Histoire des représentations et représentations de l’histoire

Pour un renouvellement de l'histoire de l'histoire au Québec

PATRICK-MICHEL NOËL
Université Laval

Résumé : L’histoire de l’histoire connaît depuis quelques années d’importants développements en Occident. Au Canada et au Québec, cette réflexion s’est exprimée sous la forme de trois perspectives problématisant différemment le passé de la discipline : l’analyse des mutations de l’écriture de l’histoire, l’analyse de ses articulations avec la société et l’étude du processus par lequel elle s’est érigée et maintenue en une discipline. Cette dernière perspective exige de saisir le passé de l’histoire à la lumière des procédures qui la libèrent des injonctions sociétales pour l’emprisonner dans un espace de production. Les historiens ont surtout analysé deux procédures disciplinaires de l’histoire, soit sa professionnalisation et son institutionnalisation. Nous nous proposons d’étudier une autre procédure, soit sa théorisation : le discours par lequel les historiens se représentent leur pratique, et non le passé qu’elle permet de connaître. L’étude de discours montre que la disciplinarité de l’histoire ne se réduit pas à sa matérialité institutionnelle et professionnelle et met en lumière son idéelité et son idéalité épistémo-éthiques. La discipline historique n’est pas une essence, mais un artefact résultant d’un processus mis en œuvre par les historiens dans lequel les représentations qu’ils ont eues de leur pratique ont été aussi importantes que sa réalité objective. La démarcation distinctive et la rupture distanciative hiérarchisantes entre les amateurs et les professionnels engendrées par la professionnalisation et l’institutionnalisation de l’histoire ont reposé sur une conception précise mais changeante de celle-ci, élaborée par la théorisation par laquelle les historiens, en se la représentant, définissent leur identité : l’historienneté. Bref, il n’est pas inutile, pour déterminer si l’histoire des représentations constitue le paradigme d’une nouvelle histoire, d’analyser les représentations de l’histoire dans le temps. Cette analyse passe par un renouvellement de l’histoire de l’histoire sous le signe du paradigme des représentations, renouvellement que cette communication propose d’esquisser.

 

Table des matières
    Add a header to begin generating the table of contents

    L’histoire […] pourrait transformer de façon décisive l’image de la science dont nous sommes empreints.

    Thomas S. Kuhn

    Introduction

    Produit et agent du transfert paradigmatique qui a marqué la conjoncture historiographique des années 1980 en faisant déplacer le centre de gravité des recherches empiriques du socioéconomique et du structuro-quantitatif au politico-culturel et à la part réfléchie et vécue de l’action[1], amenée par l’essoufflement de l’histoire des mentalités[2] et portée par le triomphe de l’histoire culturelle qui s’est promue au rang de « la galaxie centrale » de la discipline[3], l’histoire des représentations est sans contredit en vogue depuis les vingt dernières années[4]. L’un de ses principaux programmeurs en France nous invite à envisager « le monde comme représentation[5] », alors que P. Ricœur construit son épistémologie de l’histoire sur « une hypothèse de travail particulière », soit « de mettre le type d’intelligibilité propre à l’explication/compréhension à l’épreuve d’une classe d’objets de l’opération historiographique, à savoir les représentations. » Le philosophe fait d’elles « l’objet de référence prochaine » du discours historique en les appréhendant comme la « composante symbolique dans la structuration du lien social et des identités qui en sont l’enjeu[6] ». C’est ainsi que les notions de représentation (s) et d’identité (s) sont imbriquées dans le cadre théorique de l’histoire des représentations, qui constitue elle-même, en tant que paradigme, une représentation normative du travail historien aspirant à l’hégémonie.

    Ce texte se propose de mettre en relation histoire des représentations et représentations de l’histoire en vue de renouveler l’histoire de l’histoire. Ce domaine de recherche au Québec se cantonne trop souvent dans « les habituels relevés historiographiques et autres “états de la question” » quand ce n’est pas dans « l’analyse rituelle et périodique de la production[7] », préférant à la compréhension de ses conditions le jugement rétrospectif spontané de ses résultats. Nous soutenons que le renouvellement de l’histoire passe par la constitution d’une histoire des représentations de l’histoire, qui repose sur des conditions dont l’articulation exige l’appropriation de ressources théoriques extra disciplinaires et extra québécoises. En plus de répondre à l’appel programmatique « of a more theoretically conscious approach to the history of historiography[8] » et de mettre à l’épreuve le cadre théorique des représentations, cette nouvelle histoire de l’histoire québécoise, comme nous le verrons en conclusion, amène à repenser l’épistémologie disciplinaire. Celle-ci est une représentation de l’histoire qui agit en tant que référence performative auprès de ses praticiens. Auparavant, en vue de positionner ce renouvellement conceptuel, il nous faudra toutefois dresser un état de la question de l’historicité de l’histoire au Québec, qui ne prétend aucunement à l’exhaustivité[9].

    L’historicité de l’histoire : un état de la question

    La question de l’historicité de l’histoire a paradoxalement été le parent pauvre de l’historiographie québécoise. Serge Gagnon a noté que l’histoire de l’histoire était ignorée comme genre par les historiens de cette province[10]. Jocelyn Létourneau affirmait encore récemment qu’« on compte sur les doigts de la main les historiens qui au Québec procèdent à l’archéologie du savoir qu’ils édifient[11] ». À partir des années 1970, en nouant un dialogue avec la philosophie de l’histoire, qui leur rappelait par coup d’aphorismes que l’histoire « ne peut rendre compte d’elle-même que par sa genèse » ou « fait partie de la “réalité” dont elle traite[12] », les historiens font de leur discipline un objet historique formellement problématisé. Cette problématisation s’est divisée en deux perspectives non mutuellement exclusives problématisant différemment le passé disciplinaire. Nous sommes conscients que ces perspectives sont des catégories que nous avons créées, suivant la logique du « nominalisme dynamique[13] », pour catégoriser la nouvelle perspective que nous souhaitons esquisser. Loin d’être un exercice innocent, la recension historiographique permet en effet de se démarquer à travers la critique des travaux antérieurs. Elle est une « device for generating a wayward disengagement from earlier historiography[14] ». Bref, comme toute classification, la nôtre a une importante part d’arbitraire, qui est le prix à payer pour rendre intelligible la production historiographique sur un sujet donné, en l’occurrence l’historiographie[15].

    Le courant internaliste : cartographier la recherche historique

    Les travaux relevant de cette perspective peuvent prendre la forme de bilans historiographiques s’intéressant à la constitution et à l’évolution des domaines, thématiques et interprétations structurant l’écriture historique, qu’ils soient transversaux[16] ou qu’ils traitent d’un domaine particulier[17]. Ils montrent que faire l’histoire de l’histoire, c’est faire l’histoire de son expansion et de sa fragmentation en domaines de spécialisation ou, pour paraphraser Marcel Gauchet, de l’élargissement de son objet[18]. Leur confrontation permet d’établir la hiérarchie des valeurs historiennes en fonction de laquelle s’opèrent les découpages du territoire de l’historien conditionnant la programmation de la recherche.

    Une deuxième déclinaison de la perspective internaliste regroupe des essais sur les mouvements et les paradigmes historiographiques. Ronald Rudin s’est intéressé au « révisionnisme », soit, à ses yeux, la manière dominante au Québec de faire de l’histoire depuis le tournant des années 1970. Il reproche à ses tenants d’avoir négligé les éléments qui ont singularisé l’expérience historique québécoise – urbanisation tardive, le rôle prépondérant de l’Église, les tensions ethniques entre francophones, les rapports souvent troubles des Canadiens français à l’État – en vue de la normaliser, c’est-à-dire de l’aligner sur celle des autres sociétés occidentales pour mieux faire ressortir la modernité de cette province[19]. Le sociologue Jean Lamarre a effectué, pour sa part, une socio-histoire de l’école de Montréal qui souligne le rôle de celle-ci dans la rénovation de la tradition historiographique pendant les années 1950. R. Rudin soutient plutôt que ce sont les historiens de « l’école de Laval » qui l’auraient rénovée, car ce sont eux qui ont institué les canons de l’histoire critique – la vérité, l’objectivité, l’impartialité – et qui ont ouvert la discipline aux méthodes des sciences sociales, alors que les historiens montréalais se seraient plutôt préoccupés de défendre la cause idéologique du néonationalisme[20]. J. Lamarre soutient à cet égard que la réinterprétation par l’école de Montréal de l’histoire canadienne centrée sur la Conquête serait à l’origine du néonationalisme. Il insiste par ailleurs sur l’irréductibilité des traditions historiographiques canadienne-française et anglaise qui ont chacune leur « cohérence propre[21] ». Cette irréductibilité s’explique en partie par le décalage de quelque 50 ans entre leur processus respectif de construction disciplinaire.

    L’avènement, le développement et le triomphe du paradigme de l’histoire sociale a aussi retenu l’attention des historiographes québécois. F. Ouellet a associé, en s’appuyant sur une prise de vue quantitative de la production historique des années 1960 à 1980, la « socialization » de l’historiographie à sa modernisation[22]. Sous l’impulsion de la Révolution tranquille et à travers deux nouveaux courants, soit l’histoire socioéconomique et l’histoire socioculturelle, son personnel se laïcisa et se professionnalisa tandis que ses perspectives idéologiques et méthodologiques s’élargirent en s’ouvrant aux historiographies étrangères. Ces transformations engendrèrent le transfert paradigmatique de l’histoire politique et nationaliste vers une histoire (comme science) sociale[23]. Ce transfert, « échelonné sur une période tellement courte lorsqu’on la compare aux mouvements similaires arrivés dans les autres pays du monde occidental », a pris la forme d’une « révolution historiographique[24] » au Québec, lui conférant une spécificité dans le développement historiographique occidental. S. Gagnon a, pour sa part, analysé les mutations historiographiques des années 1960 à nos jours, avant tout marquées par le triomphe de l’histoire sociale, « seconde révolution méthodologique » de l’histoire de l’histoire au Québec après celle de l’histoire critique[25]. Initiées par l’école de Québec, qui emprunta les préceptes de l’école des Annales[26], ces mutations déplacèrent l’histoire dans le camp des sciences sociales en l’alignant sur leurs méthodes (quantitatives) et en élargissant son objet aux structures socioculturelles. Dans la même veine, Gérard Bouchard soutient que c’est sous l’impulsion de la Révolution tranquille que la science historique est passée du paradigme nationaliste au paradigme « modernisateur ». Cette modernisation historiographique a permis à l’histoire sociale de remplacer l’histoire politique comme matrice disciplinaire. Or, l’avènement de l’histoire sociale a aussi engendré paradoxalement un éclatement qui s’apprécie « par une spécialisation des démarches, des méthodes et des directions d’enquête » et par la mutation du modus operandi de la discipline : de la construction de synthèses interprétatives, elle est « désormais vouée à des reconstitutions minutieuses, à petite échelle[27] ». Jean-Claude Robert considère parallèlement la « focalisation sur le social » et « la segmentation et la fragmentation de l’objet historique » comme des caractéristiques de l’historiographie canadienne, y compris québécoise[28]. En soutenant que « la science historique se définit par cette double référence à l’état de la culture à même laquelle elle se constitue et aux tâches qui lui sont assignées dans une conjoncture socioculturelle donnée[29] », Bouchard plaide pour que l’analyse historiographique dépasse la rétrospection internaliste en vue de mettre au jour l’inscription sociale de l’histoire.

    Le courant externaliste : mettre en relation l’histoire avec l’histoire

    La seconde perspective de l’interrogation historiographique s’intéresse, dans une démarche plutôt externaliste, aux conditions socioculturelles qui ont rendu possible la production de la connaissance historique ainsi qu’aux articulations qu’elle entretient avec la société. Même s’il a eu d’importants précurseurs comme F. Dumont, Jean Blain ou Pierre Savard[30], c’est S. Gagnon qui fut le véritable pionnier de cette démarche quand il élabora, en 1973, « une théorie préliminaire à l’histoire de l’historiographie », dont la démarche, qu’il loge sous l’enseigne de la « sociologie de la connaissance », « est parfois étrangère aux praticiens de la science historique d’ici[31] ». Il présente « la thèse relativiste de la connaissance historique », qui consiste à reconnaître son inscription socio-idéologique. Admettre cette inscription ne remet toutefois pas pour autant en cause l’intention de vérité qui la définit, car « refuser de reconnaître à l’histoire une certaine adéquation au réel, c’est donner dans l’absurde[32] » : l’historien de l’histoire en viendrait à nier son propre travail. Gagnon reconnaît d’ailleurs « la position paradoxale » de « l’histoire de l’histoire ». Il était conscient des problèmes que pouvait entraîner la souscription au relativisme cognitif chez un producteur de connaissance : « Comment prendre […] au sérieux celui qui postule que toute connaissance est inévitablement subjective? » Il en vient à la conclusion que « l’historien de l’historiographie qui cherche à mettre en perspective sociologique le savoir d’autrui doit reconnaître que sa propre enquête est elle-même tributaire de certains conditionnements psychologiques et sociaux[33] ». Il affirmera, pour sortir du cercle vicieux relativiste, que « la vérité est au-dessus des individus qui la recherchent[34] ».

    La relative radicalité du programme esquissé par Gagnon s’explique par sa volonté de désillusionner ceux qu’il appelle les « historiens objectivistes ». Ces derniers, à ses yeux, croient que l’importation récente des méthodes (quantitatives) des sciences sociales permettrait d’évacuer toute subjectivité de l’opération historiographique. Gagnon souhaite encourager la réflexion sur les conditions socio-idéologiques permettant et limitant la pratique historienne. Il ne verse toutefois pas dans un contextualisme puisqu’il souligne que les rapports d’influence entre l’historiographie et la société sont réciproques : l’historien n’est en effet pas seulement influencé par le contexte dans lequel il vit, il façonne aussi celui-ci, notamment par le biais des fonctions qui lui sont conférées par la société, comme celle d’« agent de la mémoire collective ». Gagnon mettra en œuvre ce programme dans Le Québec et ses historiens de 1840 à 1920 dans lequel il dégage « les rapports d’influence entre la connaissance historique et la société canadienne-française[35] » de François-Xavier Garneau à l’enseignement universitaire de l’histoire nationale par Thomas Chapais et Lionel Groulx. Il soutient que l’historiographie canadienne-française est née au lendemain de l’échec des Rébellions de 1837-38 en tant qu’instrument au service de l’idéologie de la survivance nationale et de l’ultramontanisme, d’où sa survalorisation et son idéalisation du passé ainsi que son conservatisme. Les historiens étaient pour la plupart des clercs ou des petits-bourgeois autodidactes entretenant peu de contacts avec les courants historiographiques extérieurs. L’historiographie canadienne-française n’a d’ailleurs pas suivi à partir du dernier quart du xixe siècle le processus de scientificisation qui a caractérisé l’évolution de l’ensemble des historiographies occidentales, y compris celle du Canada anglais[36]. Gagnon revient sur le déphasage historiographique dans Quebec and its Historians : the Twentieth Century, dans lequel il montre que ce n’est qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale que la disciplinarisation de l’histoire au Québec s’est réellement amorcée avec la création des Instituts d’histoire de Québec, de Montréal, de l’Amérique française et de la revue du même nom en 1946-1947, soit « some fifty to a hundred years after their colleagues in France, Germany, Great Britain, the United States, and English Canada[37] ».

    Les travaux relevant de la perspective externaliste portent aussi sur les articulations entre l’histoire et la société, dont la dynamique anime l’histoire de cette discipline. La nature de ces articulations, elle-même historique, peut s’apprécier par l’analyse des fonctions sociales de l’histoire. F. Dumont, qui entretenait l’espoir, toujours actuel, que « l’histoire de l’histoire devienne une partie très importante de la recherche et de l’enseignement dans nos universités[38] », soutenait que les fonctions sociales de l’histoire, loin de la contaminer, assurent son existence. Il fallait peut-être un sociologue pour rappeler (aux historiens) « qu’il n’est pas du tout certain que nos sociétés contemporaines aient besoin de la science historique[39] ». Or, c’est en recourant à sa démarche même que les historiens seront en mesure de mieux comprendre son existence, qui tient à « des exigences de conjonctures sociales bien déterminées[40] ». C’est ainsi que Dumont prétendait que la science historique « ne peut rendre compte d’elle-même que par sa genèse[41] ».

    J. Létourneau a montré cette inscription sociétale de l’histoire en soutenant que la production historienne participe à la construction et à la mutation identitaires d’une communauté, processus qui à leur tour conditionnent le mode d’actualisation historien du passé. Le récit historique qui sert de fondement identitaire à une communauté est en ce sens lui-même historique. Dans son insistance sur les rapports entre les historiens et la société, Létouneau oublie toutefois que cette dialectique est médiatisée par leur appartenance à un champ scientifique qui fait en sorte qu’ils détiennent une autonomie relative par rapport aux demandes sociales et qui limite leur ascendance sur la société. L’occultation de ce filtre l’empêche d’appréhender véritablement la réalité disciplinaire de l’histoire, ce qui lui permet d’avancer que « la réalité de l’histoire [connue] réside – nonobstant la volonté des historiens – dans cette image [celle de la mémoire collective], un peu comme l’homme concret n’est à découvert que dans la fiction[42] ». C’est pourtant sur « the idea of history as […] a practicing discipline with professional standards[43] » historiquement établis que repose « l’ultime différence[44] » entre la science historique et les autres modes de représentation du passé, comme la mémoire. L’« acte historiographique[45] » existe autant que le passé, qui ne peut être connu qu’à condition de (re) connaître la vérité (historique) de la discipline qui produit cette connaissance.

    Le même reproche peut être adressé à R. Rudin, qui soutient que tous les historiens québécois du xxe siècle ont été « aux prises avec le problème d’équilibrer les exigences de leur profession et celles de leur société[46] ». Or, il oublie que cet équilibrage varie lui-même dans le temps. Le développement disciplinaire de l’histoire, à la fois idéel et matériel, que Rudin reconnaît pourtant en soulignant que « les techniques [de l’histoire] ont changé au cours de ce siècle, tout comme la représentation que l’historien se fait de lui-même[47] », a institué une médiation engendrant une distance dans la relation entre les historiens et la société. Cette distanciation leur permet de s’approprier des préoccupations sociétales pour les traduire en problèmes de science. Or, distanciation ne signifie pas isolement puisque les historiens québécois ont continué d’entretenir des rapports avec la société, mais de nature différente en limitant de plus en plus leurs interventions à la question des conditions de production qui assurent leur autonomie par rapport à elle[48]. Il est donc impératif, afin de ne pas verser dans une sociologie spontanée et relativiste de la connaissance historique[49] et afin de comprendre ce qu’a voulu dire making history, d’étudier the making of history, c’est-à-dire la construction disciplinaire de l’histoire. La disciplinarisation médiatise la relation que le savoir historique entretient avec la société, relation qui lui confère tant sa contemporanéité, comme le dirait B. Croce, que son historicité. Centrale à l’articulation d’une histoire des représentations de l’histoire au Québec, la compréhension de ce processus nécessite l’appropriation de certaines ressources théoriques.

    Vers une histoire des représentations de l’histoire

    La disciplinarisation de l’histoire : balises théoriques

    La disciplinarisation exige de saisir le passé de l’histoire à la lumière des procédures par lesquelles elle s’est érigée et maintenue en discipline. L’atelier de l’histoire (F. Furet), dans lequel est construite la connaissance historique, est lui-même une construction historique qui doit être déconstruite pour « savoir si on peut le recomposer légitimement[50] ». Cette analyse de la fabrication de la fabrique historienne permet de relever le principal défi en histoire de l’histoire tel qu’il s’est dessiné en filigrane dans la section 1) : affirmer l’historicité de l’histoire sans pour autant la réduire à l’histoire, ce qui exige d’éviter de tomber de la Charybde du déterminisme relativiste, pour qui les modalités et finalités de la pratique historique ne sont dictées que par le contexte dans lequel elle s’inscrit, en la Scylla de l’autonomisme logiciste, pour qui ces dernières ne relèvent que des choix individuels de l’historien qui ne serait d’aucun temps ni d’aucun pays. On peut contourner ces deux écueils en suivant la piste offerte par M. de Certeau, pour qui la « médiation » du « “nous” » disciplinaire « élimine l’alternative qui attribuerait l’histoire ou à un individu (l’auteur, sa philosophie personnelle, etc.), ou à un sujet global (le temps, la société, etc.). Elle substitue à ces prétentions subjectives ou à ces généralités édifiantes la positivité d’un lieu sur lequel le discours [sur le passé] s’articule sans pourtant s’y réduire[51] ». L’écriture de l’historien n’est pas déterminée par des instances externes, mais ce dernier ne peut pas non plus se faire un chantre « du tout est bon » (Paul Feyerabend) postmoderne pour écrire l’histoire comme il le/la désire. La discipline agit ainsi comme un « surmoi collectif » (Gaston Bachelard) canalisant les pulsions de la libido scientifica des historiens pour les sublimer en œuvres recevables et vérifiables, conditiosine qua non de toute science. L’histoire paye son émancipation de ses injonctions inconscientes, économiques, socioculturelles et politiques d’un assujettissement à une discipline lui permettant de produire et de transmettre une connaissance autonome et légitimée : elle se soumet à ses propres règles, à partir desquelles elle s’est constituée en discipline, qui forment sa constitution et dont la rigueur est fonction de leur indépendance par rapport aux demandes du monde social. On ne peut dire le vrai historique qu’à condition d’être dans le vrai historien, qui repose sur des « balises négociables et amovibles[52] ». M. de Certeau ne disait rien d’autre en soulignant « la priorité du discours [à entendre la pratique discursive, la discipline] historique sur chaque ouvrage historiographique particulier[53] »; discours constitué par les historiens eux-mêmes au moyen d’une épistémologie. En un mot, la disciplinarisation repose sur un paradoxe : elle tente de libérer l’histoire de ses conditionnements externes en l’emprisonnant dans un espace institutionnel, professionnel et théorique de production : une discipline.

    Professionnalisation, institutionnalisation et théorisation : les procédures de disciplinarisation de l’histoire

    On a jusqu’à présent surtout analysé deux procédures disciplinaires de l’histoire, soit sa professionnalisation et son institutionnalisation. Ensemble, elles ont été responsables de l’effectuation matérielle d’un espace de recherche historique. La professionnalisation a permis à des individus de gagner leur vie en produisant et en diffusant une connaissance sur le passé. Elle a transformé la pratique ancestrale de l’écriture historique d’un passe-temps en un métier régi par des normes dont la nature n’est déterminée par aucune autre instance que la communauté professionnelle regroupant ceux-là mêmes qui l’exercent, les historiens[54]. Pour se reproduire ainsi que pour évaluer, légitimer et transmettre son savoir, cette communauté a dû se doter d’un certain nombre d’institutions : des départements universitaires, des programmes de formation et des organes de diffusion, notamment des revues arbitrées, lieu où peut s’exercer la critique des pairs, la « police discursive » essentielle à l’« ordre du discours » historique[55]. Cette institutionnalisation a également consisté en la création d’associations sortant les historiens de l’isolement et leur permettant de défendre leurs intérêts vis-à-vis du domaine public ainsi que d’assurer leur cohésion et leur solidarité identitaires et corporatives[56].

    Or, la démarcation distinctive et la rupture distanciative hiérarchisantes entre les amateurs et les professionnels engendrées par la professionnalisation et l’institutionnalisation ont reposé sur une conception précise mais changeante de l’histoire – une idea of history (R. G. Collingwood) – élaborée par une autre procédure disciplinaire, soit la théorisation. Cette dernière consiste en le discours réflexif – l’épistémologie – par lequel les historiens se représentent leur pratique, et non le passé qu’elle permet de représenter.

    Les représentations historiennes de l’histoire

    Il s’agit de repenser la pensée historienne sur l’histoire, qui ne se réduit pas à « une tentation qu’il faut savoir résolument écarter », comme se contredisait Pierre Chaunu, qui réfléchissait malgré lui à sa pratique pour dénoncer cette réflexion, cette « morbide Capoue[57] ». L’historiographe chilien José Carlos Bermejo Barrera souligne à cet égard que la plupart des historiens se représentent les « true historians » comme ceux qui « produce great historiographical works [à entendre : études sur le passé], leaving reflection on history to marginal areas, such as books on “thoughts about history” that some historians write as they reach maturity[58] ». Ces réflexions sont en effet, selon É. Bédard, souvent « écrites parallèlement à d’autres travaux de recherche jugés plus fondamentaux par les historiens […] et ne sont pas nécessairement les plus révélat[rices] ni les plus significati[ves] de l’ensemble d’une œuvre […][59] ». Les historiens, comme tout praticien scientifique, passent presque tout leur temps au sein de la « science normale » (T. S. Kuhn), activité par laquelle ils résolvent des problèmes empiriques à l’aide d’une méthode éprouvée – dont la définition et l’évolution doivent cependant être élucidées – en vue de produire une connaissance du passé. À cet égard, Peter Novick, en analysant la réflexion des historiens états-uniens sur la « objectivity question », déclare qu’il passe « a good deal of time talking about what historians do worst, or at least badly : reflecting on epistemology[60] ». Bien qu’il ait raison de souligner la marginalité du statut de l’épistémologie au sein de la discipline, Novick aurait sans doute été amené à nuancer son propos s’il avait étudié d’autres déclinaisons de cette réflexion, qui ne se limite pas à l’objectivité.

    Bien que les historiens québécois aient toujours préféré pratiquer l’histoire que discourir sur elle, une récente anthologie révèle que « les historiens québécois ont de tout temps ressenti le besoin de prendre du recul et de réfléchir sur leur pratique[61] » pour faire avancer leur projet disciplinaire. Comment comprendre cette disposition réflexive qui « n’est pas de l’histoire[62] », cette théorisation de l’histoire dans l’histoire de celle-ci analysée à travers le prisme de sa construction disciplinaire? Que se passe-t-il « quand l’histoire devient, pour le praticien, l’objet même de sa réflexion[63] » et, surtout, que fait-il au moyen de cette mise en représentation de sa pratique? Pourquoi les historiens ont-ils eu besoin de faire (aussi) autre chose qu’étudier le passé pour l’étudier?

    La théorisation a des fonctions précises dans toute discipline. Elle été une partie intégrante du métier des historiens puisque c’est par son entremise qu’ils définissent l’objet, programment la recherche et justifient la pertinence de leur pratique, bref s’imposent les règles auxquelles ils se soumettent, dialectique sur laquelle se fonde la discipline historique. Aussi, la théorisation a un rôle fondamental dans la discipline puisqu’elle est le médium à travers lequel les historiens se prononcent sur une série de questions sous-tendant sa pratique, telles que :

    l’histoire est-elle une science exacte ou le grand récit d’une épopée, la description méthodique ou le « roman vrai » des origines? L’historien doit-il être attentif aux questions du présent ou, au contraire, s’en méfier? Est-il, avant tout, un antiquaire censé préserver avec précaution les belles choses du passé, un chercheur méticuleux en quête de vérités, un intellectuel engagé chargé de critiquer ou de reformuler les mythes de la nation[64]?

    Ces questions ont été et demeurent l’objet d’un débat continuel et consensuel fondant l’histoire et animant son histoire. En débattant des modalités et des finalités de ce qui les unit, la pratique historique, les historiens consolident en effet sa légitimité. Ce débat renforce le consensus – même si on ne s’entend pas sur son comment et son pourquoi, on croit l’histoire nécessaire – qui est la condition d’existence et de survie de toute discipline. Si les historiens s’orientent tous vers une quête scientifique de la vérité du passé, « les guides se disputent volontiers sur l’itinéraire à prendre[65] ». Les historiens sont en concurrence pour imposer une représentation normative de leur métier en vue d’obtenir le monopole de la compétence disciplinaire : l’autorité scientifique[66].

    La théorisation, qui s’actualise à travers l’épistémologie, médiatise la prise de parole intervenante des historiens au moyen de laquelle ils prennent position sur et débattent de la nature, la fonction et le devenir de leur savoir. Elle explicite ses constituants méthodologiques et déontologiques sans lesquels ils n’auraient pu l’ériger en discipline. Énonçant les représentations que les historiens se font de leur savoir, la théorisation participe à l’individua(lisa)tion de l’histoire comme mode de connaissance autonome et à la formation identitaire de l’homme historien (Nicole Gagnon et Jean Hamelin). Elle institue une frontière – certes perméable – horizontale entre l’histoire et les autres disciplines.

    L’étude des représentations historiennes de l’histoire permet de démentir le mythe fondateur disciplinaire de l’historien comme indécrottable empiriste, n’ayant eu et ne devant avoir pour tâche que de montrer « comment les choses ont vraiment été ». Comme l’illustre performativement l’aphorisme rankien, les historiens, notamment pour se démarquer des littéraires imaginant le passé, des moralistes le jugeant ou des philosophes spéculant sur le processus historique pour trouver son sens (orientation), spéculèrent sur le sens (signification) de la pratique historique, la jugèrent – notamment à travers les comptes rendus – et l’imaginèrent pour la fonder sur la proscription de la rhétorique et des imaginations littéraires, des jugement moraux ou des spéculations sur le processus et la pratique historique, ces dernières étant le « crime capital » (Lucien Febvre) de l’historien. Trois énoncés tirés du contexte québécois peuvent illustrer cette réflexivité historienne par laquelle celle-ci est représentée : « J’ai recherché et écrit la vérité. J’ai relaté les événements, non pas tels qu’ils auraient dû se passer, mais tels qu’ils se sont passés. Je n’ai point représenté l’histoire de la province de Québec comme une série d’images d’Épinal[67] »; « L’histoire, au Canada français, est toujours confortablement assise dans la chaire de la rhétorique et regarde de bien haut l’historien-chercheur qui veut être scientifique. La première s’appuie sur de belles phrases, ce dernier s’appuie sur des sources et c’est lui, malgré tout, qui pourra atteindre plus sûrement la vérité historique[68] »; l’historien « n’est ni juge, ni un prédicateur, ni un prophète. Il se limite à décrire aussi exactement que possible ce qui s’est réellement passé. Sans préoccupations apologétiques ou patriotiques[69] ». Les historiens ont d’ailleurs dit leur pratique ne serait-ce que pour s’inter-dire de la dire en vue de circonscrire leur tâche, commettant une contradiction performative qui traverse l’histoire de la discipline. L’aphorisme, par lequel L. von Ranke se représentait la pratique historique et que se sont approprié la plupart des écoles historiques occidentales pour fonder leur projet disciplinaire[70], met en lumière cette contradiction performative : « On a attribué à l’historien la mission de juger le passé, d’enseigner le monde contemporain pour servir aux années futures : notre tentative ne s’inscrit pas dans des missions aussi hautes ; elle cherche seulement à montrer comment les choses ont vraiment été[71] ». L’historien germanique, en produisant cet énoncé réflexif, ne se limitait pas « à montrer comment les choses ont vraiment été ». On ne peut déterminer l’ayant-été historique sans définir l’être historien. Les historiens, en plus de répondre à la question « que s’est-il passé? », ont aussi dû répondre à « qu’est-ce que l’étude du passé? », question à travers laquelle peuvent être appréhendées les représentations qu’ils se font de l’histoire en fonction desquelles ils représentent le passé.

    Étudier comment les historiens se sont représenté l’histoire nous conduit nous-mêmes à  représenter l’histoire par l’histoire, démarche qui, en plus de s’inscrire dans le projet d’épistémologie historique bachelardien d’une « science de la science[72] », relève de l’histoire des représentations. Ce n’est qu’en tenant compte des représentations historiennes de l’histoire qu’on parviendra à saisir dans toute sa complexité l’invention disciplinaire de l’histoire, soit le processus par lequel s’est interposée dans la connaissance du passé une médiation prenant la forme d’une discipline, qui fait en sorte que cette connaissance n’est ni le reflet du contexte socio-idéologique et de l’inconscient pulsionnel du sujet historien (représentation relativiste de l’histoire), ni une reproduction identique de l’objet historique (sa représentation positiviste).

    Conclusion

    L’émergence et le développement de l’histoire des représentations au cours des dernières années, au Québec comme ailleurs, a généré des recherches empiriques et des réflexions théoriques. Ce paradigme de recherche n’a cependant guère été mis en relation avec l’histoire de l’histoire, qui continue en bonne partie d’être pratiquée spontanément, sans un cadre théorique articulé. Pourtant, l’histoire, comme discipline, loin de se réduire à un espace institutionnel, est un espace symbolique où s’affrontent différentes représentations définissant, programmant et justifiant la pratique historienne. Le paradigme de l’histoire des représentations, dans cette perspective, peut être considéré comme une nouvelle représentation de l’histoire qui, pour rendre les choses plus ambiguës, est fondamentalement une représentation du passé aspirant à la vérité[73]. C’est en définitive parce que la représentation est à la fois objet et opération de la discipline historique, comme l’a magistralement montré P. Ricœur, qu’il est légitime de prendre pour objet cette opération sous l’enseigne d’une histoire des représentations de l’histoire. Cette dernière, en plus de re-problématiser la « dialectique de la représentation[74] » au sein de la discipline, fournit un nouvel éclairage à la disciplinarisation de l’histoire, processus essentiel pour comprendre son histoire. L’étude des représentations historiennes de l’histoire montre, d’un côté, que sa disciplinarité ne se réduit pas à sa matérialité institutionnelle en mettant en lumière son idéelité et son idéalité – son « dream[75] » – éthico-épistémologiques. De l’autre, elle établit la réflexivité des historiens, source de leur agency dans la cause de l’histoire dans laquelle ils se sont engagés en (ré) inventant leur pratique, les empêchant d’inventer le passé afin d’en produire une connaissance désengagée, c’est-à-dire le passé tel qu’il s’est passé. La discipline historique n’est pas une essence qui a surgi ex nihilo, mais un artefact résultant d’un processus constant mis en œuvre par les historiens dans lequel les représentations qu’ils ont eues de leur pratique et d’eux-mêmes ont été aussi importantes que la réalité objective de la discipline. Ces représentations sont véhiculées par un discours performatif – une épistémologie – sans lequel les historiens n’auraient pu faire et mettre en œuvre leur savoir disciplinaire. Accorder « un rôle pour l’histoire » dans la philosophie de la science historique par l’entremise du paradigme des représentations pourrait transformer de façon décisive l’image de cette discipline dont les historiens sont empreints, pour paraphraser notre exergue de T. S. Kuhn. En façonnant la manière par laquelle ils la pratiquent, cette représentation conditionne, à terme, les représentations du passé qu’ils élaborent en vue d’en produire une connaissance empirique qui demeure l’enjeu ultime de l’histoire. La mise en œuvre de cette discipline ne saurait ainsi faire l’économie d’une étude des représentations de l’histoire médiatisant l’appréhension historienne du passé et constituant son a priori épistémique. Le spectre kantien n’a pas fini de rayonner en philosophie de l’histoire.

    Références

    [1] Marcel Gauchet, « Changement de paradigme en sciences sociales? », Le Débat, 50 (mai-août 1988), p. 161-188; Comité de direction, « Histoire et sciences sociales. Un tournant critique? », Annales : ESC, vol. 43, no 2 (novembre-décembre 1988), p. 291-293; François Dosse, L’Empire du sens. L’humanisation des sciences humaines, Paris, La Découverte, 1995, 432 p.

    [2] Geoffrey Lloyd, Pour en finir avec l’histoire des mentalités, Paris, La Découverte, 1996 [1990], 243 p.; Paul Ricœur, « De l’idée de mentalité à celle de représentation », La Mémoire, l’histoire et l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 277-92.

    [3] Christian Delacroix et al., Les Courants historiques en France, XIXe-XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2005, p. 353.

    [4] Joanne Burgess, « L’histoire du Québec; tendances récentes et enjeux », Denise Lemieux, dir., Traité de la culture, Québec, PUL, 2002, p. 29-41; Peter Burke, What is Cultural History ?, Cambridge, Polity, 2004, 176 p.; Pascal Poirrier, Les Enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, 2004, 435 p.

    [5] Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales : ESC, vol. 44, no 6 (novembre-décembre 1989), p. 1505-1520.

    [6] P. Ricœur, La Mémoire…, op. cit., p. 236,  239 et 238.

    [7] Jean-Marie Fecteau, « Entre la quête de la nation et les découvertes de la science », CHR, vol. 80, no 3 (septembre 1999), p. 441.

    [8] Irmline Veit-Brause, « Conceptualizing Shifts and Changes in the History of Historiography », Storia della Storiagrafia, no 17 (1990), p. 53.

    [9] Pour des bilans sur l’histoire de l’histoire, voir : Chris Lorenz, « Comparative Historiography : Problems and Perspectives », History and Theory, vol. 38, no 1 (février 1999), p. 25-39; Ellen Fitzpatrick, History’s Memory, Cambridge, HUP, 2004, p. 1-12; P. Poirrier, « L’historiographie », Les Enjeux…, op. cit., p. 217-232; P.-M. Noël, « Réfléchir à l’histoire en historien. Vers une connaissance de l’histoire par l’histoire », Julien Massicotte et al., dir., Actes du 7e Colloque du département d’histoire de l’Université Laval, Québec, Artefact, 2008, p. 165-188; Georg Iggers, Historiography in the Twentieth Century, Middletown, WUP, 2005, p. 189-191.

    [10] « Le rôle et la nature de l’historiographie », RHAF, vol. 26, no 4 (mars 1973), p. 479-531.

    [11] « La production historienne courante portant sur le Québec et ses rapports avec la construction des figures identitaires d’une communauté communicationnelle », Recherches sociographiques, vol. 36, no 1 (hiver 1995), p. 9-45.

    [12] Fernand Dumont, « La fonction sociale de l’histoire », Histoire sociale, vol. 2, no 4 (1969), p. 15; Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 78. La tenue d’un colloque international sur l’épistémologie de l’histoire à Ottawa en 1980 – où ont participé, entre autres, P. Ricoeur, M. de Certeau et Reinhart Koselleck – témoigne aussi de l’institution d’un dialogue entre les historiens et les philosophes sur la connaissance historique. Ses actes ont été réunis dans David Carr et al., dir., Philosophie de l’histoire et la pratique historienne aujourd’hui, Ottawa, PUO, 1982, 396 p.

    [13] Ian Hacking, Historical Ontology, Cambridge, HUP, 2004, p. 99-114.

    [14] Karel Williams cité dans J.-M. Fecteau, « La quête d’une histoire normale : réflexion sur les limites épistémologiques du “révisionnisme” au Québec », BHP, vol. 4, no 2 (hiver 1996), p. 38.

    [15] On peut se représenter la notion d’« historiographie » d’au moins trois manières. Elle peut désigner l’écriture de l’histoire, la spectrographie d’un sujet donné ou encore l’histoire de l’histoire. En jouant sur cette ambigüité, nous pourrions dire que la section 1 de notre essai traite de l’historiographie (seconde acception) des études historiographiques (troisième acception) qui historicise l’historiographie (première acception). Voir Harry Ritter, « Historiography », Dictionary of Concepts in History, Westport, Greenwood, 1986, p. 188-193.

    [16] Fernand Harvey et Paul-André Linteau, « L’évolution de l’historiographie dans la “RHAF”, 1947-1972 », RHAF, vol. 26, no 2 (septembre 1972), p. 163-182; Jean-Paul Coupal, « Les dix dernières années de la RHAF, 1972-1981 », RHAF, vol. 36, no 4 (mars 1983), p. 553-567; Jacques Rouillard, dir., Guide d’histoire du Québec, Montréal, Méridien, 1993 [1989], 354 p.

    [17] Par exemple, Raymond Duchesne, « Historiographie des sciences et des techniques au Canada », RHAF, vol. 35, no 2 (septembre 1986), p. 193-216; Denyse Baillargeon, « Des voies/x parallèles. L’histoire des femmes au Québec et au Canada anglais, 1970-1995 », Sextant, no 4 (hiver 1995), p. 133-168; Guy Laperrière, « L’évolution de l’histoire religieuse au Québec depuis 1945 : le retour du pendule? », dans Yves Roby et Nive Voisine, dir., Érudition, humanisme et savoir, Québec, PUL, 1996, p. 329-348; J. Rouillard, dir., « Les pratiques de l’histoire de l’Amérique française depuis 50 ans », RHAF, vol. 51, no 2 (automne 1997), p. 159-316; Damien-Claude Bélanger et al., dir., Les idées en mouvement : perspectives en histoire intellectuelle et culturelle du Canada, Sainte-Foy, PUL, 2004, p. 15-27.

    [18] « L’élargissement de l’objet historique », Le Débat, 103 (janvier-février 1999, p. 131-147.

    [19] « La quête d’une société normale : critique de la réinterprétation de l’histoire du Québec », BHP, vol. 3, no 2 (hiver 1995 [1992]), p. 9-42. Sébastien Parent a effectué une mise à l’épreuve quantitative des thèses de Rudin. (cf. L’historiographie moderniste québécoise (1982-2002). Une production révisionniste?, mémoire de maîtrise (histoire), UQAM, 2003). Nous reviendrons sur la pensée historiographique rudinienne.

    [20] Faire de l’histoire au Québec, Sillery, Septentrion, 1998 [1997], p. 115-198. Dans le même ordre d’idées, Fernand Ouellet, ténor de l’école de Laval, souligne les « insuffisances méthodologiques » de l’interprétation historique de l’école de Montréal qui « justifie et répond […] finalement aux aspirations nationalistes et indépendantistes » (cf. « Historiographie canadienne et nationalisme », MSRC, vol. 4, no 13 (1975), p. 34-35).

    [21] Le Devenir de la nation québécoise, Sillery, Septentrion, 1993, p. 30. C. Berger souligne parallèlement que « the two language traditions have, in historical thought […] occasionally touched and intersected, but in general they have been preoccupied with the backgrounds of two rather different « nations » ». (cf. The Writing of Canadian History : Aspects of English-Canadian Historical Writing since 1900, Toronto, UTP, 1986 [1976], p.  x). Sur l’école de Montréal, voir les ouvrages consacrés à son « maître à penser », Maurice Séguin : Robert Comeau, éd., Maurice Séguin, historien du pas québécois, Montréal, VLB, 1987, 307 p.; Pierre Tousignant et Madelaine Dionne-Tousignant, éd., Les Normes de Maurice Séguin, Montréal, Guérin, 1999, 272 p.; R. Comeau et Josiane Lavallée, dir., L’Historien Maurice Séguin : théoricien de l’indépendance et penseur de la modernité québécoise, Sillery, Septentrion, 2006, 185 p.

    [22] « La modernisation de l’historiographie et l’émergence de l’histoire sociale », Recherches sociographiques, vol. 26, no 1-2 (hiver-été 1985), p. 11-83; The Socialization of Quebec Historiography since 1960, Toronto, Robarts Centre for Canadian Studies, 1988, 66 p.

    [23] « L’émergence dans le Canada du XXe siècle de l’histoire comme science sociale », MSRC, vol. 4, no XX (1982), p. 35-81.

    [24] « La modernisation… », loc. cit., p. 82.

    [25] Le Passé composé, Montréal, VLB, 1999, p. 9-15.

    [26] Alfred Dubuc, « L’influence de l’école des Annales au Québec », RHAF, vol. 33, no 3 (1979), p. 357-386.

    [27] Éric Bédard et Julien Goyette, « Sur les mutations de l’historiographie québécoise : les chemins de la maturité », Parole d’historiens, Montréal, PUM, 2006 [1990], p. 286.

    [28] « La recherche en histoire du Canada », Revue internationale d’études canadiennes, vol. 1, no 2 (printemps-automne 1990), p. 11.

    [29] « Sur les mutations… », op. cit., p. 287.

    [30] F. Dumont, « Idéologie et savoir historique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 35, no 1 (juillet-décembre 1963), p. 43-60; « La fonction sociale… », loc. cit., 1969, p. 15-16; « De l’idéologie à l’historiographie : le cas canadien-français », Chantiers. Essais sur la pratique des sciences de l’homme, Montréal, Hurtubise HMH, p. 85-114; Jean Blain, « Économie et Société en Nouvelle-France : le cheminement historiographique dans la première moitié du XXe siècle », RHAF, vol. 26, no 1 (juin 1972), p. 3-31; « Économie et société en Nouvelle-France : l’historiographie des années 1950-1960 – Guy Frégault et l’école de Montréal », RHAF, vol. 28, no 2 (septembre 1974), p. 163-186; « Économie et société en Nouvelle-France : l’historiographie au tournant des années 1960 – la réaction à Guy Frégault et à l’école de Montréal – la voie des sociologues », RHAF, vol. 30, no 3 (décembre 1976), p. 323-362; P. Savard « L’histoire de 1900 à 1930 » et « L’histoire de 1930 à 1945 », Pierre de Grandpré, dir., Histoire de la littérature française du Québec, T II, p. 134-148, T IV, p. 306-316, Montréal, Beauchemin, 1969. Gagnon reconnaît en 1973 que Savard « a bien esquissé l’évolution du genre historique dans notre patrimoine littéraire. Mais il s’est trop attaché à cerner le progrès de la connaissance, l’organisation de la discipline sans suffisamment relier le contenu idéologique de la production à la société elle-même » (« La nature et la fonction… », loc. cit., p. 482). Savard aurait-il répondu à la critique de Gagnon dans un article paru en 1974, où il s’évertue à dégager les rapports « entre production historique et évolution générale de la collectivité » dans le processus par lequel, de 1947 à 1972, « l’étude de l’histoire passe chez-nous d’une activité intellectuelle, exercée surtout par des autodidactes dans un esprit de louange du temps passé ou de défense nationale traditionnelle, à une discipline aux spécialistes nombreux offrant une production abondante et fort diverse tant par les méthodes que par les ideologies sous-jacentes »? (cf. « Un quart de siècle d’historiographie québécoise, 1947-1972 », Recherches sociographiques, vol. 15, no 1 (janvier-avril 1974), p. 77).

    [31] « La nature et le rôle… », loc. cit., p. 481 et 479.

    [32] Ibid., p. 531.

    [33] Ibid., p. 479.

    [34] Le Passé composé…, op. cit., p. 158.

    [35] Le Québec et ses historiens de 1840 à 1920, Québec, PUL, 1978, p. 1.

    [36] Donald Wright, The Professionalization of History in English Canada, Toronto, UTP, 2005, 270 p. Pour une analyse comparative des historiographies canadienne-anglaise et canadienne-française (québécoise), voir, pour la période 1945-1965, S. Gagnon, « Historiographie canadienne ou les fondements de la conscience nationale », Dans André Beaulieu et al., Guide d’histoire du Canada, Québec, PUL, 1969, p. 3-61; Jean-Paul Bernard, « L’historiographie canadienne récente (1964-1994) et l’histoire des peuples du Canada », CHR, vol. 76, no 3 (septembre 1995), p. 321-353.

    [37] Quebec and its Historians: the Twentieth Century, Montréal, Harvest House, 1985, p. ii.

    [38] « La fonction sociale… », loc. cit., p. 15.

    [39] Ibid., p. 5.

    [40] F. Dumont, Essais…, op. cit., p. 67.

    [41] « La fonction sociale… », loc. cit., p. 15.

    [42] « La production historienne… », loc. cit., p. 33.

    [43] John H. Zammito, « Are We Being Theoretical Yet? », The Journal of Modern History, vol. 65, no 4 (décembre 1993), p. 804.

    [44] J. Goyette, « Saisir l’historiographie dans sa dynamique historique », É. Bédard et J. Goyette, Parole…, op. cit., p. 444.

    [45] Benedetto Croce, Théorie et histoire de l’historiographie (Paris, Droz, 1968 [1915]), p. 14. 

    [46] Faire de l’histoire…, op. cit., 23. Sur la réception des thèses historiographiques rudiniennes : BHP, vol. 4, no 2 (hiver 1996), p. 6-74; BHP, vol. 7, no 1 (automne 1998), p. 106-56; RHAF, vol. 51, no 3 (hiver 1998), p. 419-28.

    [47] « Au-delà du révisionnisme », BHP, vol. 4, no 2 (hiver 1996), p. 66.

    [48] Micheline Dumont, « Histoire et Société : quel a été le rôle de l’Institut d’histoire de l’Amérique française? », BHP, vol. 6, no 2 (hiver 1998), p. 90-114.

    [49] Yves Gingras, « Une sociologie spontanée de la connaissance historique », BHP, vol. 4, no 2 (hiver 1995), p. 39-45.

    [50] Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 38.

    [51] L’Écriture…, op. cit., p. 86-87.

    [52] G. Bouchard, La Nation québécoise au futur et au passé, Montréal, VLB, 1999, p. 142.

    [53] L’Écriture…, op. cit., p. 86.

    [54] R. Rudin, Faire de l’histoire…, op. cit.,; P. Savard, « Un quart de siècle… », loc. cit., p. 81-85.

    [55] Patrice Régimbald, « La disciplinarisation de l’histoire au Canada français, 1920-1950 », RHAF, vol. 51, no 2 (automne 1997), p. 163-200 ; M. Foucault, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, 82 p.

    [56] P. Régimbald, « La disciplinarisation… », loc. cit. ; M. Dumont, « Histoire et société… », loc. cit. 

    [57] Histoire quantitative, histoire sérielle, Paris, Armand Colin, 1978, p. 10.

    [58] « Making History, Talking about History », History and Theory, vol. 40, no 2 (mai 2001), p. 190.

    [59] « Présentation », É. Bédard et J. Goyette, Parole…, op. cit., p. 12.

    [60] That Noble Dream, Cambridge, CUP, 1988, p. 15.

    [61] « Présentation », É. Bédard et J. Goyette, Parole…, op. cit., p. 11.

    [62] Gérard Noiriel, Penser avec, penser contre (Paris, Belin, 2003), p. 15.

    [63] M. de Certeau, L’Écriture…, op. cit., p. 78.

    [64] Ibid.

    [65] Martin Pâquet, « Esquisse d’une anthropologie du savoir historien », BHP, vol. 15, no 3 (printemps 2007), p. 84.

    [66] Voir l’article fondamental de Pierre Bourdieu, « La spécificité du champ scientifique », Sociologie et Sociétés, vol 7, no 1 (mai 1975), p. 91-118.

    [67] Robert Rumilly, Histoire de la Province de Québec, III – Chapleau, dans Bédard et Goyette, Parole…, op. cit., p. 101.

    [68] Marcel Trudel, Louis XVI, le Congrès américain et le Canada 1774-1789, Québec, Université Laval, 1949, p. ix-x.

    [69] Michel Brunet, Canadians et Canadiens. Études sur l’histoire et la pensée des deux Canadas, dans Bédard et Goyette, Parole…, op. cit., p. 159.

    [70] G. Iggers et James Powell, dir., Leopold von Ranke and the Shaping of the Historical Discipline, Syracuse, SUP, 1990, 223 p.

    [71] Cité dans G. Noiriel, Sur la “crise”…, op. cit., p. 63.

    [72] G. Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 2004 [1938], 306 p. P. Bourdieu se réclame également d’une « tradition de réflexion d’ambition scientifique sur la science » dans Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir, 2001, p. 9.

    [73] Frank Ankersmit, Historical Representation, Stanford, SUP, 2002, 321 p.

    [74] P. Ricœur, op. cit., p. 292.

    [75] P. Novick, That Noble…, op. cit.