Louis David, avec qui il sera parfois en conflit, et avec qui il rivalisera après son investiture comme directeur du Musée du Louvre. Avant l’expédition d’Égypte, Denon est déjà âgé de 51 ans. Il se livre à une véritable opération de séduction auprès de Joséphine de Beauharnais, car il veut faire partie du voyage en Égypte, sentant peut-être que c’est là une chance d’évoluer. C’est ainsi qu’il partira finalement en direction de cet Orient rêvé, le 19 mai 1798, avec Bonaparte. Son voyage s’achèvera avec le départ de ce dernier le 23 août 1799. Il publie son ouvrage à son retour en 1802.
[34] Claude-Etienne SAVARY, Lettres sur l’Égypte, où l’on offre le parallèle des mœurs anciennes et modernes de ses habitans, où l’on décrit l’état, le commerce, l’agriculture, le gouvernement, l’ancienne religion du pays, et la descente de S. Louis à Damiette, tirée de Joinville et des auteurs arabes, avec des cartes géographiques (Paris, Chez Onfroi Libraire, 1786).
[35] Henry LAURENS, L’expédition d’Égypte 1798-1801 (Paris, Seuil, 1997), 333.
[36] D. CHAKOUR ; H. YELLES, « « L’État moderne » dans la Description de l’Égypte », op. cit., 99 : « Il apparaît toutefois dans cette catégorisation culturelle, sexuelle et sociale, une volonté de maîtrise et de contrôle par le savoir. Savoir sur l’Autre et savoir-faire se combinent pour devenir à la fois arme et manifestation de domination, servant à justifier la présence française en Égypte. À travers les divers métiers exposés […], le discours met en avant le « pittoresque » tout en soulignant le dénuement matériel et le retard technique […]. »
[37] J.-J. BRÉGEON, L’Égypte française au jour le jour 1798-1801, op. cit., 79.
[38] Ibid., 71.
[39] Mémoire de Leibnitz à Louis XIV sur la conquête d’Égypte (Paris, Édouard Garnot Libraire-éditeur, 1840), 3-4.
[40] Paul STRATHERN, Napoleon in Egypt (New York, Bantam Books, 2007), 9.
[41] H. LAURENS, L’expédition d’Égypte 1798-1801, op. cit., 21.
[42] Francine MASSON, « L’expédition d’Égypte », ABC Mines, décembre 1997, 12 (http://www.annales.org/archives/x/ABC.html).
[43] Idem : « […] [il] voulait au contraire renforcer l’Empire ottoman en l’aidant à se moderniser de façon à préserver l’équilibre territorial européen tout en développant l’influence française. La position de Vergennes n’est pas que politique et économique. Elle est aussi inspirée par une volonté « civilisatrice », née des Lumières, appuyée sur la Raison, contre le Despotisme […]. »
[44] Ahmed YOUSSEF, La fascination de l’Égypte. Du rêve au projet (Paris, L’Harmattan, 1998), 46 : « […] l’Égypte me semble présenter le moyen le plus certain de faire échouer, ou au moins de contrebalancer les vues ambitieuses de la Russie et de l’Angleterre, de rendre naturellement la France maîtresse du commerce de l’Inde sans coup férir, d’amener à la maison de Bourbon l’empire de la Méditerranée […] c’est principalement la conservation de ce pays qu’il faut envisager avant d’entreprendre la conquête […] ».
[45] Jean-Pierre BOIS, Deux voyages au temps de Louis XVI, 1777-1780. La mission du baron de Tott en Égypte en 1777-1778 et le Journal de bord de l’Hermione en 1780 (Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005), 15.
[46] Ibid., 17.
[47] Cité par J.-P. BOIS, Deux voyages au temps de Louis XVI, 1777-1780. La mission du baron de Tott en Égypte en 1777-1778 et le Journal de bord de l’Hermione en 1780, op. cit., 17 : « Je suis bien aise de profiter de vos talents militaires, pour nous procurer tous les renseignements dont nous pouvons avoir besoin dans le cas d’une guerre avec les princes de la Barbarie […] Il seroit intéressant d’avoir également des plans et des informations exactes sur l’isle de Chypre, les côtes de Syrie, l’Égypte et sur celles des isles de l’Archipel dont la position pourroit être favorable à la protection de notre commerce. »
[48] Baron de TOTT, Deux voyages au temps de Louis XVI, 1777-1780. La mission du baron de Tott en Égypte en 1777-1778 et le Journal de bord de l’Hermione en 1780 (Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005), 59 : « L’Égypte peut être regardée comme un pays anarchique où l’autorité est divisée entre des gens indignes et incapables de gouverner. Ils sont dominés par l’avarice et la cupidité, passions qui les dévorent et les portent aux crimes les plus affreux. »
[49] Mémoires du baron de Tott sur les Turcs et les Tartares, 2 (Paris, 1785), 205.
[50] Henry LAURENS, « La Raison dans l’histoire », Le miroir égyptien : l’imaginaire créateur d’histoire : l’Égypte de Pharaon au Saint-Simonisme (Marseille, Éditions du Quai Jeanne Laffitte, 1983), 184.
[51] Cité par J.-J. BRÉGEON, L’Égypte française au jour le jour 1798-1801, op. cit., 84.
[52] H. LAURENS, L’expédition d’Égypte 1798-1801, op. cit., 159.
[53] La Décade égyptienne. Journal littéraire et d’économie politique, 1 (Caire, Imprimerie nationale, An VII), 6 : « La conquête de l’Égypte ne doit pas être utile seulement à la France, seulement sous les rapports politiques et commerciaux; il faut encore que les arts et les sciences en profitent […] le Français respecte non seulement les lois, les usages, les habitudes, mais même les préjugés des peuples dont il occupe le territoire. Il laisse au temps, à la raison, à l’instruction, à opérer les changements que la philosophie, les lumières du siècle ont préparés, et dont l’application devient chaque jour plus prochaine. […] Le but que nous nous proposons est de faire connaître l’Égypte […] à la France et à l’Europe […]. »
[54] Ibid., 7 : « […] Aujourd’hui tout est changé : maîtres de la totalité de l’Égypte, il nous est facile d’en examiner les mœurs, les usages, de connaître de la manière la plus précise la nature du climat, la qualité des productions territoriales, l’état actuel de l’agriculture, les améliorations dont elle est susceptible; nous pouvons avec sûreté aller visiter les monumens anciens, observer avec soin les merveilles, les singularités de la nature. Ainsi seront rectifiées les erreurs de l’ignorance, les exagérations de l’enthousiasme. »
[55] Michel DEWACHTER, « Denon, Champollion et le Louvre« , Les vies de Dominique Vivant Denon, Paris, Louvre, 2001, tome 2, 576.
[56] Yves LAISSUS, « Les « savants » et leurs travaux », dans J.-M. HUMBERT (dir.), Bonaparte et l’Égypte. Feu et lumières, op. cit., 189 : « […] Les cheikhs et les ulémas visitent volontiers la bibliothèque de l’Institut d’Égypte et l’Imprimerie nationale du Caire, mais Berthollet s’efforce en vain de les intéresser à ses expériences chimiques et la musique occidentale les laisse de marbre. […]. »
[57] P. STRATHERN, Napoleon in Egypt, op. cit., 201 : « El-Djabarti goes on to describe how the French had « many Moslem books which had been translated into their language », including the Koran, and how some were « learning verses of the Koran by heart ». He also observed how « they applied themselves night and day to learn the Arabic language ». […]. »
[58] Patrice BRET, « Un autre retour d’Égypte : du Caire à Paris, l’ouverture de la France à la culture du monde arabe », dans J.-M. HUMBERT (dir.), Bonaparte et l’Égypte. Feu et lumières, op.cit., 196.