« There are eastern Canadians and western Canadians and northern resources » : la Commission royale sur les peuples autochtones (1991-1996) et les voix autochtones face aux blocs de développement énergétiques et miniers dans le Grand Nord

Antoine Csuzdi-Vallée
Baccalauréat en histoire, Université de Montréal

Résumé: 

Mots-clés : 

 

Table des matières
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    The North is neither a cold desert nor

    a rich storehouse, rather, it is an enigma.

    – Jim Lotz, 1970

    Introduction

    À la suite de la crise d’Oka, le gouvernement de Brian Mulroney met sur pied la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA), qui est dotée du large mandat « [d’] examiner tous les enjeux qu’elle juge pertinents pour l’un quelconque ou l’ensemble des peuples autochtones du Canada »[1]. De 1991 à 1996, à la lumière d’audiences publiques, de consultations et de recherches, la CRPA formule plus de 400 recommandations visant à restructurer les relations entre les peuples autochtones canadiens et le gouvernement fédéral. À long terme, toutefois, les recommandations de la CRPA sont peu appliquées au pays.

    Le mandat de la CRPA identifie plusieurs enjeux particuliers à examiner avec attention, notamment « les difficultés particulières des peuples autochtones du Nord »[2]. Un chapitre entier du rapport de la Commission y est dédié. Les Autochtones du Nord ont participé en grand nombre aux audiences de la Commission : sur les 674 individus entendus par les commissaires, 125 proviennent du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest[3].

    Afin de structurer géographiquement ses recommandations, la CRPA divise le Canada en trois zones : le Sud, le Moyen Nord et le Grand Nord. Cette définition est établie selon des critères socioéconomiques et politiques qui caractérisent la vie des peuples autochtones de ces régions[4]. Selon cette définition, le Grand Nord est formé de l’ensemble du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest[5], le territoire québécois couvert par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et le Labrador. Près de 10 % de la population autochtone du Canada se situe dans ce Grand Nord dans les années 1990, soit près de 70 000 individus[6]. Il s’agit ainsi d’une région où les peuples autochtones sont plus fortement représentés qu’ailleurs au pays : 69 % des collectivités du Grand Nord sont majoritairement constituées d’Autochtones[7].

    Culturellement, le Nord est perçu comme un espace lointain, voire mythique, construit et exprimé par le Sud du Canada. Cet imaginaire du Nord porte rarement attention aux peuples qui occupent cet espace et à leurs cultures. En ce sens, il est méconnu et souvent laissé pour compte. Une telle vision du Nord est particulièrement décriée par les intervenants du Grand Nord au cours des audiences de la CRPA, qui se tiennent dans diverses communautés autochtones des régions septentrionales du pays. Ceux-ci s’expriment sur de nombreuses thématiques, que les commissaires regroupent en quatre principaux thèmes dans leur rapport : la terre, la communauté, la nécessité de gagner sa vie et la fonction gouvernementale[8]. Les 22 recommandations de la CRPA spécifiquement tournées vers le Nord traitent donc de ceux-ci.

    Au centre des interventions se retrouve un leitmotiv qui recoupe les quatre thématiques relevées par la CRPA : l’exploitation des ressources énergétiques et minières. L’un des intervenants utilise les mots de l’historien René Fumoleau, qui a travaillé et vécu avec les Dénés du Denendeh[9], pour décrire de façon poignante les enjeux liés à cet aspect : « There are eastern Canadians and western Canadians and northern resources »[10]. Le Canada a examiné avec intérêt ses régions les plus septentrionales uniquement lorsqu’il y avait un potentiel d’exploitation de ressources énergétiques et minières[11].

    Analysées dans la lignée des études postcoloniales, les voix des Autochtones du Grand Nord face aux projets énergétiques et miniers révèlent un large pan de l’activisme nordique : la volonté profonde des Premières Nations, des Inuits et des Métis du Grand Nord de s’émanciper du cadre du colonialisme interne auquel ils font encore face. Contrairement à la perception classique du colonialisme comme impliquant un État dominant et un État dominé, celui-ci implique que le colonialisme peut être un phénomène intranational, qui se déroule entre deux groupes au sein d’un même État formel où des relations de domination sociales et économiques s’expriment sur plusieurs fronts[12]. Ce colonialisme interne est en grande partie causé par les projets d’exploitation de ressources énergétiques et minières. Plus particulièrement, il s’agit de cesser d’étiqueter le Grand Nord comme l’arrière-pays du Canada méridional et d’y obtenir un réel pouvoir économique et politique.

    Cet article explorera les voix autochtones exprimées à la CRPA concernant les projets d’exploitation des ressources énergétiques et minières. Après avoir effectué un survol de l’historiographie traitant du Grand Nord canadien, nous conceptualiserons les projets d’exploitation des ressources énergétiques et minières dans la lignée des « blocs de développement », un concept de l’historien économique suédois Erik Dahmén. Puis, nous analyserons ces voix afin de montrer que si les blocs de développement se mettent en place dans une logique économique, ils créent des relations coloniales typiques du colonialisme interne sur les plans politiques, environnementaux et sociaux. Enfin, nous examinerons les réponses autochtones face à ce colonialisme interne, en montrant que loin de s’opposer au développement des ressources énergétiques et minières, ils cherchent à transformer les dynamiques inhérentes aux blocs de développement.

    Historiographie

    L’historiographie canadienne récente concernant le développement des ressources énergétiques et minières dans le Grand Nord durant la deuxième moitié du XXe siècle est relativement étendue. Nuttall (2010) explore le développement pétrolier dans l’Arctique d’une perspective transnationale, principalement au Grand Nord canadien et en Alaska. L’historiographie met un accent particulier sur le pipeline de la vallée du Mackenzie, qui donne naissance à la commission Berger, centrale à l’histoire énergétique des Territoires du Nord-Ouest (Zachariah, 1984 ; Sabin, 1995). Quant à lui, McPherson (2003) explore les relations entre les Inuits et les mines aux XXe et XXIe siècles et montre comment ils ont négocié au fil des décennies pour obtenir des droits sur le territoire et les ressources. Plusieurs autres publications traitent de projets particuliers de développement dans le Grand Nord canadien. Rees (1986, 2008) et Gorman (1987) évaluent les réponses des Dénés face au pipeline de Norman Wells, dans les Territoires du Nord-Ouest, tandis que Nuttall (2008) fait de même dans le cadre du projet gazier du Mackenzie. Au sein de l’industrie minière, O’Faircheallaigh (2015) explore les négociations ayant mené à l’établissement de la mine de diamant Ekati, dans les Territoires du Nord-Ouest, et de celle de nickel de Voisey Bay, au Labrador. Quant à elle, l’historiographie énergétique du Grand Nord québécois se concentre principalement sur les développements hydroélectriques de la Baie-James, après la Convention de 1975.

    Notons aussi que sans se référer directement au Grand Nord, l’ouvrage édité par Sandwell (2016) traite de l’histoire énergétique du Canada en général. Celui de Luby (2020) traite plus précisément du développement hydroélectrique en territoire anishinabé près du lac des Bois, en Ontario, montrant les impacts de celui-ci sur les communautés autochtones. Ces ouvrages permettent de mettre en relation l’histoire énergétique du Grand Nord avec les développements méridionaux similaires.

    Plusieurs auteurs se concentrent plutôt sur l’évolution politique et sociale du Grand Nord canadien. Dickerson (1992) et Hamilton (1994) décrivent les changements gouvernementaux et sociaux ayant pris place dans les Territoires du Nord-Ouest au courant du XXe siècle, jusqu’au développement d’une autonomie accrue. Nadasdy (2017) étudie des thèmes similaires au Yukon et Scott (2001), au Nord du Québec et au Labrador. Quant à lui, Kulchyski (2014, 2015) explore sous une lunette impérialiste la signature des traités modernes dans le Grand Nord canadien, utilisant le concept d’accumulation primitive de Marx pour montrer qu’ils sont des agents de l’impérialisme et du colonialisme canadien. Certaines études examinent plus précisément un peuple autochtone du Grand Nord. À titre d’exemple, Watkins et al. (1977) tracent un portrait de la nation dénée, qu’ils décrivent comme « the colony within », faisant référence au colonialisme interne dans un cadre théorique similaire à notre étude. En se servant de l’ensemble de ces travaux sur le Grand Nord comme base historiographique, notre article vise à mettre les voix autochtones au centre du récit historique. Il s’agit également d’explorer le Grand Nord canadien en tant que large espace pour illustrer les dynamiques communes unissant ses diverses régions.

    De plus, sur le plan théorique, nous souhaitons complémenter les théories de Toby Morantz (2001, 2013), qui développe brillamment le concept du « colonialisme bureaucratique », dérivé du colonialisme d’État des Comaroffs. Selon ce concept, l’État canadien aurait colonisé le Nord du pays à l’aide de lois et de l’administration publique, sans s’imposer physiquement sur le territoire. Il s’agit ainsi d’un colonialisme différent du colonialisme de peuplement, qui caractérise l’histoire méridionale du pays. Dans le cadre de notre analyse, le colonialisme bureaucratique s’applique difficilement puisqu’il s’exprime par l’État, qui n’occupe pas une place prépondérante dans notre démonstration. Toutefois, nous argumentons qu’en plus du concept de Morantz, le colonialisme s’applique dans le Grand Nord canadien non pas directement par l’État, mais par de tierces parties, par le biais des blocs de développement. En ce sens, nous souhaitons contribuer plus largement à l’étude du colonialisme dans le Grand Nord.

    Les blocs de développement et la logique du colonialisme interne

    Les effets de l’exploitation des ressources énergétiques et minières ont une importance toute particulière dans le Grand Nord et son économie. Dans les années précédant la mise en place de la CRPA, le secteur primaire de l’économie progressait de manière exponentielle. Entre 1977 et 1989, la valeur des exportations de produits miniers dans les Territoires du Nord-Ouest passe de 216 millions à 950 millions de dollars, une augmentation de près de 440 % ; les exportations de produits pétroliers passent quant à elles de 39 millions à 179 millions de dollars[13]. Le secteur des ressources énergétiques et minières est la principale opportunité d’emploi pour les Autochtones du Grand Nord, mais en amenant des conséquences importantes sur leur milieu et leur mode de vie traditionnel.

    Les impacts de l’exploitation de ces ressources énergétiques et minières se distinguent des impacts de l’exploitation des autres ressources naturelles. L’ampleur de ces projets s’inscrit dans la lignée conceptuelle des « blocs de développement », notion initialement développée par Erik Dahmén et appliquée à l’histoire économique suédoise[14]. Ce concept désigne les microcosmes économiques balancés qui sont essentiels au développement d’activités économiques à grande échelle. Il s’agit du résultat d’une combinaison de plusieurs formes de capital, individuellement insuffisantes pour permettre le développement économique. À titre d’illustration, un important capital financier ne peut faire naître à lui seul un projet de grande envergure ; pour en arriver à son plein potentiel, il doit entre autres être associé à une vaste infrastructure, des compétences techniques et une main-d’œuvre qualifiée[15]. Dans cet ordre d’idées, les blocs de développement ne peuvent pas se développer à petite échelle puisqu’ils nécessitent une conjonction de facteurs. On retrouve donc principalement des blocs de développement par l’exploitation minière (or, zinc, uranium, diamant, nickel…), pétrolière et par les barrages hydroélectriques[16]. En raison du grand nombre de formes de capital nécessaire à la mise en place d’un bloc de développement, il était rare que ceux-ci soient constitués par des Autochtones du Grand Nord au XXe siècle.

    Dans le Grand Nord, au-delà de leur impact économique, les blocs de développement ont un grand impact spatial et sociopolitique[17]. Toutes les formes de capitaux des blocs de développement présents au Grand Nord se concentrent dans un espace limité géographiquement : une mine ou un barrage hydroélectrique concentre son capital financier, humain et technologique en un seul endroit. Toutefois, ces blocs de développement ont un impact tentaculaire, à très large échelle : une mine ou un barrage hydroélectrique aura des effets environnementaux sur l’ensemble d’un écosystème. Dans le Grand Nord, où la vie quotidienne est éminemment liée au territoire, la transformation d’un écosystème modifie de facto le mode de vie et, de ce fait, les communautés nordiques. Le cadre bâti, l’emploi et les relations de pouvoir sont également affectés par les blocs de développement dans le Grand Nord.

    De manière encore plus importante, les effets des blocs de développement sont inexorables dans le Grand Nord. Lorsque le bloc de développement opère, toutes les sphères de la société sont affectées ; toutefois, même après son départ, ses effets se font encore sentir : il est rare que l’environnement, le mode de vie ou les relations de pouvoir puissent revenir à leur état d’origine.

    En ce sens, une fois qu’un bloc de développement s’implante, il devient le centre d’attraction autour duquel gravite l’ensemble des sphères de la société nordique, étant donné que ses effets sont persistants et tentaculaires. La quasi-totalité des composantes des blocs de développement provient du Canada méridional, qui en retire les profits au détriment des communautés autochtones locales. De cette manière, s’il est implanté sans consultation et participation autochtones, il devient un vecteur de colonialisme interne.

    Un portrait du colonialisme interne s’exprimant par les blocs de développement

      Les témoignages entendus par la CRPA dans le Grand Nord canadien démontrent que le colonialisme interne lié aux blocs de développement des projets énergétiques et miniers s’exprime dans de nombreuses sphères de la société. Tout d’abord, il s’exprime sur le plan économique. Puisque les blocs de développement sont fondés par des intérêts du Canada méridional, peu de redevances en provenant sont versées aux Autochtones qui revendiquent les terres où ils s’établissent. À Davis Inlet, au Labrador, aucune redevance n’est payée aux Innus malgré la présence de la Wabush Labrador Mining, même si « there’s millions and millions and millions of dollars that goes out of [Innu] lands » [18]; il en va de même à Sheshatshiu concernant le projet hydroélectrique de Churchill Falls. L’absence de redevances suscite l’incompréhension à Yellowknife compte tenu de la prolifération et de la profitabilité des entreprises minières :

    To name a few [companies], there is Giant, Ptarmigan, which is now Treminco, Akaitcho, Camlaren, Tundra, Salmita, Burwash and others, along with quarries. These companies have extracted approximately […] one trillion dollars. I can’t count the zeros. That is beyond my comprehension [that] almost […] not one – not one – of these companies has demonstrated good corporate citizenship. By good corporate citizenship, I am referring to payment of royalties to the Dene, the establishment of a formula for sharing[19].

    La frustration est encore plus grande puisqu’aux yeux de plusieurs intervenants, les grandes compagnies opérant dans le secteur pétrolier, comme Esso ou la compagnie canadienne Dome Petroleum, reçoivent des privilèges financiers exorbitants alors que les Autochtones peinent à obtenir des fonds suffisants pour différents projets communautaires. À Fort McPherson, dans les Territoires du Nord-Ouest, James Ross exprime sa frustration à ce sujet : 

    So, when we are talking about who is getting free handouts in this country, look towards your own. When you are sitting in downtown Toronto, look at the corporations and the fancy big buildings that they got and look at how much taxes they pay and how many breaks they get[20].

    En plus de l’absence de redevances, les intervenants déplorent l’absence d’emplois qualifiés ou permanents au sein de ces projets énergétiques et miniers pour les peuples autochtones du Grand Nord. Les emplois liés à ces projets requièrent une formation poussée, qui est inexistante dans le Grand Nord ; ces exigences empêchent de facto les Autochtones d’avoir accès à ces opportunités. À l’échelle du Canada, 49 % des Autochtones travaillant dans l’industrie minière occupaient des positions principalement manuelles nécessitant peu de qualifications ; seul 1 % d’entre eux étaient dans des postes professionnels, et 3 % dans des postes de gestion[21].

    Dans son mémoire, le Sahtu Tribal Council, des Territoires du Nord-Ouest, montre que si ces emplois représentent souvent la seule opportunité salariale dans ces régions, ils sont peu accessibles aux Autochtones :

    « The wealthiest and only developed community in the region is Norman Wells. The community is majority non-aboriginal and is heavily dependent on Esso Resources Canada Limited and the pipeline to Zama Lake in Alberta. The community has a viable private sector and a well-developed infrastructure as compared to the other communities in the region[22].

    En comparaison, le portrait tracé par le Sahtu Tribal Council des communautés de Fort Norman et de Fort Good Hope, qui sont toutes deux composées d’environ 94 % d’Autochtones, décrit un mode de vie basé sur la chasse et la pêche, sans travail salarié. Alors que Fort Good Hope est la communauté la plus importante du Sahtu, elle est explicitement décrite comme peu développée par le Sahtu Tribal Council. Lorsque les emplois liés aux secteurs énergétiques ou miniers se manifestent, ils sont la plupart du temps à court terme : une fois que la pétrolière Chevron quitte Fort Good Hope, il ne reste plus d’activités salariées pour les habitants de la communauté.

    En conséquence, l’exploitation énergétique ou minière a peu d’effets économiques positifs sur les communautés du Grand Nord. Dans les mots d’Eileen Koe, membre de la nation Gwich’in qui s’exprime à Fort McPherson, dans les Territoires du Nord-Ouest :

    We went through the oil boom, we knew what it was all back then. […] now we are in a recession, there are no jobs and there is no employment and we have to look at the future of our children and our grandchildren[23].

    Une dynamique similaire est décrite par Dick Hill, parlant au nom du conseil municipal d’Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest :

    […] we had as many as 1000 people from this area working in the oil patch. People very readily took to the employment, enjoyed the high wages and are now suffering a fair amount by not having this opportunity[24].

    En conséquence, les projets énergétiques et miniers contribuent peu au développement communautaire. À Fort Simpson, dans les Territoires du Nord-Ouest, James Mercred s’interroge : « […] conditions of daily life are sub-standard. Why has this disparity continued to exist? » [25]; à Davis Inlet et Sheshatshiu, au Labrador, les municipalités peinent à mettre en place des services sociaux pour enfants et jeunes adultes malgré la profitabilité importante des mines à proximité.

    Malgré la profitabilité de ces activités pour les entreprises méridionales qui les dirigent, les populations nordiques n’obtiennent pas de redevances et peu d’opportunités de travail salarié, ce qui n’amène que des effets économiques faibles et temporaires. Ainsi, sur le plan économique, les blocs de développement liés aux ressources énergétiques et minières du Grand Nord établissent des relations économiques asymétriques propres au colonialisme interne. Le Sud s’étend au Nord, au détriment de ce dernier.

    La même logique s’applique sur le plan politique. Les blocs de développement transforment les relations de pouvoir et contribuent à l’expression d’un colonialisme interne sur ce plan. Même s’ils sont a priori de nature économique, ils interfèrent avec l’activisme politique des Autochtones du Grand Nord, notamment avec la signature d’accords de revendications territoriales. Plusieurs intervenants considèrent que les ressources énergétiques et minières présentes sur leur territoire sont leur seule assise pour négocier avec le gouvernement fédéral. Si ces ressources sont exploitées avant la signature d’un tel accord, ils craignent se retrouver dans l’impossibilité future de faire valoir leurs droits. Comme le dit Judy Gingell, présidente du Council of Yukon Indians :

    […] land claims negotiations come into direct conflict with a non-renewable resource industry. More often than not, Canada will come down on the side of the mining industry in the name of the development […]. We should have built into the process [sic], protective measures against land alienation until our claims, or those claims of other First Nations, are resolved[26].

    À Inukjuak, au Québec, Peter Inukpuk abonde dans le même sens et, ironiquement, affirme que « There is no way unless we find gold in Nunavik that we will ever get a representative in Parliament. »[27]

    En ce sens, lorsque des projets énergétiques ou miniers vont de l’avant sans l’aval des communautés autochtones concernées, ces dernières ne se voient pas considérées comme des nations à part entière ; c’est la prémisse de négociations de nation à nation, revendiquée par les Autochtones du pays, qui s’en trouve compromise. Ce sentiment est exprimé à Davis Inlet, au Labrador, par George Rich, vice-président de la nation innue :

    [Newfoundland’s policy] says Newfoundland will not negotiate surface resources, no oil or gas rights, no water management rights, no royalty revenue sharing, no effective participation in management decisions over land and resources. One almost wonders if there’s anything left to discuss. These unilateral decisions about what a particular government will or will not negotiate are completely unacceptable in nation-to-nation negotiations[28].

    Le témoignage de George Rich montre également que les peuples autochtones du Grand Nord sont peu fréquemment consultés lors de l’établissement de projets de développement. Par ailleurs, dans la pratique, l’état du droit ne requérait pas dans les années 1990 la consultation et la participation active des Autochtones à de tels projets, tant par le gouvernement que par les entreprises privées[29]. Ceci contribue à un cercle vicieux : en l’absence de consultation, les Autochtones perdent leur emprise sur le territoire, ce qui nuit de nouveau à la consultation.

    La nature même des blocs de développement de ressources énergétiques et minières amène également de nombreux problèmes environnementaux, qui affectent durablement les communautés autochtones. Par l’ampleur des activités des blocs de développement, leurs effets touchent une vaste partie de l’écoumène central aux peuples autochtones, une crainte exprimée par Marvin Frost à Old Crow, au Yukon :

    I care about a clean land, clean water, good caribou meat, nice wilderness, many muskrats and good chief and council. I don’t want to see any more developers coming to Vuntut Gwitch’in land to hurt us – to hurt our land[30].

    Considérant que plus de 95 % des Autochtones vivant dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon obtiennent au moins une partie de leur viande et de leur poisson par la chasse ou la pêche, les effets environnementaux des blocs de développement sont considérables[31]. Dans son mémoire, l’Aboriginal Rights Coalition décrit le Grand Nord comme l’« Amazonie du Nord », où les écosystèmes sont mis en danger par un développement excessif qui, à terme, menace les peuples autochtones[32].

    L’impact environnemental des blocs de développement ne se limite pas à son immédiate proximité ; ceux-ci causent plutôt des chaînes de réactions dont les effets se répercutent sur l’environnement à de larges échelles. À titre d’exemple, un développement minier qui contamine une nappe phréatique ou une rivière peut mettre en danger la chaîne alimentaire d’une communauté éloignée. Dans cette optique, Joan Scottie propose d’évaluer les projets de développement énergétiques et miniers à Rankin Inlet, dans les Territoires du Nord-Ouest, « on a cumulative, bio-region wide basis »[33] avant leur approbation. Une fois les blocs de développement implantés, leurs impacts environnementaux sont souvent irréversibles, et il est fréquent que les communautés autochtones n’aient pas les moyens de restaurer les anciens lieux de production, comme l’illustre George Smith à Watson Lake, au Yukon :

    Although [we] were close with the people at the mines, as a First Nation, [we] don’t have no money to pay for their clean-ups, or for geologists and hydrologists. So, [we] don’t know what to do right now[34].

    Ainsi, les blocs de développement causent d’importants dommages sur les écosystèmes nordiques, sans que les Autochtones aient une emprise sur leur présence. À Hay River, dans les Territoires du Nord-Ouest, la cheffe de la Première Nation Deninu Kue, Bernadette Unka, parle de « land devastation » pour décrire les environs des mines de Cominco et de Pine Point. Elle ajoute :

    […] if you are to fly over Pine Point Mines you would look down and you would think you were flying over the moon with the craters and open pit mines that are left open[35].

    Le mode de vie traditionnel, intimement lié à la terre et au territoire, se retrouve alors menacé, voire impossible à perpétuer. Les dommages environnementaux majeurs, qui rendent parfois impossibles la chasse et la pêche, amènent les Autochtones à participer activement à l’économie du travail salarié ; toutefois, lorsque les mines s’épuisent, toute opportunité d’emploi disparaît. Il s’agit alors d’une situation sans issue : aucun travail salarié ni possibilité de retour au mode de vie antérieur. En reprenant le modèle que développe l’historien John Lutz dans le cadre de la Colombie-Britannique, c’est ainsi que s’effectue une transition vers une économie dépendante de l’aide gouvernementale[36]. Le colonialisme interne induit par les blocs de développement peut donc permettre au colonialisme bureaucratique de Toby Morantz de s’exprimer.

    Inévitablement, les brusques changements induits dans le mode de vie des peuples autochtones du Grand Nord par ces blocs de développement donnent naissance à des problèmes sociaux. Lorsque les blocs de développement, centraux à la vie communautaire et économique, disparaissent après avoir complètement exploité la ressource, ils laissent un vide déstabilisant. À Fort McPherson, Mary Teya, représentante en santé communautaire, établit un lien direct entre le départ des compagnies énergétiques et minières et les problèmes de santé grandissants des membres de la communauté :

    It’s not easy to see when you are coming from the bush into the community, when everything seems to be going so good, money of all kinds coming in and all of a sudden that has all ended, the oil companies moving out, people without money, no more employment, no money and because of the frustrations of that people have gone towards alcohol and they have suffered themselves[37].

    Dans quelques cas extrêmes, les intervenants à la CRPA indiquent que les transformations liées aux blocs de développement ont entraîné la mort d’Autochtones. À Hay River, deux trappeurs d’expérience ont vu la glace se fendre sous leurs pieds, à un endroit qu’ils connaissaient pourtant depuis longtemps ; l’épaisseur de la glace était beaucoup plus mince en raison du barrage hydroélectrique construit à proximité.

    Ainsi, les blocs de développement qui caractérisent l’exploitation énergétique et minière sont un important vecteur de colonialisme interne dans le Grand Nord canadien. Par leur ampleur, ils établissent des rapports de pouvoir asymétriques qui se répercutent sur les communautés autochtones. Tout en prenant en considération la spécificité de chaque projet, il est néanmoins possible de tracer un idéal-type du bloc de développement énergétique ou minier dans le Grand Nord à partir des audiences de la CRPA. Il s’agit d’un projet mené par une large entreprise méridionale ou étrangère, qui possède les moyens de réunir toutes les formes de capital nécessaires à l’établissement d’un bloc de développement. Une fois établi, il génère d’importants revenus, dont profitent très peu les Autochtones du Grand Nord. Ses effets sont toutefois tentaculaires. Politiquement, ils érodent la base des négociations de nation à nation et nuisent à la reconnaissance de revendications de tout ordre ; environnementalement, ils transforment durablement le territoire sur une large échelle, ce qui empêche la poursuite du mode de vie traditionnel essentiel aux communautés nordiques ; socialement, lorsque les blocs de développement quittent la région, ils créent des problèmes sociaux ou sanitaires découlant, d’une part, de la disparition du travail salarié et, d’autre part, de l’impossibilité de vivre selon une économie traditionnelle. C’est ainsi qu’en devenant le centre d’attraction de l’ensemble des sphères de la société nordique, ils sont un vecteur important du colonialisme interne.

    Une ouverture aux blocs de développement ?

    Si les peuples autochtones du Grand Nord subissent un colonialisme interne en raison des blocs de développement, les audiences de la CRPA montrent qu’ils sont malgré tout ouverts à un développement des ressources énergétiques et minières. Une minorité d’intervenants voit le fort potentiel économique des blocs de développement comme une manière d’améliorer les conditions de vie des communautés nordiques, et non pas comme un vecteur du colonialisme interne. Joe Ohokannoak, le maire de la communauté de Cambridge Bay, dans les Territoires du Nord-Ouest, voit l’exploitation minière d’un bon œil :

    There is a gold mine south of Cambridge Bay known as Lupin Mine which is operated by Echo Bay Mines out of Yellowknife and they also employ a number of individuals both from here in Cambridge and more so in Coppermine. There is great potential for further opportunities for our residents in the near future with prospects of a new mine opening up in the same area as Echo Bay, and this mine is being proposed by Minova[38].

    Echo Bay Mines est pourtant une compagnie fondée par des entrepreneurs d’Edmonton alors que Minova est un géant international originellement fondé à Dortmund, en Allemagne. On perçoit donc une confiance que le développement minier aura des effets positifs sur les communautés environnantes, même s’il est effectué par des Allochtones. Cette confiance est décrite par Doug Willy, directeur des ressources humaines d’Echo Bay Mines :

    There are, no doubts, some problems in the past as far as Aboriginal people in the mining industry […]. The mining industry, in the past, I think, has not been one of the leaders in affirmative action programs, but specifically in the Northwest Territories I think it is changing significantly. I think the modern mining companies are not very similar to what happened 50 years ago and I think Lupin Mine is a good example of that[39].

    Cette nouvelle confiance s’appuie désormais sur la responsabilité sociale des entreprises, qui s’efforcent d’employer des résidents locaux. Toujours dans les mots de Doug Willy :

    We are the biggest employer in Coppermine. We have more employees, more residents at Coppermine work with Echo Bay than with the government […].Now, this isn’t legislated anywhere. It is not written down any place. […] this is the new way of doing business. Nobody is telling us we have to do this, but we have learned over the years that it is a good way to do business[40].

    Ces emplois auraient été particulièrement bénéfiques pour le futur des communautés autochtones. En 1991, près de 38 % de la population autochtone du Grand Nord était âgée de moins de 14 ans [41]; le développement minier fournirait des emplois en grande quantité qui assureraient le futur des communautés autochtones. À Rankin Inlet, dans les Territoires du Nord-Ouest, Paul Kaludjak fait écho à cette idée :

    The population is still increasing substantially with a very large population of youth in our community. To provide these jobs, we need training in our community for our residents in the surrounding Rankin area. Rankin has a potential of a rich mineral resource community and chances of gold and other materials are potential in this area[42]

    Ces visions contrastent avec le portrait tracé précédemment des blocs de développement par une majorité d’intervenants, pour qui les projets énergétiques et miniers amènent peu d’impacts positifs et à long terme sur les conditions économiques des communautés locales. Tous partagent toutefois un objectif commun : la subsistance des communautés nordiques, même si pour les uns, les blocs de développement y nuisent, alors que pour les autres, ils en sont l’avenir.

    Il serait erroné d’assumer que la majorité des Autochtones du Grand Nord souhaitent un arrêt complet du développement des ressources énergétiques et minières. Les audiences de la CRPA montrent plutôt qu’ils souhaitent remettre en question les dynamiques inhérentes des blocs de développement, qui induisent le colonialisme interne.

    Plusieurs intervenants soulignent qu’en obtenant des pouvoirs sur le processus d’implantation et le déroulement des activités des blocs de développement, leurs effets économiques négatifs seraient amoindris. Certains proposent de signer des accords de revendications territoriales, qui clarifieraient les conditions d’exploitation des ressources énergétiques et minières. À Sheshatshiu, au Labrador, Peter Penashue exprime bien cet enjeu :

    We have to stop the developments that are taking place or further developments until such time as the land issue is settled because you cannot negociate on one hand and continue to develop the resources on the other, because we find ourselves at the end that there is nothing left for us[43].

    À Inukjuak, Simeonie Nalukturak suggère que l’établissement d’un gouvernement territorial au Nunavik, qui couvre le Nord du Québec, permettrait d’obtenir plus de pouvoirs sur le développement des ressources naturelles. Depuis 1978, il existe déjà l’Administration régionale Kativik dans la région, qui fournit différents services ; un gouvernement territorial aurait toutefois une juridiction et des pouvoirs plus étendus[44].

    Les accords de revendications territoriales comportent toutefois une conséquence qui irrite certains intervenants : l’extinction des droits autochtones sur le territoire. Plusieurs sont réticents à y renoncer, d’autant plus que le ton général des audiences révèle un manque de confiance envers le gouvernement fédéral.

    Ainsi, plusieurs intervenants soulèvent la possibilité de mettre en place des régimes de cogestion, qui permettraient l’établissement de blocs de développement sans éteindre les droits autochtones à la terre. Comme l’exprime Greg Newley à Fort Simpson :

    […] certainty and clarity can be established by negociating and agreeing on management systems which will guide the use of development of the land and natural resources. That is one viable option[45].

    Quant à elle, l’Inuit Tapiriiksat Kanatami (Inuit Tapirisat of Canada, ITK), qui représente l’ensemble des Inuits canadiens, propose quatre alternatives à l’extinction. Selon celles-ci, il serait souhaitable que les discussions sur les droits autochtones à la terre soient mises de côté au profit d’organes de cogestion et qu’une juridiction propre aux Autochtones soit reconnue sur certains aspects des blocs de développement. L’ITK soulève également la possibilité d’interdire les actions judiciaires visant à reconnaître un titre autochtone à la terre pour une durée de temps fixe correspondant au potentiel régime de cogestion. Comme le conclut l’ITK :

    The point to made here is that workable alternatives to extinguishment do exist and the parties involved in a particular negotiation will have to determine for themselves what might be appropriate and acceptable. That, in the end, must be the governing principle. The approach must be mutually acceptable and arrived at through fair negotiations between equals[46].

    Les mots de René Fumoleau repris dans le titre de cet article ne sont alors pas anodins. « There are eastern Canadians and western Canadians and northern resources » : de manière imagée, ce trait d’esprit représente non seulement le colonialisme des blocs de développement, mais aussi la volonté autochtone de combattre de cette logique pour former un véritable partenariat entre nations.

    Conclusion

    En 2016, l’un des commissaires de la CRPA, Paul Chartrand, regrettait que 20 ans après le dépôt de son rapport, peu de recommandations de la commission avaient été implémentées. Toutefois, dans le contexte du Grand Nord, la situation a été transformée par la signature d’accords de revendications territoriales dans les années 1990 et 2000, qualifiés de « traités modernes » en lien avec les traités numérotés signés de 1871 à 1921. Ils ont été conclus dans la majorité des régions du Grand Nord du Canada, parfois même au courant des audiences de la CRPA. Au Yukon, 11 ententes ont été signées entre différentes Premières Nations et le gouvernement fédéral entre 1993 et 2008. Dans les Territoires du Nord-Ouest, des accords d’importance ont été signés avec les Gwich’in (1992), les Inuits du futur Nunavut (1993), les Dénés et les Métis du Sahtu (1993) et les Tlicho (2003), en plus de la création officielle du Nunavut à titre de territoire distinct en 1999. Au Québec, en plus de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (1975) et de la Convention du Nord-Est québécois (1978), un accord a été signé avec les Inuits du Nunavik (2008) et concernant la région marine de l’Eeyou Istchee (2010). Enfin, au Labrador, un accord a été signé en 2005 avec les Inuits. Il faut également noter que le développement minier est de plus en plus précédé de la signature d’une entente sur les répercussions et avantages (ERA) entre une communauté autochtone et le promoteur. Ces ententes visent à encadrer le développement des ressources naturelles pour contrôler ses impacts et ses effets sur les communautés autochtones affectées.

    Est-ce dire que les enjeux soulevés dans cet article ont été entièrement résolus ? Rien n’est moins sûr. Si les ERA sont incontestablement un pas dans la bonne direction, elles ne sont pas obligatoires et courent notamment le risque de reléguer le bien-être de la communauté en second plan[47]. Les accords de revendications territoriales et leurs retombées sont de plus contestés par certains historiens[48]. S’ils sont signés entre les nations autochtones et le gouvernement fédéral, ils ne font pas disparaître les tensions au sein même des communautés. À titre d’exemple, en 2006 et 2007, les audiences du projet gazier du Mackenzie, un pipeline de gaz naturel dans les Territoires du Nord-Ouest, ont révélé des tensions intracommunautaires. Alors que les leaders politiques et économiques des communautés autochtones étaient en faveur du projet, plusieurs luttaient contre sa construction. Plusieurs aînés et la majorité des jeunes craignaient une perte de leur culture traditionnelle en plus des conséquences environnementales et sociales irréversibles. Comme le disait le mémoire de l’Arctic Indigenous Youth Alliance dans les audiences du projet gazier du Mackenzie :

    We feel we are not given all the information to make an informed and balanced decision because Government and industry are fast-tracking and rushing the assessment of the project[49].

    Des tensions existent donc toujours malgré la signature des accords de revendications territoriales. Le cadre légal a changé et les dynamiques ont continué d’évoluer. Même s’ils sont maintenant balisés par les accords de revendications territoriales et, parfois, par des ERA, les blocs de développement conservent leurs dynamiques décriées pendant les audiences de la CRPA. L’exploitation des ressources énergétiques et minières reste centrale à l’économie du Grand Nord du Canada, où de nouveaux gisements sont fréquemment découverts. En 2011, 34,1 % du produit intérieur brut des Territoires du Nord-Ouest était lié à l’industrie minière et pétrolière[50].

    Dans son ouvrage pionnier de 1976, Nordicité canadienne, Louis-Edmond Hamelin parlait ainsi des régions nordiques du Canada : « Il y a tant de Nords dans ce Nord ». Il y argumentait que le Nord « ne forme pas une masse compacte, un tout organisé ; [il] est plutôt constitué de toute une série d’interprétations disparates et peu reliées »[51]. Sans nier la spécificité de chaque région nordique, il est toutefois possible de constater des motifs récurrents dans les différentes régions du Grand Nord, susceptibles d’analyse : les blocs de développement de ressources énergétiques et minières. Les intervenants du Labrador vivaient les mêmes difficultés que ceux du Yukon, malgré la grande distance qui les sépare.

    La vaste région du Grand Nord, même si elle est centrale à l’imaginaire collectif canadien, reste méconnue de la population en général. Les dynamiques qu’y s’y déroulent divergent de celles du Canada méridional. Les audiences de la CRPA sont un rappel de la présence des populations autochtones du Grand Nord et de leur combat contre un colonialisme ignoré.


    Références

    [1] Commission royale sur les peuples autochtones, Mandat et documents d’information générale, Ottawa, 1996, 1.

    [2] Ibid., 3.

    [3] Commission royale sur les peuples autochtones, Compte rendu d’audiences publiques, Ottawa, 1996, volume 4, 99.

    [4] Aucune cartographie du Nord n’est précisément établie et reconnue dans l’historiographie. Pour les fins de l’analyse, la division effectuée par la CRPA semble plus appropriée pour définir notre objet d’étude. Plusieurs auteurs ont tenté de diviser le pays selon ses zones de nordicité. Louis Edmond-Hamelin (1980) divise l’écoumène canadien en cinq zones : l’Extrême Nord, le Grand Nord, le Moyen Nord, le pré-Nord et le Canada de base ; pour ce faire, il utilise un indice plurifactoriel lui permettant de donner une valeur numérique à la nordicité en termes de « valeur polaire ». Cet indice évalue de façon exhaustive la latitude, la chaleur estivale, le froid annuel, le type de glace, les précipitations totales, la couverture végétale annuelle, l’accessibilité, les services aériens, la population résidente ou hivernante et le degré de l’activité économique (Louis-Edmond Hamelin, Nordicité canadienne, 2e édition [Montréal : Hurtubise, 1980], 75-81). Considérant que l’indice de Hamelin donne priorité aux déterminants environnementaux sur les facteurs socioéconomiques, sa classification créerait des divisions artificielles qui ne tiennent pas en compte les dynamiques socioéconomiques au cœur de l’analyse contenue dans cet article, nommément les réalités et les défis des peuples autochtones regroupés dans le Grand Nord.

    [5] À l’époque de la CRPA, le Nunavut n’existe pas encore et est compris au sein des Territoires du Nord-Ouest.

    [6] Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, Ottawa, 1996, volume 4, 439.

    [7] Ibid., 443.

    [8] Ibid., 447-454.

    [9] Le Denendeh désigne le territoire revendiqué par les Dénés dans les Territoires du Nord-Ouest. Cette appellation signifie « The land of the people ».

    [10] Mémoire de l’Aboriginal Rights Coalition, 28.

    [11] Mark Dickerson, Whose North? Political Change, Political Development and Self-Government in the Northwest Territories (Vancouver : UBC Press, 1992), 15.

    [12] En raison de la complexité du colonialisme interne, il est impossible de définir un modèle unique applicable à l’ensemble des régions colonisées. À ce titre, voir Norma Beatriz Chaloult et Yves Chaloult, « The Internal Colonialism Concept : Methodological Considerations », Social and Economic Studies 28, 4 (1979) : 85-99 et Pablo Gonzalez Casanova, « Internal Colonialism and National Development », Studies in Comparative International Development 1, 4 (1965) : 27-37. Ces travaux apportent un éclairage complémentaire permettant de conceptualiser plus largement le colonialisme interne, bien qu’ils ne traitent pas spécifiquement du cadre canadien.

    [13] Ibid., 127.

    [14] À titre de référence pour les blocs de développement, voir Erik Dahmén, « ‘Development Blocks’ in Industrial Economics », Scandinavian Economic History Review 36, 1 (1988) : 3-14. Ce concept est également central à la monographie d’Astrid Kander, Paolo Malanima et Paul Warde, Power to the People. Energy in Europe over the Last Five Centuries (Princeton et Oxford : Princeton University Press, 2013), et est mentionné dans l’ouvrage de R. W. Sandwell, dir, Powering Up Canada. A History of Power, Fuel, and Energy from 1600 (Montréal : McGill-Queen’s University Press), 2016.

    [15] Dahmén utilise le concept des « tensions structurelles » pour décrire le potentiel économique des formes de capital qui constituent un bloc de développement. Ce serait ainsi le potentiel individuel, mais insuffisant de chaque facteur économique qui crée une tension structurelle, et le regroupement de plusieurs tensions structurelles qui donnerait naissance à un bloc de développement. En ce sens, ces deux concepts de Dahmén sont hautement complémentaires.

    [16] Au contraire, les projets d’exploitation de ressources halieutiques ou forestières, par exemple, peuvent s’effectuer dans une envergure plus modeste, et donc, sans la création de blocs de développement, de sorte que les dynamiques qui les accompagnent sont différentes.

    [17] La monographie de Brittany Luby, Dammed : The Politics of Loss and Survival in Anishinaabe Territory (2020), illustre ces impacts de manière extensive dans le cas des Anishinabés de l’Ontario. S’il s’agit d’un cadre différent du Grand Nord, les effets sont comparables.

    [18] Procès-verbal de Davis Inlet, Peter Penashue, 132-133.

    [19] Procès-verbal de Yellowknife, Darrell Beaulieu, 291-293.

    [20] Procès-verbal de Fort McPherson, James Ross, 47-48.

    [21] Hans Matthews, Aboriginal Participation in the Minerals Industry, Ottawa, 1993, 40.

    [22] Mémoire du Sahtu Trubal Council, 3.

    [23] Procès-verbal de Fort McPherson, Eileen Koe, 194-195.

    [24] Procès-verbal d’Inuvik, Dick Hill, 7-8.

    [25] Procès-verbal de Fort Simpson, James Mercred, 160.

    [26] Procès-verbal de Teslin, Judy Gingell, 56-57.

    [27] Procès-verbal d’Inukjuak, Peter Inukpuk, 111.

    [28] Procès-verbal de Davis Inlet, George Rich, 69.

    [29] Il faut attendre l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), en 2004, pour que l’obligation de consulter les peuples autochtones naisse dans le cadre de projets de développement des ressources naturelles. Auparavant, seul le devoir de respecter l’obligation fiduciaire de la Couronne prévalait, sans explicitement demander de consultations.

    [30] Procès-verbal de Teslin, Marvin Frost, 108.

    [31] Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, Ottawa, 1996, volume 4, 533.

    [32] Mémoire de l’Aboriginal Rights Coalition, 57.

    [33] Procès-verbal de Rankin Inlet, Joan Scottie, 47-51.

    [34] Procès-verbal de Watson Lake, George Smith, 139-140.

    [35] Procès-verbal de Hay River, Bernadette Unka, 329-331.

    [36] À ce titre, voir John Sutton Lutz, Makúk : A New History of Aboriginal-White Relations (Vancouver : UBC Press, 2009).

    [37] Procès-verbal de Fort McPherson, Mary Teya, 157.

    [38] Procès-verbal de Cambridge Bay, Joe Ohokannoak, 27.

    [39] Procès-verbal de Yellowknife, Doug Willy, 222-223.

    [40] Ibid.

    [41] Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, Ottawa, 1996, volume 4, 521.

    [42] Procès-verbal de Rankin Inlet, Paul Kaludjak, 11.

    [43] Procès-verbal de Sheshatshiu, Peter Penashue, 99.

    [44] Procès-verbal d’Inukjuak, Simeonie Malukturak, 47.

    [45] Procès-verbal de Fort Simpson, Greg Newlet, 289-290.

    [46] Mémoire de l’Inuit Tapiriiksat Kanatami, 65.

    [47] Cathleen Knotsch, Peter Siebenmorgen et Ben Bradshaw, « Les « Ententes sur les répercussions et les avantages » et le bien-être des communautés. Des occasions ratées ? », Recherches amérindiennes au Québec 40, 3 (2010) : 59-68.

    [48] À titre d’exemple, Peter Kulchyski argumente que les accords de revendications territoriales eux-mêmes sont une expression du colonialisme et de l’impérialisme canadien. En se basant sur le concept d’accumulation primitive de Marx, Kulchyski identifie ces traités modernes comme la première étape vers un capitalisme actif dans le Grand Nord, qui serait nocif aux peuples autochtones et ne servirait que les intérêts du gouvernement fédéral. Voir Peter Kulchyski, « Modern Treaties, Extraction, and Imperialism in Canada’s Indigenous North : Two Case Studies », Studies in Political Economy 93, 1 (2014) : 3-24 et « Trail to Tears : Concerning Modern Treaties in Northern Canada », The Canadian Journal of Native Studies 35, 1 (2015) : 69-81.

    [49] Arctic Indigenous Youth Alliance, repéré dans Mark Nuttall, « Aboriginal Participation, Consultation and Canada’s Mackenzie Gas Project », Energy and Environment 19, 5 (2008) : 628.

    [50] Northwest Territories, Economic Review and Outlook, 2011, 6.

    [51] Hamelin, op. cit., 42.