Dara Goldstein et Kathrin Merkle, Cultures Culinaires d’Europe; Identités, diversités et dialogue.

Amélie Masson-Labonté
Université de Sherbrooke

 

D’emblée, on peut dire que Cultures Culinaires d’Europe est le résultat d’un pari réussi : présenter quarante pays à travers leurs traditions alimentaires. Il s’agit d’un ouvrage d’ethnologie et d’histoire culturelle produit par le Conseil de l’Europe pour fêter le 50e anniversaire de la Convention culturelle européenne. Considérées comme éléments à part entière du patrimoine culturel européen, les traditions culinaires sont aussi, selon les auteurs, un moyen de promouvoir le dialogue entre les cultures. 

Ce livre démontre avec éloquence que l’identité des peuples ne peut être interprétée uniquement en fonction de l’histoire militaire ou politique. Cultures Culinaires d’Europe permet de saisir les identités européennes à travers un autre prisme : celui des peuples dans leur vie quotidienne. Les auteurs font une large place à la géographie, au climat et aux cultures dans les traditions culinaires, mais aussi aux fêtes, mariages, baptêmes et funérailles, qui font le lien entre alimentation et rites de vie. Les superstitions, contes et légendes y sont également présents. Ainsi, les fruits sont synonymes d’abondance en Bulgarie, le pain accroché au cou des enfants éloigne le mauvais sort en Arménie et le feu servant à la cuisson des aliments est toujours adoré en Azerbaïdjan, marqué par le zoroastrisme.

Cet ouvrage a la grande qualité (et le défaut parfois) de donner une vue d’ensemble du continent européen. Cela permet de découvrir des coutumes alimentaires étendues au-delà des frontières et déterminées par la géographie ou l’influence de civilisations éteintes. En Géorgie, par exemple, les habitants continuent de suivre des rituels datant d’avant l’apparition du christianisme dans le Caucase tandis que certains plats traditionnels croates sont préparés depuis les époques romaine et byzantine. La vue d’ensemble du continent européen permet également de suivre la propagation de nouveaux produits entre pays limitrophes, comme la diffusion des épices d’Est en Ouest de l’Europe ou celle des produits américains parcourant le chemin opposé, du Portugal à la Turquie.  

Dans l’ensemble, les quarante articles donnent une double impression : celle à la fois de la différence et de l’uniformité. En effet, si chaque pays assume avec fierté ses particularités, l’Europe entière semble, à quelques années près, avoir connu les mêmes transformations dans ses pratiques culinaires. Comme le souligne Else-Marie Boyhus, l’auteure de l’article sur le Danemark, trois phases majeures ont marqué l’histoire alimentaire de son pays (et de l’Europe), soit la période traditionnelle avant 1850, l’apparition d’une certaine modernité entre 1850 et 1950, puis la mondialisation. La période traditionnelle est marquée un peu partout par une alimentation locale, de subsistance et dépendante des saisons. L’apparition de la cuisinière au bois, qui permet de cuire plusieurs plats en même temps, ainsi que celle du moulin à viande semblent avoir permis au repas traditionnel, composé de bouilli ou de soupe, d’évoluer vers les menus complexifiés de l’ère culinaire moderne. Finalement, la mondialisation s’exprime partout, de la Finlande à l’Allemagne, par l’accélération du rythme de vie, l’abondance de produits exotiques, l’apparition des supermarchés, des fast food, de la cuisine surgelée et de la génération pizza (les moins de 25 ans).

La grande qualité de cet ouvrage, soit la vue d’ensemble qu’il propose, devient à la longue son défaut  en raison des trop nombreuses répétitions ainsi engendrées. Cela aurait pu être évité par une histoire culinaire de l’Europe par thèmes ou par périodes, mais la formule par articles ne s’y prête pas vraiment. Cet ouvrage lu dans son intégralité est donc intéressant, mais répétitif. Heureusement, il semble également conçu, avec sa présentation par pays en ordre alphabétique, comme un ouvrage de référence. Il est de ce fait possible de consulter individuellement un seul ou quelques-uns de ses articles, selon le besoin.

En conclusion, il s’agit d’un ouvrage à la fois pertinent et ludique. Les deux directrices et les quarante auteurs, qu’ils soient anthropologues, journalistes, historiens, ethnologues, écrivains ou universitaires, sont, chacun dans leurs pays respectifs, des sommités dans le domaine des traditions culinaires. Toutefois, ils sont aussi les enfants de leur terre et c’est pourquoi ils évoquent avec une joie subjective les goûts et les saveurs de leur terroir…

Références