The Fight for History: 75 Years of Forgetting, Remembering, and Remaking Canada’s Second World War.

Jeremy John Walling
Candidat au doctorat en histoire à l’Université de Montréal

Biographie : Jeremy John Walling est doctorant en histoire à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la participation du Canada aux guerres mondiales ainsi que la mobilisation culturelle de la jeunesse en marge de ces conflits. Son projet de thèse, sous la supervision de Carl Bouchard, porte sur l’implication des étudiants québécois au sein de la Seconde Guerre mondiale. Jeremy détient un baccalauréat en Arts avec la distinction First Class Honours in History et une maitrise en histoire obtenus à l’Université McGill. Il a également complété un certificat en enseignement supérieur à l’Université de Montréal.

Mots-clés : Seconde Guerre mondiale, Canada, histoire mémorielle, histoire sociale, 20ième siècle.

 

Publié en marge du 75e anniversaire de la conclusion de la Deuxième Guerre mondiale, The Fight for History est le plus récent livre de Tim Cook, historien militaire et écrivain prolifique associé au Musée canadien de la Guerre. Dans celui-ci, l’auteur explore l’évolution de la perception canadienne de ce conflit au cours des 75 dernières années. 

Cet ouvrage s’inscrit au sein d’un courant historiographique qui a fortement gagné en popularité depuis les années 90 : l’histoire mémorielle ou, plus particulièrement, celle de la mémoire collective. Étudiant la connexion entre identité sociale et mémoire historique, ce courant accorde une grande importance au processus menant à la création d’un « passé commun » qui unit ou divise les membres d’un groupe social.[1] Empruntant une telle approche, Cook s’intéresse à la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale : sa commémoration, son interprétation et son utilisation par la société canadienne.[2] Son objectif principal est de démontrer que les Canadiens ont initialement échoué, pour diverses raisons politiques et sociales, à inscrire durablement leur contribution à ce conflit planétaire au sein de leur passé commun et ont presque condamné à l’oubli ce qu’il considère l’un des moments clés de l’histoire canadienne.[3]

Quoique l’analyse mémorielle d’un conflit ne soit pas révolutionnaire, le sujet d’étude choisi est nouveau puisque Cook est le premier historien canadien à explorer en profondeur le développement, ou, dans ce cas-ci, le non-développement, de la mémoire canadienne de la Deuxième Guerre mondiale.[4] Un autre aspect novateur de l’approche de Cook est son intégration des vétérans et de leurs organisations au sein de son analyse. Plutôt que de présenter ces derniers sous les traits de victimes ou d’observateurs passifs, l’auteur accorde aux anciens combattants le statut d’acteurs actifs. Un tel choix doit être souligné puisque les vétérans sont régulièrement réduits au statut de témoins au sein des ouvrages traitant de la guerre qu’ils ont menée.

Ce choix de placer les anciens combattants au cœur de l’ouvrage se reflète dans la sélection des sources. Cook utilise plusieurs documents produits par des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale. Quoique l’auteur mentionne régulièrement diverses organisations formées de militaires retraités, il cite principalement des textes écrits par la Légion (principale organisation de vétérans canadiens). À ces sources s’ajoutent divers journaux à grand tirage qui permettent à Cook de contextualiser les débats entourant la commémoration de la Deuxième Guerre mondiale et de faire ressortir l’opinion du public quant à ces derniers. Finalement, l’auteur inclut quelques documents gouvernementaux préservés par Archives Canada afin d’explorer le rôle de l’État dans le processus mémoriel ici étudié.

Cook privilégie une structure narrative linéaire. Débutant par un survol de la Deuxième Guerre mondiale, l’auteur cherche à démontrer que les Canadiens percevaient initialement celle-ci sous les traits d’un affrontement idéologique les opposant à la tyrannie et au fascisme. Bien qu’il n’hésite pas à explorer certains des aspects les plus sombres de la participation canadienne au conflit, tels que le bombardement des civils, l’internement des Canadiens d’origines japonaises et la mise en place de la conscription, Cook maintient que celle-ci fut fondamentalement admirable et honorable ; une opinion que partageait alors la majorité des Canadiens.[5] Néanmoins, cette appréciation des Canadiens vis-à-vis de leur participation à cette guerre ne se traduisit pas par la création d’un monument national visant à commémorer le conflit et cela malgré les efforts déployés par les vétérans.[6] Cet échec annonce le thème qui dominera la suite du livre : le désintérêt croissant de la population et de l’État pour la commémoration du conflit. Décennie après décennie, Cook explore divers scandales, débats publics ou projets gouvernementaux ayant comme points communs la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale au Canada et son déclin progressif. Ce n’est qu’à partir des années 90 que l’auteur constate un regain d’intérêt des Canadiens pour le conflit.[7] Ce renouveau engendré par différents événements commémoratifs et la revitalisation du Musée canadien de la Guerre permet à Cook de conclure son ouvrage sur une note positive. Après des années d’oubli, il soutient que le Canada semble finalement prêt à commémorer sa contribution à la défaite des forces de l’Axe.[8]

La principale force du texte de Cook est sa nouveauté et son envergure. Tel que mentionné plus haut, il s’agit du premier livre traitant de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale au Canada et de son évolution au fil des années. En analysant le cheminement de la perception canadienne de ce conflit sur une période de 75 ans, il parvient à démontrer que les Canadiens ont continuellement réimaginé ce dernier en fonction des enjeux politiques et sociaux qui dominaient alors le pays.[9]

Malgré ses forces, le livre possède certaines faiblesses qui ne peuvent être passées sous silence. La principale est l’adoption d’un ton relativement uniforme qui ne laisse pas de place à la nuance. L’auteur traite régulièrement le Canada comme un bloc unifié et seuls les francophones sont mis à part afin de démontrer l’existence d’une divergence d’opinions au sein de la population. Également questionnable est l’attitude patriotique privilégiée par l’auteur. Quoiqu’il évite toute glorification de la guerre et qu’il ne minimalise pas ses aspects les plus obscurs, il est clair que Cook éprouve énormément de fierté vis-à-vis de la participation canadienne à la Deuxième Guerre mondiale et souhaite transmettre ce sentiment à ses lecteurs. L’écrivain utilise constamment le terme « Guerre nécessaire » (référence au titre de l’un de ses livres précédents) comme un synonyme pour le conflit et dépeint à plusieurs reprises celui-ci sous les traits d’une guerre juste opposant le bien au mal. 

Cependant, l’œuvre de Cook est d’une grande pertinence puisqu’elle invite les Canadiens à s’interroger quant à la place que doit occuper la Deuxième Guerre mondiale au sein de la mémoire collective de leur pays ainsi que les efforts qui doivent être déployés afin de s’assurer que celle-ci sera correctement enseignée aux futures générations. Alors que seul un nombre restreint de survivants demeure, un tel débat sur la commémoration du plus large conflit de l’histoire humaine semble des plus urgent.


Références

[1] French, Scot A. « What Is Social Memory? », Southern Cultures 2, 1 (1995): 9, https://doi.org/10.1353/scu.1995.0049.

[2] Cook, Tim. The Fight for History: 75 Years of Forgetting, Remembering, and Remaking Canada’s Second World War (Toronto, Canada: Allen Lane, 2020), 4-6.

[3] Ibid., pp. 434-6.

[4] Ibid., p. 424-5.

[5] Ibid., p. 12.

[6] Ibid., p. 180.

[7] Ibid., p. 423.

[8] Ibid., pp. 423-4.

[9] Ibid., p. 434.