« Fanm toujou viktim » : Regards sur la violence sexualisée et les expériences genrées pendant la dictature duvaliériste à travers deux entretiens oraux

Lyns-Virginie Belony
Candidate au doctorat en histoire à l’Université de Montréal.

Biographie: Virginie Belony est une candidate au doctorat à l’Université de Montréal. Elle a obtenu une maîtrise en histoire de la même université. Ses recherches actuelles portent sur les questions de mémoires partagées après des périodes de violence étatique et sur la mémoire collective dans des espaces diasporiques. Sa thèse intitulée « ‘Tout [n]était pas si négatif que ça’ : Les mémoires contestées du duvaliérisme au sein de la diaspora haïtienne de Montréal, 1964- 2014, » examine précisément les mémoires de l’époque Duvalier dans la communauté haïtienne de Montréal.

Résumé: Les débats sur la nature du gouvernement duvaliériste en Haïti au pouvoir entre 1957 et 1986 ont longtemps alimenté des discussions entre praticiens des sciences sociales. De tendance fasciste, totalitaire ou bien les deux, ces désaccords entre spécialistes laissent entrevoir que le régime s’inscrit dans une trajectoire qui échappe aux cadres d’analyse trop rigides. Si l’on recense bien un certain engouement pour les études qui touchent à certaines facettes de cette époque, la question du vécu des femmes pendant les vingt-neuf années de dictature, elle, doit toujours être réellement posée. L’histoire orale, expertise à la croisée de diverses disciplines, propose, nous le pensons, une avenue potable pour en partie combler ces lacunes. Découlant des retombées de notre thèse de doctorat et à travers l’analyse de deux entretiens oraux (issus d’un corpus plus ample de 47 entretiens réalisés entre 2018 et 2021 avec des Haïtiens installés au Québec), nous voulons ici réfléchir à la manière dont les expériences des femmes sous les Duvalier furent appréhendées par les participants à notre étude, notamment en ce qui concerne l’enjeu des violences sexualisées et des rôles de genre. S’il reste encore à écrire sur la complexité des expériences des femmes pendant cette période, notre propre ébauche démontre comment ce silence presque institutionnalisé sur la dictature et le tabou relatif à toutes discussions sur les violences sexualisées nuisent à une appréciation plus complète et raffinée de l’ampleur même de la violence duvaliériste.

Mots-clés : histoire orale, mémoire collective, diaspora haïtienne, Haïti, François Duvalier, dictature, femmes, violence sexualisée.

 

Table des matières
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    Ils étaient [les Tontons Macoutes][1] vraiment armés, je te dis là. Dans tous les champs…partout, ils [faisaient ce] qu’ils voulaient. Par exemple, [si] tu étais marié, tu avais ta femme, ils rentraient dans [t]a maison, ils te mettaient dehors [et] ils prenaient [t]a femme.[2]Guislaine Antoine, Laval 22 août 2018

     

    Comme c’était une violence systématique [la violence duvaliériste], les femmes n’étaient pas épargnées. Les femmes étaient beaucoup plus [souvent] victimes dans le sens où c’était une société très machiste [et] patriarcale.[3]Prospère-Émile Guerrier, Montréal 15 juillet 2019.

     

    Introduction

    Les débats sur la nature du gouvernement duvaliériste en Haïti au pouvoir, entre 1957 et 1986, ont longtemps alimenté des discussions entre historiens, sociologues et autres praticiens des sciences sociales. De tendance fasciste, totalitaire ou bien les deux, ces désaccords entre spécialistes laissent entrevoir que le régime s’inscrit dans une trajectoire qui échappe aux cadres d’analyse trop rigides.[4] Si malgré la pauvreté des sources haïtiennes couvrant cet intervalle pourtant crucial à l’histoire nationale  récente on recense, [5] depuis quelques années, un certain engouement pour les études qui touchent à certaines facettes de cette période,[6] la question du vécu des femmes pendant les vingt-neuf années de dictature, elle, doit toujours et encore être réellement posée.[7] Il s’agit bien là d’un « silence » au sein d’un silence plus large.[8] L’histoire orale propose pourtant une avenue potable pour en partie combler ces lacunes.

     

    Depuis plusieurs décennies déjà, l’histoire orale suscite un certain intérêt chez les chercheurs.[9] Pour les théoriciennes féministes des quarante dernières années en particulier,[10] elle s’est inscrite dans une démarche plus « démocratique », plus soucieuse de faire apparaître au grand jour l’histoire des personnes autrefois marginalisées ou du moins absentes des grands récits historiques.[11] Cette sensibilité ne s’est pas uniquement exprimée à travers une analyse du quotidien de personnes dites « ordinaires », pas plus qu’elle ne s’est limitée à retracer comment différents événements historiques furent vécus de manières distinctes par les hommes et les femmes. Elle a aussi cherché à élucider les manières dont le genre s’est « fabriqué » et se détermine encore.

     

    Découlant des retombées de notre thèse de doctorat qui se situe au croisement des études diasporiques et des investigations sur la mémoire après des périodes de violence étatique,[12] l’exposé ici présenté s’appuie sur 47 entretiens réalisés avec des Haïtiens installés au Québec, de différentes cohortes générationnelles, et issus de milieux socio-économiques et politiques variés.

     

    Dès lors, notre réflexion sera divisée selon deux axes. Tout d’abord, à des fins de contextualisation, nous entamerons un très bref survol de l’ère Duvalier dans le but de préciser l’apport unique de l’histoire orale à notre projet. Ensuite, l’intérêt consistera à mieux examiner deux entretiens oraux issus de notre corpus choisis en raison de l’enthousiasme de nos narrateurs pour les sujets évoqués, mais surtout pour la pertinence et la représentativité de leurs propos. À travers ceux-ci, et ce, dans une démarche modeste vu la longueur du présent article, nous tenterons de soulever le questionnement suivant : comment les expériences des femmes sous les Duvalier furent-elles appréhendées par les participants à notre étude, notamment en ce qui concerne l’enjeu des violences sexualisées et les rôles de genre?

     

    Mémoire collective de l’époque duvaliériste et apport de l’histoire orale

    L’ère duvaliériste en Haïti, 1957-1986

    C’est dans un contexte politique marqué par l’instabilité que François Duvalier (1907-1971) assuma la présidence de la République d’Haïti en septembre 1957[13]. Le nouveau chef d’État, qui finit par instaurer une dictature autoritaire (après 1964)[14] et héréditaire (après 1971)[15], s’empressa de justifier sa victoire aux urnes comme l’édifice d’une nouvelle Haïti régénérée par l’entremise de son leadership[16]. Pourtant, tel qu’évoqué plus tôt, l’ère des Duvalier – même en suivant une tradition de violence très ancrée dans la culture politique haïtienne depuis l’épopée de 1804 – [17] reste une période marquée par de nombreux abus faisant fi des principes de droits de la personne. De la suppression de la presse en passant par les disparitions forcées, François Duvalier, architecte du régime dynastique, accepta très difficilement la dissidence. Il sut ainsi « domestiquer »[18] différentes sphères de la société haïtienne (tel que l’armée[19], l’Église catholique[20] et les universités[21]) afin de graduellement neutraliser les secteurs d’opposition potentiels et de fait, se garantir un contrôle plus étroit du pays. Des adversaires politiques réels ou présumés furent fréquemment emprisonnés et dans de nombreux cas tout bonnement assassinés si leur éradication complète était jugée nécessaire pour répondre à des caprices du président ou à ceux de membres de son entourage.

     

    Un débat existe encore quant au nombre précis d’individus morts ou disparus au cours de ces vingt-neuf ans. Alors que certains, comme le sociologue Jeb Sprague (2012), avancent le chiffre de 30 000 à 50 000 pour la période couvrant l’ensemble de la dictature père et fils,[22] l’anthropologue Jean-Philippe Belleau (2021) soutient que le nombre 30 000 traduirait surtout les morts et disparus pendant la présidence de François Duvalier, nous laissant perplexe quant au bilan réel.[23] Ces chiffres limitent toutefois notre compréhension de l’ampleur de la violence; dans un pays où de nombreux individus naissent et meurent sans aucune existence légale ni relation directe avec l’État haïtien, ils représentent des estimations qui ne parlent très probablement que des réalités de la classe moyenne et des Haïtiens en milieu urbain. Néanmoins, puisque la population d’Haïti était inférieure à six millions et demi en 1986, tandis que Jean-Claude Duvalier était contraint de quitter le pays,[24] ils offrent quand même matière à réflexion.[25]  Contrairement à plusieurs pays de l’Amérique latine aussi pris entre les années 1960 à 1990 avec des gouvernements militaires et/ou autoritaires qui[26], dans une démarche vers la transition démocratique, tentèrent après ces périodes de violence, d’établir une certaine « vérité historique » autour de faits irréfutables sur la violence d’État[27], on ne recense pas un tel effort de la part des différents gouvernements haïtiens post-1986[28]. Le travail d’éclaircissement restant largement inaccompli[29], le duvaliérisme demeure ouvert à toutes sortes d’interprétations historiques en Haïti comme dans ses nombreuses diasporas.

     

    Contexte de l’étude

    Justement, au-delà du cadre strictement national, une autre conséquence de la dictature duvaliériste, qui revêt une importance particulière pour nos propres recherches, fut qu’elle conduisit à une migration importante d’Haïtiens hors du pays à partir du milieu des années 1960[30]. En raison de liens historiques et linguistiques d’une part,[31] mais aussi suivant l’évolution des attitudes et des lois canadiennes en matière d’immigration d’autre part, de nombreux Haïtiens, de la classe moyenne surtout, s’installèrent au Québec au cours de cette période.[32] D’abord plutôt timides dans leur opposition en raison de l’existence de réseaux d’espionnage dans la province,[33] ces ressortissants haïtiens finirent par créer un corpus lié à leurs pensées sur la dictature.[34] Dans notre propre projet doctoral, nous nous sommes intéressées aux productions anti-Duvalier plus « matérielles » telles que les revues et d’autres formes de publications, mais nous avons aussi mené une enquête orale afin de sonder différents groupes de ressortissants haïtiens sur leurs perceptions de la dictature duvaliériste. À l’heure où plusieurs en Haïti (comme dans ses diasporas) pleurent, ou du moins se questionnent sur la plus-value de la dictature duvaliériste tandis que le pays, lui, offre le spectacle désolé d’une transition démocratique non réussie depuis 1986,[35] faire état de ces perceptions complexes et parfois de cette (ré)évaluation positive du duvaliérisme nous apparut une démarche pertinente.

     

    Aussi, les entretiens oraux constituent une source indispensable à une telle investigation : non seulement afin de conférer un « visage humain » aux souffrances souvent associées à cette période, mais aussi pour recenser les vécus et les opinions complexes sur cette période. L’histoire orale permet en effet de combler certaines déficiences persistantes tant dans l’historiographie que dans l’imaginaire collectif entourant l’époque duvaliériste. Notre propre terrain démontre par exemple comment l’ère Duvalier reste largement représentée à travers une image masculine (tant dans la manière de penser des bourreaux que dans celle des opposants aux régimes). Pourtant, par des mentions dans certaines explorations intellectuelles, mais aussi par l’entremise de simples anecdotes partagées avec nous, il est clair que cinquante pour cent de la population haïtienne n’a pas disparu pendant les vingt-neuf ans de dictature. Dépassant ce qui semble être devenu un cliché, à savoir l’idée de « donner la parole aux sans-voix », les entretiens oraux constituent un moyen pertinent d’interroger la manière dont les violences sexualisées et les rôles de genre furent appréhendés par les individus qui ont participé à notre recherche. C’est à un tel exercice que nous voulons brièvement nous adonner pour le reste de cet article.

     

    Penser sur la violence sexualisée et les expériences genrées pendant la dictature duvaliériste à travers l’histoire orale, regards sur deux entretiens

    De violence sexuelle à violence sexualisée

    Le rapport souvent intrinsèque entre la violence politique et les crimes contre les femmes ne constituent plus depuis longtemps une affirmation novatrice.[36] Aussi, Haïti n’échappe pas à cette « norme » apparente, bien étudiée à travers diverses occurrences au XXe siècle,[37] voulant quand temps de guerre ou de changements politiques « extraordinaires », le corps des femmes devient un site de domination et une manière tangible pour l’État d’exercer une forme de pouvoir.[38]

     

    Dans ses explorations sur l’expérience des femmes juives dans l’Allemagne nazie et dans les camps de concentration, l’historienne Brigitte Halbmayr (2010) propose pourtant de dépasser l’expression « violence sexuelle » et présente plutôt le terme « violence sexualisée ». Selon l’autrice :

    « Le terme violence sexualisée indique que la violence masculine contre les femmes n’est pas qu’une question de sexualité, mais est une démonstration de pouvoir […] et comprend de nombreuses formes de violence à connotation sexuelle, y compris l’humiliation, l’intimidation et la destruction. » [39]

    Elle explique en outre que :

    « … la violence sexualisée [comme concept] permet également l’inclusion d’expressions de violence indirectes, souvent émotionnelles, telles que la nudité publique imposée et les sentiments de honte qui l’accompagnent, l’atteinte à l’espace intime, les conditions d’hygiène déplorables, les regards obscènes, les insultes suggestives et les méthodes d’examen physique humiliantes, toutes font partie du danger constant et imminent de devenir victime d’agression sexuelle […] »[40]

     

    Tandis qu’un trop grand rapprochement entre la Shoah et la dictature duvaliériste serait imprudent puisqu’il faut considérer les contingences historiques très différentes des deux instances, le principe de violence sexualisée fournit un cadre adéquat à notre propre discussion. Le témoignage d’une participante à notre enquête presque entièrement centrée sur la peur du viol pendant la présidence de François Duvalier offre l’occasion de réfléchir à cet outil conceptuel.

     

    Vivre avec la menace du viol, le quotidien des femmes sous la dictature des Duvalier

    Le pouvoir duvaliériste bouleversa profondément l’ordinaire des Haïtiens. Très peu d’individus, particulièrement sous la présidence de François Duvalier, furent intouchés par le régime. Comme le rappelle l’historien Anselme Remy (1974) :

     » so common were the cases of political punishment under [François] Duvalier’s government, that it is hard to find a Haitian family without some member who has not suffered at the hand of the regime. Almost every Haitian has had some friend who has been imprisoned or murdered, lost his property or been forced into exile. « [41]

     

    Si le caractère éminemment genré de cette violence est trop souvent mentionné uniquement de passage, l’enquête orale permet d’illustrer comment le viol en particulier fut la source d’une appréhension constante tant son utilisation parut courante et imprévisible. [42] Adeline Faubert, une fonctionnaire dans la cinquantaine au moment de notre rencontre en 2019, se rappelle vivement comment sa routine du soir fut intiment liée à ces craintes de ripostes sexuelles. Née dans une famille de classe moyenne du sud d’Haïti, celle-ci évoque comment :

    « Dans la ville des Cayes […] il y avait un Tonton Macoute qui s’appelait Astrel Benjamin. Il s’amusait à entrer chez les gens le soir et non seulement prenait tout ce que les gens avaient, mais aussi violait pratiquement toutes les femmes dans la maison [et ce] sous les yeux des maris et des frères de tout le monde. Je me rappelle que ma mère [ne] me laissait jamais dormir dans ma chambre […] Les femmes de ménage préparaient le lit et tout, mais je [ne] dormais pas là […] on me mettait dans une sorte d’entretoit […] Le soir, pour de vrai, je ne couchais pas dans mon lit et personne ne le savait à part moi et ma mère. On me mettait [là] au cas où Astrel venait [à passer] et [ainsi] il ne me trouverait pas pour me violer. C’était pour ça. On défaisait le lit le matin. Ça m’a marquée quand même pas mal. »[43]

     

    Ici, en plus de faire allusion aux relais du pouvoir duvaliériste dans chaque localité à travers la figure du Macoute (dans le cas présent, le bourreau notoire Astrel Benjamin),[44] Adeline Faubert évoque un aspect du duvaliérisme sur lequel pèse, sinon un silence complet, un certain malaise.[45]  Il nous faut pourtant nous y attarder un moment.

     

    Ces déclarations revêtent en effet différentes couches. L’assaut contre les femmes « sous les yeux des maris et des frères, de tout le monde » tente à faire référence à la manière dont le viol devait non seulement servir à humilier les femmes qui en étaient victimes, mais également à infliger un sentiment similaire aux hommes autour d’elles devenus « impuissants » devant le spectacle de leur torture. La politologue Miranda Alison (2007) remarque par ailleurs que « wartime sexual violence functions as a form of communication between men and a measure of victory and of masculinity. »[46] Pour Cynthia E. Milton (2018), le contexte de crise politique offre souvent le terrain propice à la création de « codes genrés » où la « masculinité » telle que comprise et véhiculée par les autorités politiques et militaires est souvent exprimée de façon violente et retournée contre les femmes.[47] Dans un contexte dictatorial où le non-respect des droits de la personne est le corollaire de l’exercice du pouvoir et où les principes de masculinité sont en négociations constantes, ces remarques se prêtent bien au cas à l’étude.  

     

    Notre terrain nous a permis d’observer qu’indépendamment de la vision préconisée vis-à-vis vingt-neuf années de dictature, la question du viol est délicate et on préfère communément (lorsqu’on ose même en discuter) la saisir comme une conséquence plus ample de la violence dans l’histoire et dans la société haïtienne. En effet, Adeline Faubert fut sans doute l’une des rares personnes interrogées à s’être engagée aussi directement concernant l’ubiquité du viol et des violences sexualisées. Elle décrit aussi de manière assez percutante l’atmosphère générale régnant dans un pays où, même si ces pratiques firent rarement l’objet de discussions ouvertes et si leur usage politique ne fut jamais admis par l’État, les violences sexualisées avaient tout simplement été normalisées.

     

    Dans son étude sur les mouvements féministes en Haïti pendant le XXe siècle, l’historienne Grace Sanders (2013) fait état de la manière dont plusieurs jeunes femmes haïtiennes de toute provenance sociale furent soumises à des pratiques « honteuses » telles les « vérifications de culottes » effectuées par des Tontons Macoutes qui se permirent souvent d’autres libertés sexuelles à l’insu de leurs victimes.[48] Sanders soutient par ailleurs que la menace de viol pendant l’époque Duvalier prit une telle ampleur que plusieurs familles de la classe moyenne haïtienne ne pouvant plus garantir à leurs filles le degré de protection que leur rang social aurait dû leur assurer, décidèrent finalement de quitter le pays. [49] Sans équivoque, elle établit donc un lien direct entre violence sexualisée et migration. L’autrice va même jusqu’à qualifier la fin des années 1960 et le début des années 1970 comme l’ère de la « grande migration des jeunes filles. »[50] Si Sanders (2013) ne présente pas de chiffres à l’appui pour montrer comment la migration elle-même devait présenter une asymétrie aux niveaux des sexes et qu’il reste plusieurs autres facteurs pour expliquer ces départs notables vers l’étranger à la même époque,[51] il n’en demeure pas moins que la menace de l’acharnement duvaliériste sur les femmes prenait une forme sexospécifique qui ne devrait pas être niée.

     

    Alors que de manière générale le sujet est demeuré extrêmement tabou, d’autres participants à notre étude, notamment certains hommes, ont parfois reconnu la centralité du viol dans l’exercice du pouvoir duvaliériste. Pour Maurice Dalancourt, lorsqu’il s’agit d’ouvrir une parenthèse sur les sévices subis par les femmes sous les Duvalier (car il semble bien s’agir là pour notre interlocuteur d’une certaine digression à l’égard du sujet principal dans un échange sur le duvaliérisme), une interrogation persiste : « est-ce que c’était Duvalier [père et/ou fils] ou est-ce que c’était la société haïtienne? »; à savoir, qui devrait porter le blâme pour ces crimes?[52] Dans le même ordre d’idée, un autre participant, Eugène Philippe, évoque comment « fanm toujou viktim, depuis que le monde est monde! »[53] c’est-à-dire « les femmes sont toujours des victimes », notant par ce propos comment le caractère historiquement patriarcal de la société haïtienne arriva à une sorte d’apogée sous les Duvalier.[54] Pour Etzer Damas, un autre individu interviewé particulièrement critique face au régime, si « le viol faisait [bien] partie des armes de terreur »[55] de l’État duvaliériste, il faut tout de même admettre que « la femme haïtienne a toujours été vulnérable ».[56] Cette vulnérabilité semble pourtant atteindre de nouveaux sommets pendant l’époque passée à la loupe et pénètre la sphère du privé de manière particulièrement perverse.

     

    Dans sa monographie sur les origines de l’État duvaliériste, l’anthropologue haïtien Michel-Rolph Trouillot (1990) soutient que la violence duvaliériste réussit à détruire une conceptualisation de la différenciation des genres qui existait jusque-là.[57] Il note en effet :

     » what categorizes Duvalierist violence is not the fact that it also touched women, and not even that it touched many more women than preceding regimes; it is, rather the complete disappearance of the protection traditionally conferred by femininity. Everyone knew — and François Duvalier wanted it known — that women could fall victim of state violence. The unusual became the principal. « [58]

     

    Cette « différenciation » dont Trouillot fait mention fut largement basée, on l’aura compris, sur l’exclusion politique des femmes et dénote le caractère patriarcal de la société haïtienne.[59] Puisqu’elles n’étaient pas systématiquement perçues comme des actrices politiques, le surcroît de la violence d’État ne les considérait pas nécessairement. C’est leur « passivité » politique conférée par leur condition de femmes qui était à la base de cette « protection. »

     

    L’incident du 5 janvier 1958 impliquant la célèbre féministe haïtienne Yvonne Hakim Rimpel, sembla, dans l’esprit de certains en tout cas, marquée une importante fissure au supposé statu quo pré-1957. Hakim Rimpel, journaliste et militante de renom, avait publiquement appuyé l’un des opposants de François Duvalier lors du scrutin de septembre 1957.  Pire encore, elle avait continué de s’insinuer dans la sphère politique en critiquant le nouveau président dans les mois suivant son investiture. Au début du mois de janvier 1958, elle reçut donc à son domicile la visite d’hommes armés. Toujours en habit de nuit, elle fut séparée de ses filles[60] avant d’être amenée dans un lieu non déterminé où elle aurait battu avant d’être violée.[61]

     

    Alors que l’utilisation du viol comme arme politique est depuis courante en Haïti,[62] l’atteinte contre Hakim Rimpel défia, à l’époque, nous l’avons dit, sortie du domaine du concevable.[63] Elle suscita de vives réactions dans la presse avant d’être oubliée.[64] Pour notre participante Adeline Faubert, qui lors de nos entretiens faisait encore état des « cauchemars » reliés à son enfance qui l’habitaient, « lorsqu’on arrêtait les femmes, elles avaient des traitements spécifiques par rapport à leur sexe. »[65] À son sens « on faisait les femmes payer encore plus cher leur engagement politique. »[66] C’est un point de vue que semblent partager certaines chercheuses. Donette Francis (2005), par exemple, souligne comment les femmes qui affichaient leur engagement dans des causes féministes ou encore qui osaient publiquement critiquer le régime (une position conduisant souvent à l’autre), étaient perçues comme « subversives, antipatriotiques et non naturelles. »[67] D’un coup, elles passèrent de l’appellation de sujets « politiquement innocents » à celle de « ennemis de l’État. »[68] Par son action politique et sa réfutation du duvaliérisme, Yvonne Hakim Rimpel s’était rendue visible à l’État et était donc une proie acceptable pour la condamnation.

     

    Les spécialistes n’ont pas toutes traduit cet état de fait de manière analogue. La féministe et politologue haïtienne Carolle Charles (1995) a proposé dans un article l’argument très provocateur selon lequel l’égalité des sexes en Haïti fut finalement conquise sous les Duvalier. Aux dires de Charles (1990), « les femmes ont commencé à être détenues, torturées, exilées, violées et exécutées. Ironiquement, la violence d’État a créé, pour la première fois, l’égalité des sexes. »[69] L’anthropologue Erica Caple James (2010) reste néanmoins perplexe devant cette évaluation. Sans toutefois discréditer Charles, elle propose plutôt de comprendre cette forme de violence contre les femmes non pas comme un marqueur d’égalité, mais bien comme un mécanisme employé par l’État pour maintenir une pensée conventionnelle du genre.[70] Si, comme le suggère l’histoire d’Adeline Faubert, il apparaît évident que certaines femmes furent victimes pour avoir commis l’unique faute d’être là, de vivre, d’exister, et de se trouver sur le passage d’un Macoute,[71] en prenant un rôle politique, les femmes comme Yvonne Hakim Rimpel remirent en question l’équilibre d’un régime basé sur un idéal d’hyper masculinité. Le régime duvaliériste, particulièrement sous le leadership de François Duvalier, proposait (du moins, dans sa rhétorique), un État fort, noir,[72] mâle et basé sur une allégeance suprême au président. La bonne manœuvre de la vision épousée par Duvalier exigeait, il faut croire, cette attitude envers les femmes.  

     

    Un féminisme d’État? La complexité de la position féminine sous les Duvalier

    Pourtant, malgré la discussion des dernières pages, il s’avérait réducteur de voir les femmes comme de simples victimes d’une nouvelle force politique sous les Duvalier…du moins, c’est une conclusion appuyée par certains des participants à notre recherche. Télémaque Auguste, un homme issu de la petite classe moyenne urbaine de Port-au-Prince et alors âgé d’une soixantaine d’années au moment de notre rencontre en 2018, conçoit la question des femmes sous un tout autre angle. L’un des seuls participants à s’être montrés aussi ouvertement conciliatoire dans sa vision du régime duvaliériste en admettant que quelques « excès » auraient peut-être été commis au nom de Duvalier père, mais toujours à l’insu du président, M. Auguste « partage, » peut-être de manière perverse, l’avis de Carolle Charles (1995) quant à une certaine égalité des sexes, notamment sous Duvalier père. À son sens, les femmes bénéficiaient même d’un degré de pouvoir additionnel que seul leur sexe leur permettait d’apprécier. Il note en effet que :

    « Sur Duvalier […]  il y avait des femmes […] qui avaient beaucoup plus de pouvoir que les hommes! Pour en nommer, il y avait une certaine Madame Max Adolphe (fait un bruit avec sa bouche pour montrer que cette femme était redoutable). Il y en avait un paquet! Eux autres là, on les appelait, ces femmes-là, des fillettes-lalos [branche féminine des Tontons macoutes] (rit) … [Elles] avaient beaucoup de pouvoir! Au contraire! Au contraire! Même les jeunes femmes, il fallait faire attention là! Parce que là voir une fille, puis vous l’abordiez puis la fille n’est pas contente là, puis la fille sortait avec un Tonton Macoute là et puis elle te fait ramasser. Elle te fait ramasser! (rit) [Vous vous] ramassez en prison!… Ils [les hommes et les femmes] avaient à peu près le même pouvoir! »[73]

     

    Ici M. Auguste pose d’abord son attention, non pas sur les femmes opposées à Duvalier ou encore sur des femmes « ordinaires » et « apolitiques », mais plutôt sur Madame Max Adolphe (née Rosalie Bosquet) et d’autres membres / « associées » au giron duvaliériste. En sa qualité de chef des Tontons Macoutes et par défaut de sa filiale féminine, les fillettes-lalos, Madame Max Adolphe occupa une place privilégiée dans la hiérarchie duvaliériste. Au milieu des années 1960, elle est nommée commandante de la prison politique de Fort-Dimanche où elle infligea aux détenus toutes sortes de tortures sexuelles sadiques.[74]  Madame Max Adolphe ne représente en rien le vécu commun des femmes haïtiennes, si ce n’est qu’elle expose un exemple de la manière dont le duvaliérisme su s’approprier l’aspiration de certaines femmes d’exercer un poids politique.[75]

     

    S’il s’agit là d’un point mineur de cette discussion, impossible de passer sous silence comment, à l’exemple de plusieurs autres Haïtiens, dans les milieux savants comme dans les conversations plus informelles, M. Auguste fait ici référence à « Madame Max Adolphe » née Rosalie Bosquet, par le nom de son mari. S’il est très possible que M. Auguste ignore le nom de la duvaliériste notoire ou que cette information lui ait échappé au moment de l’entrevue, on y voit quand même là un oubli marquant qui semble refléter comment la femme n’existerait qu’à travers l’état civil qu’elle doit à son mari.

     

    Dans ses réflexions, M. Auguste traite aussi du « pouvoir » de ces femmes qui, pour un oui ou pour un non, n’appréciant pas les flatteries des jeunes gens aux yeux flâneurs, les dénonçaient à la police secrète. Cette affirmation semble accorder aux femmes haïtiennes une agentivité qu’il est difficile d’imaginer comme représentative. Elle laisse d’autant plus supposer une capacité politique et une autonomie sexuelle qui formaient la réalité d’un groupe sans doute très minoritaire de femmes. Sanders (2013) rapporte comment plusieurs parents durent vivre avec la peur constante que leurs filles pourraient un jour tout bonnement être « choisies » pour devenir la « maîtresse » d’un   Macoute.[76] N’excluant pas la possibilité qu’une telle réalité reflète un choix difficile fait par des familles haïtiennes afin de se garantir une quelconque protection devant la machine répressive duvaliériste, le besoin de « sécurité » et la peur de violences sexualisées devant la moindre résistance contraignirent plusieurs femmes à accepter l’asymétrie que toute relation intime avec un Macoute devait forcément promouvoir.[77] Ces relations forcées n’avaient donc rien d’anodin contrairement à ce que les réflexions de M. Auguste sur le sujet laissent entendre. Ainsi, cet environnement où l’intimidation primait concourut à renforcer la subordination des femmes dans une société déjà très pauvre et où leurs voix étaient limitées.[78] Il reste à écrire de manière cohérente au sujet de l’investissement politique des femmes haïtiennes pendant l’époque des deux Duvalier et de la manière dont la perception de la violence reste sexuée dans les espaces haïtiens.[79] Toutefois nous ne pouvons pas accepter le constat de M. Auguste sans une sérieuse réserve.

     

    Conclusion

    En définitive, alors que malgré (ou peut-être plus précisément en raison) une certaine apathie voire une forme de sympathie face au duvaliérisme en Haïti, plusieurs études depuis les dernières années se sont donné pour objectifs d’éclairer certaines facettes de la plus longue dictature que le pays ait connue au XXe siècle, très peu en dehors de quelques explorations permettent de retracer le vécu des femmes haïtiennes pendant ces vingt-neuf ans de dictature. L’histoire orale, sans doute l’un des seuls vecteurs pour récupérer la voix et le réel féminins dans cet espace, se présente comme un outil indispensable dans cette quête. En s’intéressant à une population diasporique justement déplacée en raison des nouvelles réalités engendrées par l’arrangement politique post-septembre 1957, nous avons ici interrogé deux témoignages afin de réfléchir non seulement aux expériences spécifiques des femmes pendant l’ère duvaliériste, mais aussi pour mieux apprécier comment ces enjeux furent saisis par les participants à notre enquêteétude. Le concept de « violence sexualisée » tel que théorisé par Brigitte Halbmayr (2010) s’est avéré un cadre prometteur pour réfléchir au quotidien des femmes haïtiennes pour le moins bouleversé par l’arrivée de François Duvalier au Palais national. Les deux participants à notre travail dont les propos furent retenus dans cette brève analyse, soit Adeline Faubert et Télémaque Auguste, nous présentèrent deux tableaux assez distincts quant au rapport entre le duvaliérisme et les femmes. Là où Adeline Faubert relate une enfance et une adolescence façonnées à travers la peur du viol et d’autres formes de violence sexualisée, M. Auguste, lui, semble plutôt se souvenir d’une vie de jeune homme par moments marqué par la crainte de ces femmes intimement associées au régime, celles-ci tout aussi redoutables que les hommes. Dans un cas comme dans l’autre, ces deux témoignages confirment l’urgence, surtout à l’heure où les survivantes du régime disparaissent et où l’instabilité chronique depuis 1986 conduit au défaitisme, d’ouvrir le terrain à plus d’investigation sur les questions reliées aux violences sexualisées, au genre et à la dictature, tant les propos d’Adeline Faubert et de Télémaque Auguste laissent présager une multitude de points morts et de possibilités pour des études à venir. Au-delà d’un réel devoir de mémoire, ce type d’explorations pourraient, au final, s’inscrire dans une voie de transition démocratique, tant le choix du silence presque institutionnalisé ne semble pas avoir porté de fruits reluisants.[80] 

    Références

    [1] Si la plupart des auteurs utilisent « Tontons Macoutes » et Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN) de manière interchangeable, l’anthropologue haïtien Michel-Rolph Trouillot (1990) émet une mise en garde. Trouillot rapporte en effet que tous les Macoutes n’étaient pas des VSN.  Selon l’auteur, il faut situer la différence entre les deux offices à travers l’exercice de leurs fonctions plus précises. Les Macoutes étaient avant tout un groupe pour le moins privilégié d’individus travaillant au sein de la police secrète duvaliériste. Ils étaient habituellement responsables des arrestations et de la torture.  Les VSN, pour leur part, étaient des miliciens. Selon Trouillot, si quelques Macoutes étaient bien des miliciens, beaucoup auraient dédaigné cette association avec une entité regroupant sa base dans les éléments plus populaires de la société haïtienne. Du reste, dans l’imaginaire haïtien, les Macoutes restent des figures redoutables et des représentants des aspects les plus répressifs du duvaliérisme. Voir Michel-Rolph Trouillot, Haiti, State against Nation: The Origins and Legacy of Duvalierism (New York: Monthly Review Press, 1990), 190.

    [2] Entretien de Belony avec Guislaine Antoine, Laval 22 août 2018.

    [3] Entretien de Belony avec Prospère-Émile Guerrier, Montréal 15 juillet 2019.

    [4] Nous pensons notamment au désaccord entre l’historien et théologien britannique David Nicholls (1979) et Michel-Rolph Trouillot (1990). Tandis que le premier rejette l’hypothèse d’un État totalitaire et n’est pas à l’aise avec l’idée de parler d’une forme de fascisme sous les deux gouvernements, Duvalier (François Duvalier, 1957-1971 et Jean-Claude Duvalier, 1971-1986).Le second, s’appuyant moins sur une grille de lecture pour le moins strictement européenne des phénomènes totalitaires et fascistes, croit bien que l’État duvaliériste, particulièrement sous la gouvernance de François Duvalier, fut bien totalitaire. Sans nous lancer ici dans ce débat, nous référons le lecteur à David Nicholls, From Dessalines to Duvalier: Race, Colour and National Independence in Haiti (New Brunswick: Rutgers University Press, [1979] 1996) et Trouillot, Haiti: State Against Nation.

    [5] Nous pensons ici à des sources primaires qui auraient servi à mieux reconstruire, même si seulement à travers une perspective étatique, ces vingt-neuf années de dictature.

    [6] Nous faisons référence, entre autres, à des ouvrages récents (souvent sous forme d’articles de revues laissant présager des enquêtes à venir de plus longue haleine) qui ravivent les débats sur le duvaliérisme. Citons au passage, Wien Weibert Arthus, Duvalier à l’ombre de la guerre froide: les dessous de la politique étrangère d’Haïti (1957-1963) (Port-au Prince: Imprimeur S.A., 2014); Gérard Aubourg, Le fascisme mystique du docteur François Duvalier en Haïti (Montréal : Les Éditions du CIDIHCA, 2021); Jean-Philippe Belleau, « The Stranger-King of the Caribbean: François Duvalier, State Politics, and the Othering of Brutality », The Journal of Latin American and Caribbean Anthropology 24, no 4 (2019): 935‑57; Jean-Philippe Belleau, « For an anthropological approach to denial: Social bonds, pathophobia, and the Duvalier regime in Haiti », dans Denial: The Final Stage of Genocide, éd. par John Cox, Amal Khoury, et Sarah Minslow Minslow (Routledge, 2021), 45‑61; Marvin Chochotte, « Making Peasants Chèf: The Tonton Makout Militia and the Moral Politics of Terror in the Haitian Countryside during the Dictatorship of François Duvalier, 1957–1971 », Comparative Studies in Society and History 61, no 4 (octobre 2019): 925‑53 et Nicole K. Drumhiller et Casey Skvorc, « A Psychological and Political Analysis of a Twentieth Century “Doctator”: Dr. François Duvalier, President-for-Life of Haiti », Global Security and Intelligence Studies 3, no 1 (2018): 9‑32.

    [7] Faute de sources à l’appui, du manque d’intérêt de plusieurs historiens, mis à part certaines explorations littéraires, il existe à ce jour trop peu d’études pour nous éclairer sur le quotidien des femmes haïtiennes pendant la dictature. La sociologue haïtienne Sabine Lamour (2016), l’une des rares à avoir entrepris de discuter d’une facette du sujet, rapporte d’ailleurs que ce silence dans l’historiographie s’explique par « un profond biais androcentrique démontrant que la mémoire de la présence des femmes est peu valorisée dans l’histoire politique » d’Haïti. Voir Sabine Lamour, « Les Fiyet-Lalo (Fillettes Lalo) : un impensé de la mémoire de la dictature duvaliériste », dans Haïti : de la dictature à la démocratie? éd. par Bérard Cénatus et al. (Montréal: Mémoire d’encrier, 2016), 213‑34.

    [8] Nous parlons de « silence » autour du duvaliérisme justement, comme déjà signalé, en raison de la marginalité des sources à ce sujet, mais également vu le « silence » des gouvernements haïtiens post-1986 pour faire la lumière, dans un exercice qui aurait pu s’inscrire dans une démarche de transition démocratique, sur ces près de trois décennies de pouvoir duvaliériste.

    [9] L’avènement de l’histoire orale comme terrain d’investigation « respecté » en histoire ne fut pourtant pas sans accros. Longtemps critiquée en raison du manque de « fiabilité » du discours des témoins humains, plusieurs historiens, notamment depuis les travaux novateurs d’Alessandro Portelli (1991), reconnaissent que cette subjectivité intrinsèque à l’histoire orale ne constitue pas une faiblesse du champ. Voir à ce sujet Alessandro Portelli, The Death of Luigi Trastulli and Other Stories: Form and Meaning in Oral History (Albany: SUNY Press, 1991).

    [10] Voir notamment cette nouvelle sensibilité historiographique vue du point de vue féministe dans Kathryn Anderson et al., « Beginning Where We Are: Feminist Methodology in Oral History », The Oral History Review 15, no 1 (1987): 103‑27.

    [11] L’histoire orale est donc très tôt une part intégrale de ce mouvement pour écrire une « histoire depuis le bas » (« history from below »). Pour une discussion sur cette intersection entre les deux tendances, voir Staughton Lynd, « Oral History from below », The Oral History Review 21, no 1 (1993): 1‑8.

    [12] Temporairement intitulée « ‘Tout [n]était pas si négatif que ça’ : Les mémoires contestées du duvaliérisme au sein de la diaspora haïtienne de Montréal, 1964- 2014 », notre thèse de doctorat porte justement sur les visions souvent partagées qu’entretiennent les Haïtiens au Québec au sujet de cette dictature.

    [13]  Entre le départ du président Paul Eugène Magloire en décembre 1956 et les élections de septembre 1957, on dénombre six gouvernements différents à la tête d’Haïti. Si les auteurs ne semblent pas s’accorder sur les dates précises entourant la gouvernance de ces différents gouvernements, voir tout de même Sauveur Pierre Étienne, L’énigme haïtienne : échec de l’État moderne en Haïti (Montréal : Presses de l’Université de Montréal ; Mémoire d’encrier, 2007), p. 221-267 ainsi que Jacques Adélaïde-Merlande, « Haïti, République dominicaine : naissance et fin d’une dictature », dans Histoire contemporaine de la Caraïbe et des Guyanes (Paris : Karthala, 2002), p. 38-39.

    [14] Mats Lundahl, Politics or Markets? Essays on Haitian Underdevelopment (London; New York: Routledge, 1992), p. 273.

    [15] En effet, le fils du président, soit Jean-Claude Duvalier (1951-2014), put, après une réforme constitutionnelle, assumer à son tour la présidence à vie après le décès de son père en avril 1971 et ce, jusqu’en 1986. Voir Rod Prince et Jean Jacques Honorat, « The Duvalier System », dans Haiti: Family Business, éd. par Rod Prince (London: Latin American Bureau, 1985), p. 31.

    [16] Sur le « messianisme » duvaliériste et sur la façon dont François Duvalier voulut se présenter comme un « envoyé » appelé à sauver la nation haïtienne, voir notamment Karl Lévêque, « L’interpellation mystique dans le discours duvaliérien », Nouvelle Optique 4, no 1 (1971) : p. 5‑432 et Jean-François Sénéchal, « Du mythe à la violence duvaliériste », Chemins Critiques 5, no 2 (2004) : p. 34‑65.

    [17] L’historien Jean-François Sénéchal (2004) a fait état de la manière dont François Duvalier lui-même fit fréquemment des références à la révolution haïtienne de 1791-1084, non seulement pour inscrire son propre régime (dit lui aussi « révolutionnaire ») en continuité avec les efforts ayant mené à l’indépendance du pays, mais aussi dans le but de justifier son usage de la violence. Voir Sénéchal, « Du mythe à la violence duvaliériste. »

    [18] L’anthropologue haïtien Laënnec Hurbon parle bien d’une « domestication systématique » de la société haïtienne par François Duvalier. Laënnec Hurbon, Culture et dictature en Haïti : L’imaginaire sous contrôle (Paris, Les Éditions L’Harmattan, 1979), p. 86.

    [19] Voir au sujet des restructurations de l’armée sous la gouvernance de François Duvalier, Michel S. Laguerre, The Military and Society in Haiti (New York: Springer Publishing Company, 1993).

    [20] Voir au sujet des démêlés entre François Duvalier et le Saint-Siège en Haïti, Wien Weibert Arthus, « De l’affrontement à la réconciliation : François Duvalier et l’Église catholique (1957-1971) », Histoire, monde et cultures religieuses, no 29 (14 janvier 2015): 61‑82.

    [21] Sur les restructurations de l’Université d’Haïti devenue l’Université d’État d’Haïti en 1960 pour l’amener sur un meilleur contrôle par l’État, voir Leslie J. R Péan, Entre savoir et démocratie : les luttes de l’Union nationale des étudiants haïtiens (UNEH) sous le gouvernement de François Duvalier (Montréal : Mémoire d’encrier, 2010).

    [22] Jeb Sprague, Paramilitarism and the Assault on Democracy in Haiti (New York: Monthly Review Press, 2012), 13.

    [23] Jean-Philippe Belleau (2021), “For an anthropological approach to denial: Social bonds, pathophobia, and the Duvalier regime in Haiti,” 45.

    [24] « Haïti – Population totale | Statistiques », Perspective Monde – Université de Sherbrooke, consulté le 23 septembre 2022, https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codePays=HTI&codeStat=SP.POP.TOTL.

    [25] Notons que ces chiffres ne disent rien sur ceux qui ont été torturés et qui ont survécu. De plus, contrairement à de nombreux pays de la région, Haïti n’a pas eu de commission de vérité après la dictature, un processus qui aurait pu aider à faire la lumière sur ces deux questions.

    [26] Pour une étude comparative sur les différentes commissions de vérité établies en Amérique latine dans une perspective de transition démocratique au cours des années 1980 et 1990, notamment en Argentine, au Chili, au Guatemala et en Colombie, voir Rachel May, « “Truth” and Truth Commissions in Latin America », Ciencias Sociales Investigación y Desarollo 22, no 2 (1 juillet 2013): p. 494‑512.

    [27] Si les commissions de vérité se multiplient à l’échelle mondiale depuis les années 1990, particulièrement depuis la tenue de la Commission de la vérité et de la réconciliation en Afrique du Sud en 1996, elles demeurent imparfaites et ne traitent pas toujours des fondements structurels de la violence politique. Pourtant, plusieurs chercheurs s’entendent quant à leur centralité dans un processus de transition démocratique à la suite de périodes marquées par de sévères abus des droits de la personne. À ce sujet, voir entre autres Priscilla B. Hayner, Unspeakable Truths: Confronting State Terror and Atrocity (New York: Routledge, 2001) et également Martha Minow, Between Vengeance and Forgiveness: Facing History After Genocide and Mass Violence (Boston: Beacon Press, 1998) qui ont étudié la question des commissions de vérité sous divers angles.

    [28] Malgré l’élaboration d’une Commission Nationale de Vérité et de Justice en 1994 pour éclairer la situation politique qui avait suivi le renversement du gouvernement du président Jean-Bertrand Aristide en septembre 1991, celle-ci fut dotée d’un mandat qui se réduisait à la période circonscrite entre le coup d’État et le retour d’Aristide en 1994. Ainsi, la dictature duvaliériste (1957-1986) et la chute de Jean-Claude Duvalier en février 1986, largement responsables du contexte d’instabilité politique qui rendit possible l’offensive contre Aristide, furent évacuées du travail de la commission, décontextualisant de ce fait la violence précédant le putsch de 1991. Pour une plus ample discussion sur la commission nationale de vérité et de justice en Haïti, voir Quinn, Joanna R. « Haiti’s Failed Truth Commission: Lessons in Transitional Justice ». Journal of Human Rights 8, nᵒ 3 (4 septembre 2009): p. 265‑81.

    [29] Sur les difficultés de la commémoration des crimes associés au duvaliérisme en Haïti et sur le manque de leadership des gouvernements haïtiens post-1986 dans ce dossier, voir Henry F. (Chip) Carey, « The Slow Rise of Social Movement Organizations for Memorialization in Haiti: Lutte Contre Impunite, Devoire de Memoire-Haiti and Digitizing the Record on Atrocities », dans Mass Violence and Memory in the Digital Age: Memorialization Unmoored, éd. par Eve Monique Zucker et David J. Simon, Palgrave Macmillan Memory Studies (Cham: Springer International Publishing, 2020), p. 175‑96.

    [30] Le phénomène migratoire haïtien prend un nouvel essor pendant la seconde tranche du XXe siècle. Comme le signale Cédric Audebert, au cours des années de la dictature duvaliériste, il touche l’ensemble de la population haïtienne; particularité notable puisque jusqu’à la clôture des années 1950, il était surtout l’affaire de travailleurs saisonniers qui quittaient régulièrement Haïti pour la République dominicaine et/ou Cuba. Voir Cédric Audebert, La diaspora haïtienne : territoires migratoires et réseaux transnationaux (Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2012), 31.

    [31] Voir à ce sujet Sean Mills, A Place in the Sun: Haiti, Haitians, and the Remaking of Quebec (Montreal: McGill-Queen’s University Press, 2016).

    [32] Voir Micheline Labelle, Serge Larose, et Victor Piché, « Émigration et immigration : les Haïtiens au Québec », Sociologie et sociétés 15, no 2 (1983): 73‑88.

    [33] L’éloignement physique des frontières d’Haïti ne suffit pas pour échapper aux regards des nombreux espions supposément installés à l’étranger qu’on prêtait au régime. Les consulats haïtiens en particulier furent perçus comme des antennes du pouvoir duvaliériste outremer. Voir Mills, A Place in the Sun, 97 et 100.

    [34] Nous pensons, entre autres, à des revues intellectuelles lancées par des Haïtiens depuis leur exil au Québec telles que Nouvelle Optique : Recherches haïtiennes et caribéennes  (1971-1973) et Collectif Paroles : Revue culturelle et politique haïtienne (1979-1987).

    [35] Au sujet des sentiments compliqués sur le duvaliérisme en Haïti, voir l’enquête du journaliste Jefferson N. Pierre-Louis, « La nostalgie Duvalier en Haïti : entretien et conversation avec les moins jeunes et les jeunes (1ère partie) », Le Quotidien News (blog), 20 juin 2022. Page consultée le 20 août 2022.  https://lequotidiennews.org/la-nostalgie-duvalier-en-haiti-entretien-et-conversation-avec-les-moins-jeunes-et-les-jeunes-1ere-partie/.

    [36] Pour un survol historiographique sur les études à ce sujet et sur de nouvelles pistes de questionnement, voir entre autres Holly Porter, « Moral Spaces and Sexual Transgression: Understanding Rape in War and Post Conflict », Development and Change 50, no 4 (2019): 1011.

    [37] Dans un ouvrage collectif édité conjointement par Elissa Bemporad et Joyce W. Warren (2018), les auteures, en s’intéressant à divers espaces géographiques suivant une temporalité qui touche autant le XXe siècle que la première décennie du XXIe, retracent d’ailleurs le vécu des femmes dans des  contextes de violence politique. Voir Elissa Bemporad et Joyce W Warren, éd., Women and Genocide: Survivors, Victims, Perpetrators (Bloomington: Indiana University Press, 2018).

    [38] Tout en s’intéressant au cas de survivantes de la dictature pinochiste au Chili (1973-1990), Brandi Townsend (2019) passe en revue les positions adoptées par différentes chercheures féministes sur la question dans des contextes politiques de violations sévères des droits humains. Brandi Townsend, « The Body and State Violence, from the Harrowing to the Mundane: Chilean Women’s Oral Histories of the Augusto Pinochet Dictatorship (1973–1990) », Journal of Women’s History 31, no 2 (2019): p. 33‑56.

    [39] Brigitte Halbmayr, “Sexualized Violence against Women during Nazi ‘Racial’ Persecution,” in Sexual Violence against Jewish Women during the Holocaust, ed. Sonja M. Hedgepeth and Rochelle G. Saidel (Waltham, MA: Brandeis University Press, 2010), 30. Traduction depuis l’anglais par l’autrice de ce texte.

    [40] Ibid.

    [41] Anselme Remy, « The Duvalier Phenomenon », Caribbean Studies 14, no 2 (1974): 40.

    [42] Si plusieurs auteurs tels que Trouillot (1990), Charles (1995) et Francis (2010) s’entendent quant à la centralité du viol comme une arme politique pendant les années de dictature, et particulièrement pendant les séances de torture sous Duvalier père, nous ne parlons que d’utilisation « courante » du viol tant il n’existe toujours pas, à l’heure actuelle, d’études systématiques sur l’ampleur du problème. S’il s’agit là d’un autre angle mort relatif au duvaliérisme demandant à être éclairé, le malaise que provoque souvent le sujet, le passage du temps et la mort progressive de plusieurs victimes rendent la tâche de s’appliquer à de telles études tout aussi urgente que difficile. Il faut donc souvent se tourner vers les œuvres littéraires, telles que la trilogie Amour, Colère et Folie (1968) de Marie Vieux-Chauvet (publiée au prix d’une grande émotion pour l’auteure) pour avoir un portrait de l’impact majeur de la dictature sur la vie des femmes. Au sujet d’Amour, Colère et Folie, sur son auteure, sur l’importance du texte et sur l’histoire compliquée de sa publication, voir entre autres Regine Isabelle Joseph, « The Letters of Marie Chauvet and Simone de Beauvoir : A Critical Introduction », Yale French Studies, no 128 (2015): 25‑39.

    [43] Entretien téléphonique de Belony avec Adeline Faubert, Montréal 3 août 2019.

    [44] Décrit par Sauveur Pierre Étienne (2007) comme « un analphabète plus ou moins fonctionnel », Astrel Benjamin était un Macoute redoutable dont l’influence dépassait de loin la région des Cayes pour s’étendre sur une bonne partie du sud du pays. Voir Étienne, L’énigme haïtienne, 235.

    [45] Notons que même lors de nos entrevues, à notre question « À votre avis, les expériences des femmes pendant l’époque des deux Duvalier, étaient-elles différentes de celles des hommes ? », très peu de participants utilisèrent le mot « viol » pour décrire la violence commise contre les femmes.

    [46] Miranda Alison, « Wartime Sexual Violence : Women’s Human Rights and Questions of Masculinity », Review of International Studies 33, no 1 (2007): 81.

    [47] Milton, Conflicted memory, 50.

    [48] Grace Louise Sanders, « La Voix Des Femmes: Haitian Women’s Rights, National Politics and Black Activism in Port-Au-Prince and Montreal, 1934-1986 » (Ann Arbor, University of Michigan, 2013), http://deepblue.lib.umich.edu/handle/2027.42/99799, 193.

    [49] Ibid., 206.

    [50] Ibid., 196.

    [51] Plusieurs auteurs tels que Micheline Labelle, Serge Larose et Victor Piché (1983) notent d’ailleurs comment, la situation économique étant devenue de plus en plus difficile en Haïti dans les années 1970, la migration hors du pays était tout simplement devenue nécessaire pour un nombre toujours plus grand d’Haïtiens. Voir Micheline Labelle, Serge Larose, et Victor Piché, « Émigration et immigration : les Haïtiens au Québec », Sociologie et sociétés 15, no 2 (1983): 78-79.

    [52] Entretien de Belony avec Maurice Dalancourt, Montréal 2 juillet 2019.

    [53] Entretien de Belony avec Eugène Philippe, Rive Sud 8 août 2018.

    [54] M. Philippe note en effet que « le côté patriarcal [de la société haïtienne] s’imposait vraiment » à l’époque des Duvalier.

    [55] Entretien téléphonique de Belony avec Etzer Damas, Montréal 25 mars 2020.

    [56] Ibid. Notons que tout en reconnaissant l’utilisation réelle du viol comme outil politique, certains, comme la politologue Holly Porter (2019), croient qu’il faudrait maintenant dépasser le stade de ce constat et voir le viol tel un « continuum » de la violence genrée dans la mesure où il devrait être appréhendé comme un acte à la fois événementiel et ordinaire. Voir Porter, « Moral Spaces and Sexual Transgression », 1011.

    [57] Trouillot, Haiti: State Against Nation, p. 167.

    [58] Ibid. Italique depuis le texte original.

    [59] Cette différenciation suppose ici que ces femmes qui ne bénéficiaient pas de la « protection » d’un homme, étaient des proies possibles pour n’importe quel excès de violence.

    [60] Après que celles-ci aient été battues à plusieurs reprises.

    [61] Hakim Rimpel déclara publiquement dans un article publié dans le Nouvelliste, plus vieux quotidien haïtien, qu’elle ne fut jamais la victime d’actes de violence orchestrés par le président élu. Toutefois, elle ne tenta pas d’expliquer pourquoi elle fut admise à l’hôpital dans un état critique durant les jours suivants l’épisode du 5 janvier et pourquoi elle dut être hospitalisée. Voir à ce sujet Clorinde Zéphir, « Dictator Duvalier orders the torture of journalist Yvonne Hakim Rimpel », Haitian women between repression and democracy, Port-au-Prince, Enfofanm Editions, 1995, 21.

    [62] Nous pensons notamment ici aux nombreux crimes à caractères sexuels perpétrés contre les femmes pendant l’époque de Raoul Cédras (1991-1994). Voir Terry Rey, « Junta, Rape, and Religion in Haiti, 1993-1994 », Journal of Feminist Studies in Religion 15, no 2 (1999): 73‑100.

    [63] Il ne s’agit pas ici de prétendre que les femmes haïtiennes n’avaient pas été victimes de crimes violents ou politiques avant 1957. Il est plutôt question d’insister sur le fait que ces crimes prirent pendant les vingt-neuf ans de dictature un caractère particulièrement sexuel dans le but de terroriser, d’humilier et de contraindre au silence.

    [64] Dans les jours qui suivirent l’incident, le quotidien Le Matin critiqua vivement l’attaque et demanda la tenue d’une enquête qui, bien entendu, ne put rien conclure puisqu’Yvonne Hakim Rimpel refusa de prendre position. Aucune accusation criminelle ne fut portée contre le groupe d’hommes. Voir Zéphir, « Dictator Duvalier orders the torture of journalist Yvonne Hakim Rimpel », 21.

    [65] Entretien téléphonique de Belony avec Adeline Faubert, Montréal 3 août 2019.

    [66] Ibid.

    [67] Donette A. Francis, « “Silences Too Horrific to Disturb”: Writing Sexual Histories in Edwidge Danticat’s “Breath, Eyes, Memory” », Research in African Literatures 35, no 2 (2004): 78.

    [68] Ibid., 81.

    [69] Charles, Carolle. « Gender and Politics in Contemporary Haiti: The Duvalierist State, Transnationalism, and the Emergence of a New Feminism (1980-1990) », Feminist Studies, vol. 21, no 1, 1995, p. 140. Traduction par l’autrice de ce texte.

    [70] Erica Caple James, Democratic Insecurities: Violence, Trauma, and Intervention in Haiti (Berkeley: University of California Press, 2010), 63.

    [71] Trouillot, Haiti: State Against Nation, 168.

    [72] Dans un pays marqué depuis son indépendance par une division entre l’élite « mulâtre » et l’élite noire (supposément l’unique entité capable de représenter la paysannerie et les classes moyennes noires), Duvalier sut utiliser la « question de couleur » haïtienne à son avantage. À travers une politique basée en partie sur le noirisme, un mouvement culturel mais surtout politique né dans les années 1930 aux derniers jours de l’occupation américaine (1915-1934) préconisant une certaine suprématie noire, Duvalier, une fois arrivé au pouvoir, présenta fréquemment son gouvernement comme l’unique avatar et défenseur de la majorité noire devant une minorité mulâtre apparemment incapable d’incarner les aspirations populaires de la population haïtienne. Voir au sujet du développement du noirisme entre les années 1930 et 1950, Matthew J. Smith, Red and Black in Haiti: Radicalism, Conflict, and Political Change, 1934-1957 (Chapel Hill: University of North Carolina Press, 2009), particulièrement les chapitres III et IV. Au sujet de l’utilisation de la question de couleur et du noirisme par François Duvalier, voir Nicholls, From Dessalines to Duvalier, surtout les chapitres VII et VIII.

    [73] Entretien de Belony avec Télémaque Auguste, Montréal 1er mars 2018.

    [74] Michael R. Hall, Historical Dictionary of Haiti (Lanham: Scarecrow Press, 2012), 12.

    [75] Note : Il faut aussi rappeler que comme plusieurs autres Haïtiens, dans les milieux savants comme ailleurs, M. Auguste fait référence à « Madame Max Adolphe » par le nom de son mari, née Rosalie Bosquet. S’il est très possible que M. Auguste ignore le nom de la duvaliériste notoire ou que cette information lui ait échappé au moment de l’entrevue, on y voit quand même là un oubli marquant qui semble refléter comment la femme n’existerait qu’à travers l’état civil qu’elle doit à son mari.

    [76] Ibid., 194.

    [77] Voir à ce sujet Sanders, « La Voix Des Femmes ».167.

    [78] Charles, « Gender and Politics in Contemporary Haiti, » 137. Aussi, tout en admettant la possibilité que notre question posée aux participants concernant les expériences des femmes sous Duvalier invitait peut-être à un éventail de réponses, la réplique de M. Auguste, découlant d’un contexte sociopolitique haïtien où le viol demeure un sujet délicat, est révélatrice d’une banalisation ou d’un manque de prise de conscience de l’ampleur effective que devait prendre la dictature duvaliériste sur les femmes.

    [79] Au sujet des Fiyet-Lalo, voir la contribution de Sabine Lamour, « Les Fiyet-Lalo (Fillettes-Lalo) : Un impensé de la mémoire de la dictature duvaliériste », dans Haïti: de la dictature à la démocratie?, éd. par Bérard Cénatus et al., 2015. Le travail de doctorat de l’historienne Grace Sanders (2013) qui s’appuie en partie sur l’enquête orale, propose différents exemples des formes de violence et d’humiliation sexuelles auxquelles les femmes haïtiennes étaient exposées pendant la dictature, telles que les vérifications arbitraires des sous-vêtements des jeunes femmes. Voir Sanders, « La Voix Des Femmes », particulièrement le chapitre III.

    [80] Notons que grâce à des efforts de la société civile, un certain voile sur le silence entourant les crimes de la dictature duvaliériste fut levé. En effet, en 2015, l’ex-président haïtien Michel Martelly (2011-2016) appuyait par un arrêté présidentiel en date du 21 avril 2015 la création de la « Journée Nationale du Souvenir à la Mémoire des Victimes de Fort Dimanche. » Le choix de parler de « Fort Dimanche » fut fait en référence à la prison politique notoire du même nom où plusieurs Haïtiens furent torturés, assassinés ou laissés pour morts. Cet incitatif se voit en partie dans le résultat du travail d’organisation, comme celui de la Fondation Devoir de Mémoire-Haïti établi en 2013. Si selon notre conversation avec l’un des membres fondateurs, M. Dominique Franck Simon, ce geste fut un premier pas vers la reconnaissance des crimes commis sous les Duvalier, la journée ne devait pas perdurer dans le calendrier national. La confusion électorale liée à l’instabilité politique de l’année 2016 offrit le contexte idéal pour que l’évènement ne soit pas repris par le président par intérim Jocelerme Privert, puis en 2017, ignoré par l’entrepreneur-politicien Jovenel Moïse, ancien associé très proche de Michel Martelly, alors devenu président. Entretien téléphonique entre Belony et M. Dominique Franck Simon, Montréal 26 février 2022. Voir aussi Secrétariat Permanent de l’AOMF, « Commémorer la date du 26 avril : un devoir patriotique au nom de la lutte contre l’impunité en Haïti », AOMF – Association des Ombudsmans et Médiateurs de la Francophonie. Page consultée le 20 avril 2022. https://www.aomf-ombudsmans-francophonie.org/2022/04/20/commemorer-la-date-du-26-avril-un-devoir-patriotique-au-nom-de-la-lutte-contre-limpunite-en-haiti/.