L’espace policier: le territoire d’influence du commissaire Charles Convers Desormeaux en 1775

Émélie Beaulieu
Candidate à la maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke

Biographie: Étudiante à la maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke, je me spécialise dans l’étude des commissaires de police parisiens de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Je prépare un mémoire sous la direction de la Pre Sophie Abdela qui s’intitule : « Être commissaire à Paris : entre répression et médiation (1762-1775) ».

Résumé: Le concept de « police » est intimement lié à la notion d’espace. D’abord associée à une gestion du territoire par la mise en place de services urbains, la police européenne s’inscrit davantage, vers la fin du XVIIe siècle, dans des fonctions de maintien de l’ordre pour poursuivre son évolution dans une perspective de prévention et de répression du crime. La dimension spatiale de la police s’affirme davantage au siècle des Lumières au fil des réformes que l’institution policière parisienne instaure pour légitimer ses actions. L’historiographie a surtout retenu le découpage géographique et la territorialisation des effectifs policiers afin de définir l’espace policier. Cette approche limite la notion d’espace à celui « attendu » par les réformes policières telles que le découpage de la ville de Paris en quartiers de police en 1702. Cependant, les archives des commissaires mettent en perspective la perméabilité entre ces quartiers et témoignent de la malléabilité des pratiques des acteurs policiers qui redessinent constamment les limites du territoire couvert. Ainsi, la définition de l’espace policier ne se limite pas à une zone définie sur une carte, mais se construit plutôt par la compréhension de l’étendue de l’influence des acteurs qui y œuvrent, notamment celle du commissaire. À travers les rapports du début de l’année 1775 du commissaire du quartier de la Place Maubert, Charles Convers Desormeaux, nous révélons les interactions qui façonnent l’étendue du territoire d’influence de ce magistrat. Cette brève incursion dans les archives policières met en lumière la pratique d’un commissaire qui agit au gré des sollicitations. Présent en son étude pour les recevoir, se transportant peu à l’extérieur, on peut s’étonner de l’étalement, bien au-delà du quartier qu’il doit « policer », du territoire couvert par le commissaire Convers Desormeaux. Bien que la lieutenance générale de police prône le choix du commissaire de son propre quartier, des relations dynamiques se développent et provoquent l’éloignement de l’influence du magistrat de son étude. D’une part, une relation privilégiée avec l’inspecteur Du Tronchet du bureau de la Sûreté semble favoriser le rayonnement de l’influence de Convers Desormeaux dans les secteurs limitrophes au quartier de la Place Maubert. D’autre part, des plaignants choisissent délibérément de recourir à la médiation de ce commissaire pour profiter de son éloignement de leur demeure. En somme, la territorialisation des effectifs policiers mis en branle à Paris au début du XVIIIe siècle ne peut, à elle seule, assurer un contrôle sur la ville. Le maintien de l’ordre ne peut se saisir dans un cadre uniquement spatial. Les logiques qui animent un territoire tiennent compte de la proximité géographique, mais elles s’inscrivent aussi dans un contexte de réseaux associatifs que les commissaires ont su exploiter.

Mots-clés : Police; espace; commissaire; Charles Convers Desormeaux; Place Maubert; pratiques policières; territoire; influence.

 

Table des matières
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    Le concept de « police » est intimement lié à la notion d’espace[1]. Étymologiquement, le mot renvoie aux termes grecs polis, qui signifie « la cité », et politeia, qui est ce qui organise cette cité. D’abord associée à une gestion du territoire par la mise en place de services urbains, la police se construit autour de pratiques et de la structuration d’une institution organisationnelle. En Europe, vers la fin du XVIIe siècle, la police ne réfère plus seulement à l’organisation de l’espace, mais aussi à des fonctions de maintien de l’ordre et poursuit son évolution, jusqu’à nos jours, dans une perspective de prévention et de répression du crime[2].

    L’historiographie de la police d’Ancien Régime a mis en lumière la problématique d’une polysémie qui perdure autour du concept de « police »[3]. Dans sa dimension politique, elle est un outil de contrôle social qui sert au développement étatique et urbain[4]. Cependant, les études sur la criminalité[5] ont démontré une pluralité des pratiques ainsi qu’une diversité d’agents et de fonctions[6]. Dans les années 1990, l’historien du droit, Paolo Napoli, établit que ce sont justement les « mesures », les pratiques quotidiennes mises en place en adéquation avec les actions des justiciables, qui définissent la police. Cette thèse conceptualise une « pratique constitutive » qui confirme le passage d’un terme pour définir l’espace (polis) à un terme qui utilise et s’insère dans l’espace (« policer »). Cette conception ancre donc notre compréhension de l’espace policier dans l’étude des acteurs plutôt que de se limiter à celle de l’institution dont ils font partie[7].

    Au siècle des Lumières, la ville s’organise par des logiques fonctionnalistes[8] relatives aux interactions des collectivités et leur appropriation de l’espace urbain[9]. Le rapport dynamique qu’entretient la population avec la police est particulièrement influencé par la recherche du sentiment de sûreté auquel l’ancrage spatial des acteurs policiers participe[10]. Ainsi, l’espace policier est souvent résumé par la territorialisation des effectifs que les réformes européennes du XVIIIe siècle instaurent[11]. Cependant, la porosité des quartiers et la mobilité de la population ainsi que des agents de la police parisienne décelées dans les archives des commissaires au Châtelet[12] démontrent que la spatialisation du rôle policier n’est pas circonscrite géographiquement, mais plutôt par les interactions entretenues avec les justiciables[13].

    Ainsi, définir l’espace policier, c’est comprendre l’étendue de l’influence des acteurs. Notre étude s’appuie sur l’analyse des archives de Charles Convers Desormeaux, commissaire du quartier de la Place Maubert, afin d’établir le portrait du territoire d’influence de ce magistrat ainsi que de définir les caractéristiques de cet espace nous permettant même de le cartographier. Cet article présente donc les travaux très préliminaires d’un mémoire qui souhaite faire la lumière sur l’évolution des pratiques de Convers Desormeaux. À ce stade, seul le début de l’année 1775 a pu être traité, c’est-à-dire les mois de janvier à mars, ce qui représente 135 documents qui répertorient 112 événements touchant à toutes les fonctions du commissaire : policière, civile et criminelle. La courte sélection de ce corpus nous offre un cliché, un moment dans la vie d’un commissaire au Châtelet dans un contexte social influencé par des réformes policières et des pratiques ancrées dans une recherche de contrôle de l’espace urbain. Pour Paris, c’est une période relativement stable[14], quoiqu’à l’aube de la Guerre des Farines. Cet équilibre est particulièrement fragilisé par le ministère de Turgot et sa politique de libéralisation du commerce des grains[15]. Pour Charles Convers Desormeaux, il s’agit d’une période qui se situe en mi-carrière. Il est un commissaire établi et connu dans son quartier, car il y demeure depuis l’achat de sa charge en 1761.

    Ainsi, la définition du territoire d’influence du commissaire Convers Desormeaux se fera en deux temps. Dans un premier temps, nous contextualiserons l’ancrage urbain et spatial des pratiques des commissaires parisiens dans le cadre des réformes policières qui prennent forme au XVIIIe siècle afin de pouvoir y situer Charles Convers Desormeaux et son quartier. Dans un second temps, nous définirons l’étendue du territoire d’influence de Convers Desormeaux : d’abord en la cartographiant et ensuite en analysant les interactions qui s’y déroulent afin de définir ce qui détermine le rayon d’influence directe de Convers Desormeaux. Cette étude devient donc un point de départ pour, à la fois, déterminer comment se dessine l’espace policier d’un commissaire et proposer des pistes d’investigations pour affiner la compréhension des logiques qui y agissent.

     

    Ancrage urbain des pratiques policières

    Le XVIIIe siècle est marqué par une recherche d’autonomie et de professionnalisation de l’institution policière parisienne. Un discours spécifique à la dimension urbaine du rôle policier est véhiculé dans les nombreux mémoires écrits à cette époque ainsi que dans les circulaires et pamphlets dédiés aux commissaires et leurs collègues[16]. La matérialisation de ce discours s’orchestre autour de la « revendication de l’espace » comme l’explique Clive Emsley : celui qui revendique devient celui qui contrôle[17]. Ainsi, responsable du maintien de l’ordre, la police tente d’augmenter son efficacité en « enserrant la population »[18]  dans un espace sur lequel elle a la mainmise.

    En 1702, la revendication policière de l’espace urbain s’organise avec la division de la ville en vingt quartiers qui se superposent sur les anciennes structures municipales[19]. On tente de remédier aux difficultés relatives à l’étendue inéquitable des anciens quartiers[20]. Cependant, ce n’est pas une mince tâche que de proposer un découpage qui doit « s’adapter à un tracé urbain hérité des temps médiévaux peu préoccupés de régularité des rues. »[21] L’obtention d’un découpage proportionnel entre l’étendue territoriale et la densité populationnelle est plus complexe[22]. Une volonté de proposer un espace respectant un certain ratio espace/habitants favorise le découpage suivant.

    Ce découpage urbain est une façon de « penser » la ville, de la comprendre et n’est, comme l’écrit Vincent Milliot, « envisageable qu’avec une vision générale et savante de la ville, abstraite et détachée d’un “espace vécu” tissé de relations inter-personnelles. »[23] La vision du lieutenant général de police, devenu l’orchestrateur de la répartition des effectifs policiers dans ces divers quartiers (48 commissaires répartis dans 20 quartiers), définit ainsi le contrôle policier tant recherché[24].

    Pour assurer l’efficacité de ce système, le quadrillage seul de la ville ne suffit pas, l’espace policier doit être investi et partagé. Les agents de la police doivent être présents, accessibles et agir en transparence. La territorialisation des effectifs ne donne aucune légitimité au maintien de l’ordre par la police si elle ne s’inscrit pas en adéquation avec les structures internes et fonctionnelles intrinsèques d’un quartier[25].

     

    L’enracinement dans le quartier

    En 1688, les règlements de la communauté des commissaires au Châtelet établissent que les commissaires doivent privilégier les interventions dans leur quartier, ce que les réformes policières du siècle suivant vont réitérer et même publiciser auprès de la population[26]. L’hôtel des commissaires sert à la fois d’étude et de résidence. Il se situe dans le quartier pour faciliter l’accès à la population en plus de favoriser la connaissance du milieu et l’insertion du magistrat dans les différents réseaux. De plus, la professionnalisation de la police au XVIIIe siècle amène une normalisation du rôle administratif policier. L’objectif recherché derrière cette augmentation de la charge cléricale est la connaissance de l’espace urbain par l’enregistrement des habitants, des migrants et des lieux[27]. Les commissaires deviennent donc les yeux des lieutenants dans le quartier dont ils ont la charge.

     

    Investir l’espace

    Tout au long du siècle des Lumières, les commissaires au Châtelet cumulent trois catégories de fonctions : policières, civiles et criminelles. Les premières sont les plus anciennes et celles qui concernent principalement la gestion de l’espace. Elles comprennent les activités de surveillance et d’entretien du quartier relativement[28] ainsi que tout ce qui a trait à l’application d’ordonnances et de règlements de police concernant la sûreté et la surveillance des lieux dangereux. Également, le commissaire possède un rôle de magistrat de première instance qui l’amène à traiter des affaires d’ordres civil et criminel[29] à la demande de justiciables ou encore selon les ordonnances reçues. Ces affaires sont habituellement traitées dans son hôtel, mais l’obligent aussi à se transporter en différents lieux, même en dehors de son quartier.

    Chaque quartier est organisé selon une certaine hiérarchie. Deux ou trois commissaires se partagent le territoire à couvrir pour effectuer les tâches énumérées précédemment. Un « ancien »[30] choisi par le lieutenant général de police agit à titre d’intermédiaire principal avec celui-ci en plus de coordonner les activités des autres commissaires du même quartier. De plus, les commissaires coordonnent leurs activités avec d’autres acteurs tels que les inspecteurs et les différents corps de garde ainsi que les mouches[31]. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, plusieurs spécialisations,  liées à la répression de crimes comme la librairie, la religion, les mœurs sont créées par l’institutionnalisation policière[32]. Ces responsabilités supplémentaires ne sont pas circonscrites à un endroit précis dans la ville et amènent régulièrement les commissaires spécialisés en dehors de leur quartier. Ainsi, l’institution parisienne semble avoir trouvé, avec cette territorialisation jumelée à une hiérarchisation des responsabilités, la formule pour maintenir les Parisiens « sous le joug de la subordination et de l’obéissance nécessaires pour les gouverner »[33].

     

    Convers Desormeaux et la Place Maubert en 1775

    Charles Convers Desormeaux commence sa carrière de commissaire en septembre 1761 dans le quartier de la Place Maubert et y restera trente-deux ans. Il partage sa tâche avec le commissaire Lemaire qui a été promu ancien en 1758. Convers Desormeaux, quant à lui, le sera en 1781 après dix-neuf années de service. En 1775, l’année qui nous intéresse, le duo est toujours en place. Convers Desormeaux est un commissaire enraciné dans son milieu après treize ans de présence ininterrompue. Son hôtel, qu’il a acquis de son prédécesseur, donc déjà connu de tous, est situé à l’entrée nord du quartier sur la place qui a donné son nom à celui-ci. Tout près de celle-ci, sur la rue de la montagne Sainte-Geneviève, se trouve son collègue, le commissaire Lemaire[34].

    Selon Milliot, le quartier de la Place Maubert est à la fois un lieu de promotion des commissaires méritants aux yeux du lieutenant général de police et de formation pour les débutants[35]. Le duo Lemaire-Convers Desormeaux semble confirmer ce constat. Après le départ de son collègue, Convers Desormeaux prendra sa place pour former une relève dans ce quartier ayant plutôt mauvaise réputation. Le secteur est reconnu pour présenter le deuxième plus grand marché de la ville, mais aussi pour y retrouver plusieurs auberges et boutiques de marchands ou « débitants » de boissons[36]. Ces endroits sont souvent le théâtre de comportements répréhensibles, comme des rixes, qui peuvent expliquer la réputation du quartier d’être un environnement violent et dangereux[37].

    Ce qui inquiète davantage la population est que le quartier de la Place Maubert est un espace où transigent beaucoup de migrants[38], car il est limitrophe aux frontières de la ville. Ces migrations qui augmentent considérablement la part d’inconnu dérangent. Particulièrement dans une période où la police est en quête de transparence et de connaissance afin d’assurer son contrôle sur la ville[39]. Christian Romon a démontré que, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la police parisienne intensifie ses pratiques répressives envers les mendiants et les vagabonds[40].

    Depuis l’ordonnance de 1670, la mendicité est reconnue comme un crime que les commissaires doivent réprimer dans le cadre de leur fonction de police[41]. Certains reçoivent le mandat d’y accorder plus d’attention en travaillant en étroite collaboration avec les inspecteurs du département de la Sûreté[42]. Convers Desormeaux ferait partie de ces élus au tournant des années 1770[43]. Pourtant au début de l’année 1775, les captures de mendiants représentent seulement 7 % de ses activités. Ainsi, à ce moment de notre étude, nous pouvons confirmer que Convers Desormeaux, comme tous ses collègues, faisait respecter les ordonnances sur la mendicité, sans affirmer que cette tâche prévalait sur ses fonctions régulières. Il est aussi plausible qu’il ait fait partie d’une équipe de plusieurs commissaires qui avaient pour tâche de s’intéresser davantage à la sûreté[44] ou encore qu’il fût le commissaire qui venait en aide aux inspecteurs chargés de cette tâche lorsqu’elle s’effectuait dans son quartier[45]. Cependant, seule une analyse détaillée des activités de Convers Desormeaux permettra de confirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses et surtout de contextualiser le rapport à l’espace qu’entretient le commissaire à travers sa pratique[46].

     

    Pratiques policières : entre investissement et revendication de l’espace

    Les lieutenants généraux de la seconde moitié du XVIIIe siècle, Sartine et Lenoir en tête, sont les grands instigateurs d’une politique d’occupation policière de l’espace dont la réussite tient à la reconnaissance des caractéristiques des différents quartiers et à la capacité de s’y adapter[47]. Cette tâche relève des acteurs présents sur le terrain, ceux qui partagent leur quotidien avec la population. Les commissaires, bien entendu, en tant que premiers contacts pour la population avec le monde judiciaire, mais aussi, plusieurs autres acteurs intermédiaires tels que les inspecteurs et les différents corps de garde, qui aident les magistrats à investir et surtout revendiquer l’espace urbain par leur présence visible.

    En tant que commissaire, Charles Convers Desormeaux a de nombreuses tâches à accomplir quotidiennement qui l’amènent à recevoir chez lui ou à se déplacer. Il doit être disponible à toute heure du jour et de la nuit pour recevoir plaignants et ordonnances qui déterminent les activités qu’il doit entreprendre[48]. Afin d’avoir un regard global sur sa pratique, nous avons divisé ses activités en trois catégories : la réception des plaintes et déclarations, les transports civils ainsi qu’ordonnés à des fins judiciaires et la répression policière[49]. L’accueil des plaignants dans son étude semble être ce qui accapare davantage le temps de Convers Desormeaux. Les plaintes et déclarations représentent la moitié de ses activités[50] (52 %) alors que les deux autres catégories représentent chacune le quart (24 %). De prime abord, Convers Desormeaux semble diviser équitablement son temps entre se rendre disponible à l’intérieur des murs de son étude et se rendre visible dans la ville. Son investissement physique de l’espace est, lui aussi, partagé : entre un rôle civil qui répond aux demandes des justiciables et des activités répressives de maintien de l’ordre. Ce rapport entre ses fonctions produit l’image d’un commissaire dont la revendication du territoire oscille entre médiation et répression au gré des situations qui se présentent.

     

    Activité Dénombrement Rapport
    Plaintes et déclaration 58 51,49$
    Transports (inclut scellés) 27 24,11%
    Répression (inclut mendicité) 27 24,11%
    Total  112 100%
    Rapport global des activités de Convers Desormeaux de janvier à mars 1775

     

    Comme mentionné précédemment, en ce qui a trait à sa possible spécialisation dans la répression de la mendicité, notre analyse de la pratique globale de Convers Desormeaux ne nous permet pas de confirmer ce que plusieurs historiens ont avancé ni de l’infirmer. Ces constats nous permettent surtout de supposer que le début de l’année 1775 ne présente pas une période où ce rôle accapare le magistrat. Effectivement, il se peut qu’en saison hivernale le Convers Desormeaux soit plus indulgent ou alors que d’autres institutions, religieuses par exemple, aient pris les mendiants en charge. Cependant, il semble effectivement devenir un acteur plus impliqué dans ce domaine[51].

     

    Un commissaire présent et disponible

    Le chroniqueur Louis-Sébastien Mercier a beaucoup critiqué les commissaires de police au Châtelet de Paris. Il leur reprochait, entre autres, un absentéisme notoire prétextant que ces magistrats préfèrent les transports civils comme les appositions de scellés qui sont plus lucratifs que leurs fonctions criminelles et policières[52]. Une situation déjà décriée au XVIe siècle et qui ne semble pas s’améliorer à la fin de l’Ancien Régime. En effet, David Garrioch soutient qu’il s’agit d’une période où les commissaires au Châtelet semblent user de leur charge dans une recherche d’enrichissement et d’embourgeoisement[53]. Cependant, Justine Berlière démontre plutôt que cette situation diffère en fonction des commissaires et de leur caractère individuel[54]. De fait, le moment dans la carrière et le contexte social sont des déterminants importants des choix de pratiques qu’il est nécessaire de prendre en compte relativement à l’absentéisme de ces magistrats[55].

     Les archives de Convers Desormeaux nous permettent d’analyser sa présence en son étude et la disponibilité qu’il démontre. En moyenne, le magistrat exécute environ quarante-quatre actes par mois[56]. Cela représente plus d’un acte par jour. Cela semble peu, mais l’assiduité du magistrat ne peut être déterminée que par la quantité de documents. Certains de ces rapports peuvent contenir des dizaines de pages contre une seule pour d’autres. De plus, la pratique du commissaire répond aussi aux demandes des justiciables et des lieutenants au Châtelet. Il est donc normal que plusieurs dates ne rapportent aucun document alors que d’autres en comptabilisent une grande quantité[57]. Comparativement aux données de Berlière sur les commissaires du quartier du Louvre, Convers Desormeaux démontrerait l’engagement d’un généraliste[58]. Une conclusion très plausible considérant que c’est son collègue, Lemaire, qui a le rôle « d’ancien » du quartier. Donc, il semblerait qu’en début de l’année 1775 le commissaire Convers Desormeaux réponde aux besoins généraux de la population de son quartier. Ce que l’absence de trace de plainte d’absentéisme pour cette période semble corroborer[59].

     

    Activité Dénombrement Rapport
    Scellés 5 18,52%
    Mendicité 8 7,14%
    Transports + captures de mendiants 35 31,25%
    Total des activités 112  
    Déplacements du commissaire Convers Desormeaux de janvier à mars 1775

     

    Également, puisque les déplacements hors de son hôtel ne représentent que 31 % de ses activités, nous pouvons considérer que Convers Desormeaux est relativement présent dans son étude pour recevoir les justiciables qui demandent sa médiation. D’ailleurs, relativement aux critiques de Mercier sur la préférence pour les fonctions lucratives des commissaires, dans le cas de Convers Desormeaux, les transports pour scellés après décès représentent seulement 19 % de ses déplacements. Donc, en matière d’investissement de l’espace urbain, les rapports d’activités du magistrat semblent démontrer que ses tâches le confinent davantage dans son étude. Ce qui confirme l’idée d’un magistrat disponible et, qui plus est, accessible. Cette accessibilité est-elle alors suffisante pour imprimer une influence sur le quartier?

     

    Entre influence personnelle et revendication de l’espace policier 

    Au premier regard, la prépondérance dans la pratique de Charles Convers Desormeaux des rapports de plaintes et déclarations peut induire qu’il s’agit d’un commissaire qui jouit d’une bonne réputation et qu’il privilégie son rôle de médiateur envers les justiciables. Cependant, cela démontre d’abord un portrait représentatif d’une transformation dans la régulation des conflits qui se produit dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Effectivement, pendant longtemps la population parisienne préférait une autorégulation des contentieux. Après 1750, elle se tourne davantage vers la police[60]. Cette adhésion, comme l’explique Nicolas Vidoni, fait « écho à la pédagogie policière » que les réformes ont martelée auprès de la population[61]. Donc, il est, en quelque sorte, attendu de voir autant de recours à Convers Desormeaux. En ce qui a trait à sa réputation, il est difficile de déterminer si c’est pour cette raison qu’on se dirige vers son étude. Par exemple, les rapports de déclaration contiennent habituellement des plaintes rendues par les justiciables au commissaire. À la différence des documents intitulés « plainte », ces rapports découlent d’un premier recours à un intermédiaire, souvent un inspecteur de police, qui amène le plaignant chez le commissaire[62]. Le choix du commissaire est donc imposé par cet intermédiaire[63]. Particulièrement, dans le cas de flagrants délits ou de disputes qui dégénèrent durant la nuit.

     « est comparu François Boishue sergent de la garde de Paris de poste à Maubert lequel nous a dit qu’à la [requête] d’un particulier il vient de se transporter rue des Fosses St Victor et y a arrêté un tailleur de pierres qui lui a dit l’avoir maltraité luy et sa femme qui est [en couche] et qu’il l’a conduit pardevant nous »[64].

    Cet exemple démontre que, dans ces situations, le guet est d’abord appelé à l’aide et, une fois les esprits calmés, ce dernier se présente devant le commissaire avec les plaignants, les témoins et les responsables, s’il a réussi à arrêter ces derniers. Dans ce cas, le choix du commissaire dépend souvent de la proximité du lieu de l’événement. Aussi, les lieutenants au Châtelet[65] ordonnent aux commissaires d’exécuter certaines actions. Parfois, ces activités suivent des plaintes déjà déposées auprès du commissaire sélectionné. D’autres fois, c’est le lieutenant qui choisit le magistrat relativement à son affectation spatiale ou sa spécialisation. Ainsi, en comparant les actes rédigés à la demande des justiciables et ceux qui ont nécessité l’implication d’un intermédiaire, nous pouvons affirmer que la population a recours directement à Convers Desormeaux dans 41 % des cas.

    Donc, il semble que, pour la majorité de sa pratique, les actions de ce magistrat découlent d’une action policière intermédiaire. Comment cela affecte-t-il l’influence de Convers Desormeaux sur l’espace qu’il doit contrôler?

     

    Activités Dénombrement Rapport
    Justiciables 46 41,07 %
    Police (intermédiaire + ordonnances) 99 58,93 %
    Total des activités 112 100 %
     Initiateurs des actions de Convers Desormeaux de janvier à mars 1775

     

    Si nous considérons que le découpage et le quadrillage en quartiers de police ont permis à l’institution policière de revendiquer l’espace urbain, ce sont par contre les actions intermédiaires qui déterminent l’efficacité de la territorialisation policière[66]. Effectivement, c’est la juxtaposition des différents acteurs policiers et de leurs initiatives respectives qui investissent le territoire. La multiplication des agents donne aux yeux des justiciables l’impression d’une police omniprésente. Ainsi, ces médiations intermédiaires participent à la définition du territoire d’influence du commissaire Convers Desormeaux en faisant de leurs actions une extrapolation de l’autorité du magistrat. Cependant, cette influence peut aussi être à double tranchant, car pour de nombreuses raisons elle peut être négative. Les inspecteurs ont leur propre pouvoir arbitraire et peuvent choisir d’éviter Convers Desormeaux ou de lui amener des justiciables plus difficiles. Encore un autre aspect qui mérite d’être approfondi par une étude plus détaillée de nos sources et que la cartographie des activités du magistrat nous permettra de mieux définir.

     

    Étendue du territoire de Charles Convers Desormeaux

    En étudiant dans leur dimension spatiale les déterminants de la pratique des commissaires présentés dans la partie précédente, nous arrivons à évaluer l’étendue de l’influence territoriale de Convers Desormeaux, mais aussi à soulever des pistes de réflexion sur l’influence réciproque qui existe entre l’espace et les actions du magistrat. La manière dont il investit son territoire nous renseigne sur son style policier et met en lumière sa revendication individuelle de l’espace policier.

     

    Une pratique à proximité de son hôtel

    Lorsque nous localisons les activités de Charles Convers Desormeaux sur une carte des quartiers de Paris, nous observons que son action déborde de son quartier. Elle s’étend sur les deux rives de la Seine et sur plus des trois quarts de la ville à l’exception de quatre quartiers (Louvre, Palais-Royal, Montmartre et Les Halles). La carte suivante cartographie les activités, toutes fonctions confondues, de Convers Desormeaux. Les nuances de couleur déterminent la densité des actions du magistrat par quartier : plus un quartier est foncé, plus on y retrouve une concentration d’activités.

     

    Globalement, près de la moitié de ses activités (44,6 %) transporte Convers Desormeaux hors du quartier de la Place Maubert ou lui amène des plaignants qui habitent à l’extérieur de celui-ci. Par contre, en considérant que son hôtel se situe à l’extrémité nord du quartier et à la frontière de celui-ci, il est pertinent de s’intéresser aux activités réalisées dans les quartiers limitrophes, car la proximité de l’étude du commissaire d’un événement ou d’un plaignant est un élément qui influence le choix d’un magistrat. Ainsi, l’ajout des actions se situant dans les quartiers Saint-Benoît, Saint-André-des-Arts et de la Cité[67] augmente à 75 % la proportion des activités de Convers Desormeaux dans les environs de son étude. Ce rapport dépeint alors le portrait d’un commissaire dont la pratique demeure à proximité de son hôtel. Un constat confirmé par sa présence majoritaire en ces lieux.

     

      Quartier de la place Maubert     Hors quartier  
    Activités Dénombrement Rapport Activités Dénombrement Rapport
    Plaintes et déclarations 30 51,72% Plaintes et déclarations 28 48,28%
    Transports 17 62,96% Transports 10 37,04%
    Répression 15 55,56% Répression 16 44,44%
    Total des activités 62 55,36% Total des activités 50 44,64%
    Comparatif des actions du quartier et hors quartier de Convers Desormeaux de janvier à mars 1775




      Place Maubert + périphérie     Hors quartier – périphérie  
    Activités Dénombrement Rapport Activités Dénombrement Rapport
    Plaintes et déclarations 40 68,97% Plaintes et déclarations 18 31,03%
    Transports 23 85,19% Transports 4 14,81%
    Répression 21 77,78% Répression 6 22,22%
    Total des activités 84 75% Total des activités 28 25%
    Comparatif rayon d’influence directe et hors quartier de Convers Desormeaux de janvier à mars 1775

     

     De plus, la très grande majorité de ses transports (85 %) s’effectuent dans le territoire du quartier de la Place Maubert et sa périphérie. Ainsi, cela semble décrire, à nouveau, un commissaire plutôt généraliste qui tend à rester dans son quartier accaparé par les demandes des justiciables à proximité et soumis aux ordonnances qui le confinent particulièrement dans cet espace[68]. Puisque les déplacements des commissaires les font connaître en dehors de leur quartier et peuvent favoriser l’apport de clientèle[69], ce manque de mobilité chez Convers Desormeaux signifierait-il qu’il possède un rayon d’influence limité?

     

    Charles Convers Desormeaux s’éloigne de son quartier

    Au premier regard, aucun déploiement logique ne semble se dessiner de l’observation de la carte de répartition de ses activités. Le commissaire Convers Desormeaux agit hors de son quartier dans le cadre de toutes ses fonctions. En incluant la périphérie au quartier de la Place Maubert pour définir le « rayon d’influence directe du commissaire », la rive gauche semble privilégiée, mais aucun patron concentrique à partir de l’hôtel de Convers Desormeaux ne semble apparaître[70]. Cette conclusion est comparable à celles de Berlière sur les commissaires du quartier du Louvre qui démontrent que l’influence des commissaires Cadot et Chénon se développe plutôt le long des rues les plus animées et non suivant une logique géographique[71], un constat qu’il nous faudra creuser davantage. De fait, l’emploi d’un niveau de carte plus affiné qui présente les rues ou encore les paroisses nous permettrait peut-être de révéler une tendance géographique plus précise.

    Les déplacements qui rendent Charles Convers Desormeaux visible aux justiciables des quartiers éloignés de la périphérie de son hôtel sont d’ordres variés. Il se transporte pour quelques affaires civiles comme des scellés après décès, mais ce sont surtout des ordonnances relativement à des affaires criminelles comme des perquisitions et ses fonctions répressives, qui l’amènent hors de son quartier. C’est particulièrement dans ce cadre que se précise une possible spécialisation dans la répression de la mendicité. 75 % de ces activités ont lieu en dehors du quartier. Cependant, lorsque la périphérie est incluse dans le rayon d’influence directe du commissaire, le rapport diminue à 50 %. Néanmoins, ce sont les captures de mendiants qui participent particulièrement à l’extension du territoire policier de Convers Desormeaux dans Paris et même hors de celui-ci. Comme dans l’exemple suivant qui l’amène au-delà du faubourg Saint-Jacques qui se situe à l’extrémité sud de la ville au XVIIIe siècle. La mention « hors le faubourg » signifie que le déplacement a dépassé les limites urbaines.

    « nous sommes transportés accompagnés de sieur Nicolas Vincent Boisset Du Tronchet conseiller du roy inspecteur de police en plusieurs quartiers de cette ville chez différents logeurs aubergistes, débitants de bierre et eau de vie et autres endroits où se tiennent et retirent ordinairement des mendiants, et par l’événement des marches et recherches par nous faites ont été arrêtés par ledit sieur Du Tronchet ; neuf particuliers suspects, vagabonds sans aveu et connus par les observateurs dudit sieur Du Tronchet pour mendier journellement dans Paris ; et trouvés couchés dans des bergeries chez Etienne De Brenne dit [Sulpice] berger demeurant à Montsouris hors le Faubourg St Jacques »[72].

    Un traitement beaucoup plus large des archives de Convers Desormeaux nous permettra de valider son rôle dans la répression de la mendicité. À ce moment, nous pouvons seulement confirmer qu’il participe à l’équipe de Du Tronchet inspecteur de la Sûreté, car tous les procès-verbaux de capture de mendiants sont faits en sa compagnie. Nous pouvons supposer qu’il supporte ou remplace son collègue Lemaire qui jouait ce rôle dans la décennie précédente[73].

     

    Une relation professionnelle influente sur la pratique de Convers Desormeaux

    Au début 1775, le commissaire Convers Desormeaux sort donc peu en personne de son rayon direct d’influence, mais beaucoup d’affaires provenant de l’extérieur viennent à lui. Son rôle dans la répression de la mendicité et le rapport global présenté précédemment sur l’importance des intermédiaires policiers qui influencent la pratique de Convers Desormeaux nous permettent de supposer que ce sont ses partenariats et les ordonnances reçues qui poussent l’expansion du territoire d’influence du magistrat. Effectivement, même à un stade très préliminaire de nos recherches, nous constatons l’existence d’une relation professionnelle à analyser entre Convers Desormeaux et l’inspecteur Du Tronchet. Si dans le quartier de la Place Maubert l’inspecteur Du Tronchet n’est responsable que de la moitié des actions policières intermédiaires, son influence augmente considérablement en dehors. Il est l’intermédiaire policier de toutes les demandes d’actions qui se déroulent en périphérie et de 90 % de celles hors du rayon d’influence établi.

     

      Global Place Maubert Périphérie Hors rayon d’influence
    Intervention de Du Tronchet 42 17 12 9
    Total des actions incluant un intermédiaire 59 34 12 10
    Rapport 71,19% 50% 100% 90%
    Influence de Du Tronchet sur la pratique de Convers Desormeaux de janvier à mars 1775

     

    Dans sa thèse, Rachel Couture explique qu’il existe une relation professionnelle de réciprocité entre les commissaires et les inspecteurs. Ces derniers, tel que mentionné précédemment, doivent, lorsqu’ils sont interpellés, rediriger les plaignants vers un commissaire, mais celui-ci doit aussi faire parvenir les déclarations qui relèvent de la Sûreté à l’inspecteur dédié à ce département[74]. À l’instar des commissaires, les inspecteurs sont associés à un quartier précis. Pourtant, selon l’Almanach royal, Du Tronchet est en poste dans le quartier Saint-André-des-Arts depuis 1766. Cependant, en 1775, il est, avec l’inspecteur Beaumont, responsable de la Sûreté de toute la rive gauche[75] ce qui explique ce débordement de son quartier, mais pas le fait qu’il semble favoriser Convers Desormeaux même dans des cas hors du quartier de la Place Maubert. Peut-être est-ce là un indice d’une possible spécialisation. Indéniablement, l’inspecteur Du Tronchet participe grandement à favoriser le recours au commissaire Convers Desormeaux en dehors du quartier attribué à ce dernier. Cependant, malgré cet ascendant considérable, l’inspecteur n’est pas ce qui fournit le plus de travail provenant de l’extérieur du quartier.

    Encore plus notable est le fait que, contrairement au portrait général qui montrait une prédominance de l’apport des intermédiaires policiers dans le recours à Convers Desormeaux[76], plus on s’éloigne du quartier de la Place Maubert et plus la tendance s’inverse. Si on considère l’activité hors quartier, le recours direct des justiciables à Convers Desormeaux devient équivalent à ceux qui incluent un intermédiaire, et si on s’éloigne au-delà de la périphérie, 57 % des actions du commissaire répondent à une requête directe des justiciables.

     

      Ville Place Maubert Hors quartier Place Maubert + périphérie Hors quartier – périphérie
    Actions avec intermédiaires policiers 66 (58,93%) 38 (61,29%) 25 (50%) 51 (60,71%) 12 (42,86%)
    Actions à la demande des Justiciables 46 (41,07%) 24 (38,71%) 25 (50%) 33 (39,29%) 16 (57,14%)
    Total 112 (100%) 62 (100%) 50 (100%) 84 (100%) 28 (100%)
    Rapports entre activités incluant un intermédiaire policier et celles à la demande des justiciables

     

    De toutes ses actions hors quartier-périphérie, les plaintes et déclarations sont ce qui retient davantage l’attention de Convers Desormeaux. Elles représentent les deux tiers de sa pratique globale dans cette zone et, à elles seules, 31 % de toutes les plaintes et déclarations faites au commissaire. Ainsi, une proportion considérable des justiciables qui choisissent Convers Desormeaux préfèrent se déplacer plutôt que de requérir le commissaire à proximité de leur résidence. Cette tendance nécessite qu’on s’y intéresse plus en détail.

     

    Choisir Charles Convers Desormeaux : les plaignants

    Pourquoi certains plaignants choisissent-ils d’aller vers Charles Convers Desormeaux alors qu’ils n’habitent pas dans le quartier de la Place Maubert ou même en périphérie? Ce choix est pratiquement toujours délibéré et les raisons varient en fonction de la situation que l’on souhaite dénoncer ou fuir[77]. Comprendre ce choix permet d’apporter le dernier élément qui détermine l’efficacité d’un commissaire pour investir l’espace policier. Deux catégories de situations favorisant le recours à Convers Desormeaux par des plaignants hors quartier semblent se dessiner dans notre traitement préliminaire. Une première qui démontre un autre aspect du choix du commissaire en fonction de son enracinement dans son quartier et une seconde qui propose l’existence d’un ou plusieurs processus d’intégration du rôle policier du commissaire dans des réseaux.

     

    Préférence déterminée par la territorialité policière

    Dans les plaintes provenant de plaignants qui habitent en dehors du quartier de la Place Maubert que nous avons traitées, plusieurs situations nous permettent de supposer que le choix de Convers Desormeaux est un choix logique imposé non par préférence, mais par proximité. Par exemple, Antoine Maugy est jardinier d’un château au grand Montrouge où il demeure. Après une altercation avec le charretier Boulogne alors qu’il était de passage rues de Seine et Saint-Victor dans le quartier de la Place Maubert, il décide d’aller porter plainte au commissaire Convers Desormeaux. Malgré que l’incident se soit produit le vendredi, il décide de porter plainte le dimanche suivant[78]. Nous pouvons supposer qu’étant employé et que l’altercation ayant eu lieu alors qu’il travaillait, il aura attendu un moment de congé pour entreprendre ses démarches, mais il choisit tout de même de retourner dans le quartier où a eu lieu l’événement. Par contre, il faut aussi prendre en considération que, malgré que Maugy habite hors de Paris, sa résidence est située au sud du quartier de la Place Maubert. Donc, cet événement pourrait être considéré limitrophe au quartier et Maugy répondrait simplement à l’influence territoriale de la revendication spatiale qu’exerce la territorialisation des effectifs policiers, sans préférence particulière pour Convers Desormeaux.

    La même situation se reproduit, lorsque les lieux de l’événement ne sont pas identifiés, mais que les accusés habitent le quartier ou en périphérie. Ainsi, nous pouvons supposer que le recours à Convers Desormeaux par Marie Mazuelle et Antoine de Caux[79] est influencé par le fait que les personnes contre qui ils vont se plaindre habitent le rayon direct d’influence du magistrat. Peut-être y « échouent-ils » après l’événement[80] ou encore veulent-ils profiter d’une connaissance que le commissaire pourrait posséder sur les accusés. Il se peut qu’ils aient déterminé leur choix en consultant l’Almanach royal qui recense annuellement les adresses de tous les magistrats. Dans le cas de Caux, cependant, il s’ajoute un élément supplémentaire qui peut avoir une incidence sur le choix du commissaire. Caux est un huissier. Il est possible qu’il connaisse personnellement Convers Desormeaux et préfère alors faire affaire avec lui. Cela suggère la possibilité que Charles Convers Desormeaux soit davantage apprécié par certaines catégories de justiciables.

    Ces quelques exemples, nous semblent représentatifs de situations que nous devrons analyser plus en profondeur afin de saisir les intentions qui poussent les justiciables à choisir un commissaire. La proximité ne semble, dans ces cas, pas être considérée en fonction de leur lieu de résidence. En dehors de la proximité de l’événement ou de la résidence de l’accusé, quels autres aspects vont influencer le choix d’un commissaire éloigné?

     

    Intégrer un espace flou : les réseaux de sociabilités

    Une analyse sociographique détaillée couvrant plus d’une année nous permettrait de faire le portrait clair de l’étendue de l’influence de Convers Desormeaux qui dépasse la proximité géographique avec l’étude du magistrat. Il s’agit de définir le territoire « flou » dont la géographie obéit à des logiques fonctionnelles propres à la population et qui se manifestent par une porosité et une mobilité entre les quartiers limitrophes et éloignés[81]. La compréhension de ces phénomènes repose particulièrement sur le processus d’intégration du commissaire démontré par Cécile Colin. Selon la chercheuse, l’autorité du commissaire s’établit avec son investissement de l’espace à son arrivée dans le quartier. Pour que le magistrat soit reconnu officiellement, il doit se rendre visible et démontrer sa capacité à régler des conflits. Cette publicité positive facilite alors son processus d’intégration[82]. Selon nous, le même processus exporte l’influence de Convers Desormeaux de son rayon direct d’influence. L’adhésion de la population au contrôle de l’espace par la police encouragée par des logiques internes aux communautés et voisinages participent à l’intégration du commissaire comme agent de régulation[83]. Le début de notre analyse de corpus a déjà fait ressortir trois pistes à suivre pour identifier la mise en place de ces processus.

     

    Faire confiance plus d’une fois

    L’explication simple dans la préférence d’un commissaire est qu’il possède une bonne réputation. Cependant, nous ne possédons pas d’information pour prouver directement cette assertion. Il nous faut donc trouver ces preuves indirectement. Un phénomène a attiré notre attention relativement à un possible processus d’intégration de l’influence de Convers Desormeaux. Deux plaignants ont eu recours au commissaire pour lui rendre des plaintes à plusieurs reprises pour la même situation. Dans les deux cas, très différents, l’un est envers un mari, l’autre envers un ancien locataire injurieux, malgré la distance les plaignants choisissent de retourner vers le magistrat pour nourrir leur dossier[84]. Cela peut être interprété comme une marque de confiance qui, à l’inverse de la démonstration de Colin d’un processus d’intégration du commissaire dans son quartier initié par sa présence dans le quartier, s’ancre plutôt à partir de l’expérience du service reçu. Le rôle de magistrat est utile pour la population, même si on ne souhaite pas aller au bout d’un processus judiciaire. Le commissaire n’est pas un juge qui peut instruire un procès, mais il a le droit d’emprisonner et de relaxer dans le cadre de ses fonctions policières et les documents qu’il produit ont un poids juridique que les justiciables peuvent réinvestir, entre autres, pour faire pression[85]. En ce sens, choisir Convers Desormeaux peut signifier agir sur une situation avec une intention spécifique : faire seulement pression sur l’adversaire ou espérer un dénouement judiciaire favorable.

    Encore une fois, une analyse plus en profondeur révélera si ces occurrences démontrent une signification autre que l’évidence de la pertinence que représente le choix de retourner vers le commissaire avec lequel le processus judiciaire a été initié afin de donner plus de poids à son affaire.

     

    Réputation par association

    Une forme de clientélisme « élitiste » semble se dessiner dans les rapports de Charles Convers Desormeaux du début de l’année 1775. Nous avons dénombré quatre plaignants sur dix-huit de quartiers plutôt éloignés (Saint-Jacques-de-la-Boucherie, Saint-Germain-des-Prés, la Grève et Saint-Antoine), que nous pourrions catégoriser comme « éduqués » ou qui connaissent le droit pénal, ce qui leur procure un savoir éclairé de la médiation que peut offrir Convers Desormeaux. Ces bourgeois, procureur et capitaine d’infanterie, sans présumer qu’ils se connaissent personnellement, ont accès par différents canaux de communication à connaître la réputation du commissaire. Leurs affaires comportent des similitudes (escroquerie, commerce illicite, vol et refus de paiement) qui peuvent aussi laisser supposer que le magistrat démontre une certaine habileté à traiter ce genre de contentieux et que cela est connu dans certains réseaux[86].

     

    Relations de voisinage

    Finalement, une situation particulière suggère l’existence d’influences directes entre personnes d’un même réseau sur les interactions entre justiciables et commissaire. À six jours d’intervalle, mais dans des quartiers adjacents, deux femmes mariées demandent une enquête en séparation. Le choix d’un commissaire éloigné de leur résidence[87] peut s’expliquer, en raison du caractère de la demande[88], par la recherche de discrétion et la préférence d’avoir recours à un magistrat qui ne connaît pas l’époux[89]. Ces deux épouses ne sont pas parentes, ni leurs maris. Cependant, il est certain qu’elles gravitent dans le même réseau de limonadiers, occupation de leur mari respectif[90]. Ainsi, bien qu’il puisse s’agir d’une coïncidence fortuite, cette situation incite à croire que la première plaignante ait suggéré le recours à Convers Desormeaux à la seconde ou que toutes les deux aient entendu dire que ce magistrat était apprécié dans le cadre de ces affaires[91].

    Nous avons déjà établi que la médiation des intermédiaires policiers dans les interactions de Convers Desormeaux avec les justiciables infère sur la réputation et la visibilité de celui-ci. Ces agents participent à étendre le territoire d’influence du commissaire en le faisant connaître en dehors de son quartier. Cet effet médiateur est aussi possible et même probablement plus efficient dans les réseaux de sociabilités populaires. Le passage d’une autorégulation citoyenne au recours plus fréquent à la police qui s’opère dans la seconde moitié du XVIIIe n’est pas le simple résultat d’une campagne de promotion de la police et de l’efficacité de la territorialité des effectifs[92]. Les exemples présentés dans cette section, particulièrement le dernier, suggèrent que les réseaux de sociabilités, à l’instar des rues et territoires, peuvent être intégrés par le commissaire. De fait, la localisation géographique des plaignants mise en relation avec leurs situations socioéconomiques permettrait une compréhension beaucoup détaillée de cette intégration et compléterait la définition du territoire d’influence du commissaire Convers Desormeaux.

     

    Conclusion

    Cette étude préliminaire des archives du commissaire Charles Convers Desormeaux nous a permis d’éclairer le concept d’espace policier dont la définition s’ancre d’abord dans la manière dont le magistrat investit son milieu. Les traces de cet investissement ont été éclairées, mais il faut encore creuser pour en obtenir un portrait détaillé. Aux premiers abords, l’analyse et la cartographie de la pratique du commissaire Convers Desormeaux nous permettent de confirmer que l’influence du magistrat est loin d’être circonscrite à son quartier. Plusieurs facteurs influencent ce rayonnement. L’incidence des partenariats avec d’autres acteurs de l’institution policière a été effleurée, mais a tout de même permis de révéler l’impact de la relation entretenue avec l’inspecteur Du Tronchet sur le rayon d’influence directe de Convers Desormeaux. À l’instar de toute la police parisienne, ce dernier profite de la revendication de l’espace perpétrée par l’action de ses collègues afin d’asseoir une réputation qui lui offre des avantages. Il acquiert des responsabilités, mais également une notoriété qui lui permettent d’investir des réseaux de sociabilités et ainsi d’étendre davantage son territoire d’influence. L’aperçu des renseignements à notre portée, à ce stade, nous a tout de même permis d’entrevoir et de concevoir la complexité du déploiement de l’ancrage spatial des pratiques policières parisiennes au XVIIIe siècle.

    Cette analyse devient donc la base pour intégrer cette conception du rayon d’influence et de l’espace policier dans un projet de plus grande envergure sur l’évolution des pratiques de médiation et de répression de Charles Convers Desormeaux. L’ancrage spatial de son rôle policier est déterminant pour comprendre les logiques dans lesquelles s’inscrit son action. Le traitement complet des rapports d’activités de l’année 1775 ainsi que l’année de son début de carrière permettra de compléter le portrait et d’en saisir l’évolution. D’une part, les différents processus d’intégration de l’espace urbain et des réseaux de sociabilités à l’intérieur et hors du quartier doivent être définis avec une analyse sociographique et une cartographie détaillée incluant les informations socioéconomiques des plaignants. D’autre part, la spécialisation dans la répression de la mendicité doit être validée, mais surtout l’impact de cette activité doit être analysé dans son rapport à l’espace et à l’évolution des pratiques policières du magistrat.

    En somme, la territorialisation des effectifs policiers mis en branle à Paris au début du XVIIIe siècle ne peut, à elle seule, assurer à l’institution policière un contrôle sur la ville. Le maintien de l’ordre ne peut se saisir dans un cadre défini seulement spatialement. Les logiques qui animent un quartier, une ville, une communauté, un voisinage tiennent compte de la proximité géographique, mais elles s’inscrivent aussi dans un contexte de réseaux associatifs tels que la famille, les loisirs ou les occupations professionnelles que les acteurs de l’institution policière, les commissaires en particulier, ont su exploiter[93]. Tout comme les justiciables ont su instrumentaliser la police. C’est d’ailleurs ce rapport de réciprocité qu’il faut maintenant examiner, car l’espace policier, tel que nous l’avons démontré, se définit par la compréhension de l’influence des acteurs, certes, mais pas seulement des acteurs policiers.

    Références

    [1] Nous souhaitons grandement remercier Sophie Abdela pour la relecture de cet article et Victoria Candat pour la création des cartes essentielles à cette démonstration.

    [2] Clive Emsley, « Police, maintien de l’ordre et espaces urbains : une lecture anglaise », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 50, n° 1, 2003, p. 5.

    [3] Voir à ce sujet Marco Cicchini, « Introduction Police et justice : pour le meilleur et pour le pire (1750-1850) » et Clive Emsley, « Du concept à l’institution : les spécificités du mot “police” en langue anglaise », dans Marco Cicchini et Vincent Denis, dir., Le nœud gordien : police et justice des Lumières à l’État libéral (1750-1850), Chêne-Bourg, Georg, 2017, p. 17-22 et 47‑69.

    [4] Marc Raeff, The Well-Ordered Police State: Social and Institutional Change Through Law in the Germanies and Russia; 1600-1800, op. cit. ; David Garrioch, « The People of Paris and their Police in the Eighteenth Century: Reflections on the Introduction of a “Modern” Police Force », European History Quarterly, vol. 24, n° 4, 1994, p. 511‑535 ; Catherine Clémens Denys, « De l’autorégulation sociale au contrôle policier », op. cit.

    [5] Steven Kaplan, « Réflexions sur la police du monde du travail, 1700-1815 », Revue Historique, vol. 261, n° 1, 1979, p. 17‑77 ; Patrice Peveri, « Les pickpockets à Paris au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 29, n° 1, janvier 1982, p. 3‑35 ; Erica-Marie Benabou, La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, Paris, Librairie académique Perrin, 1987 ; Laurent Turcot, « Policer la promenade : les Champs-Élysées au XVIIIe siècle », dans Claire Dolan, dir., Entre justice et justiciables : les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au XXe siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2005, p. 137‑155.

    [6] Pour un tour d’horizon de l’évolution des problématiques de recherches sur la police voir Vincent Milliot, « Histoire des polices : l’ouverture d’un moment historiographique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 54‑2, n° 2, 2007, p. 162‑177.

    [7] Alan Williams, The police of Paris, 1718-1789, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1979 ; Fayçal El Ghoul, La police parisienne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : 1760-1785, Tunis, 1995, Université de Tunis.

    [8] Bernard Lepetit, Les villes dans la France moderne : 1740-1840, Paris, Albin Michel, 1988 ; Isabelle Backouche, « L’histoire urbaine en France. Nouvel objet, nouvelles approches », Urban History Review, vol. 32, n° 1, (septembre 2003), p. 7‑14.

    [9] David Garrioch et Mark Peel, « Introduction : The Social History of Urban Neighborhoods », Journal of Urban History, vol. 32, n° 5, (juillet 2006), p. 663‑676.

    [10] Catherine Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 50, n° 1, 2003, p. 13‑26 ; Clive Emsley, « Police, maintien de l’ordre et espaces urbains : une lecture anglaise », art. cit.

    [11] Catherine Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 50, n° 1, 2003, p. 13‑26.

    [12] Vincent Milliot, « Saisir l’espace urbain : mobilité des commissaires et contrôle des quartiers de police à Paris au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 50‑1, n° 1, 2003, p. 54‑80.

    [13] Cécile Colin, « Le métier de commissaire. Pierre Régnard le jeune et le quartier de police Saint-Eustache (1712-1751) », mémoire de maîtrise (histoire), Université Paris VII-Denis Diderot, 1990 ; Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières : les commissaires du quartier du Louvre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Paris, École des Chartes, 2012.

    [14] Même si la répression de la mendicité augmente depuis le début de la décennie. Voir à ce sujet Christian Romon, « Mendiants et policiers à Paris au XVIIIe siècle », Histoire, économie & société, vol. 1, n° 2, 1982, p. 259‑295.

    [15] Steven L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi : la bataille du libéralisme sous Louis XV, Paris, Perrin, 1986.

    [16] Catherine Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », art. cit., p. 14 ; Vincent Milliot, « Écrire pour policer : les « mémoires » policiers, 1750-1850 », dans Vincent Milliot, dir., Les mémoires policiers, 1750-1850, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 15‑41.

    [17] Clive Emsley, « Police, maintien de l’ordre et espaces urbains : une lecture anglaise », art. cit., p. 10.

    [18] Catherine Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », art. cit., p. 14‑15.

    [19] Robert Descimon et Jean Nagle, « Les quartiers de Paris du Moyen Âge au XVIIIe siècle. Évolution d’un espace plurifonctionnel », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 34, n° 5 (octobre 1979), p. 967‑973 ; Catherine Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », art. cit., p. 24.

    [20] Cet aspect est, entre autres, soulevé par le commissaire Delamare dans son traité. Nicolas de La Mare, Traité de la police, où l’on trouvera l’histoire de son etablissement, les fonctions et les prerogatives de ses magistrats ; toutes les loix et tous les reglemens qui la concernent… Tome premier, 1705, p. 91, consulté le 8 novembre 2021, <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1098988>.

    [21] Ibid., p. 15.

    [22] Ibid., p. 15‑16.

    [23] Vincent Milliot, « L’admirable police ». Tenir Paris au siècle des Lumières, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2016, p. 200.

    [24] Vincent Milliot, « Saisir l’espace urbain », art. cit., p. 55‑56.

    [25] Cécile Colin, « Pratiques et réalités d’un quartier de police à Paris dans la première moitié du XVIIIe siècle : l’espace Saint-Eustache et le commissaire Pierre Régnard Le Jeune (1712-1751) », Cahier du CREPIF, 38, 1992, p. 119‑130 ; Catherine Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », art. cit., p. 26 ; Clive Emsley, « Police, maintien de l’ordre et espaces urbains : une lecture anglaise », art. cit., p. 11 ; Vincent Milliot, L’admirable police, op. cit., p. 212.

    [26] Vincent Milliot, « Saisir l’espace urbain », art. cit., p. 58.

    [27] C’est l’objectif de contrôle de l’espace poursuivi par Guillauté dans son mémoire sur la réforme de la police en 1749. Voir à ce sujet Eric Heilmann, « Comment surveiller la population à distance? La machine de Guillauté et la naissance de la police moderne. », 2007, <https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00125574> ; Vincent Milliot, « “Divise et commande” ou le rêve de Guillauté. Essai sur les pratiques policières de l’espace à Paris au XVIIIe siècle », dans Pierre Bergel et Vincent Milliot, dir., La ville en ébullition : sociétés urbaines à l’épreuve, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

    [28] Pour une description détaillée voir Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 135‑151.

    [29] La séparation entre civil et criminel vient de la nature des délits. Les délits d’ordre public sont appelés « crimes ». Claude-Joseph de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique. Tome premier/contenant l’explication des termes de droit, d’ordonnances, de coutumes & de pratique. Nouvelle édition, revue, corrigée & augmentée., 1769, p. 29, consulté le 8 novembre 2021, <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k242613>.

    [30] Le terme « ancien » ne signifie pas nécessairement que le commissaire est le plus âgé ou le plus expérimenté, ces promotions vont habituellement aux hommes de confiance du lieutenant général. Voir Vincent Milliot, « Saisir l’espace urbain », art. cit., p. 74‑77.

    [31] Jean-Baptiste-Charles Lemaire, La police de Paris en 1770 : mémoire inédit composé par ordre de G. de Sartine sur la demande de Marie-Thérèse/par J.-B.-Ch. Le Maire ; avec une introd. et des notes par A. Gazier, Paris, 1879, p. 43‑61, consulté le 1 mars 2022, <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k94412w>.

    [32] Steven L. Kaplan, « Note sur les commissaires de police de Paris au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 28, n° 4, 1981, p. 678‑679.

    [33] Jean-Baptiste-Charles Lemaire, La police de Paris en 1770, op. cit., p. 57.

    [34] Nos informations sur le commissaire Convers Desormeaux proviennent d’abord des travaux de Steven L. Kaplan, « Note sur les commissaires », art. cit. et de Vincent Milliot, « Saisir l’espace urbain », art. cit. que nous avons validés avec l’Almanach royal des années 1762 et 1775 et l’inventaire Foucher AN Y 29 et AN Y 30.

    [35] Vincent Milliot, « Saisir l’espace urbain », art. cit.

    [36] David Garrioch, Neighbourhood and Community in Paris, 1740-1790, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 (1986), p. 10.

    [37] Arlette Farge et André Zysberg, « Les théâtres de la violence à Paris au XVIIIe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 34, n° 5, (octobre 1979), p. 984‑1015.

    [38] Daniel Roche, La ville promise. Mobilité et accueil à Paris, fin XVIIe-début XIXe siècle, Paris, Fayard, 2000 ; Vincent Milliot, « L’admirable police », op. cit., p. 205.

    [39] Vincent Milliot, « “Divise et commande” ou le rêve de Guillauté. Essai sur les pratiques policières de l’espace à Paris au XVIIIe siècle », art. cit.

    [40] Il décrit la période 1768-1784, suivant la création des dépôts de mendicité en 1767, comme celle de la « grande offensive policière ». Christian Romon, « Mendiants et policiers à Paris au XVIIIe siècle », art. cit., p. 273‑275.

    [41] Ibid., p. 260.

    [42] Des équipes inspecteurs-commissaires y sont consacrées voir Christian Romon, « Mendiants et policiers à Paris au XVIIIe siècle », Histoire, économie & société, vol. 1, n° 2, 1982, p. 259‑295.

    [43] Quelques études attribuent une spécialisation dans la répression de la mendicité au commissaire Convers Desormeaux ou dans la répression de la pédérastie. Pour celle-ci elle se confirmerait plutôt dans les années 1785-1791. Voir Steven L. Kaplan, « Notes sur les commissaires », art. cit., p. 679 ; Dominique Martin, « Du quidam au particulier : écriture policière, sociabilités urbaines et imaginaire social dans le quartier de la Place Maubert, 1764-1774 », mémoire de maîtrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 2016 ; Vincent Milliot, « Le métier de commissaire : bon juge et “mauvais” policier? (Paris, XVIIIe siècle) », dans Claire Dolan, dir., Entre justice et justiciables : les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au XXe siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2005, p. 130 ; Thierry Pastorello, « Entrepreneurs de morale et homosexualité à Paris au XVIIIe siècle », dans Lucien Faggion et Christophe Régina, dir., Récit et justice : France, Italie, Espagne, XIVe-XIXe siècles, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2014, p. 223‑242 ; Jeffrey Merrick, dir., Sodomites, Pederasts, and Tribades in Eighteenth-Century France: a Documentary History, Pennsylvania, The Pennsylvania State University Press, 2019.

    [44] Avec sa thèse, Rachel Couture a mis en lumière que la spécialisation de la répression de la mendicité est plutôt du ressort du département de la Sûreté et donc des inspecteurs de police. Ainsi, le rapport hiérarchique de cette activité policière est plutôt inversé. Il existe bel et bien des commissaires affiliés à cette tâche en collaboration avec les inspecteurs, mais il est difficile de parler d’une spécialisation. Voir Rachel Couture, « “Inspirer la crainte, le respect et l’amour du public” : les inspecteurs de police parisiens, 1740-1789 », Montréal, Université du Québec à Montréal, thèse (histoire) 2013 ; Vincent Milliot, « L’admirable police », op. cit., p. 217‑232.

    [45] Voir à ce sujet Christian Romon, « Mendiants et policiers à Paris au XVIIIe siècle », art. cit.

    [46] Cette tâche a été entamée récemment. Dans sa thèse de doctorat, Marie-Pascale Leclerc a confirmé une spécialisation dans la mendicité pour Charles Convers Desormeaux de 1777 à 1785. Il nous appartient maintenant de vérifier pour l’année 1775 au complet, car peut-être est-ce notre circonscription au début de l’année qui influence notre constat. Voir Marie-Pascale Leclerc, « Les cours des miracles de Paris (1667-1791) : imaginaires, spatialisation et contrôle de la mendicité parisienne », thèse de doctorat (histoire) Université du Québec à Montréal, 2022, p. 147-164.

    [47] Vincent Milliot, « Saisir l’espace urbain », art. cit., p. 80.

    [48] Voir à ce sujet le chapitre « Des journées bien remplies » dans Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 135‑165.

    [49] Un « transport » est un déplacement du commissaire hors de son hôtel ordonné par le Châtelet ou requis par les justiciables. Nous avons réuni sous le terme « répression » toutes les activités policières et criminelles qui retire momentanément sa liberté aux justiciables telles que les captures de mendiants et les emprisonnements. Pour éviter toute confusion pour les deux dernières catégories, tout transport lié à des actions de répression, comme la capture de mendiants est inclus dans la répression.

    [50] « Activités » signifie les actions liées à ce que nous nommons « l’influence directe » de magistrat. Pour ne pas doubler ou surévaluer l’influence du commissaire Convers Desormeaux envers certains justiciables ou secteurs, nous avons seulement conservé un document par justiciable. Par exemple, toutes les informations et enquêtes (interrogatoires faits après l’acceptation d’une plainte par le Châtelet pour judiciariser l’affaire) concernant des déclarants qui étaient déjà recensés dans plainte ou une déclaration n’ont pas été retenues. C’est ce qui explique que l’activité du commissaire est définie par seulement 112 événements et non 135.

    [51] À nouveau, il faut mentionner que ces résultats sont préliminaires et très fragmentaires. Un inventaire rapide des archives des mêmes mois de l’année 1762 ne relève aucune trace de procès-verbaux de capture de mendiants.

    [52] Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, Paris, Champion, 1788 (1782), chap. CCCCLXXXIX « commissaires » p. 105, consulté le 4 mars 2022, <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8325f>.

    [53] David Garrioch, Neighbourhood and Community in Paris, 1740-1790, op. cit.

    [54] Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 151‑160.

    [55] Vincent Milliot, « Le métier de commissaire », art. cit.

    [56] Nous avons répertorié 43 actes pour les mois de janvier et février et 47 pour celui de mars 1775. AN Y 11 705 

    [57] Le 3 janvier comptabilise le plus de documents répertoriés pour une même journée avec 7 rapports tous en lien avec une affaire de draps volés. AN Y 11 705 

    [58] Comparativement à l’« hyperactivité » de l’exceptionnel Pierre Chénon qui en 1760 a maintenu une moyenne mensuelle de 99,8 actes. Voir Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 156‑158.

    [59] Mentionnons que ces traces peuvent ne pas exister parce qu’elles ont été détruites ou conservées autre part que dans les archives de Convers Desormeaux.

    [60] Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 223‑228.

    [61] Nicolas Vidoni, « Le voisinage comme catégorie policière à Paris et Montpellier au XVIIIe siècle », dans Laurent Besse et al., dir., Voisiner : mutations urbaines et construction de la cité du Moyen Âge à nos jours, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2018, p. 101‑103.

    [62] Tous les documents intitulés « déclaration » de notre corpus comprennent d’abord la comparution d’un intermédiaire de police à l’exception d’un seul. Mais ce comparant est un procureur qui proteste qu’on ait employé son nom dans un document auquel il n’a pas participé. Nous pouvons supposer que puisqu’il connaît très bien le système judiciaire, il n’a pas eu besoin d’intermédiaire.

    [63] Les situations les plus fréquentes sont les déclarations de vol.

    [64] AN Y 11 705 Procès-verbal du guet entre Malter et Godard du 24 janvier 1775.

    [65] Il y a le lieutenant général de police qui s’occupe de tout ce qui est relatif à la police et aux ordres du roi. Il est secondé par un lieutenant civil qui s’occupe d’ordonner les suites judiciaires dans les affaires civiles et de son homologue criminel qui fait de même dans le cas des affaires criminelles.

    [66] Catherine Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », art. cit.

    [67] La proximité avec la résidence de Convers Desormeaux favorise cet ajout, mais également le fait que certaines responsabilités municipales étaient anciennement du ressort du quartier de la Place Maubert. C’est le cas de l’île Saint-Louis avant la création du quartier de la Cité. Donc, il peut demeurer des réflexes d’associer ces territoires entre eux. Voir Robert Descimon et Jean Nagle, « Les quartiers de Paris du Moyen Âge au XVIIIe siècle. Évolution d’un espace plurifonctionnel », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 34, n° 5, (octobre 1979), p. 980.

    [68] Vincent Milliot, L’admirable police, op. cit., p. 226‑228.

    [69] Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 324.

    [70] Berlière explique que Cécile Colin, dans son mémoire sur le commissaire du quartier Saint-Eustache, Pierre Régnard le Jeune, avait établi un patron en toile d’araignée relativement à la sphère d’influence du magistrat. Ibid., p. 240.

    [71] Ibid., p. 240‑248.

    [72] Seulement dans le mois de janvier 1775, Convers Desormeaux s’est déplacé à deux reprises hors des limites urbaines, les 2 et 31, chez le nommé Etienne dit Sulpice à Montsouris AN Y 11 705.

    [73] Romon indique que le commissaire Lemaire faisait partie de l’équipe des commissaires qui venaient en aide à l’inspecteur Du Tronchet dans les années 1764-1768. Christian Romon, « Mendiants et policiers à Paris au XVIIIe siècle », art. cit., p. 284.

    [74] Rachel Couture, « Inspirer la crainte, le respect et l’amour du public », op. cit., p. 395.

    [75] Vincent Milliot, L’admirable police, op. cit., p. 219.

    [76] 59 % des recours à Convers Desormeaux incluent un intermédiaire contre 41 % pour les demandes directes des justiciables.

    [77] Vincent Milliot, L’admirable police, op. cit., p. 63.

    [78] AN Y 11 705 Plainte Maugy contre LeBeau et Boulogne du 29 janvier 1775.

    [79] AN Y 11 705 Plaintes de Favier contre Durand et sa femme du 22 février 1775 et du sieur Caux contre le sieur Charon du 5 mars 1775.

    [80] Cécile Colin, « Pratiques et réalités d’un quartier de police à Paris dans la première moitié du XVIIIe siècle », art. cit., p. 122.

    [81] Vincent Milliot, L’admirable police, op. cit., p. 229.

    [82] Colin a démontré ce processus en juxtaposant les transports du commissaire Régnard et les visites de plaignants qui ont suivi son passage. Voir Cécile Colin, « Pratiques et réalités d’un quartier de police à Paris dans la première moitié du XVIIIe siècle », art. cit., p. 126‑128.

    [83] David Garrioch, Neighbourhood and Community in Paris, 1740-1790, op. cit., p. 52‑54.

    [84] AN Y 11 705 Plaintes sieur Perrier contre Doudan de Villeneuve du 20 février 1775 et de Delassaux contre son mary du 27 mars 1775.

    [85] Vincent Milliot, « Le métier de commissaire », art. cit.

    [86] AN Y 11 705 Plaintes de sieur Olivier contre Tavernier du 9 janvier 1775, de sieur Huard contre Personne du 23 février 1775, de sieur Dumareq contre les sieurs Castets et Gaston du 13 mars 1775, et de maître Contant Delisle contre le sieur Valentin du 30 mars 1775.

    [87] Elles habitent les quartiers Saint-Denis et Saint-Eustache, sur la rive droite de la Seine.

    [88] Cécile Colin, « Pratiques et réalités d’un quartier de police à Paris dans la première moitié du XVIIIe siècle », art. cit., p. 121‑122.

    [89] Notamment dans le quartier du Louvre, le commissaire Marie-Joseph Chénon est reconnu pour avoir la préférence des femmes qui souhaitent porter plainte contre leur mari. Voir Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 256.

    [90] AN Y 11 705 Enquête en séparation de Varlet contre son mary du 23 mars 1775 et la Dame Verdun Duret contre son mary du 29 mars 1775.

    [91] Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 224.

    [92] Catherine Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », art. cit. ; Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 227‑228 ; Nicolas Vidoni, « Le voisinage comme catégorie policière », art. cit., p. 101.

    [93] David Garrioch, Neighbourhood and Community in Paris, 1740-1790, op. cit.