Violence, maintien de l’ordre et culture organisationnelle de l’armée coloniale française en Afrique (1830-1914) : approche conceptuelle et théorique[1]

Thomas Vennes (M.A.)
Candidat au doctorat en histoire à l’Université de Sherbrooke

BIOGRAPHIE : Thomas Vennes est candidat au doctorat à l’Université de Sherbrooke sous la direction du professeur Patrick Dramé. Ses recherches se penchent présentement sur la question du maintien de l’ordre en Afrique occidentale française et du rôle particulier de l’armée dans cet enjeu. Il porte un regard particulier sur la création et la transmission des savoirs militaires en colonies ainsi que les pratiques et dynamiques de la violence coloniale. Son mémoire de maîtrise, déposé à l’UQAM, porte sur le lien entre la « mission civilisatrice » et la violence de guerre lors de la guerre du Bani-Volta (1915-1916).

RÉSUMÉ : L’objectif de cet article est d’éclaircir certaines pistes de réflexion autour des pratiques et dynamiques de la violence de l’armée coloniale française dans l’empire, avec un regard particulier sur le continent africain entre 1830 et 1914. À partir des trois concepts suivants , soit le « commandement » d’Achille Mbembe, la « culture organisationnelle militaire » de Isabel Hull et le « maintien de l’ordre » tel que compris par Patrick Dramé, cet article propose d’explorer comment l’usage de la violence, ordinaire et extrême, devient l’un des modus operandi de l’armée afin de s’imposer sur le territoire et d’y maintenir la paix. La relation qui s’établit entre le conquérant, dans notre cas l’officier, et les populations colonisés se fonde alors sur des logiques de « commandement » qui s’institutionnalise dans la culture organisationnelle de l’armée coloniale en Afrique.

MOTS-CLÉS : Guerre coloniale, violence coloniale, maintien de l’ordre, culture organisationnelle militaire, Afrique, Second Empire colonial français.

 

 

Table des matières
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    Introduction

    À partir de la prise d’Alger en 1830, la France amorce de nouvelles conquêtes coloniales qui ne prennent fin qu’au tournant du siècle. Cet élan aboutit par la création du deuxième plus grand empire colonial au monde après la Grande-Bretagne. L’empire s’étend au Maghreb, en Afrique occidentale et équatoriale, au Madagascar, en Indochine ainsi que sur plusieurs îles dans l’océan Pacifique, l’océan Indien et dans les Caraïbes. Il est aussi présent en Amérique avec la Guyane et les îles Saint-Pierre-et-Miquelon. Au total, plus de 100 millions de personnes vivent sous le drapeau français à son plein apogée après la Grande Guerre. Sur un territoire aussi massif et diversifié tant au niveau de l’environnement, des ressources et des populations, la question du maintien de l’ordre va être au centre des préoccupations des autorités coloniales françaises. Plusieurs acteurs, notamment les administrateurs, l’armée, la police et les auxiliaires « indigènes », sont préoccupés par cet enjeu, au point où les historiens Emmanuel Blanchard et Joël Glasman évoquent un « problème qui engage l’ensemble du projet colonial » [2]. Selon eux, c’est une « condition sine qua non de l’existence d’une société coloniale dont l’hégémonie ne fut jamais telle qu’elle put se passer de l’usage de force »[3]. L’objet de cet essai n’est pas de faire un survol vaste de cette énorme structure coloniale totalisatrice[4], mais bien de circonscrire l’un des acteurs premiers de ce système, les officiers coloniaux, et de comprendre leur rôle dans les colonies en rapport avec le maintien de l’ordre.

    Pour comprendre la place de l’officier dans les colonies, il faut débuter par deux évidences. Première évidence : l’armée est un outil de violence utilisé par l’État à des fins offensives et défensives contre des ennemis intérieurs et extérieurs. Les officiers dirigent cette institution selon différentes modalités en partie influencées par la place de l’armée dans la société et dans le système politique de l’État[5]. Deuxième évidence : les empires coloniaux européens se fondent sur la guerre et la violence. Les officiers, précédés par les explorateurs, marchands et missionnaires, sont à l’avant-plan de ces conquêtes[6]. Ainsi, nous explorons comment le maintien de l’ordre est compris et exécuté par l’armée coloniale française entre 1830 et 1914. Nous postulons que le maintien de l’ordre se base avant tout sur une relation d’assujettissement entre les populations colonisées et les colonisateurs. Cette subjugation se fait surtout à travers la force, mais elle est parfois obtenue par la collaboration, contrainte ou volontaire, avec les élites et les populations colonisées. Dans cette relation, la répression violente est l’un des outils clés du maintien de l’ordre pour l’armée coloniale[7].

    Notre réflexion repose sur plusieurs concepts et théories qui sont abordés dans la première partie. Au cœur de notre analyse est le concept de « commandement » d’Achille Mbembe. Pour comprendre comment ce « commandement » s’institutionnalise, nous proposons l’usage de la théorie de la « culture organisationnelle » d’Isabel Hull. Ainsi, nous pouvons appréhender le « maintien de l’ordre » tel que compris par Patrick Dramé. Dans la deuxième partie, il s’agit premièrement de faire un bref portrait de la politique colonial de ces trois régimes et d’expliquer comment ils influencent l’expansion impériale française. Ensuite, nous analysons la conquête de l’Algérie ainsi que la place de l’armée sur ce territoire colonial après la conquête. Cette conquête est, selon nous, un moment de « trauma learning » où l’Algérie devient un laboratoire pour l’armée. L’expansion de la colonie française du Sénégal sous l’impulsion de Louis Faidherbe autour de la mi-siècle illustre comment les méthodes importées d’Algérie se cimentent. La troisième partie aborde comment l’établissement de la Troisième République transforme la relation de la métropole avec les colonies et les conquêtes. Encouragé et voulu par la République, l’empire colonial se consolide et prend sa forme définitive sous ce régime républicain. Nous y discutons des enjeux autour de la conquête et du maintien de l’ordre dans le Soudan.  

    Cette étude qui couvre plus de 84 ans d’histoire impériale a ses limites. La première limite est l’impossibilité d’aborder l’entièreté des opérations de maintien de l’ordre de l’armée coloniale. Nous avons donc fait des sélections en privilégiant le théâtre africain, afin de bien illustrer notre propos et de ne pas laisser sans explications des exemples qui peuvent être méconnus du lecteur. Également, nous tenterons d’offrir un portrait nuancé entre opérations violente et non violente, quoi que la violence, ou faire craindre la violence, reste un outil primé par les autorités coloniales. Si ces répressions sont considérées par plusieurs comme étant des sortes de parenthèses, nous les considérons comme l’expression vitale de l’institution militaire. Ensuite, les acteurs étudiés sont également limités, et les administrateurs coloniaux ainsi que les forces de police (si elles existent) ne sont pas analysés. Au centre de notre approche se situent les officiers de l’armée et de la marine déployés en colonie. Qu’ils soient issus des troupes « indigènes » ou des nombreuses unités de troupes européennes, les hommes sous le commandement des officiers sont malheureusement aussi mis à l’écart. Enfin, la dernière limite repose sur la documentation utilisée dans cette étude, soit des monographies et des articles scientifiques.  Les conclusions proposées ici sont de nature réflexive et critique.

    Guerre coloniale, violence et maintien de l’ordre

    La relation entre gouvernants et gouvernés en contexte colonial est complexe et doit être analysée en prenant en considération de multiples facteurs. Si nous cherchons à circonscrire l’officier et sa relation avec l’ « indigène » dans ce milieu à multiples visages, une première observation s’impose : la relation est avant tout établie par les armes et le rapport de force hérité des conquêtes. En effet, le conquérant s’octroie le droit de domination et de contrôle sur le territoire qui est légitimé, assez simplement, sur « un phénomène universel et naturel, la domination du fort sur le faible »[8]. Ce rapport de force, avant tout établi par l’usage de la violence, n’est pas l’unique apanage des militaires. Il se reproduit dans les colonies via les administrations coloniales à travers des législations comme le « code de l’indigénat » qui, dans les mots de l’historien Patrick Royer, sert « d’alibi à la banalité de la violence et [perpétue] un état d’esprit de conquête envers le colonisé »[9].

    Selon Achille Mbembe, l’État colonial repose sur trois formes de violence. La première est la violence fondatrice, décrite plus haut. La deuxième est la violence légitimante, en d’autres mots le droit de dominer en raison du rapport de force constitué lors de la conquête. Enfin, la troisième est une violence de ratification et de réitération, essentiellement le fait de maintenir et de répéter cette violence autojustifiante[10]. À travers ces trois violences se constitue une relation de « commandement », compris par Mbembe comme étant le « droit de disposer » du colonisé[11]. Amalgamant philosophie hégélienne – le colonisé est « étranger » et un faisceau de pulsion – et philosophie bergsonienne – il est possible d’aimer et de dresser le colonisé comme un animal[12] – le « commandement » est à la base de la relation entre colonisateur et colonisé qui s’articule dans une forme « d’État-famille »[13]. Elle est avant tout un rapport d’assujettissement par l’entremise d’une violence autojustifiante de nature paternaliste, disciplinaire et civilisatrice.

    Dans ce contexte, l’administration coloniale, avec tous les moyens à sa disposition, est seule garante du maintien de l’ordre dans la colonie. L’armée intervient donc lorsque perçue comme nécessaire. Dans l’ouvrage de Patrick Dramé,  L’Impérialisme colonial français en Afrique, l’armée est appelée à intervenir en cas de soulèvement ou de désordre d’envergure. Elle a le rôle de « maintenir fixe » l’ordre colonial[14]. En d’autres mots, l’objectif de la répression est le retour au statu quo ante, donc l’obéissance aux lois et à la « voie coloniale »[15]. La théorie de Dramé est appliquée dans l’analyse de la guerre du Mono (1918), en pays Sahoué, où l’armée opère une véritable campagne de « nettoyage » contre les insurgés[16]. L’élément à souligner dans cette approche au maintien de l’ordre est sa place centrale dans la relation entre les gouvernants et les gouvernés. Car si l’armée est utilisée afin d’intimider, réprimer ou faire sentir la présence française sur le territoire, c’est que ces officiers ont un rôle paternaliste et disciplinaire en colonie. Cette prérogative rejoint l’idée de « commandement » d’Achille Mbembe. Mais l’élément important, pour notre étude, et que ce « commandement » lors d’opération de maintien de l’ordre se manifeste dans la relation entre le colonisateur et le colonisé par la violence physique.

    Il va sans dire que cette violence coloniale se manifeste dans une forme extrême et les lois de la guerre, qui essaie d’humaniser les conflits et de contrôler les violences, sont ignorées. Caractérisé par des massacres d’envergures, d’exécution ou d’exil des chefs de tête, de la destruction des cultures et des villages, de l’usage de la torture, du pillage, du viol, de la rapine, entres autres, cet arsenal de violence extrême se déploie partout dans les théâtres coloniaux, sans que chacun soit systématiquement utilisé pour chaque opération de maintien de l’ordre. Simplement, il est plutôt question de souligner que ces violences sont justifiables, acceptables et tolérées en contexte colonial, bien qu’elles soient souvent dénoncées en métropole.

    Comment expliquer que la mentalité de « commandement » se transmette et se maintienne chez les officiers pendant toute la période coloniale? Quel est le modus operandi de cette violence qui semble au cœur de la relation entre le colonisateur et le colonisé, ou pour les causes de notre travail, de l’officier colonial et de l’ « indigène »? En fait, il s’agit plutôt de se demander comment nait cette mentalité, ce qui en assure sa survie, et si elle se retrouve partout dans l’Empire. Il faut d’abord éliminer une première avenue : celle de l’irrationalité de la violence européenne en territoire étranger et « étrange », comme si leurs réactions violentes envers les « indigènes » seraient psychopathiques et pathologiques, d’une certaine animalité ou tout simplement une supposée mimique des comportements autochtones, en d’autres mots « going native »[17].

    Il y a une rationalité derrière la violence. Pour explorer cette avenue, nous proposons de regarder le travail de l’historienne Isabel Hull qui s’est penchée sur la violence extrême de l’armée allemande en colonie. Hull soulève des questions fondamentales dans les pratiques et dynamiques de la violence en colonie, bien que son étude soit circonscrite au cas allemand ainsi qu’à des épisodes de violence extrême. De plus, ces épisodes ne sont pas uniquement des opérations de maintien de l’ordre et incluent aussi des guerres coloniales contre des États européens. Néanmoins, Hull aborde le génocide des Héréros et des Namas dans le Sud-Ouest africain allemand entre 1904 et 1908. Sa théorie est donc appliquée à un événement qui se rapproche de notre sujet d’étude.

    Pour Hull, la violence extrême de l’armée allemande, voire même son penchant pour des « solutions finales », s’explique par sa « culture organisationnelle ». L’élément clé de cette théorie est qu’en raison de la culture de l’organisation militaire allemande, les États-majors et les officiers ont tendance à opter pour des solutions d’une extrême violence face à des impasses militaires[18]. Par exemple, lorsque face aux francs-tireurs pendant la guerre franco-prussienne, les autorités allemandes ont simplement opté pour l’usage de la terreur, essentiellement des massacres et des exécutions sommaires, pour mettre fin à la menace afin de maintenir un ordre « absolu »[19].

    Dans le cas du génocide des Héréros, l’adoption d’une « solution finale », en d’autres mots un ordre d’extermination, par le général Lothar von Trotta est prise après le désastre de Waterberg. En effet, l’armée expéditionnaire allemande veut entourer la population Héréros à la montagne de Waterberg. Pour l’État-Major, cette bataille doit être décisive : les Héréros seraient écrasés et la révolte réduite au silence[20]. Or, les Héréros réussissent à s’enfuir dans le désert. Face à cette impasse et la frustration d’avoir perdu cette opportunité, une déclaration d’extermination est édictée par le général von Trotta[21]. Pour Hull, ces tendances extrêmes font partie de la logique institutionnelle de l’armée où la violence, qui est un outil pour atteindre une finalité, devient une fin en soi. Ceci s’explique par le fait que, en tant qu’institution qui utilise la violence, reconnue comme une force destructrice, pour maintenir et rétablir l’ordre, elle s’érige une bureaucratie qui s’attarde à contrôler la violence. Cette tendance induit une manie pour l’ordre absolu, comme nous l’avons précédemment abordé dans l’approche de Dramé. Dans le contexte où une victoire finale sur l’ennemi ne semble plus possible, les considérations et les objectifs politiques de la répression sont mis de côté pour simplement éliminer le problème, en d’autres mots exterminer l’ennemi[22]. Cette culture s’est construite avant tout en métropole à travers l’expérience de la guerre franco-prussienne et la confrontation aux francs-tireurs, qui devient un moment de « trauma learning »[23].

    Comment se complémentent ces trois concepts et comment nous permettent-ils de mieux appréhender la relation entre les officiers et les populations indigènes, autant en temps de conflits ouverts qu’en période de paix? Les concepts discutés offrent de nombreuses avenues d’analyse, mais ils pivotent tous autour du concept clé de l’ordre. En effet, le « commandement » de Mbembe montre comment la violence, de la conquête jusqu’à la gestion de la colonie, est centrale à la relation entre le colonisateur et le colonisé et fait partie de cet « ordre naturel ». Par l’analyse de la répression en pays Sahoué, Dramé illustre comment les autorités militaires recherche à rétablir un statu quo où l’ordre colonial n’est pas questionnable et prime sur toute autre considération. Hull argumente que cette recherche de l’ordre absolu est une manie des institutions militaires puisqu’elle est intrinsèque à la culture militaire européenne, d’autant plus qu’elle est productrice de violence extrême.

    Une métropole désintéressée : la politique coloniale à l’ère de Louis-Philippe et Napoléon III

    Passant par trois régimes politiques différents (la Monarchie de Juillet entre 1830-1848, la Deuxième République de 1848-1852 et le Second Empire 1852-1870), mais aussi humiliée et hautement surveillée depuis 1815[24], la France se relance dans les conquêtes impériales de façon modeste à partir de 1830. L’attitude de Paris autour de la question coloniale pendant cette période est caractérisée par un désintérêt généralisé. En effet, la première préoccupation internationale de ces régimes est avant tout le continent européen[25], malgré quelques soubresauts politiques qui mettent en lumière des préoccupations coloniales pendant la Deuxième République[26] et sous Napoléon III autour de la question algérienne[27]. Il va néanmoins y avoir une série de conquêtes coloniales principalement en Afrique marquant les premiers moments du Second Empire colonial[28]. Ces premières conquêtes sont souvent laissées à l’initiative des militaires et des intérêts privés. Cet aspect est fondamental pour comprendre la place de l’armée coloniale et de ses officiers dans les colonies et sa relation avec les populations conquises.

    Initié par Charles X qui cherche un coup d’éclat afin de revigorer son régime mis à mal par une crise politique, l’expédition d’Alger lance la nouvelle expansion impériale française dans un climat d’incertitude et surtout dans le désordre. Cette expédition est avant tout une action punitive qui veut réparer l’honneur français par suite d’un accrochage politique avec le dey d’Alger[29]. Repris par la Monarchie de Juillet sous Louis-Phillipe, la véritable conquête de l’Algérie est de prime abord l’œuvre de l’armée et en particulier du maréchal Thomas Robert Bugeaud[30]. Malgré son attitude hostile à la colonisation qu’il considère comme un détournement inutile pour une armée qui devait avant tout se concentrer sur le continent européen[31], c’est Bugeaud qui va entamer la conquête du territoire algérien grâce à des stratégies brutales[32] ainsi que des innovations tactiques importantes qui perdurent dans l’armée coloniale et qui laissent présager le comportement des militaires dans les conquêtes à suivre[33]. C’est aussi à l’armée de gérer les nouveaux acquis territoriaux, se dotant par elle-même une politique de colonisation[34].

    Pour la monarchie de Juillet, cette conquête est la plus importante. Elle est avant tout un outil pour renforcer son prestige sur le continent. Il n’existe pas de véritable ambition coloniale[35], et les moments d’engouement populaire autour de ces nouvelles conquêtes sont avant tout lorsqu’il y a une confrontation avec la Grande-Bretagne, animant les passions chauvines, revanchardes et anglophobes. Sous la Deuxième République (1848-1852), aucune conquête n’est véritablement commandée par la métropole, mais de nouveaux principes, tels l’abolition de l’esclavage, l’assimilationnisme et l’universalisme de la République, s’instaure durablement dans la mentalité coloniale en métropole et à l’outre-mer se perpétuant sous Napoléon III[36].

    Le règne de Napoléon III voit l’expansion française en Afrique de l’Ouest sous l’initiative de Louis Faidherbe. Mais la métropole se cantonne à nouveau dans une attitude d’insouciance envers les questions coloniales, redevenue un outil au service de la politique continentale européenne[37]. En effet, la préoccupation autour du décollage industriel en France domine surtout au début du règne[38]. Néanmoins, le débat autour de l’avenir de l’Algérie est présent sur la scène politique et populaire, surtout concernant le « régime du sabre » qui donne à l’armée une place prépondérante et étouffante dans l’administration coloniale. Ailleurs dans le monde, les initiatives personnelles des armateurs, de la Marine, de l’armée et des missionnaires sont la source des nouvelles expansions[39].

    L’armée en Algérie : un premier laboratoire colonial

    L’étude du cas algérien révèle une série de grandes tendances caractéristique des conquêtes coloniales françaises. En effet, non seulement les trois formes de violences identifiées par Mbembe se manifestent dans la conquête et l’occupation de l’Algérie menée par l’armée et ses officiers, le phénomène de « trauma learning » et de « culture organisationnelle » de Hull sont aussi observable.

    Pendant les sept premières années sur sol algérien, l’armée coloniale est avant tout sur la défensive et ne cherche pas à continuer la conquête. Ce sont autant des raisons politiques externes, notamment la non-volonté de la métropole à entamer des campagnes militaires, que des raisons internes, telle l’incapacité tactique de l’armée à vaincre l’ennemi[40], qui encourage une « occupation restreinte »[41]. Ces premières années de cantonnement sont, en quelques sortes, les moments de « trauma learning »pour l’armée d’Afrique qui est incapable d’avancer, de mettre fin aux attaques arabes et de protéger le territoire. Elle est surtout une armée démoralisée, victime des maladies et de la désertion[42].

    Arrivé en 1836 pour mettre fin à la révolte d’Abd el-Kad, le général Bugeaud reste en Algérie jusqu’en 1847. Il est considéré comme le père de l’école française de la guerre coloniale[43]. Vétéran des guerres napoléoniennes, il constate l’état pitoyable de l’armée et y voit des parallèles avec son expérience dans les guerres d’Espagne. Prenant acte de la désolation de l’armée, la campagne qu’il démarre va s’asseoir, du point de vue tactique, sur la mobilité des colonnes volantes qui force l’ennemi à combattre[44]. La stratégie globale de Bugeaud repose quant à elle sur la destruction, la terreur et l’ « extermination »[45] de l’ennemi[46]. Les préceptes raciaux sont aussi au cœur du raisonnement des militaires[47].

    La conquête du territoire algérien et les tactiques adoptées par l’armée coloniale font figure de « violence fondatrice ». Il s’agit de conclure que la « violence fondatrice » du régime colonial en Afrique est à la fois raciale, assise sur une volonté de domination, voire même d’extermination comme l’ont désiré plusieurs officiers coloniaux au moment où le feu vert leur est donné pour conquérir le territoire algérien en 1839[48]. Ces rêves d’ « extermination », qui n’ont jamais véritablement été mis en exécution selon l’historien Benjamin Brower[49], ne se réaliseront pas en raison de pression de la métropole et des scandales qu’engendre la violence extrême des opérations de conquêtes et de maintiens de l’ordre. Bugeaud et ses lieutenants optent plutôt pour une politique de « mélange ». L’Arabe ne sera pas exterminé, mais mis sous tutelle et utilisé pour la « mise en valeur » du territoire[50].

    L’étude du massacre de Dahra, où le général Pélissier fait tuer par enfumade un village entier réfugié dans les grottes de Dahra, est caractéristique de ces méthodes et illustre ce que l’historien William Gallois nomme le « colonial military mind »[51]. En effet, les militaires français en Algérie rationalisent leurs tactiques de violence extrêmes parce qu’ils en arrivent à considérer que la violence est le seul langage que peut comprendre un « indigène » révolté. De ce fait, les officiers font naitre une nouvelle culture de violence axée autour de la razzia[52] et de l’ « extermination »[53]. Tout comme le montre Olivier Le Cours Grandmaison, razzia et enfumade ne sont aucunement des réponses motivées par l’urgence d’une situation confuse et frustrante. Elles sont des tactiques méthodiquement préparées et appliquées pour subjuguer les populations arabes[54]. La violence devient alors, dans l’esprit militaire colonial, un outil de communication interculturel[55]. Ce sont ici les fondements de la relation entre les officiers, en tant que colonisateurs, et les populations conquises. Ces fondements persistent et mutent dans l’espace colonial français jusqu’en 1962.

    L’Algérie n’est pas seulement un laboratoire pour la violence de l’armée, mais aussi pour son modèle administratif colonial. Ce modèle est aussi important à prendre en compte pour bien illustrer le rapport entre les officiers et les « indigènes ».  Nommé gouverneur général en 1840, Bugeaud va mettre en œuvre une doctrine de « domination totale » qui ne se restreint pas à l’état de guerre. En effet, ce sont les premières étapes d’une colonisation militaire, où les nouvelles conquêtes sont laissées entre les mains d’une administration militaire avant d’être léguées au pouvoir civil à la suite de la pacification[56] (qui varie dans sa durée et qui dépend, sans aucun doute, sur la volonté des militaires à vouloir passer les rênes).

    Selon l’historien Anthony Clayton, la philosophie coloniale de Bugeaud est « romaine ». Considérant la culture des vaincus comme inférieure, il encourage une colonisation agricole par ses propres soldats[57]. Mais entre la théorie et la pratique, il y a toujours des discordances, et le système qui s’établit ne se fonde pas sur la colonisation menée par l’armée. En effet, il est décidé en 1845 que dans les territoires où se trouvent des colons européens, la gestion est entre les mains d’un gouvernement civil, tandis que la gestion des populations « indigènes » à l’extérieur de ses poches européennes est sous l’égide militaire où règne des pouvoirs d’exception dicté par l’armée et, surtout, ses généraux. Dans ces territoires, les officiers « assument les fonctions dévolues aux maires, commissaires de police et juges de paix en France »[58]. Les généraux s’autoproclament alors les experts des questions arabes, contestent et combattent les interventions de la métropole et des civils présents en colonie, et se constituent leurs réseaux d’informations, de formations et de savoirs dans les « bureaux arabes »[59].

    Ce système prend le nom du « régime du sabre » est et tout à fait distinctif pour l’armée coloniale où elle « se trouve ainsi investie à la fois d’une mission traditionnelle de sécurité et d’une mission originale de garante de maintien d’un développement »[60]. Bien que le « régime du sabre » soit remis en question et fortement ébranlé par la tentative de Napoléon III dans les années 60 qui cherche à octroyer plus de pouvoir aux administrations civiles et de mieux contrôler les officiers, les « bureaux arabes », donc l’entité formative de ce système avec ses bureaux de renseignement et ses bibliothèques, vont se reproduire en Tunisie et au Maroc[61].

    L’expansion au Sénégal : une initiative locale

    Sous l’initiative du gouvernement de Louis Faidherbe, l’Empire français s’étend pour la première fois depuis le 17e siècle au-delà des frontières de ses ports commerciaux au Sénégal. Précédemment, le gouvernement français a exprimé peu d’intérêt pour ses colonies en Afrique sud-saharienne et limite ses activités au commerce[62]. Mais entre 1854 et 1861, Faidherbe consolide la colonie sénégalaise en occupant le Cayor (territoire entre Saint-Louis et Dakar) et en étendant l’influence française sur le fleuve Sénégal. L’objectif premier de cette expansion est avant tout commercial et l’armée a la tâche de maintenir l’ordre et de protéger les intérêts français, en d’autres mots maintenir la paix française. Elle est chargée de « pacifier » la région afin de favoriser les bonnes relations et le commerce[63]. C’est par l’organisation de territoires militaires que cette Pax Gallica doit être atteinte.

    Cette nouvelle expansion va naturellement augmenter les responsabilités politiques et administratives de Faidherbe et de ses officiers avec la création d’instances chargées de s’intéresser aux « bien-être des populations », à son développement tant au niveau agricole que commercial, ainsi qu’à des tâches administratives générales[64]. Mais avant de construire ce nouveau système qui semble à première vue s’articuler sur une relation de bienveillance paternaliste avec les populations autochtones, Faidherbe mène des campagnes militaires destructrices. Car, faits importants sur la personne de Faidherbe, ses premières armes sont faites en Algérie où il étudie le monde arabe et hérite des méthodes de Bugeaud. La « guerre d’extermination » et l’usage de la violence extrême font donc partie de l’arsenal « faidherbien »[65].

    Suites aux conquêtes, et évoquant lui-même que les objectifs de sécurités militaires au Sénégal sont les mêmes qu’en Algérie[66], Faidherbe adopte la stratégie de « l’occupation agissante » de Bugeaud. En d’autres mots, il établit des places fortes permanentes avec une fonction politique et militaire. Fonction militaire, car la place forte est un point qui permet de lancer des expéditions punitives rapidement, et fonctions politiques, car ses expéditions sont contre des populations révoltée ou réticente à donner leur soumission. La place forte permet aussi de maintenir la soumission grâce à la menace constante de la violence extrême[67]. Ainsi, la violence fondatrice de la conquête devient une violence de ratification et de réitération puisqu’une fois de plus, l’occupation s’appuie avant tout sur un rapport de force, d’autant plus que le maintien de l’ordre adopte le principe de « responsabilité collective » quand il vient temps de punir un village, voire même une région[68]. Ainsi, la relation de « commandement » s’établit à son tour en Afrique de l’Ouest. Sans être un calque de ce qui s’est produit en Algérie, l’armée sous Faidherbe se dote d’un rôle administratif qui va au-delà de ses prérogatives naturelles en métropoles.

    Mais la « violence fondatrice » n’atteint toutefois pas la même ampleur qu’en Algérie malgré quelle soit de la même nature. Certes, l’expansion est faite grâce à des campagnes militaires, mais elle ne s’engage pas dans la conquête complète du territoire comme c’est le cas en Algérie. Plusieurs facteurs expliquent la tendance différente au Sénégal. Premièrement, le territoire n’est pas voué à la colonisation de peuplement. Le contrôle et la surveillance militaire des populations « indigènes » ne sont donc pas aussi serrés et répressifs. Deuxièmement, la menace d’Abd el-Kadr en Algérie pèse lourdement sur les préoccupations des autorités coloniales qui mènent une guerre d’ « extermination » contre ce dernier. El-Hadj Omar et l’Empire Toucouleur dans la boucle du Niger ne représentent pas une menace aussi directe qu’Abd el-Kadr en Algérie. En effet, l’empire Toucouleur se détourne des territoires français et se préoccupe plutôt de faire la conquête à l’intérieur des terres. Il suffit donc pour les Français de tenir la frontière. Troisièmement, il n’y a tout simplement pas les troupes pour procéder à une conquête tous azimuts à l’intérieur du territoire[69]. Il faudra attendre la fin du 19e siècle pour que cette conquête se réalise.

    Une autre attitude qui est similaire dans les deux territoires est la stratégie du fait accompli. Effectivement, la campagne punitive menée dans le Siné par Faidherbe en 1859 n’a aucunement été ordonnée par le ministère, ni est-elle souhaitée par Paris. Faidherbe va alors présenter à Paris son action de force, toute en la justifiant sur une nécessité du moment[70]. Pour l’historien A.S. Kanya-Forstner, Faidherbe « was to much of an Algerian » pour laisser passer une opportunité d’agir par sa propre initiative[71]. Cette pratique de la désobéissance envers les pouvoirs civils de la métropole va d’ailleurs devenir un « principe » pour ces successeurs de l’école « soudanaise »[72]. Fait qui peut sembler s’appliquer seulement à la conquête, cette mentalité est clé pour comprendre le rapport entre les officiers et les populations « indigènes », car le domaine colonial devient alors le domaine de l’armée qui se croit en droit d’ériger un système qui s’arrime à leurs besoins et leurs visions. L’armée coloniale et ses officiers, avec la création des territoires militaires, sont des bâtisseurs et des gestionnaires de l’empire.

    Un exemple de cette attitude est la prise des mines d’or du Bambouk. Effectivement, Faidherbe intègre dans son plan de conquête ces mines d’or, car, non seulement il est considéré que ces mines sont riches et prospères, mais l’armée française est surtout convaincue qu’avec les techniques modernes européennes et la collaboration de civiles françaises, elles seraient mieux exploitées[73].  Comment cet exemple révèle-t-il des aspects de la relation entre colonisateurs et colonisés? Simplement, les populations autochtones sont inférieures aux Européens et doivent être assujetties au pouvoir impérial qui peut les déposséder de leurs territoires et de leurs ressources en raison de leurs techniques inefficaces qui ne permettent pas la véritable « mise en valeur » de la colonie. Tout comme en Algérie où l’armée doit coloniser les terres, l’armée en Afrique de l’ouest se dote dans cette petite expédition le droit d’exploitation unilatéral des ressources minières. Droit légitimé, d’ailleurs, par la vision raciale européenne où, au nom de la civilisation, les empires coloniaux doivent occuper et mettre en valeur les terres mal exploitées par les populations « sauvages » ou « barbares »[74]. Cet élément est un autre pan de la relation de « commandement ». Les savoirs locaux, les façons d’occuper et d’exploiter le territoire sont automatiquement perçues comme arriérées et devant être transformées et modelées par le modèle occidental.

    La « République impériale »[75] : l’élan colonial de la Troisième République

    Si les régimes métropolitains entre 1830 et 1870 n’ont eu qu’un intérêt limité pour les colonies et qu’aucune politique coloniale n’est édictée, la France de la Troisième République marque un tournant important en la matière. Bien que les huit premières années du nouveau régime soient celles marquées par le deuil de la défaite lors de la guerre franco-prussienne[76], la Troisième République va se montrer le régime français le plus colonialiste. Son élan commence avec la signature d’un traité de protectorat avec la Tunisie en 1881[77], suivi du royaume du Merina au Madagascar, en 1883[78]. En Afrique de l’Ouest, les expéditions commerciales et d’exploration deviennent de véritables colonnes militaires[79]. Après la conférence de Berlin en 1885, le traité et les conquêtes se multiplient en Afrique pour finir aux alentours du tournant du siècle avec la défaite de l’empire de Samori en 1897 après plus de 10 ans de guerre[80]. À l’Extrême-Orient, l’affaire du Tonkin pousse à la démission de Jules Ferry, héraut du colonialisme républicain, mais va engloutir l’Indochine dans l’empire français[81].

    Sous la Troisième République, l’empire se consolide et devient une préoccupation ainsi qu’une priorité en matière de relations internationales pour les gouvernements. Non seulement la classe politique accepte-t-elle le fait colonial, comme le démontre l’adhésion importante des députés au « Parti colonial »[82], mais l’idée coloniale chemine aussi dans l’imaginaire populaire à travers les journaux, la littérature, les arts, et l’éducation. Peu s’y opposent, mis à part l’extrême gauche surtout représentée par George Clemenceau et quelques factions royalistes plus antirépublicaines qu’autre chose. Il se cimente alors de façon définitive ce que Le Cours Grandmaison qualifie de « république impériale », régime qui bâti un empire avec « la guerre comme moyen, l’expansion comme but, et des conceptions racistes du genre humain comme mode privilégié de légitimation »[83]. Pour Mbembe, cette dynamique impériale se résume en une expression : une « guerre des races »[84].

    Au cœur de cette nouvelle expansion s’exprime aussi un nouvel outil justificatif qui va modeler le comportement des autorités coloniales : la « mission civilisatrice ». Longtemps perçue dans l’historiographie comme un écran de fumée à un impérialisme de prédation économique, l’historienne Alice Conklin démontre comment cette mission influence les décisions prises dans les colonies par les administrateurs[85]. Sans forcément être une nouveauté dans l’esprit colonial, la formulation de la « mission civilisatrice » vient définitivement consolider ce que plusieurs acteurs coloniaux ont déjà à l’esprit : la science, la technique et la force « incroyable » de l’occident permettent et légitiment la domination sur les autres peuples. Dans les mots de Conklin, il s’agit de « mastery of nature, including the human body, and mastery of what can be called “social behavior”. To put it another way, to be civilized was to be free from specific forms of tyranny: tyranny of the elements over man, of disease over health, of instinct over reason, of ignorance over knowledge and of despotism over liberty »[86]. La colonisation est donc perçue par ce nouveau régime et ces acteurs en colonie comme l’acquisition d’un espace vital impérial dans lequel la vitalité de la nation peut s’exprimer. Cette logique peut être comprise comme du « darwinisme impérial »[87]. L’empire est alors un outil de prestige et une obligation pour se considérer une grande puissance sur la scène internationale. Un État-nation sans empire colonial est faible, car incapable d’embrasser sa « mission civilisatrice ».

    Or, il est important de noter que la « conquête » ne veut d’aucune façon dire la pleine intégration et assimilation de ces territoires dans l’empire. Entre 1878 et 1914, la préoccupation des autorités militaires en colonies, outre la conquête, va être le maintien de l’ordre qui se traduit, de façon assez simple, au maintien de l’ « ordre colonial » sur le territoire coûte que coûte.

    Les « soudanais » et la pacification de l’hinterland africain

    Si la conférence de Berlin officialise, sur papier, les modalités de la conquête de l’Afrique, celle-ci avait débuté quelques années avant. Cette expansion est dirigée par les troupes de la marine. Certains des officiers provenant de l’Algérie se joignent à ce nouvel élan, motivé par leur envie de gloire et d’action, mais aussi sollicité pour leur « savoir » du monde arabe[88]. Sous l’initiative du gouverneur et colonel Louis-Alexandre Brière de l’Isle, vétéran des guerres contre la Chine de 1860 et de l’occupation de la Conchichine en 1866[89], l’expansion reprend à partir de 1876. Kanya-Forstner souligne comment Brière de l’Isle vient au Sénégal avec « all the traditions of his profession » et y instaure une quasi-dictature militaire. Encore plus important pour notre propos, la citation du député du Sénégal A-S. Gasconi nous démontre bien la place que l’armée s’octroie en colonie et comment celle-ci module la relation entre les autorités militaires et les colonisés, mais aussi les instances civiles : « the colony is not being administered but commanded »[90]. À l’instar de Faidherbe, la sécurité militaire est à l’avant-plan des préoccupations de Brière de l’Isle avec comme menace principale l’islam militant[91].

    Au-delà des dizaines de campagnes militaires et des nombreuses colonnes lancées à l’intérieur des terres africaines, la conquête qui s’étend jusqu’à la fin du siècle fait figure de « violence fondatrice » tout comme dans l’Algérie de Bugeaud et dans le Sénégal de Faidherbe. Les méthodes adoptées sont similaires à la conquête de l’Algérie, soit les razzias et la destruction systématique et totale de toute poches de résistances quand les ressources militaires le permettent. La conquête du Soudan va se faire à partir des années 1880 sous l’initiative de Louis Archinard et des « soudanais » qui applique, tout en l’honneur de leurs prédécesseurs, une politique de fait accompli et utilise la violence extrême pour s’y implanter[92]. Un deuxième élément important de cette conquête d’une violence extrême est la posture de conquérants : la moralité de leurs actes n’est aucunement à questionner, car ils sont en « mission civilisatrice » pour libérer de leurs chaines, de l’esclavage, mais aussi de leurs systèmes politiques oppressants les peuples « arriérés » de l’Afrique[93].

    Il est aussi pertinent de souligner comment l’armée considère ces territoires comme étant déjà conquis. Patrick Royer le souligne : « En créant simultanément les justifications souvent contradictoires de la conquête et un ennemi à conquérir qu’il pense en conquis avant même que la conquête n’ait lieu, le conquérant se réserve la possibilité du recours à la force afin que la réalité du terrain se conforme à son discours »[94]. Et c’est cette même mentalité qui brouille de façon significative la frontière entre la conquête et le maintien de l’ordre.

    La conquête finit-elle avec l’occupation effective du territoire ou seulement lorsque l’ensemble des populations conquises ne sont plus enclines à la révolte et à la résistance? Il est difficile de donner une réponse globale à cette question, et il faut privilégier le cas par cas. Par exemple, Patrick Royer et Mahir Saul considèrent la guerre du Bani-Volta de 1915-1916, lors de laquelle les populations de la boucle de la Volta affrontent les colonnes militaires françaises, comme étant une guerre de résistance, mais aussi comme étant l’achèvement de la conquête[95], bien que ce territoire soit déjà considéré comme faisant partie de l’empire. Or, cette compréhension des événements repose sur la perception des populations colonisées. Quant à l’administration coloniale, malgré la faiblesse de leurs présences et les difficultés administratives immenses auxquelles ils font face, la région est considérée comme partie intégrante de l’empire. Bref, le brouillage de la frontière entre conquête et maintien de l’ordre n’est pas une chose évidente à évaluer, d’autant plus que le comportement des autorités militaires et des officiers semble peu changer d’un cas à l’autre.

    Est-ce que cette dynamique de conquêtes forge le rapport entre les colonisateurs et les colonisés, ainsi que la compréhension du maintien de l’ordre par les officiers coloniaux? Après les « conquêtes » qui prennent fin aux alentours de 1899 avec la création de l’Afrique-Occidentale française (AOF), les officiers s’affairent à pacifier les régions. À titre d’exemple, la pacification de la boucle de la Volta (actuel Burkina Faso) illustre bien ces méthodes. Dans ces régions englobées par le 2e Territoire militaire, ce sont les militaires qui remplissent les fonctions administratives, le tout sous les ordres du gouverneur général de l’AOF[96], représenté par le lieutenant-gouverneur du Haut-Sénégal et Niger à partir de 1904[97]. Elle repose surtout sur l’usage de la force. Comme nous le montre Jeanne-Marie Kambou Ferrand, l’usage de la force pour pacifier la région entre 1900 et 1914 s’appuie sur les mêmes méthodes utilisées pendant la conquête : la colonne militaire. Celle-ci parcourt alors le pays afin de lever l’impôt. La destruction des villages abandonnés fait partie de la tactique afin d’intimider et terroriser les villages récalcitrants. Il s’agit donc d’un véritable outil de violence pédagogique[98]. Encore une fois, l’ordre colonial est une affaire indiscutable et il doit être imposée par tous les moyens possibles. Les trois formes de violence identifiée par Achille Mbembe sont ici encore à l’œuvre : la « violence fondatrice » de la conquête, la « violence légitimante » par une conquête réussie, et la « violence de ratification et de réitération » avec l’usage systématique de la force pour s’imposer.

    Or, cette méthode n’est pas la seule à être préconisée, et certains officiers encouragent plutôt une méthode douce, surtout à partir de 1905. Il s’agit de se présenter dans les villages en palabres et de ne seulement qu’utiliser la force lorsque nécessaire. Quoique cette méthode plutôt politique fait ses preuves, les officiers vont déployer une méthode hybride, ou l’on se présente en but de dialoguer, mais que si elle s’avère sans résultat, l’usage de la force militaire est priorisé[99]. Le tableau peut davantage être nuancé. Effectivement, bien que les officiers soient formés pour faire la guerre, ils se retrouvent en Afrique dans une situation précaire, en manque de ressources et surtout en manque d’hommes. Il faut alors puiser d’autres ressources pour faire accepter l’occupation française. Il s’agit, pour Jacques Frémeaux, de construire des « rapports moins sommaires » en s’instruisant sur les cultures des dominés, en apprenant la langue et en se rapprochant des populations « indigènes »[100].

    Cette approche qui cherche à tempérer la violence extrême s’exprime le plus clairement chez le général Joseph-Simon Gallieni et son apprenti maréchal Hubert Lyautey. En opposition avec les méthodes de l’école « soudanaise » qu’ils trouvent extrême et inefficace pour atteindre les objectifs politiques de la colonisation (la soumission inconditionnelle), Gallieni et Lyautey développent et mettent en pratique la théorie de la « tache d’huile ». Il s’agit de se rattacher les populations à travers l’installation d’un poste autour duquel s’installe un marché, une église, une école, etc. En d’autres mots, il faut montrer la prospérité possible sous la Pax Gallica. Libéré des guerres, de l’esclavage et des despotes, les populations « indigènes » trouveraient en l’armée leur libérateur. La violence doit être utilisée de façon parcimonieuse, mais elle ne doit pas non plus être rejetée comme outil de dernier recours. Justement, elle doit être utilisé lorsque les « indigènes » refuserait toute tutelle et soumission. En d’autres mots, ce n’est pas la France qui veut la guerre, mais les populations récalcitrantes. La France agit avec les « indigènes », ces « grands enfants »[101], comme un père de famille, sévère, bienveillant, usant d’une violence paternaliste, disciplinaire et civilisatrice.

    Le « commandement » est alors au centre des relations entre les officiers et les « indigènes ». Cette attitude est répandue partout dans les territoires colonisés où les militaires assurent les tâches administratives. Ceci est aussi représentatif aussi des prérogatives que l’armée s’octroie. Il faut « tenir en main » les administrés, en d’autres mots avoir leurs allégeances inconditionnelles à la France. Ce « commandement » est justifié par « le prestige et l’autorité en quelque sorte “naturelles” des officiers »[102]. Nous sommes alors face à une forme de « despotisme éclairé », usant d’une pédagogie par la force, justifier par la conquête et la domination naturelle des peuples plus civilisés et racialement supérieure[103].

    Conclusion

    Dans cet essai, nous avons tenté d’élucider la relation entre gouvernant et gouvernés en contexte colonial en nous concentrant sur le rôle des officiers. Ce travail a d’abord entamé une discussion autour de trois concepts qui peuvent nous éclairer sur cette relation. Le « commandement » d’Achille Mbembe montre comment la relation est avant tout basée sur un rapport de force et de domination. Ainsi, le maintien de l’ordre, qui s’arrime avec le « commandement », est au cœur des préoccupations des officiers coloniaux. Enfin, la « culture organisationnelle » illustre comment cette relation de « commandement » et cette manie pour l’ordre absolu qui pousse à l’usage de la violence extrême sont issues d’une culture construite et reproduite par l’armée coloniale. Circonscrit entre 1830 et 1914 et limité à la colonisation de l’Afrique, cet essai montre comment ces trois concepts aide à élucider la relation des officiers avec les populations conquises à travers la conquête algérienne par Bugeaud et l’expansion française en AOF. La violence initiale de la conquête sert de fondement à cette relation. Ensuite, l’ordre doit être maintenu de façon absolue, perpétuant la relation de violence initiée par la conquête. Mais celle-ci change, varie et mute selon le régime politique, la conquête et ceux qui la mènent, sans jamais vraiment disparaître. Effectivement, certains officiers cherchent à maintenir l’ordre et l’obéissance des nouveaux sujets coloniaux sans l’usage systématique de la violence. Or, il n’est jamais question de complètement l’éliminer comme mode opératoire.

    Mis à l’écart de cette étude sont les 50 dernières années du Second Empire colonial français. Rendue en 1914, la France est encore en processus de consolidation et d’organisation impériale. La Grande Guerre va engendrer une série de conflits d’envergures, dont la guerre du Bani-Volta (1915-1916) et la guerre du Mono (1918) qui sont caractérisées par des répressions féroces. L’ordre devait être à tout prix maintenu, et les autorités militaires ont mis à exécution des pratiques tributaires des années de conquête. L’entre-deux-guerres est un peu plus tranquille avec des formes de résistances autochtones moins axées sur la résistance ouverte. Mais c’est une période où se formules et s’articule de façon de plus en plus claire les idéologies décoloniales et révolutionnaires. Les mouvements de populations sont d’ailleurs devenus plus importants entre les colonies et la métropole. Un certain contrôle est alors directement assumé par la police parisienne, notamment, et par d’autres instances de surveillances gouvernementales. Enfin, la défaite de 1940, les transformations dans l’armée française sous le régime de Vichy ainsi que la naissance d’une nouvelle armée et une nouvelle république après 1945, peuvent être perçu comme une rupture avec le colonialisme de la Troisième République. Et pourtant, les deux guerres de décolonisation en Indochine et en Algérie témoignent de violences extrêmes qui, à certains égards, surpassent certaines violences des conquêtes. Du moins, le même réflexe de rechercher l’ordre absolu se maintien dans ce qui prend le nom de « guerre contre-insurrectionnelle ».

    Références

    [1] J’aimerais remercier la fondation de l’Université de Sherbrooke pour l’octroie d’une bourse d’excellence en recherche qui a permit la réalisation de cette recherche.

    [2] Jean-Pierre Bat et Nicolas Courtin, dir., Maintenir l’ordre colonial: Afrique et Madagascar (XIXe – XXe siècles), Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2012, p. 13.

    [3] Ibid.

    [4] Elikia M’Bokolo, dir., Afrique noire, Histoire et civilisations, Tome 2 : XIXe et XXe siècle, Paris, Hatier : AUPELF-UREF, 1992, p. 270.

    [5] Isabel V. Hull, Absolute Destruction: Military Culture and the Practices of War in Imperial Germany, Ithaca, Cornell Univ. Press, 2006, p. 97; 103.

    [6] Jacques Frémeaux, De quoi fut fait l’Empire: les guerres coloniales au XIXe siècle, Paris, CNRS éditions, 2010, p. 4‑5.

    [7] Il est important de noter, comme le fait l’historienne Julie d’Andurain, que cette dichotomie entre le colonisé et le colonisateur est remise en question et nuancée aujourd’hui dans l’étude du fait colonial. Tout en étant d’accord que la réalité coloniale n’est pas fixée dans cette dichotomie, c’est aussi un faux pas de vouloir faire disparaitre ses deux solitudes au nom de la « nuance ». Effectivement, ces deux solitudes existent dans les imaginaires, les mentalités, les codes de lois, etc. Elles préfigurent souvent à l’action, comme l’illustre les ouvrages collectifs dirigés par Martin Thomas « The French Colonial Mind » qui utilise le concept de mentalité pour comprendre ce qui configure l’action en contexte colonial. Julie d’Andurain, « États des tendances et des savoirs sur l’histoire militaire coloniale », Revue historique des armées, no 271, 2013, p. 3-4 ; Martin Thomas, dir., The French Colonial Mind. Vol. 1 : Mental Maps of Empire and Colonial Encounters, Lincoln, University of Nebraska Press, 2011.

    [8] Patrick Royer, La guerre en miroir: conquête coloniale et pacification au Soudan occidental, Paris, Les Indes savantes, 2019, p. 27.

    [9] Ibid., p. 28.

    [10] Achille Mbembe, De la postcolonie: essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, La Découverte, 2020 (2000), p. 79.

    [11] Ibid., p. 78.

    [12] Ibid., p. 81.

    [13] Ibid., p. 95.

    [14] Patrick Dramé, L’Impérialisme colonial français en Afrique : enjeux et impacts de la défense de l’AOF : 1918-1940, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 70.

    [15] Ibid.

    [16] Ibid., p. 94.

    [17] Martin Thomas, « Introduction: Mapping Violence onto French Colonial Minds », dans Martin Thomas, dir., The French Colonial Mind. Vol. 2: Violence, Military Encounters, and Colonialism, Lincoln, University of Nebraska Press, 2011, p. xii.

    [18] Isabel V. Hull, op. cit., p. 1‑2.

    [19] Ibid., p. 118.

    [20] Ibid., p. 37.

    [21] Ibid., p. 56.

    [22] Ibid., p. 99‑100.

    [23] Ibid., p. 96.

    [24] Anne Rey-Goldzeiguer, « La France coloniale de 1830 à 1870 », dans Jean Meyer et al., Histoire de la France coloniale. Tome 1 : Des origines à 1914, Paris, Armand Colin, 2016, p. 319.

    [25] Ibid., p. 351‑352.

    [26] Ibid., p. 411.

    [27] Ibid., p. 440.

    [28] Ailleurs dans le monde, les initiatives coloniales françaises sont menées par la Marine et les armateurs qui s’engagent dans une stratégie de « points d’appui ». Ainsi on se réaffirme sur les côtes de l’Afrique de l’ouest, en Indochine et en mer de Chine. Puisqu’il s’agit d’initiative de la marine, nous ne nous y attarderons pas. Ibid., p. 365‑367.

    [29] Anthony Clayton, France, Soldiers and Africa, Londre, Brassey’s, 1988, p. 52.

    [30] Gilles Manceron, Marianne et les colonies: une introduction à l’histoire coloniale de la France, Paris, La Découverte, 2005, p. 93.

    [31] Vincent Joly, Guerres d’Afrique. 130 ans de guerres coloniales : l’expérience française, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 53.

    [32] Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard, 2008, p. 139.

    [33] Vincent Joly, op. cit., p. 54.

    [34] Anne Rey-Goldzeiguer, loc. cit., p. 360‑363.

    [35] Ibid., p. 346.

    [36] Ibid., p. 411.

    [37] Ibid., p. 418.

    [38] Ibid., p. 420.

    [39] Ibid., p. 433.

    [40] Douglas Porch, « Bugeaud, Galliéni, Lyautey: The Development of French Colonial Warfare », dans Peter Paret, dir., Makers of Modern Strategy: From Machiavelli to the Nuclear Age, Oxford, Oxford University Press, 1986, p. 378.

    [41] Vincent Joly, op. cit., p. 46‑47.

    [42] Ibid., p. 47.

    [43] Ibid., p. 54.

    [44] Douglas Porch, loc. cit., p. 378.

    [45] Ce terme est fortement connoté et politisé dans l’historiographie francophone et nécessite une petite mise au point. En effet, deux pensées s’opposent sur l’usage précis de ce terme. D’un côté, la définition rejoint plutôt notre compréhension moderne de ce qu’est une extermination, donc une tuerie de masse planifiée. De l’autre, il s’agit plutôt de le comprendre dans le sens d’une guerre barbare et pas forcément programmée. William Gallois, « Dahra and the History of Violence in Early Colonial Algeria », dans Martin Thomas, dir., The French Colonial Mind. Vol. 2: Violence, Military Encounters, and Colonialisme, Lincoln, University of Nebraska Press, 2011, p. 23.

    [46] Olivier Le Cour Grandmaison, op. cit., p. 138.

    [47] Ibid., p. 114; 137.

    [48] Benjamin Claude Brower, A Desert Named Peace: The Violence of France’s Empire in the Algerian Sahara, 1844-1902, New York, Columbia University Press, 2011, p. 22.

    [49] Ibid., p. 24.

    [50] Ibid., p. 25.

    [51] William Gallois, loc. cit., p. 4.

    [52] La « razzia » est une forme de guerre économique pratiqué en premier lieu par les tribus arabes. Ils s’agissaient d’accaparer des ressources de l’ennemi, tels les chameaux et les stocks de nourriture, mais aussi des personnes pour être mis en esclavage. L’objectif est avant tout économique. La razzia pratiquée par les troupes coloniales prend une toute autre forme. Encore dans le cadre de la guerre économique, elle vise à ruiner l’ennemi pour l’amener à se soumettre en raison de l’attrition.

    [53] William Gallois, loc. cit., p. 5‑6.

    [54] Olivier Le Cour Grandmaison, op. cit., p. 140‑141.

    [55] William Gallois, loc. cit., p. 7.

    [56] Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées : 1830-1930. Tome 1 : Des établissements côtiers aux confins sahariens, Paris, Service historique de l’Armée de terre, 1993, p. 14‑15.

    [57] Anthony Clayton, op. cit., p. 58.

    [58] Jacques Frémeaux, op. cit., p. 15.

    [59] Anne Rey-Goldzeiguer, loc. cit., p. 362.

    [60] Jacques Frémeaux, op. cit., p. 21.

    [61] Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées, Tome 2 : Officiers administrateurs et troupes coloniales, Paris, Service historique de l’Armée de terre, 1995, p. 26.

    [62] Michael Crowder, West Africa Under Colonial Rule, Londre, Hutchinson, 1970, p. 31.

    [63]  Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées …, Tome 1, op. cit., 1993., p. 16.

    [64] Ibid., p. 18.

    [65] Vincent Joly, op. cit., p. 86.

    [66] A.S. Kanya-Forstner, The Conquest of the Western Sudan: A Study in French Military Imperialism, Londre, Cambidge University Press, 1969, p. 29.

    [67] Vincent Joly, op. cit., p. 87.

    [68] Ibid., p. 89.

    [69] Jacques Frémeaux, op. cit., p. 19.

    [70] A.S. Kanya-Forstner, op. cit., p. 32.

    [71] Ibid., p. 31.

    [72] Vincent Joly, op. cit., p. 95.

    [73] Leland Conley Barrows, « Bambuk Gold: General Faidherbe’s Senegalese Chimera », dans Andrekos Varnava, dir., Imperial Expectations and Realities: El Dorados, Utopias and Dystopias, Manchester, Manchester University Press, 2020, p. 69.

    [74] Patrick Royer, op. cit., p. 486‑487.

    [75] Olivier Le Cour Grandmaison, La république impériale: politique et racisme d’État, Paris, Fayard, 2009, 401 p.

    [76] Jacques Thobie, « La France coloniale de 1870 à 1914 », dans Jean Meyer et al., Histoire de la France coloniale. Tome 1 : Des origines à 1914, Paris, Armand Colin, 2016, p. 555.

    [77] Ibid., p. 579.

    [78] Ibid., p. 602.

    [79] Ibid., p. 594.

    [80] Ibid., p. 647.

    [81] Ibid., p. 610.

    [82] Marc Lagana, Le Parti colonial français : éléments d’histoire, Québec, Presse de l’Universtité du Québec, 1990, p. 19.

    [83] Olivier Le Cour Grandmaison, op. cit., p. 12.

    [84] Achille Mbembe, « De la scène coloniale chez Frantz Fanon », Rue Descartes, vol. 58, n° 4, décembre 2007, p. 38.

    [85] Alice L. Conklin, A Mission to Civilize: The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford, Stanford University Press, 1997, p. 3.

    [86] Ibid., p. 7.

    [87] Olivier Le Cour Grandmaison, op. cit., p. 26‑27.

    [88] Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées …, Tome 2, op. cit., 1995, p. 37.

    [89] A.S. Kanya-Forstner, op. cit., p. 56.

    [90] Ibid., p. 57. Les italiques sont celle de l’auteur.

    [91] Ibid.

    [92] Vincent Joly, op. cit., p. 117.

    [93] Michael Crowder, op. cit., p. 71.

    [94] Mahir Şaul et Patrick Royer, West African Challenge to Empire: Culture and History in the Volta-Bani Anticolonial War, Athens, Ohio University Press, 2003, p. 25‑26.

    [95] Ibid., p. 13‑14.

    [96] Jeanne-Marie Kambou-Ferrand, Peuples voltaïques et conquête coloniale, 1885-1914 : Burkina Faso, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 345.

    [97] Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées …, Tome 1, op. cit., 1993, p. 103

    [98] Ibid., p. 392.

    [99] Ibid., p. 393.

    [100] Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées …, Tome 2, op. cit., 1995, p. 3.

    [101] Jeanne-Marie Kambou-Ferrand, op. cit., p. 392.

    [102] Jacques Frémeaux, op. cit., p. 51.

    [103] Patrick Royer, op. cit., p. 393.