De la traversée à la translatio : le voyage de Didon vers Carthage dans le De casibus virorum illustrium de Boccace (chapitre II, 10) et dans les traductions en français de Premierfait (1400 et 1409) et de Lamelin (1431).

Claire Lorillard
Doctorante au CESCM-Université de Poitiers

Biographie:Professeur agrégée de Lettres Modernes et doctorante au CESCM (UMR 7302, Université de Poitiers -CNRS) sous la direction de Claudio Galderisi et Cinzia Pignatelli, je réalise une édition critique d’un miroir des princes écrit par Guillaume Peyraut, le De eruditione principum, dans sa traduction française de la fin du XIVe siècle (ms Besançon, BM 434). Je travaille en outre à l’édition de l’Abrégé de « Des cas des nobles hommes et femmes de Boccace » (Lamelin, 1431, ms. Paris, Bibliothèque Mazarine, 3880) dans une équipe de recherche du CESCM, animée par Cinzia Pignatelli et Pierre-Marie Joris. Mes domaines de recherche sont la traductologie médiévale, la philologie romane et les humanités numériques adaptées à la transcription des manuscrits anciens.

Résumé:Dans le chapitre du De casibus virorum illustrium qui raconte la fondation de Carthage, Boccace met en place un espace historico-géographique allusif, au service du déplacement de Didon et de son peuple vers un rivage où pourra s’établir un gouvernement vertueux, vers une terre « sans histoire(s) », apte à recevoir tous les récits qui donneront à cette fondation la valeur du mythe. Ce chapitre est en effet l’occasion d’un véritable travail critique à travers les sources, dont le texte garde la trace métaphorique. A travers le traitement de l’espace, Boccace invite son lecteur à se faire philologue et à mesurer combien la translation imperii trouve son contre-point naturel dans la translatio studii. Les trois traductions françaises déploient trois étapes dans la réflexion traductologique qui anime les premiers humanistes français, oscillant entre traduction littérale (Premierfait-1400), traduction glosée (Premierfait-1409) ou abrègement (Lamelin-1431). Elles complètent ainsi la réflexion de l’humaniste italien quant à l’usage des sources, et lui superposent une tension supplémentaire, dans le fragile équilibre qu’elles maintiennent entre le respect du texte-source et nécessaire « translation » dans un contexte culturel et linguistique différent. Comme toute réécriture, la traduction alimente les strates du processus de transformations et d’appropriations d’une culture en éternelle (re)construction, et qui, à l’instar de la source boccacienne, prend appui sur le traitement des données historiques et géograhiques.

Mots-clés :Carthage; géographie; Boccace; Premierfait; Lamelin; traduction; translatio

 

Table des matières
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    Introduction

    Boccace (1313-1375) commença vers 1355 la rédaction en latin du De casibus virorum illustrium et il travailla à cette œuvre jusqu’à la fin de sa vie. La première traduction[1] en français fut effectuée en 1400 par Laurent de Premierfait (13..-1418), à la demande de son protecteur d’alors, le conseiller du roi et trésorier des Chartes, Jean de Chanteprime (134.?-1411). Il s’agit d’une traduction verbum ad verbum, très proche de la langue latine utilisée par Boccace. Elle s’adressait sans doute à des lecteurs latinisants[2]. Elle connut un succès relatif et il en reste aujourd’hui sept manuscrits[3]. Nous ne l’analyserons pas en détail, car, hormis deux ajouts qui retiendront notre attention, les interventions du traducteur ne sont pas l’objet de cet article.

    La seconde traduction connue du De casibus est aussi l’œuvre de Laurent de Premierfait, qui l’effectua en 1409, à la demande de Martin Gouges (136.?-1444), évêque de Chartres. Le premier exemplaire, luxueusement enluminé, fut dédié au Duc de Berry (1340-1416) ; Jean sans Peur (1371-1419) en posséda également un exemplaire. Cette traduction fut donc, dans un premier temps, destinée à un public de cour, vraisemblablement désireux d’accéder à la portée politique et morale de l’ouvrage, sans passer par le latin. Ses réorganisations syntaxiques, ses nombreuses dittologies et ses gloses volumineuses signalent une véritable refonte de la traduction initiale : la langue française y est bien plus fluide que dans la première traduction, et le texte produit devient accessible à un public non-latinisant. Son édition connut un succès phénoménal : il en reste aujourd’hui une soixantaine de témoins.

    La troisième traduction du De casibus fut effectuée en 1431 par Jean Lamelin (13..?-14..), « conseiller en parlement », dont la biographie et le commanditaire restent inconnus à ce jour. Il ne reste de cette version que deux manuscrits complets. Cette version est un abrégé du De casibus, composé, selon Carla Bozzolo, « sur la première traduction de Laurent de Premierfait de 1400 »[4]. L’accès rapide à la substance des histoires racontées par Boccace et la langue semi-latina, héritée de la traduction de 1400, sous-entendent un lecteur assez lettré, plus érudit que le public visé par la traduction de 1409.

    La tradition éditoriale des trois versions françaises du De casibus est récente et partiellement inachevée. Si la traduction de 1400 a fait l’objet d’une édition complète par Stefania Marzano[5], la réécriture glosée de 1409 n’a pas été intégralement éditée. À ce jour, Patricia Gathercole en a publié le premier livre[6], Céline Barbance les livres I et VI[7]. Dans le cadre du projet de recherche « BoNHum », dirigé par Elena Pierazzo et Sabrina Ferrara du CESR (Tours), une équipe du CESCM de Poitiers, sous la direction de Cinzia Pignatelli et Pierre-Marie Joris, a initié une édition de la version abrégée de Lamelin. Comme le projet « BoNHum » vise, grâce aux outils numériques, à analyser la réception de Boccace en France, il a paru intéressant de mener, sur certains chapitres, une comparaison entre les trois traductions françaises. L’histoire de Didon en fait partie et les éditions produites par le CESCM sont jointes en annexes.

    La fuite de Didon est racontée dans le chapitre II, 10 du De casibus. Elle débute à Tyr et aboutit à la fondation de la future Carthage. Cet espace géographique est traité comme un espace symbolique par Boccace, où se joue un véritable déplacement de peuples et de valeurs. Racontée par l’humaniste italien, la fondation de Carthage révèle en outre le travail philologique mené par l’auteur sur l’héritage textuel antique. La translation imperii se double d’une réflexion sur la translatio studii, dont le texte garde la trace. Les traductions françaises, avec leurs gloses et leurs coupes, superposent une tension supplémentaire, dans le fragile équilibre qu’elles maintiennent entre le respect des textes-sources et leur nécessaire adaptation aux besoins des commanditaires et des lecteurs en langue vulgaire.

    La première partie de notre étude détaillera les modalités cartographiques de la traversée de Didon dans le texte de Boccace et dans ses traductions françaises. Ensuite, nous verrons comment le récit de la fondation de Carthage fait émerger un mouvement de translatio imperii. Nous étudierons enfin la traversée comme métaphore du travail philologique et de la translatio studii à l’œuvre dans tous ces textes.

     

    1. Dans l’histoire de Didon, la géographie est sommaire et pensée pour un lecteur humaniste curieux de philologie.

    1.1. Boccace trace de l’espace méditerranéen antique une cartographie allusive au service du récit.

    Les lieux traversés par Didon et ses compagnons sont marqués par une grande imprécision géographique. Au début du chapitre II-10, Boccace associe le peuple phénicien, dont Didon est originaire, au rivage syrien. Mais cette localisation géographique reste sobre et renseigne peu sur les lieux en eux-mêmes :

    […] vix nationis alterius ob antiquitatem tam celebre nomen comperies ut Phenicum. Hoc enim, post Syrorum occupatum litus […][8]

    De la même manière, seule la mention des habitants ou du toponyme désigne le centre du pouvoir phénicien :

    Acerbe [époux de Didon et prêtre d’Hercule] qui post regem apud Tyrios primum obtinebat honorem […]

    […] proras in Tyrum versas in Cyprum extemplo flexere […][9]

    Chypre se voit également limitée à un toponyme, et quant au litus affricus sur lequel Didon débarque avec ses compagnons, aboutissement de la traversée et siège de la future Carthage, il n’est ni localisé, ni nommé. Boccace écrit le récit d’une traversée méditerranéenne, mais il s’en tient à une géographie sommaire. Cette caractéristique semble se retrouver dans les autres histoires du De casibus[10]. En effet, contrairement aux textes composés dans sa jeunesse, dans lesquelles de riches descriptions géographiques permettaient de créer un espace fictif vraisemblable[11], Boccace inscrit ses œuvres de la maturité[12] dans un vaste projet humaniste de mise en lumière de l’héritage antique, dont chaque ouvrage présente l’une des facettes érudites. Quand le De casibus et le De mulierius claris ont une vocation historique et présentent la vie d’hommes et de femmes qui appartiennent au patrimoine culturel occidental, Boccace propose deux « répertoires »[13] au lecteur pour prolonger sa compréhension du monde antique et accéder alors à la « vérité poétique » de ces récits[14] : le De montibus en explicite ainsi les toponymes et la Genealogia deorum gentilium synthétise les recherches de Boccace sur les sources, souvent contradictoires, relatives aux personnages[15].

    Dans l’histoire de Didon, telle qu’elle est rapportée dans le De casibus, si les lieux ne sont ni décrits, ni ne font l’objet d’un « discours » savant, chacun est en revanche associé à une particularité, qui sert la narration car il motive la fuite. À défaut d’être situés précisément, les lieux sont racontés. Il y a des rivages à fuir et un rivage où arriver. La sobriété géographique se voit ainsi compensée par la richesse morale et dramatique des éléments retenus par Boccace pour « raconter » cette partie du monde. La présentation du peuple phénicien insiste par exemple sur sa stabilité et son rayonnement séculaire :

    Si veterum literis fides ulla prestanda est, vix nationis alterius ob antiquitatem tam celebre nomen comperies ut Phenicum. Hoc enim, post Syrorum occupatum litus, miris artibus atque laudibus decoratum est, et usque in extremum occiduum claritate operum divulgatum. Quorum ex veteri regum prosapia creditum est Belum quendam, regem eorum, exortum [..][16]

    Comme pour la géographie, Boccace n’entre pas dans le détail de l’histoire phénicienne. L’allusion et l’éloge supplantent l’information historique. L’auteur semble chercher davantage l’effet dramatique : la fuite de Didon est motivée par le contraste entre cet éloge d’une stabilité héritée de l’histoire et l’attitude déstabilisante de son frère Pygmalion. La particularité qui fait du prêtre d’Hercule le second du royaume sort du champ documentaire pour renforcer le drame en cours, et doubler le crime familial d’un crime politique. Didon devient, par ce biais, une prétendante au trône susceptible d’être éliminée. Le rêve qui l’avertit du péril encouru, maintient l’ascendant du récit sur le documentaire et cette série de discordances ouvre la voie à la création d’un État-refuge par-delà la Méditerranée.

    De Chypre, Boccace ne retient que la coutume des jeunes filles qui se prostituent sur le rivage pour gagner leur dot :

    [..] septuaginta virgines ex litore [..], que more Cypriorum veteri ibidem ad advenarum concubitus dotemque ob futurum coniugium acquirendam et pro futura pudicitia Veneri libamenta dature convenerant [..][17]

    Cette coutume n’appelle aucun commentaire de Boccace, mais son effet dramatique est puissant. Chypre ne peut être envisagée comme un suffisant refuge : la corruption sous-entendue par la coutume chypriote entrerait en contradiction avec l’éloge d’une Didon vertueuse, que le récit maintient jusqu’à la fin du chapitre. C’est un nouveau motif de fuite et une nouvelle occasion pour le récit d’avancer.

    Avant que le récit ne se transforme en errance, le navire des fugitifs aborde finalement un rivage africain :

    Sane post emensum mare, cum classis ad litus affricum appulisset [..][18]

    Privé de toponyme, d’histoire et de coutume, ce rivage neutre devient le lieu idéalisé où une cité refuge peut être créée. Les populations autochtones accueillent les nouveaux venus avec aménité, et le texte sous-entend qu’ils sont rapidement intégrés à la population de la future cité :

    [..] portare affatim commeatus incole circumadiacentes cepere, a non nullis visere advenas, venire ultro, habere colloquia, mercimonia inire et amicitias capere ceptum est. Quibus una cum loci commoditate agentibus, Didoni suisque visum est fuge finem imponere, et fraude detecta ostensis thesauris, summa spe animavit socios [..][19]

    Cette terre vierge, qui n’a jamais fait parler d’elle, devient l’assise de Carthage. Le lecteur médiéval n’ignore pas quel rôle elle est appelée à jouer dans l’histoire antique, mais celui-ci n’est pas même esquissé par le narrateur. Encore une fois, l’auteur privilégie l’effet dramatique sur l’information historique proprement dite.

     

    1.2. « La possibilité d’une île » dans les traductions

    Par rapport au texte de Boccace, l’un des rares « pas de côté » de la traduction verbum ad verbum de 1400 concerne un lieu géographique qui n’existe pas dans le texte latin, « l’isle de Thir » :

    [..] les pompes des nefz tournees vers l’isle de Thir, ilz les tournerent tantost vers Chypre [..] puis qu’elle ot esté tourmentee de plour en l’isle de Thir [..][20]

    Boccace ne détaille pas le littoral syrien, nous l’avons vu, et ne semble pas prendre Tyr pour une île :

    Timore truculenti regis et oratione Didonis permoti, etsi durum videretur natale solum relinquere, proras in Tyrum versas in Cyprum extemplo flexere.[21]

    L’erreur de copie doit être écartée, car cette « isle » de Tyr se retrouve invariablement dans tous les témoins de la traduction de 1400 que nous avons pu vérifier[22], et également parce que l’île de Tyr existait bel et bien dans l’antiquité syrienne. Cette île pré-hellénistique, qu’un tombolo rattacha à la terre, avait été mentionnée par Strabon, Arrien[23] et Quinte-Curce[24], et son évocation par Premierfait est probablement une réminiscence du Roman d’Alexandre[25]. Un lettré comme Premierfait ne pouvait ignorer comment Alexandre le Grand « rattacha » l’île à la terre pour mieux l’envahir. Peut-être cette île constituait-elle également pour le traducteur un lieu intermédiaire utile à l’économie narrative ? Située entre la côte syrienne, résidence possible d’Acerbas, et l’escale chypriote, l’île de Tyr justifiait une première traversée, prétexte à la première ruse de Didon. Dans tous les cas, la mention de cette île sous-entend que, dès 1400, Premierfait transforme discrètement la source boccacienne par une source externe, malgré une traduction au plus près du latin. Cette « isle » sera pourtant corrigée en « cité » dans la traduction de 1409[26]… pour mieux ressurgir dans la traduction de Lamelin en 1431 :

    Acerbas, ou selonc aucuns a Siceüs, son oncle, prestre de Hercules en l’isle de Tir [..] les poupes des nefz qui estoient tournees vers l’isle de Tir tantost tournerent vers Cyppre [..][27]

    Deux hypothèses s’offrent alors : soit Lamelin, à la suite de Premierfait, revendique la source externe du Roman d’Alexandre ; soit, comme le propose Carla Bozzolo, Lamelin s’est appuyé davantage sur la traduction de 1400 que sur le texte latin pour composer sa version française. Quoi qu’il en soit, les deux traducteurs dépassent ici le propos boccacien et font ressurgir du fond des temps, au détour d’un mot, une entité géographique qui possède une réalité historique et livresque passée sous silence par Boccace. Ce n’est pas la seule donnée contextuelle que le travail de traduction ajoute à la source boccacienne.

     

    1.3. La géographie dans les gloses de 1409 : des lieux saturés de croyances et de dates

    Le commanditaire de la traduction de 1409 a vraisemblablement demandé à Premierfait de pallier l’imprécision historico-géographique du texte boccacien et de la première traduction : comme tous les chapitres de cette nouvelle version, le chapitre II, 10 présente des gloses volumineuses, qui explicitent le contexte civilisationnel dans lequel évoluent les personnages. Ces trois gloses concernent Tyr (gloses 1 et 2) puis Chypre (glose 3)[28], et suivent une construction parallèle. La première, au tout début du chapitre, est glissée dans la présentation boccacienne de l’histoire syrienne. Premierfait intercale des données géographiques et mythiques : il rappelle les héros fondateurs phéniciens, leur apport civilisationnel[29], et il rattache cette fondation à des dates bibliques qui en soulignent l’aspect positif[30]. Cette première glose emboîte le pas à l’histoire racontée par Boccace : le peuple syrien fut un grand peuple jusqu’à la corruption de Pygmalion.

    La deuxième glose marque un infléchissement moral, qui prépare la fuite de Didon. Elle est intercalée dans la présentation d’Acerbas, «  prestre du temple de Hercules en la cité de Thir »[31], et présente le demi-dieu comme un second héros civilisateur. Rappelons que Premierfait ne fait là que reprendre à son compte ce que dit la doctrine évhémériste à propos d’Hercule[32]. Néanmoins, deux dates bibliques dévoient la tonalité positive de ce héros, en l’associant à deux figures de la chute : Adam bien sûr[33], ainsi que Péleg (Falegh) et Terah ou Réu (Targan-Ragau)[34], deux patriarches issus de Babel[35]. La glose raconte en effet comment la reconnaissance du peuple vis-à-vis d’Hercule s’est transformée en une hérésie que le glossateur condamne. Quand Acerbas meurt, ce paganisme donne à Didon une raison supplémentaire de fuir la terre syrienne.

    La troisième glose concerne Chypre et revient sur la coutume, très rapidement évoquée par Boccace, des jeunes filles qui se prostituent auprès des marins étrangers pour gagner leur dot. Premierfait commence par présenter les particularités géographiques et géologiques de Chypre[36], mais l’essentiel de la glose est consacré à Vénus. Personnage tutélaire de l’île, le traducteur l’assimile à un être humain et en efface la divinité. La reconstitution des différentes versions de sa généalogie permet d’assurer son ascendance humaine, et de sous-entendre que toute croyance en sa nature divine, comme pour Hercule, relève de l’hérésie[37]. Sa beauté, la liste de ses maris et amants, dont l’incestueux Adonis, sont des biais supplémentaires, par lesquels le glossateur tente d’expliquer, tout en la blâmant, la coutume chypriote, sorte de prostitution sacrée, manifestation païenne du culte rendu au patronage de Vénus, qui sert alors de double négatif et de repoussoir à la chasteté de l’héroïne.

    Ces trois gloses complètent ainsi le texte boccacien. Elles renforcent la fonction documentaire et pédagogique du texte pour un lecteur qui ne peut lire directement les sources latines. Pourtant, elles ne transforment pas le texte de Premierfait en simple cabinet de curiosités. Ce « devisement » sert la portée morale de l’histoire et il est soigneusement rédigé par Premierfait pour être décodé par le lecteur. Les références bibliques et les modalisateurs – « gent [..] folle », « faulse religion », « vaine superstition »[38], « ordoya », « honte de son ribault visaige »[39] – soutiennent le blâme du paganisme, justifiant la fuite de Didon. La glose explique, prolonge et « traduit » le propos de la source. Ainsi, selon Claude Buridant :

    [..] traduire est aussi une opération de transmission et d’interprétation d’un savoir, et peuvent participer à cette opération tout un appareil de gloses – qui sont autant d’outils d’actualisation, de supports de la translatio studii, de guides de lecture –, de commentaires savants ou moraux qui en dégagent la portée [..] le commentaire étant en quelque sorte le prolongement naturel de la traduction.[40]

    Dans ces conditions, il est remarquable que cet effort de vulgarisation ait été repris dans un sens rigoureusement inverse en 1431 par Lamelin.

     

    1.4. La géographie par Lamelin : la voie vers l’épure narrative

    Si Boccace laissait un texte allusif, Lamelin le débarrasse davantage de ses maigres données géographiques et culturelles. Seules apparaissent les mentions à « l’isle de Tir », à « Cyppre/ Chippre »[41] et à « un rivaige d’Auffrique »[42]. Les données historiques sont limitées à une évocation de la renommée des « Phiniciens », plus rapide encore que celle de Boccace. La grandeur du roi Belus, la fonction sociale et politique du « prestre de Hercules »[43] ne sont pas davantage développées. Lamelin conserve des « pucelettez »[44] chypriotes leur caractère double, entre prostitution présente et chasteté à venir, sans en dire davantage. Alors que Laurent de Premierfait entendait instruire son lecteur en saturant sa traduction de gloses explicatives, Lamelin marche à rebours et, en abréviateur efficace, il élimine toutes les données contextuelles, pour ne restituer que les actions de Didon et en faire ressortir la portée morale[45]. Son commanditaire cherche visiblement un savoir facilement mobilisable, focalisé sur les personnages et le sens de leur histoire. Constatons à ce titre, que le chapitre du De casibus qui suit immédiatement l’histoire de Didon est une louange de la reine, reprise in extenso par Lamelin. Le traducteur concentre le propos boccacien sur la valeur du personnage, exemplum de femme vertueuse et de reine pragmatique : il « traduit » la dynamique de translatio imperii qui anime le texte boccacien et que nous proposons d’examiner maintenant.

     

    2. La création de Carthage : de la translatio imperii à la translatio studii

    2.1. Boccace écrit le récit d’une véritable translatio imperii

    Dans son périple, la future reine entraîne avec elle trois populations différentes : ses compatriotes, qui fuient avec elle la corruption politique de Pygmalion; les 70 prostituées arrachées à leur île pour servir d’épouses aux seigneurs tyriens; et enfin, les autochtones africains, dont l’urbanité s’accorde à ce peuple nouveau venu. Par son intelligence, Didon œuvre pour la sauvegarde et le bien-être de ceux que le lecteur voit se constituer en peuple. Selon un schéma narratif bien rôdé, le voyage permet à Didon de démontrer ses qualités de gouvernance, héritage de la lignée prestigieuse présentée à l’ouverture du chapitre. C’est la première étape d’un mouvement de translatio imperii, qui déplace les qualités syriennes vers l’occident. Le texte expose alors un véritable miroir des princes, à la mode phénicienne certes, mais aux valeurs parfaitement occidentales, car Didon possède et applique les quatre vertus cardinales. C’est une reine dont la justice et la tempérance sont effectivement reconnues :

    Cui regina Dido leges tribuens vivendique mores, integra cum iustitia dominabatur, et vidua ac honestissima sacrum castitatis servabat propositum.[46]

    Sa force d’âme est en outre démontrée tout au long de l’histoire, qu’il s’agisse de sa décision de fuir Tyr, de la manière dont elle régit le peuple carthaginois pour le constituer en puissante cité, ou encore de sa « chasteté », qui la mène au suicide pour éviter un mariage infâmant avec le roi « musitain »[47]. Le choix traductologique subtil d’un adjectif permet d’ailleurs de l’assimiler  aux grandes figures chrétiennes :

    « [elle] gardoit le sainct propost de chasteté » (..et vidua ac honestissima sacrum castitatis servabat propositum..)[48]

    Sa capacité à ruser, son appréciation des qualités du rivage libyen, son attachement à protéger son peuple en font enfin une reine particulièrement prudente :

    Quo, dum lassitudinem sociorum quiete refovet, naves renovat et opportuna queque resarcit [..] Civitas autem brevi temporis spatio, ob multas situs commoditates, in ingentem populum ampliata est [..] ultimo quo fata trahebant se ad virum ituram promisit; verum trium mensium ad peragendum regis et civium desiderium spatium sumpsit. In quibus – ut arbitror – si quid in defensionem urbi deerat roboris, ociter suppleri fecit, ut quam edificaverat immunitam non linqueret [..][49]

    La traversée permet ainsi la translation de Tyr vers Carthage d’un idéal de gouvernance, hérité de l’histoire « illustre » du peuple phénicien, que la tyrannie de Pygmalion a rendu caduc sur le rivage tyrien :

    Sic ergo optatum obtinens Dido, et cunctis regina presidens, ubi merore in litore tyrio afflictabatur, virtutibus splendens in Affrico mirabili fama florida facta est [..] [50]

    Ce texte présente le miroir parfait où se reflètent les qualités de la gouvernante et de son peuple. Les vertus royales représentent en effet un tel modèle, que Didon et ses sujets, par imitation, en arrivent à interagir l’un avec l’autre. Ainsi, alors que les seigneurs carthaginois savent qu’il est inutile de présenter frontalement à la chaste reine la demande en mariage du roi barbare, ils l’amènent, grâce à un tour de parole rusé, à déclarer que chaque citoyen doit se sacrifier pour la sauvegarde de sa cité, puis à reconnaître qu’elle-même, à l’égal de tous, n’échappe pas à cette règle. Ce qui pourrait passer pour une farce du trompeur trompé, confine au jeu de mots tragique et sublime, ultime preuve de l’éloquence de Didon et dernier miroir qu’elle présente à son peuple pour sauver sa fidélité à Acerbas :

    [..] prospectantique populo quidnam actum esset inquit : – Cives optimi, ut iussistis ad virum vado – et illico gladio superincubuit; et sic, honestate ac pudicitia servata, omnia expirans circumadiacentia innocuo maculavit sanguine. [51]

    Au lieu d’aller rejoindre un inconcevable mari barbare, elle part retrouver Acerbas dans la mort : ad virum vado. Ce jeu de mots « passe » aisément en français : les trois traductions reprennent la formulation « je m’en vois a mari »[52]. La chute de Didon, revers décidé arbitrairement par Fortune, est précipitée par ses concitoyens. Cette dernière prise de parole, choquante et pathétique, clôt un cycle d’éloquence souveraine, rapporté par de longs passages de discours direct, qui verrouillent le destin d’une gouvernante idéale, martyre de son peuple, fidèle jusqu’à la mort à ses vertus personnelles et politiques, à sa ville de Carthage, où les qualités phéniciennes, si proches de celles des rois chrétiens, ont été transplantées avec profit.

     

    2.2. Les traductions : une translatio imperii qui mène en France

    Les différentes traductions rapportent les qualités morales du bon gouvernant et valident la translatio imperii à l’œuvre dans cette histoire. Pour appuyer cette force fondatrice, Lamelin supprime de nombreux passages pathétiques, dans lesquels Didon pleure et plaint sa condition de femme et de veuve, pour ne conserver que les preuves de ses qualités politiques. Pourtant, il rapporte presque intégralement les passages d’éloquence de Didon au discours direct. Ceux-ci ne sont pas considérés non plus comme des pauses dans le récit, sinon ils auraient été coupés par l’abréviateur. Serge Lusignan rappelle à ce titre l’intérêt accordé à la parole politique depuis de Charles V et qui expliquerait sans doute les choix de Lamelin dans ce chapitre :

    Durant toute la tranche de la Guerre de Cent Ans qui se déroule sous son règne, Charles V a indéniablement préféré l’approche politique des problèmes aux solutions militaires [il a eu] le génie d’avoir compris et su utiliser en sa faveur le poids du discours moral, politique et juridique dans l’aménagement des relations de pouvoir. [..] La parole prend aussi de plus en plus de place dans l’exercice du pouvoir, au sein même des institutions, avec l’importance croissante au XIVe siècle des assemblées et du parlement. [..] Il n’est donc pas surprenant de voir s’ajouter l’éloquence aux vertus que doit posséder le prince à la fin du Moyen Âge.[53]

    Quand Lamelin rédige son Abrégé, sous Charles VII, cette valeur accordée à l’éloquence politique est toujours bien actuelle. La parole politique est dotée d’une force d’action concrète et les choix du traducteur semblent confirmer le portrait déjà esquissé d’un commanditaire sans doute proche des milieux du pouvoir, à la recherche d’exempla concis, mettant efficacement en lumière les qualités du gouvernant. Ils entrent dans le champ de la translatio imperii, tant ils coïncident avec l’histoire qui est en train de s’écrire à l’époque du traducteur. C’est d’autant plus vrai pour la traduction de 1409. Anne Hedeman fait par exemple remarquer que les rois de France font une intrusion étonnante dans l’un des témoins manuscrits. Ainsi, la phrase du ms. Genève, BM, 190 :

    De l’ancianne lignié des roys de Fenice, ainsi comme l’en croit et selon les histoires, descendi et fut nez Belus, roy des Feniciens et pere de Dido[54]

    se transforme, dans le ms. BnF fr. 131 (f° 49v), en :

    De l’ancianne lignié des roys de France, ainsi [..][55]

    Certes, il s’agit ici certainement plus d’une erreur de lecture du copiste que d’une réelle acclimatation de la source, néanmoins, cette substitution montre à quel point l’histoire de Didon peut résonner avec les préoccupations de la politique française au début du XVe siècle. Un autre exemple de contamination du mythe par le monde médiéval occidental, se trouve également dans la version de 1409. Premierfait y ajoute une étrange incise aux ultima verba de Didon :

    «  Mes tresbons citoiens, je vous commende a Dieu, je m’en voiz a mari, ainsi comme vous le m’avez commendé. »[56]

    La mention de ce « Dieu » unique – vraisemblablement chrétien – montre que le traducteur imprègne l’histoire antique de ses propres références. La traduction s’accompagne ainsi de retouches qui rapprochent le texte-source du public-cible. Didon est présentée comme une reine chrétienne et les valeurs que le texte sous-tend en miroir peuvent être entendues par le lecteur. Ces torsions de la matière antique permettent au lecteur médiéval, chrétien, proche des milieux de pouvoir, de s’y reconnaître[57]. La version de 1409 ajoute à ce propos une date de fondation de Carthage, qui assimile Didon au plus grand modèle de roi judéo-chrétien :

    Cartage donques, pres de la mer de Afrique, fondee par Dido en la quarte eage du monde, c’est assavoir ou temps du roy David, en brieve espace de ans fut accreüe en grant peuple pour cause de pluseurs convenabletez du lieu ou elle estoit assise. La royne Dido escrivi et donna loix et maniere de vivre au peuple de Cartage; et si seignorioit avec entiere justice.[58]

    Les références s’entrelacent : l’écriture des lois place Didon du côté des grandes figures chrétiennes, et fait écho à l’ascendance phénicienne décrite dans la première glose. Phénix et Cadmus, les deux fondateurs du peuple phénicien, y étaient en effet présentés comme les scribes qui inventèrent des techniques scripturales utiles à l’écriture des lois et à l’enluminure des codices, ceux de cette traduction ou encore ceux du Livre des livres, la Bible. Les dates bibliques de cette glose prennent alors tout leur sens. Par ce jeu de références hétérogènes disséminées dans le texte, Premierfait montre que cette traversée diffuse les valeurs phéniciennes et chrétiennes jusqu’en Occident :

    Et depuis que le peuple de Fenice eut prins et choisi pour habiter le rivage de Surie, il fut reputé noble pour ses merveilleux ouvraiges dont il estoit loé par tout le monde. Et par la beaulté de ses ouvraiges, la renommee de ce peuple fut congneüe et publiee jusques en Nostre Mer d’occidant.[59]

    Pour Premierfait, le christianisme commence son déplacement vers l’Occident avec Didon. Son histoire s’y prête car un moment particulier dans le texte de Boccace concentre toute la tension autour de ce tissage des mondes et des références : celui de la création même de Carthage.

     

    2.3. Du jeu de mots à l’objet littéraire La fondation de Carthage : le récit d’une création littéraire

    Le récit de la création de Carthage est l’une des histoires antiques les mieux partagées et les plus commentées dans le monde antique, comme l’ont montré J. Svenbro et J. Scheid[60]. Après la ruse du bateau, Didon démontre une fois de plus sa maîtrise du discours pour obtenir ce qu’elle veut. Elle a promis aux habitants qui occupaient le rivage avant le débarquement tyrien de leur acheter autant de terre que pourrait en contenir – tenere, « tenir et contenir » – une peau de bœuf. Mais elle joue sur les mots et au lieu d’étaler comme attendu la peau à terre, elle la découpe en fines lanières, qu’elle accole les unes aux autres, et qui lui permettent de limiter un espace suffisant pour fonder une ville. J. Svenbro et J. Scheid montrent que ce lien entre le bœuf, sa peau et la création de cité est un véritable lieu commun dans les histoires gréco-latines. Les deux chercheurs interprètent également le découpage du parchemin comme la lacération au couteau du « contrat » tacite qui lie la parole des autochtones et son interprétation fourbe par les nouveaux venus. Le jeu de mots mettrait alors en évidence la fides punica des gouvernants carthaginois, cette mauvaise foi communément admise chez les latins, suite aux guerres puniques. La métaphore du contrat détruit prend une résonance différente chez Boccace, qui, en homme lettré du Moyen Âge, dote la peau de bœuf de sa réalité contemporaine la plus évidente. En effet, si les auteurs latins la désignent par le terme corium, Boccace double ce corium du mot carta[61]. Ses traducteurs français ne s’y trompent pas et les trois versions s’accordent sur l’équivalent français « parchemin » et sur une petite glose explicative qui rend la métaphore transparente : « [Didon] appella la cité Cartaige de carta qui signiffie peau courroiee pour escripre »[62]. Le découpage de ces lanières de « parchemin » n’est pas alors sans rappeler le découpage en lignes du récit, qui, mises bout à bout sur un territoire encore sans nom et sans histoire, symbolisent le récit de l’histoire carthaginoise en train de naître. C’est une ligne narrative dont les lettrés médiévaux savent qu’elle était déjà celle d’une ville mythique pour les auteurs latins qui servent de source à Boccace. Quand celui-ci associe sa fondation au support qui recueillera son histoire, il la fige en objet littéraire. Carthage devient alors ce qu’elle était depuis Virgile et Tite : une ville « sur parchemin », que de multiples histoires ont transformée en mythe. Cette symbolique imprègne jusqu’aux toponymes de la nouvelle cité, la tour de Byrsa – « peau de bœuf » – et Cartago, la ville de Carthage elle-même :

    emptum solum muri ambitu circumcinxit, vocavitque civitatem – ut placet aliquibus[63] – a « carta » Cartaginem. Arcem vero eius Byrsam a bovis corio, quod Tyrii « byrsam » vocant.[64]

    L’acte fondateur carthaginois est un mythe qui s’est largement diffusé depuis les sources antiques. Il est également un acte linguistique et littéraire qui fonctionne à pleine puissance : il s’appuie sur la ruse d’un jeu de mots, qui invoque le parchemin « prêt à écrire », et que la toponymie se charge de fixer dans les mémoires. Carthage devient l’endroit idéal pour raconter l’histoire d’une société nouvelle, débarrassée de tout ce que la traversée a permis de fuir et dont les valeurs morales se trouvent particulièrement incarnées par le puissant personnage de Didon. Il est également le lieu d’une véritable translatio studii, puisque ce cuir de bœuf devient chez Boccace et ses traducteurs la métaphore évidente des sources multiples qui fondent le mythe. Seule la réalité médiévale du parchemin permet un tel transfert. La trace laissée dans les textes de ces mains multiples, qui réécrivent et adaptent sans cesse cette traversée méditerranéenne, invite le lecteur à un autre voyage, historique et culturel, à travers les sources, de l’antiquité jusqu’au Moyen Âge.

     

    3. La traversée comme métaphore du travail philologique de l’auteur et des traducteurs

    3.1. Boccace face aux sources contradictoires

    Dans le De casibus, Boccace signale souvent qu’il est difficile de constituer une version unique et objective de chaque histoire à partir des sources qu’il a à sa disposition. Surtout quand il s’agit d’une histoire mythique – celle de Didon – qui a été racontée par un poète (Virgile), par des historiens (Tite-Live et Trogue Pompée), par des compilateurs (Justin, Servius, Mythographe). Ainsi a-t-il recours, à quatre reprises dans le seul chapitre II, 10, à des formules qui modalisent la véracité de ce qu’il rapporte :

    Si veterum literis fides ulla prestanda est [..] Quorum ex veteri regum prosapia creditum est Belum quendam [..] Acerbe vel Sycarbe seu Syceol – ut aliis placuit – [..] vocavitque civitatem – ut placet aliquibus – a « carta » Cartaginem [..] [65]

    Dans le corps même de son chapitre, Boccace signale que ses sources proposent des versions différentes et ne permettent donc pas de rapporter une histoire unique et fiable. Les versions s’ajoutent les unes aux autres autour de la ville-parchemin, et pour maintenir l’intérêt dramatique de l’histoire, Boccace recourt à un choix, qu’il explicite dans les Genealogie deorum gentilium libri :

    De Dydone filia Beli et coniuge Sycei. Dydo precipuum matronalis pudicitie decus, ut Virgilio placet, Beli regis fuit filia. Hanc insignis forme virginem Tyrii, Belo mortuo, Acerbe seu Sycarbe vel Syceo Herculis sacerdoti dedere in coniugem, qui ob avaritiam a Pigmalione occisus est. Hec autem post longa fratris mendacia in somnis a viro premonita, sumpto virili animo, pluribus ex his quibus sciebat Pigmalionem exosum clam in suam sententiam tractis, sumptis navibus fugam cepit, thesauris secum delatis, et cum in litus devenisset Affricum, ut placet etiam Tito Livio, mercato ab incolis suadentibus, ut ibidem sedem summeret, tantum litoris quantum posset bovino corio occupare, illudque in cartam redactum[66] et in frusta concisum occupavit plurimum, et ostensis sociis thesauris eisque animatis, civitatem composuit, quam postea vocavere Cartaginem; arcem vero eius a bovino corio, quod sic vocitant, Byrsam nuncupavit. Ad hanc accessisse Eneam profugum, vi tempestatis impulsum, et hospitio thoroque susceptum ab ea, Virgilio placet, eamque, discedente a se Enea, ob amoris impatientiam occisam. Verum Justinus et historiographi veteres aliter sentiunt. Dicit enim Justinus eam a Musitanorum rege sub belli denuntiatione a principibus Cartaginensibus postulatam in coniugem, quod cum ipsa rescisset et sua se ante sententiam ad omnem casum pro salute patrie damnasset, egre tulit, sed terminum impetravit infra quem se ad virum promisit ituram. Qui cum venisset, constructo ingenti in eminentiori civitatis parte, quasi Sycei placatura manes, illum conscendit, et astantibus civibus atque expectantibus quidnam factura esset, ipsa, educto quem clam gesserat cultro, dixit : optimi cives ut vultis ad virum vado, seque hoc dicto interemit, mortem potius eligens quam pudicitiam maculare. Quod etiam longe aliud est a descriptione Maronis.[67]

    La lecture comparée de ce chapitre des Généalogies et du chapitre II, 10 du De casibus montre que Boccace procède à une harmonisation et à un collage de ses sources. Les motivations du voyage viennent de Virgile[68], la fondation de Carthage vient de Tite-Live[69]. Il est vraisemblable que Servius et Mythographe fassent en sous-main le lien entre ces deux auteurs[70]. Mais la collation des sources conclut à deux versions divergentes de la chute de Didon : la version virgilienne de la passion amoureuse destructrice, et la version de Justin dans son Epitomé des Histoires philippiques de Trogue Pompée, qui explique le suicide de Didon par le refus d’un remariage politique. Boccace reconnaît qu’elles sont « bien loin » l’une de l’autre, et il choisit la seconde version, sans doute pour parer son histoire de la caution historique fournie par Justin. Ce choix répond également à un certain pragmatisme narratif : il permet de présenter une reine vertueuse jusqu’à la mort et, dans l’économie générale du De casibus, il rend le coup de Fortune plus inattendu et plus choquant encore. Les Généalogies recueillent ainsi le travail des sources mené par Boccace et apparaissent du même coup comme un complément critique au De casibus. Ce travail philologique trouve son prolongement dans les traductions en moyen-français.

     

    3.2. Traduction et translatio studii : du bon usage des sources

    Les trois traductions françaises révèlent en effet trois « manières » de traduire la source immédiate du De casibus, et de la croiser avec des auctoritates externes, pour l’adapter au public visé. La traduction de 1400, qui ne s’écarte jamais de la source boccacienne, est sans doute le témoignage tardif d’une certaine norme de traduction, héritée des traducteurs de Charles V, et tombée peu à peu en désuétude à la fin du XIVe siècle. Le français latinisé de cette première version n’était pas adapté à un public peu lettré. Cette traduction fut d’ailleurs vraisemblablement pensée dans un cadre pédagogique, destinée à une édition bilingue, comme le fut la traduction, toujours par Premierfait, du De senectute en 1405. En 1409, le traducteur éclaircit les points obscurs de la première « manière » et cherche à obtenir un français fluide. Cette volonté de lisibilité se lit dans l’un des prologues :

    [..] je vueil principalment moy ficher en deux choses, c’est assavoir mettre en cler langaige les sentences du livre et les histoires qui par l’auteur sont si briément touchées que il n’en met fors seulement les noms. Je les assomeray selon la vérité des vieilz historians qui au long les escrivirent.[71]

    Pour le traducteur, la clarification linguistique doit s’accompagner de gloses qui explicitent les sous-entendus boccaciens. « Traduire » la source boccacienne revient à la rendre accessible au lecteur, grâce à des sources externes, que Premierfait choisit en cohérence avec la source initiale. En effet, s’il s’appuie sur l’autorité d’Isidore de Séville, Premierfait, comme Boccace, recourt largement aux Généalogies[72]. Ce « fond commun » donne leur légitimité aux gloses, qui deviennent le prolongement naturel et la « traduction » justifiée de la parole boccacienne. Pourtant, ni ce patronage, ni les sources de Boccace ne sont revendiqués par le traducteur, et les gloses sont intégrées au corps même du texte, non pas « marginalisées ». Premierfait cherche en effet avant tout à instruire sans ennuyer, à vulgariser sans inculquer et il doit maintenir le continuum narratif. Le travail philologique du traducteur existe bel et bien, mais il reste souterrain. Les sources sont choisies mais masquées, elles entrecroisent la source boccacienne, elle-même entrelac de références antiques, avec l’autorité incontestable des sources patristiques. Ce travail de réécriture est bien une « traduction » dans la mesure où il explique et « améliore » la source boccacienne, pour guider le lecteur vers sa compréhension :

    Chez Premierfait, le transfert vers le français ne semble qu’une des facettes d’un processus plus large d’accompagnement et d’appropriation des textes : édition d’un texte-source dans des manuscrits largement illustrés, commentaire, paraphrase, annotation, glose [..] Premierfait pratique la traduction comme une activité auctoriale à vocation littéraire [..][73]

    Deux « manières » d’humanisme se succèdent alors à travers l’activité traductologique de Premierfait, qui cherche à rapprocher le plus possible le texte boccacien du lecteur. Quand la version semi-latina de 1400 guidait l’apprenti-latiniste vers le texte-source en langue originale, la vulgarisation glosée de 1409 met le texte de Boccace et ses sources à disposition d’un lecteur, qui n’est ni latiniste, ni philologue. À partir d’un même texte, Premierfait travaille en pédagogue, capable de changer sa « manière » en fonction de son lecteur, pour le guider vers les auteurs latins. Dans les deux cas, Premierfait transfère, sans la dénaturer, la matière latine vers la culture française : la dynamique de translatio studii imprègne ainsi les deux « traductions » et montre assez l’apport de Laurent de Premierfait au sein du premier humanisme français.

    En 1431, c’est une troisième approche du texte-source qui est expérimentée avec Lamelin. Nous avons signalé qu’il conservait un français très proche de la semi-latina de Premierfait et qu’il ne dénaturait pas le sens global de l’histoire. Néanmoins, il remobilise la référence virgilienne effacée par Boccace, dans une glose qui aurait sans doute été désavouée par Premierfait[74]. Cette glose rappelle en effet au lecteur qu’une autre version existe de la fin de Didon, où celle-ci, victime de « fol’amor », chute par où elle a péché, sans l’intervention de Fortune. Lamelin restitue ainsi une alternative morale à l’histoire, absente des traductions antérieures, et signale surtout qu’il paraît un peu vain, quand on raconte l’histoire de Didon, de cacher la référence à Enée et d’en écarter les sources les plus évidentes, qu’elles soient antiques – Virgile et Ovide – ou médiévales – Le Roman d’Enéas. Il ne s’agit plus, comme chez Premierfait, de provoquer la translatio studii, mais plutôt de la reconnaître quand elle imprègne déjà l’imaginaire français. Lamelin va « contre » le texte-source, en remettant en lumière la source virgilienne que l’auteur et le premier traducteur avaient sciemment masquée, mais que tout lecteur français (re)connaît, et attend. En s’opposant à ses deux sources, le traducteur prend en compte les attentes de son public et les intègre au récit. Il choisit de prolonger le texte, de l’actualiser et donc, de le rapprocher du lecteur. Source(s) et lecteur agissent l’un sur l’autre à travers l’interface dynamique et mouvante de la « traduction ». Comme l’explique Claudio Galderisi :

    [..] les clercs médiévaux connaissent et pratiquent déjà cette rhétorique de la complétude. Leur écriture, on l’a souvent dit, est une écriture à partir de et contre le texte source [..] Le mythe du livre médiéval a comme premier fondement la mise en scène de la fidélité-infidélité, le jeu sur la translatio-inventio, sur la libre invention topologique, sans lesquelles la lettre antique et sa mythologie seraient souvent incompréhensibles, caduques.[75]

     

    Conclusion

    Dans sa fuite à travers l’espace méditerranéen, Didon entraîne avec elle tout un peuple. Elle transplante les vertus séculaires de la gouvernance phénicienne dans la terre encore vierge de la future Carthage et elle préfigure les qualités des miroirs chrétiens. Or, Boccace, et ses traducteurs à sa suite, se servent de cette histoire de fondation comme d’une métaphore pour signaler au lecteur les multiples versions qui donnent à cette histoire la valeur du mythe : la translatio imperii se voit donc doublée d’une véritable translatio studii. En contre-point de cette traversée méditerranéenne se déroule une autre traversée, temporelle, véritable voyage mémoriel et critique à travers les sources antiques et médiévales qui alimentent le texte de Boccace et ses différentes versions françaises. Cette histoire de Didon concentre et met particulièrement bien en lumière le travail philologique de Boccace, et, après lui, de Laurent de Premierfait et Lamelin : translation des sources antiques vers le texte boccacien, translation du texte boccacien vers la traduction de 1400, réécriture de ces deux premières translations dans les versions de 1409 et 1431. Par ces jeux de palimpsestes, la réécriture alimente des processus complexes de transformation des sources chez les différents translateurs. Ces appropriations croisées font de toute traduction une réécriture adaptée à un public déterminé et à une culture en éternelle (re)construction, propice à la variatio. Quel que soit le mode de réécriture, le « traducteur » apparaît bel et bien comme un « médiateur »[76], un guide, qui convie le lecteur à la découverte « d’un usage du monde » savant.

     

    Annexes

    Annexe 1

    Annexe 2

    Références

    [1] Pour les manuscrits des traductions de Premierfait et Lamelin : Carla Bozzolo, Manuscrits des traductions d’œuvres de Boccace-XVe siècle, pubblicato con il concorso del « Centre national de la Recherche scientifique », editrice Antenore, Padova, 1973, p. 3-23 ; Claudio Galderisi (dir.), Valdimir Agrigoroaei (dir.), Translations médiévales-Cinq siècles de traductions en français au Moyen-Âge (XIe – XVe siècles), Etude et Répertoire, « Le corpus Transmédie. Répertoire, ‘purgatoire’, ‘enfer’ et ‘limbes’», Vol. 2, tome 1, Turnhout, Brepols, 2011, p. 372-374.

    [2] Henri Hauvette signala d’ailleurs que cette traduction ne pouvait être comprise sans recourir au latin. Henri Hauvette, De Laurentio de Primofato qui primus Johannis Boccaci opera quaedam transtulit inuente seculo XV°, Paris, Hachette, 1903.

    [3] C. Bozzolo en compte 6 dans son étude sur les manuscrits des traductions de Boccace, op. cit., pp. 15-16; S. Marzano et le corpus Translations médiévales… (op. cit.) en dénombrent 7 : Stefania Marzano, « La traduction du De casibus virorum illustrium de Boccace par Laurent de Premierfait (1400) : entre le latin et le français », dans La traduction vers le moyen français-Actes du 2e colloque de l’AIEMF-Poitiers, avril 2006, Claudio Galderisi (dir.), Cinzia Pignatelli (dir.), Brepols Publisher, Turnhout, 2007, pp. 287-288.

    [4] Carla Bozzolo, Manuscrits des traductions.., op. cit., p. 23.

    [5] Stefania Marzano (éd)., Edition critique du ‘Des cas des nobles hommes et femmes’ par Laurent de Premierfait (1400), A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor of Philosophy (Ph. D), Graduate departement of French University of Toronto, @ Copyright by Stefania Marzano 2008, p. 85-87.

    [6] Patricia May Gathercole, Laurent de Premierfait’s ‘Des cas des nobles hommes et femmes’- Book I- Translated from Boccacio, a critical edition based on six manuscripts, Chapel Hill-The University of North Carolina Press, 1968.

    [7] Céline Barbance, Edition critique du ‘Cas des nobles hommes et femmes’ de Laurent de Premierfait et commentaire linguistique, Thèse soutenue à l’Ecole des Chartes, 1993.

    [8] Toutes les références à l’édition latine sont issues de l’édition de Vittore Branca (éd.), Tutte le opere di Giovanni Boccaccio, Vol. IX « De casibus virorum illustrium » a cura di Pier Giorgio Ricci e Vittorio Zaccaria, Arnoldo Mondadori editore s.p.a. Milano, 1983, pp. 134-142.

    [9] V. Branca, éd. cit., p. 136.

    [10] C’est du moins le cas des textes qui ont été étudiés à Poitiers dans le cadre de notre projet d’édition.

    [11] On trouve ces descriptions dans Il Filostrato (c. 1335), Il Filocolo (c. 1336), La Teseida (1339-1341) et même dans certains chapitres du Decameron. (c. 1349-1353).

    [12] Boccace a entrepris vers 1355-1360 la rédaction du De casibus virorum illustrium, du De mulieribus claris, du De Montibus et de la Genealogia deorum gentilium, et il les a retravaillées jusqu’à sa mort.

    [13] Le terme est donné par Pauline Horovitz dans son article « Le De montibus de Boccace : état de la question », Cuadernos de Filología Italiana, 2001, n° extraordinario, p. 264.

    [14] La définition de cette « vérité poétique » est exposée dans les deux derniers livres de la Genealogia deorum gentilium.

    [15] Voir à ce propos Nathalie Bouloux, Culture et savoirs géographiques en Italie au XIVe siècle, Brepols, Turnhout, 2002, pp. 125-134 ; Pauline Horovitz, « Le De montibus .. », op. cit., pp. 263-273 ; Pauline Horovitz, « La traduction castillane du De montibus de Boccace. Édition et commentaire (Bibl. nat. de Fr., esp. 458) », Introduction, [en ligne] http://theses.enc.sorbonne.fr/2002/horovitz, consulté le 29/08/2022.

    [16] V. Branca, éd. cit., p. 134.

    [17] V. Branca, éd. cit., pp. 136 et 138.

    [18] V. Branca, éd. cit., p. 138.

    [19] V. Branca, éd. cit., p. 138.

    [20] Stefania Marzano (éd)., Edition critique …, éd. cit., p. 86.

    [21] V. Branca, éd. cit., p. 138.

    [22] Vérification faite sur les mss Paris, BnF fr. 132; Paris, BnF fr. 24289 ; Paris, BnF fr. 597 et Baltimore W. 315.

    [23] R. P. Poidebard, « Reconnaissance de l’ancien port de Tyr (1934-1936) », Syria, Tome 18 fascicule 4, 1937, p. 356 (note 2)

    [24] Quinte-Curce, Les Histoires d’Alexandre le Grand, Livre IV, chap. II.

    [25] Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, Branche I, laisses 130-157. Merci à Claudio Galderisi de m’avoir indiqué cette référence.

    [26] Cf Annexe-1, lignes 11, 14, 24, 54, 88, 152, 176.

    [27] Cf Annexe-2, lignes 5, 28. Nous soulignons.

    [28] Se reporter à l’Annexe-1, sur laquelle les trois gloses sont délimitées.

    [29] Cf Annexe-1, lignes 6-10.

    [30] Cf Annexe-1, lignes 7-8 et 12-13.

    [31] Cf Annexe-1, ligne 24.

    [32] Les conceptions médiévales du personnage d’Hercule sont traitées par Claudio Galderisi : « Alcide, le héros oublié de la translatio studii », dans La rumeur des distances traversées-Transferts culturels, traductions et translations entre le Moyen Âge et la modernité, Brepols Publishers, Turnhout, 2021, pp. 99-123.

    [33] Cf Annexe-1, ligne 25.

    [34] Cf Annexe-1, ligne 34.

    [35] Genèse, 11:19 et 11:26.

    [36] Cf Annexe-1, lignes 98-101.

    [37] Cf Annexe-1, lignes 101-109.

    [38] Cf Annexe-1, lignes 32-33.

    [39] Cf Annexe-1, lignes 113 et 116.

    [40] Claude Buridant, « Esquisse d’une traductologie au Moyen Âge », dans Translations médiévales-Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge (XIe – XVe siècles)- Etude et Répertoire, Vol. 1 « De la translatio studii à l’étude de la translatio », Etudes réunies par Claudio Galderisi, Brepols Publishers, Turnhout, 2011, p. 362.

    [41] Cf Annexe-2, lignes 29, 31.

    [42] Cf Annexe-2, ligne 33.

    [43] Cf Annexe-2, lignes 1-5.

    [44] Cf Annexe-2, lignes 31-32.

    [45] Boccace ne procédait d’ailleurs pas autrement comme le montre la recherche actuelle sur les Zibaldoni, et il n’hésitait pas à supprimer la superfluitas verborum des sources qu’il y recopiait. Cette pratique boccacienne des Zibaldoni est notamment expliquée par Marco Petoletti « Decentius scribere. Boccaccio e il Flos historiarum terre Orientis di Aitone Armeno », dans Davide Cappi (éd.), Rino Modonutti (éd.), Emilio Torchio (éd.), Ragionando dilettevoli cose. Studi di filología e letteratura per Ginette Auzzas, Edizioni di Storia e Letteratura, Roma, 2002, pp. 87-103 ; N. Bouloux, Culture et.., op. cit., pp. 127-133 ; Claude Cazalé Bérard, « Les manuscrits de Boccace. Un terrain privilégié de la critique textuelle, philologique et génétique », Genesis [En ligne], 49 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2020, http://journals.openedition.org/genesis/4530, consulté le 29 août 2022.

    [46] V. Branca, éd. cit., p. 138.

    [47] « ..vicinus Musitanorum rex quidam in amorem vidue ferventer exarsit.. » Il s’agit vraisemblablement de Hiarbas, roi des Maxitains dont parle Justin dans son Histoire universelle de Justin extraite de Trogue Pompée, Jules Pierrot (éd.), Paris, 1827, ­Liber XVIII, cap. VI : Cum successu rerum florentes Karthaginis opes essent, rei Maxitanorum Hiarbas decem Poenorum principibus ad se arcessitis Elissae nuptias sub belli denuntiatione petit.

    [48] Cf Annexe 1, ligne 150.

    [49] V. Branca, éd. cit., p. 138.

    [50] V. Branca, éd. cit., p. 138.

    [51] V. Branca, éd. cit., p. 142 (nous soulignons).

    [52] Stefania Marzano (éd)., Edition critique.., éd. cit., p. 87; Annexe-1, ligne 212; Annexe-2, ligne 21.

    [53] Serge Lusignan, Parler vulgairement-Les intellectuels et la langue française aux XIIIe et XIVe siècles, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, Les Presses de l’Université de Montréal, 1987, p. 134.

    [54] Cf Annexe-1, lignes 18-20.

    [55] Anne H. Hedeman, « Visual Translation : Illustrating Laurent de Premierfait’s French Versions of Boccacio’s De casibus », dans Un traducteur et un humaniste de l’époque de Charles VI, Laurent de Premierfait-Etudes réunies par Carla Bozzolo, Publications de la Sorbonne, Paris, 2004, p. 93

    [56] Cf Annexe-1, lignes 211-212. Nous soulignons.

    [57] En christianisant le propos du De casibus, le traducteur français s’inscrit dans une démarche qui anime l’ensemble des miroirs des princes diffusés en France et auxquels l’œuvre de Boccace peut être rattachée, par son thème et son public. A ce titre, Philippe Senellart a par exemple analysé la christianisation du propos aristotélicien dans le De regimine principum de Gilles de Rome (1247.?-1316), miroir qui est toujours un best-seller à l’époque de la diffusion du De casibus en France : Philippe Senellart, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Seuil, Paris, 1995, pp. 180-205. Les médiations qui s’ajoutent, lors de la traduction en français, au texte latin de Gilles de Rome sont expliquées par Claudio Galderisi :  « Des nains devenus des maîtres à penser : les traductions des miroirs des princes », dans La rumeur…, op. cit., pp. 165-179.

    [58] Cf Annexe-1, lignes 144-145.

    [59] Cf Annexe-1, lignes 15-18.

    [60] Svenbro Jesper, Scheid John. « Byrsa. La ruse d’Élissa et la fondation de Carthage », Annales. Economies, sociétés, civilisations, 40ᵉ année, N. 2, 1985. pp. 328-342.

    [61] V. Branca, éd. cit., p. 138.

    [62] Stefania Marzano (éd)., Edition critique …, éd. cit., p. 86. (Nous soulignons).

    [63] Contrairement à ce que présuppose ce ut placet aliquibus, il est fort possible que Boccace soit le premier à se permettre ce rapprochement étymologique entre carta et Carthago. En effet, celui-ci n’apparaît pas dans les sources communément admises de Boccace pour ce texte : Virgile, Tite-Live, Justin ou encore Mythographe du Vatican I. Servius fait bien valoir une étymologie cartha, mais elle désigne une place forte : « ANTIQVA TYROS vel nobilem dicit : vel illud ostendit, quia Carthago ante Byrsa, post Tyros dicta est, post Carthago a Cartha oppido, unde fuit Dido, inter Tyron et Beryton », Seruius grammaticus – Commentarius in Vergilii Aeneidos libros (‘Seruius auctus’) (LLA 612), vol. 1, lib. : 4, comm. ad uersum : 670, pag. : 579, linea : 18; Extrait de la Library of Latin Texts – Series A; Exporté le : 2022-02-04 09:52 (HNEC), © Brepols Publishers, Turnhout, 2021, http://www.brepolis.net.

    [64] V. Branca, éd. cit., p. 138.

    [65] V. Branca, éd. cit., p. 134 et 138.

    [66] Notons que ce participe donne lieu à une variation intéressante entre les versions latines des Genealogiein cartam redactum – et du De casibusin cartam reductum – . La version imprimée d’Antoine Vérard donne : « Elle redigea et coupa en pieces et lanieres icellui cuir », Boccace, De la généalogie des dieux, Livre II, chap. XLe « De Dido, fille de Belus et femme de Sicee », Antoine Vérard (éd.), f° XXXVIIv, 2nde colonne, 1498, Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, Rés. J-845.

    [67] Giovanni Boccaccio, Genealogie deorum gentilium libri, a cura di Vincenzo Romano, Volume primo, Lib. II, CAP. LX « De Dydone filia Beli et coniuge Sycei »; Giusepe Laterza e figli, Bari, 1951, p. 106. Nous soulignons.

    [68] Virgile, Enéide, I, 335-365.

    [69] Tite-Live, Ab urbe condita, Livre 34, chap. 62, par. 11-12.

    [70] Didon n’est pas mentionnée dans ce texte de Tite-Live mais elle apparaît bien chez Servius et Mythographe, qui racontent son histoire jusqu’à la fondation de Carthage : Maurus Servius Honoratus. In Vergilii carmina comentarii. par. 343 et 367;  Mythographus vaticani I, chap. 211.  De plus, si Virgile nomme le mari de Didon Sychaeus, Servius signale qu’il peut aussi s’appeler Sicarbas, et Mythographe le nomme Acerbe.

    [71] Laurent de Premierfait, Prologue I, Des cas des nobles hommes et femmes ; Patricia May Gathercole Laurent Premierfait’s ‘Des Cas des…, éd. cit., p. 90.

    [72] Le détail des références patristiques et boccaciennes apparaît dans les notes de l’Annexe-1.

    [73] Olivier Delsaux, « Traductions empêchées et traductions manipulées chez Laurent de Premierfait, premier traducteur humaniste français », dans La fabrique de la traduction. Du topos du livre source à la traduction empêchée, études réunies par Claudio Galderisi et Jean-Jacques Vincensini, Brepols, Turnhout, 2016, « Bibliothèque de Transmédie » 3, pp. 109-111.

    [74] Cf Annexe-2, lignes 22-24.

    [75] Claudio Galderisi, « La Belle captive ou les âges de papier », dans Translations médiévales-Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge (XIe – XVe siècles)- Etude et Répertoire, Vol. 1 « De la translatio studii à l’étude de la translatio », Etudes réunies par Claudio Galderisi, Brepols Publishers, Turnhout, 2011.

    [76] Ezio Ornato, dans Un traducteur et.., op. cit., p. 14.