Compte-rendu de l’ouvrage Bandits, pirates et hors-la-loi au temps des Lumières

Guillaume Lemay-Bossé
Candidat à la maîtrise à l’Université du Québec à Montréal

Biographie : Guillaume Lemay-Bossé est étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal. Sous la direction de Pascal Bastien, son mémoire porte sur la représentation de la criminalité parisienne au XVIIIe siècle, à partir de la collection d’imprimés judiciaires du magistrat Gueullette. 

Mots-clés : Criminalité, marginalité, représentation, bandit, pirate, Europe, XVIIIe siècle

 

Le nouvel ouvrage de Lise Andries Bandits, pirates et hors-la-loi au temps des Lumières, publié en septembre 2021, nous fait découvrir l’univers du banditisme et ses modes de représentations à l’époque moderne. Cette publication est la continuité d’un ouvrage collectif paru en 2010, faisant suite aux travaux de Hans-Jürgen Lüsebrink et Sarah Maza[1]. Directrice de recherche au CNRS, l’historienne s’intéresse, dans cette nouvelle contribution, à la représentation des bandits de terre et de mer qui ont été au centre des récits et des contes du XVIIIe siècle. L’auteure met en lumière l’univers du banditisme en France, mais également en Angleterre, à l’aide de trois parties alternants réalité, fictions et représentations.

La littérature et les archives judiciaires ont contribué à la renommée de différents chefs de bande, dont le charisme et les exploits ont inspiré certains personnages de fiction. Consciente de cette dualité propre à la figure du bandit, l’historienne utilise une approche conciliant l’univers judiciaire et littéraire, afin de lever le voile sur les mécanismes de représentation de ces personnages singuliers. Pour brosser un portrait du brigandage, elle s’appuie sur la littérature, mais également sur les archives de la police et de la Bastille, ainsi que certains documents judiciaires issus de la collection du magistrat Gueullette. Généralement présentés comme des personnages au comportement rebelle possédant la force de caractère nécessaire pour défier les autorités, les plus célèbres bandits sont dans certains cas héroïsés comme la figure d’un Robin des bois. Bien sûr, le bandit dérobant aux riches pour redonner aux pauvres tient plutôt du conte que de la réalité historique. Dépeints comme des grands meneurs d’hommes, possédant un sang-froid sans pareil, et ce, même face à la mort, les bandits ont influencé et parfois participé à la production de biographies favorables à leur réputation. Souvent fantasmés, ces récits démontrent tout de même l’emprise que ces hommes pouvaient avoir sur l’imaginaire. Capables de diriger des bandes composées de plusieurs centaines d’hommes, ces chefs imposaient effectivement le respect, par leur charisme et leur habileté sur le champ de bataille.

Or, si le chef de bande est loué pour son courage et ses prouesses au combat, l’auteure souligne qu’un écart net apparait entre la figure du bandit et du pirate.  Personnage populaire en Angleterre évoquant la course et l’aventure, en France, la piraterie est plutôt tournée vers la Méditerranée, dont les représentations au théâtre mettent en scène le « barbare » d’Orient. Les pirates sillonnant les mers pour capturer les navires dans les zones de non droits[2], sont avant tout en quête d’une meilleure vie. Dans cet univers essentiellement masculin, les bandits et les pirates sont représentés comme des individus brutaux et violents[3].  Cache œil, cicatrices et jambe de bois, sont les marques permanentes des combats. La peine de mort est le bout du chemin pour la majorité des pirates, des voleurs et des assassins.  Malgré de nombreuses réflexions sur l’appareil judiciaire au cours du XVIIIe siècle, la prison joue encore un rôle mineur pour les repris de justice. Dans cette optique, confrontés aux violences, à la maladie et à la potence, ces jeunes hommes ne dépassent généralement pas l’âge de 30 ans.

On appréciera également une section consacrée aux femmes gravitant près des groupes criminels. Particulièrement rares dans le monde de la piraterie, elles sont pourtant bien présentes auprès des bandits. Comme le souligne l’auteure, les femmes ne sont généralement pas les instigatrices des actions criminelles. Souvent identifiées par les autorités comme la femme ou la concubine d’un membre de la bande, elles ont pour tâche de dissimuler et revendre les objets volés. Ces hommes et ces femmes versés dans l’univers du crime sont souvent contraints d’agir de la sorte.  En effet, bien que ce ne soit pas indiqué dans les documents judiciaires, il est important d’avoir à l’esprit que la pauvreté est bien la cause principale des comportements criminels[4].  Relevant de l’exception plutôt que de la règle, les condamnations pour homicide attirent rapidement l’attention des auteurs de romans lorsque l’assaillant est une femme. En effet, l’aspect exceptionnel d’un homicide commis par une femme que ce soit par amour ou par vengeance a un plus grand de succès auprès des lecteurs. Lise Andries désigne les personnages féminins de l’Abbé Prévaut comme l’exemple par excellence de cette tendance qui inspire la fiction. Or de manière générale, la littérature criminelle met plus largement en scène le monde du banditisme. En analysant les ouvrages de Lesage, Diderot et Sade, l’historienne souligne la manière avec laquelle ces romans racontent le plus souvent l’histoire d’un jeune homme en voyage confronté aux bandits et aux épreuves de la vie.  

La représentation du bandit se confond finalement entre la réalité du criminel et les fictions qui en sont inspirées. Pour reprendre la formule de l’auteure, « le brigand […] est donc à la fois un héros d’archive et un personnage littéraire » [5]. Les allers-retours entre la France et l’Angleterre permettent de comparer les différentes représentations du banditisme qui circulent en Europe au cours de cette période.  Très accessible, cet ouvrage définit soigneusement les termes spécifiques à la justice prérévolutionnaire. En levant le voile sur la vie des brigands de terre et de mer qui ont marqué à la fois les archives et les romans, cet ouvrage offre une excellente introduction pour quiconque s’intéresse à la représentation des marges criminelles de l’Ancien Régime.

Références

[1] Lise Andries (dir.), Cartouche, Mandrin et autres brigands du XVIIIe siècle, Paris, Desjonquères, 2010. Sarah Maza, Vies privés, affaires publiques, Les causes célèbres de la France prérévolutionnaire, Paris, Fayard, 1997. Jürgen Lüsebrink, Les représentations sociales de la criminalité en France au XVIIIe siècle, Paris, EHESS,1983.

[2] Les Antilles étaient une zone de non droit par excellence, où les pirates se regroupaient pour faires des    prises.

[3] Lise Andries, Bandits, pirates et hors-la-loi au temps des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2021, p.64.

[4] Ibid. p.31.

[5] Ibid. p.10.