Compte-rendu de l’ouvrage Institutionalizing Gender: Madness, the Family, and Psychiatric Power in Nineteenth-Century France

Alexandra Vouligny
Candidate à la maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke

Biographie : Candidate à la maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke sous la direction de la professeure Sophie Abdela, Alexandra Vouligny s’intéresse dans le cadre de son mémoire aux représentations des femmes enfermées pour folie à la Salpêtrière entre 1774 et 1815 à travers la presse parisienne. Elle s’intéresse plus largement à la prise en charge des insensé⸱e⸱s à Paris et à Londres entre 1750 et 1850.

Mots-clés : Enfermement; Genre; XIXe siècle; Folie; France.

 

Dans un premier ouvrage[1] inspiré de sa thèse de doctorat, la professeure de l’Université de Redlands Jessie Hewitt examine les traitements psychiatriques en France de la Révolution française à la veille de la Première Guerre mondiale à travers les prismes du genre et des classes sociales. Ainsi, elle peut analyser les débuts du système asilaire français dans les années 1790, son expansion et son institutionnalisation au milieu du XIXe siècle, pour finir son étude en 1900, alors que ce système est mis de côté. Elle porte une attention particulière aux expériences des docteurs et des patients masculins pour répondre aux nombreuses études sur l’oppression médicale et sociopolitique des femmes.

Hewitt revisite l’histoire de la folie au XIXe siècle en affirmant que la foi médicale en la guérison des patients et par la même occasion la confiance en le système asilaire dépend de l’élaboration et de la généralisation des valeurs familiales de la classe moyenne. Les médecins responsables de l’internement des insensés ont alors défini les diagnostics et les traitements selon des normes bourgeoises et genrées, tout en participant à la construction et aux modifications de celles-ci. Hewitt dépasse ainsi les idéologies médicales et genrées pour démontrer les nombreuses conséquences de ces normes. Non seulement ces dernières justifient le contrôle des femmes, mais elles ont circonscrit l’autorité des hommes et permis la remise en question de la performativité du genre qui doit être enseignée.

À travers des sources médicales provenant des archives des hôpitaux parisiens, des traités médicaux et politiques, ainsi que des articles de périodiques, elle met l’accent sur des moments précis et des contextes cliniques qui reflètent particulièrement les doctrines médicales de l’époque et ses bouleversements. Son ouvrage est divisé chronologiquement et thématiquement. Dans le premier chapitre, il est question de l’omniprésence du genre pour guérir les insensés selon Philippe Pinel et Jean-Étienne-Dominique Esquirol, entre 1790 et 1830. Le début du XIXe siècle est un nouveau monde dans lequel les médecins contribuent à définir les valeurs sociétales et à rétablir l’ordre dans un chaos postrévolutionnaire. Ils proposent alors de nouvelles théories psychiatriques comme le traitement moral qui sont interreliées aux valeurs familiales et genrées d’une classe bourgeoise émergente à laquelle les aliénistes appartiennent.

Pour étudier les contradictions entre la psychiatrie et la masculinité, il est question ensuite de l’utilisation des douches froides pour guérir la désillusion. Elles représentent les limites de la masculinité, car les médecins croient que l’honneur, une notion distinctive bourgeoise, permet de guérir la folie, alors que précédemment la masculinité était fortement associée au domaine physique. Cette nouvelle représentation de la masculinité dans l’ordre postrévolutionnaire permet d’éloigner encore plus les femmes de la rationalité et de donner du poids à la professionnalisation des médecins. Toutefois, le fait qu’il s’agit d’une construction est mise de l’avant, alors que même des hommes ne répondent pas aux attentes.

Dans le troisième chapitre, il est également question d’un élément genré bourgeois, soit la domesticité féminine, en étudiant les femmes comme Marie Rivet qui sont à la tête d’institutions privées psychiatriques au milieu du XIXe siècle. Elles correspondent aux rôles associés aux femmes en créant pour les patients une famille asiliaire, tout en contredisant ces normes, car les femmes de l’élite ne devraient pas avoir un emploi rémunéré et encore moins gérer un établissement.

Malgré ces incohérences, le pouvoir psychiatrique augmente dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Le système rencontre toutefois rapidement des critiques concernant ses méthodes et son efficacité. Le quatrième chapitre insiste ainsi sur le déclin du traitement moral en analysant les bouleversements dans les notions de pouvoir médical et patriarcal à la suite d’internements injustifiés. Si les médecins continuent à enfermer ceux et celles qui ne correspondent pas aux normes bourgeoises genrées, les personnes internées, hommes et femmes, vont exploiter ces mêmes valeurs pour se libérer.

Quand les critiques de la profession psychiatrique atteignent leur apogée, la nation vit une période de crise qui influence les théories psychiatriques. Le chapitre cinq examine l’utilisation par les psychiatres des conflits pour présenter une nouvelle vision de la masculinité et joindre ses intérêts à ceux de la Troisième République. Les aliénistes continuent à naturaliser les normes bourgeoises et genrées, mais ce sont des tentatives désespérées pour éviter l’effacement des hiérarchies sociales dans un monde changeant. Ces valeurs ne sont plus reconnues comme ayant des propriétés curatives, alors que l’aspect héréditaire prend de l’importance. Le traitement moral est rejeté et un retour à une incurabilité des insensés se produit.

À la fin du siècle, les psychiatres sont déchus et ils sont remplacés par des hommes qui guérissent le corps et non pas l’esprit. Le sixième et dernier chapitre étudie les conséquences de ces changements, alors que la théorie de la dégénération prime. Par exemple, les « incurables » sont intégrés dans la communauté à l’aide de personnel soignant.

Bref, Hewitt démontre avec brio et innovation la fragilité du système psychiatrique français au XIXe siècle. Elle souligne les contradictions et les ambivalences dans les relations entre celui-ci et les normes bourgeoises et genrées que les aliénistes s’efforcent d’institutionnaliser et de naturaliser. Ces constructions culturelles sont utilisées comme moyen de guérir, mais elles sont également une des causes de la folie chez les hommes et les femmes. Le XIXe siècle ne réussit donc pas à combler les rêves des fondateurs comme l’illustre le déclin du traitement moral. En manipulant les notions genrées de la classe moyenne dans les interactions avec les patients, cet ouvrage se propose d’être à la croisée de l’histoire des émotions, de l’histoire des handicaps, de l’histoire de la médecine, de l’histoire du genre et de l’histoire de la famille. Elle invite ainsi à une nouvelle interprétation plus que bienvenue dans un champ d’études maintes fois examiné.

Références

[1] Jessie Hewitt, Institutionalizing Gender: Madness, the Family, and Psychiatric Power in Nineteenth-Century France, Ithaca, Cornell University Press, 2020, 252 p.