Jocelyn Létourneau, Que veulent vraiment les Québécois?

Marc-André Robert
Université de Sherbrooke

 

Zone de Texte: Jocelyn Létourneau, Que veulent vraiment les Québécois?, Montréal, Les éditions Boréal, 2006, 180 p.http://www.editionsboreal.qc.ca/media/livres/grand/couv-1468.jpgDepuis les années 1990, l’éclatement de l’histoire culturelle au Québec a engendré l’élaboration d’une multitude de nouvelles approches de l’histoire nationale. Non plus simplement réactionnaire à l’interprétation d’une dite souffrance vécue et subie au passé, quelle que soit la perspective favorable ou non, ces approches invitent l’histoire nationale à projeter dès lors l’image d’une société « normale » au sein de la modernité. Parmi celles-ci, l’analyse par les mémoires collectives ainsi que par représentation de l’identité y participe activement. C’est d’ailleurs à partir de cette dernière approche que Jocelyn Létourneau se propose, dans cet ouvrage, d’interroger et de décortiquer l’intention nationale des Québécois, et ce à travers une trame narrative retraçant les principaux marqueurs de relation politiques derrière l’histoire québécoise.

Produit dans le cadre de la chaire de recherche du Canada en histoire du Québec contemporain, dont Létourneau est titulaire depuis 2001, cet ouvrage s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche plus large[1]1 visant à définir le récit collectif des Québécois, principalement au sein de la modernité et en liaison avec la mondialisation. Létourneau a ainsi publié plusieurs ouvrages et articles dans les années 1990 traitant de cet objet d’étude, parfois en collaboration avec d’autres historiens (Jewsiewicki, Fecteau, Bernard, Breton). L’ouvrage en question jouit donc d’un bagage intéressant de recherches et d’expériences en la matière. C’est d’ailleurs sur ces recherches préalables que Létourneau se fonde, en large partie, pour appuyer son argumentaire. En d’autres termes, contrairement à un dépouillement plus classique de sources primaires, Létourneau emprunte plutôt à ses propres travaux et à ceux de son groupe de recherche en guise d’assise à cet ouvrage. Il aurait peut-être été souhaitable, toutefois, pour un ouvrage historique de cet ordre, de voir plus d’analyse documentaire, archivistique et autres.

L’ouvrage de Létourneau s’amorce d’emblée avec le constat hypothétique suivant : l’intention nationale des Québécois se distingue par son caractère prudent et non radical, hésitant entre quatre pôles d’attraction paradoxaux (la refondation, l’affirmation, la reproduction et l’interaction). Contrairement à la vision dualiste traditionnelle associée à l’intention nationale québécoise (souverainisme ou fédéralisme), il tente ainsi de briser ce modèle et d’en construire un nouveau. Le résultat est certes plus complexe et moins pragmatique; cependant Létourneau parvient à éviter le piège du discours nationaliste, ce qui n’est pas peu dire. Son propos n’est donc pas apologétique d’une intention politique masquée, bien que le milieu historien, au cours des années, se soit souvent plaît à le fustiger à ce propos. Il en ressort à tout le moins un produit plutôt intelligent.

Représentés par un schéma illustrant une « quadrature de cercle (17), les quatre pôles susmentionnés sont ainsi confrontés par le lieu de référence politique des Québécois situé au centre du cercle. À ce niveau il y a donc hésitation, selon Létourneau, entre un désir de transformation, d’autonomisation, de continuation et de collaboration. En d’autres termes, il prétend que l’intention nationale des Québécois est de vivre au sein d’un Canada uni qui accepte leur caractère distinct et qui les aide à s’épanouir de façon autonome, sans pour autant les marginaliser ou les exclure. Le Québécois veut collaborer avec le reste du Canada, mais veut aussi être autonome; il veut évoluer et se transformer, mais veut aussi s’inscrire en continuité avec son histoire. C’est à partir donc de cette affirmation musclée que Létourneau traverse ensuite les grandes périodes politiques de l’histoire québécoise.

Il s’attarde ainsi aux périodes suivantes : le Régime français, la Conquête et le Régime anglais, les Rébellions, l’Acte d’Union, la Confédération, la Révolution tranquille, les deux référendums sur la souveraineté, et finalement, l’avenir possible du Québec.

Prenons, pour exemples, les deux premiers chapitres de cet ouvrage.

La première période en question est celle de la Nouvelle-France jusqu’aux années 1750, qu’il n’aborde d’ailleurs que très peu. Létourneau applique ainsi sommairement sa formule théorique sur la fondation d’une France nouvelle. On stipule d’une part que l’établissement de cette colonie témoigne d’un désir de transformation, celui de construire un nouveau monde différent de l’Europe, mais de continuation, en préservant la culture et les coutumes d’une mère patrie. On retrouve donc le premier paradoxe du schéma de Létourneau. D’autre part, il y a aussi un désir de collaboration qui se déploie avec les peuplades autochtones, pour mettre à profit leur expérience et leur culture en cette terre nouvelle dans le but de construire une société, au même moment qu’une autonomisation à l’égard de l’autochtonie afin de prévenir l’acculturation. Voilà le second paradoxe. Somme toutes, l’analyse est cohérente. Il y a néanmoins matière à réviser l’interprétation du lien de continuation; il ne faut pas nier l’aspect fataliste et inévitable du lien qui unit une colonie naissante à sa mère patrie. La continuation dans ce cas ne se présente non pas comme un choix, mais bien comme une condition préalable à la survivance, ce que Létourneau semble éviter.

Dans le second chapitre, on présente la période qui s’étend entre la Conquête et les années 1830. Létourneau soutient que l’arrivée du Régime anglais ne change rien au schéma caricaturant l’intention nationale des Canadiens français. Les principales forces en opposition se poursuivent et se manifestent notamment avec les revendications de la petite bourgeoisie montante, qui visent à assurer aux Canadiens français l’autonomie nécessaire à la poursuite de l’édification de leur société nouvelle (refondation). Celles-ci témoignent également d’une participation au système politique anglais (interaction). Les Canadiens français tiennent aussi à préserver leur héritage français et se défendent contre la pression culturelle britannique (reproduction et affirmation). Létourneau parle ici de « britannicité » sans « britannisation ». Dans cette section, il semble cependant stagner dans la sphère théorique plutôt que d’appliquer son constat de base à des exemples plus pragmatiques.

Ainsi, habilement, la démonstration de Létourneau parvient à soutenir l’hypothèse selon laquelle l’intention nationale québécoise s’inscrit dans une optique paradoxale quadratique. Il est à noter d’abord que les pages s’écoulent malheureusement beaucoup trop vite au cours de la lecture. Au sujet d’une problématique aussi complexe et particulière, peut-être aurait-il été souhaitable d’y accorder un peu plus d’exemples et de représentations pragmatiques, afin de soutenir davantage la chaîne argumentaire. Dans certains cas, la période politique étudiée ne semble qu’accessoire, et ce au profit d’une théorisation parfois redondante et philosophiquement chargée. À ce titre, la création de nouveaux termes (i.e. québécité, canadianité) rend la lecture parfois confuse, du moins au début, nécessitant de multiples arrêts de lecture et redirections vers le glossaire. Outre ces bémols, l’analyse théorique est néanmoins remarquable. Létourneau fait, encore une fois, la démonstration d’une érudition exemplaire. Après s’être acclimaté à son style d’écriture très académique (souvent, il emploie cette formulation, qui donne un double sens à une même phrase : (pré)texte), qui ralentie certainement la compréhension du propos, la lecture se fait somme toute bien et l’on finit même par apprécier. Outre ces « dérives » de vocable intellectuel, l’écriture est claire, simple et précise.

En sommes, bien qu’il ne parvienne pas à nous dire ce que veulent vraiment les Québécois, Létourneau a toujours bien le mérite de dresser un portrait de ce qu’ils ne veulent pas. Et il le fait très bien.

Références

[1] Jocelyn Létourneau est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et économie politique du Québec contemporain, à l’Université Laval.