La corporéité des enfants abandonnés : regards des journaux parisiens sur les problèmes d’alimentation et de soins (1780-1800)

Maude Goulet-Ménard

Doctorante en histoire à l’Université de Shebrooke

 

 

Introduction

Elizabeth L’épine, âgée de 2 mois et provenant de Reims, est laissée à la charge de l’hôpital des Enfants-Trouvés de Paris, hôpital desservant les enfants abandonnés, le 12 avril 1772. Ce dernier l’envoi rapidement en nourrice pour être soignée et nourrie jusqu’en 1779[1]. Elizabeth s’insère dans le groupe plus large des enfants trouvés de Paris[2]. Lors de l’année de sa prise en charge, elle fait partie des 7676 jeunes passant entre les portes de l’institution parisienne[3]. De manière générale, lors de la fin du 18e siècle, ces enfants ont des parcours relativement similaires suivant leur admission à l’hôpital. La plupart d’entre eux sont abandonnés à un très jeune âge alors qu’ils sont des nourrissons[4]. Selon Claude Delasselle, pour les années 1772 et 1778, 98 % des enfants parisiens et 87 % des enfants de provinces ont moins d’un an lors de leur admission aux Enfants-Trouvés[5]. Ils seraient, pour beaucoup, nés d’union extramaritales. D’autres, une relative minorité (environ 30 % selon les sources de l’époque), sont nés au sein d’unions légitimes[6]. De ces enfants nés de mariages, certains sont déposés à l’hôpital pour des raisons liées à la pauvreté du ménage, d’autres parce qu’ils sont orphelins[7]. Règle générale, toutefois, l’hôpital est associé à la prise en charge des enfants illégitimes, tel en était l’objectif lors de sa fondation vers 1640[8].

Dans la recherche historienne, c’est surtout dans les années 1970-1980 que les enfants abandonnés eux-mêmes, plutôt que leurs institutions, suscitent l’intérêt des chercheurs et chercheuses. De multiples travaux traitent alors de sujets variés comme la réinsertion sociale des enfants trouvés (depuis le milieu institutionnel jusque dans divers corps de métiers), le placement spatial de ces jeunes dans l’espace géographique français, leur milieu socioéconomique d’origine, les causes de l’abandon, etc.[9] Claude Delasselle, avec son article sur les origines socioéconomiques et géographiques des enfants abandonnés, est l’un des premiers à s’intéresser aux petits fréquentant l’hôpital des Enfants-Trouvés de Paris[10]. Dans son article, il analyse le profil des enfants admis aux Enfants-Trouvés selon leur âge, leur région de provenance, la profession de leur(s) parent(s), etc[11]. Le numéro complet d’Histoire, économie et société, dirigé par Jean-Pierre Bardet est également un bon exemple de cette approche sociale. Le numéro comporte des articles sur la plupart des sujets énumérés plus haut comme le placement spatial, en plus d’en aborder d’autres comme l’utilitarisme associé au devenir souhaité pour ces petits[12]. Depuis, les enfants abandonnés incarnent un sujet inévitable des synthèses sur l’histoire de l’enfance[13].

Dans les mêmes années, quelques rares travaux analysent les enjeux de santé des jeunes délaissés. C’est d’abord par l’entremise des sujets de l’allaitement et de la mise en nourrice que cela s’effectue. L’étude de Marie-France Morel sur l’allaitement en témoigne, alors que ces jeunes sont mentionnés – quoique de manière assez timide – lorsque sont abordés les pratiques nourricières plus dangereuses[14]. La même chercheuse, dans les années 1990, s’intéresse davantage aux enfants abandonnés exclusivement en analysant le rôle de « cobaye » qui leur est attribué en vue de développer les connaissances médicales de l’époque[15]. La prise en considération de la corporéité des enfants trouvés entre ainsi en scène. Toutefois peu de travaux suivent cette voie. Il faut attendre les travaux sur l’histoire des représentations de ces jeunes pour frôler à nouveau le sujet. C’est donc plus d’une décennie plus tard, en 2009, qu’un chapitre de livre, rédigé par Catriona Seth, aborde l’invisibilisation du corps de ces enfants abandonnés. Utilisant davantage une méthode issue du domaine littéraire, l’autrice discute des habits, des marques distinctives et des objets laissés sur le corps des petits lors de l’abandon. Ce traitement des représentations par les littéraires se poursuit en 2015 avec la publication de l’ouvrage sur l’abandon en Europe entre le 16e et le 18e siècle, dirigé par Florence Magnot-Ogilvy et de Janice Valls-Russell[16]. De nombreux chapitres font l’analyse de textes littéraires portant sur les enfants abandonnés, bien que d’autres fassent davantage l’étude de témoignages et de sources législatives. Les corps des enfants y sont abordés, à nouveau, par la contribution de Catriona Seth qui, similairement à son précédent chapitre de livre, fait des objets et des vêtements retrouvés sur les jeunes délaissés le cœur de son analyse[17]. C’est dans cette dernière mouture historiographique que s’inscrit cet article. Compte tenu du peu de travaux traitant des représentations des enfants trouvés[18], cette approche sera priorisée tout en usant d’une méthode plus typiquement historienne. Plus spécifiquement – compte tenu à nouveau du peu d’études sur le sujet – nous nous intéressons à la manière dont les corps des jeunes trouvés sont décrits dans les journaux parisiens. Comment se modifie la perception de ces enfants et de leur corporéité entre 1780 et 1800 ? Selon nous, la Révolution, à la différence de la période précédente, affichera un intérêt plus marqué envers la conservation et les traitements médicaux des jeunes abandonnés. Toutefois, nous croyons que les enjeux économiques incarneront des obstacles dans la manière de penser l’organisation des secours, complexifiant les représentations de la période. À l’aide d’une échelle comparative opposant une décennie de l’Ancien Régime et l’une de la période révolutionnaire, nous croyons que deux principaux sujets retiendront l’attention des sources : l’alimentation et les traitements médicaux des enfants.

Sources et méthodologie

Afin de réaliser cette recherche, nous avons utilisé un corpus de sources composé de 483 entrées puisées de huit journaux parisiens. Ces entrées ont été sélectionnées à l’aide d’une recherche par mots clés[19] dans la banque de données Retronews disponible en ligne grâce à la Bibliothèque nationale de France. Les huit journaux, quant à eux, sont la Gazette nationale ou le moniteur universel, le Journal de Paris, le Journal des débats et des décrets, le Mercure de France, le Mercure universel, la Clef du cabinet des souverains, la Gazette du commerce et la Gazette de France[20]. Certains de ceux-ci publient davantage lors de l’Ancien Régime que lors de la Révolution et vice-versa. Le seul journal ne couvrant pas la période révolutionnaire est la Gazette du commerce étant publié entre 1763 et 1783. Ensuite, trois titres de journaux publient à la fois sous l’Ancien Régime et sous la Révolution : le Journal de Paris (1777 à 1840), le Mercure de France (1724 à 1791, puis 1799 à 1818) et la Gazette de France (1631 à 1915). D’autres ne publient que lors de la période révolutionnaire : Journal des débats et des décrets (1789 à 1805), la Gazette nationale ou le Moniteur universel (1789 à 1901), le Mercure universel (1791 à 1797) ainsi que la Clef du cabinet des souverains (1797-1805). Par ailleurs, le corpus est réparti de manière presque uniforme entre l’Ancien Régime et la Révolution.

Pour traiter les articles de journaux, nous avons favorisé une recherche qualitative usant de la méthode inductive[21]. Ceci a permis de constituer une grille d’analyse servant à déceler l’information pertinente sur les représentations de l’alimentation et les soins des enfants abandonnés. Cependant, certaines limites méritent d’être mentionnées. La première est contextuelle : il est important de prendre en considération la censure affectée aux différents écrits publiés lors de l’Ancien Régime avec le Code de la librairie. Puis, durant la Révolution, outre la période allant de 1789 à 1792, une censure demeure bien que son degré d’application varie en fonction du régime en place (ex. : censure plus prépondérante lors de la Terreur)[22]. De surcroît, il est nécessaire de mentionner que, bien que cet article aborde différents sujets liés au vécu des enfants dans les provinces françaises (concernant la mise en nourrice par exemple), les représentations projetées par les journaux sont ceux des milieux urbains, du centre parisien plus précisément. Cependant, ces limites ne rendent pas l’analyse inopérante puisque cette dernière permet tout de même l’étude d’un sujet peu exploré et, ce, en se concentrant sur l’espace fort dynamique qu’incarne Paris lors de la Révolution. En outre, malgré la censure, la production d’écrits provenant de la presse est importante entre 1780 et 1800 ce qui permet la composition d’un corpus riche en information.

1. L’alimentation du petit abandonné

Lorsque les enfants abandonnés sont pris en charge, à Paris, il sont envoyés à l’hôpital des Enfants-Trouvés. Celle-ci est composée de deux principaux établissements : l’un sur l’Île de la Cité (la couche) et l’autre au faubourg Saint-Antoine (voir figure 1)[23].

 

 

La couche est un lieu transitoire où sont pris en charge les nouveau-nés avant leur envoi vers des nourrices. Ainsi, le nourrisson y est amené et, au même moment, un procès-verbal d’exposition est dressé afin de conserver les informations sur l’enfant[24]. Puis, s’organise rapidement son placement pour tenter d’assurer sa survie : le jeune était envoyé chez une nourrice en provinces françaises[25]. L’établissement au faubourg Saint-Antoine, plus imposant, à la capacité d’environ 800 places, servait de lieu pour élever les enfants plus âgés à la sortie de nourrice, vers 6 ans[26]. Le nombre de places de cet édifice était assez peu élevé lorsque nous le comparons au nombre d’enfants abandonnés à Paris chaque année, soit 4 500 environ[27]. De fait, l’État privilégiait d’abord, pour les petits, l’envoi en nourrice, puis, pour les plus grands, vers environ 12 ans, le placement en apprentissage ou dans les campagnes[28]. Lorsque l’enfant ne pouvait être placé à l’un ou l’autre de ces endroits, l’hôpital des Enfants-Trouvés en assurait la prise en charge. Par conséquent, la mise en nourrice est un service primordial et central pour porter assistance à ces jeunes qui, rappelons-le, sont généralement déposés à la couche alors qu’ils sont des nourrissons. Dans les journaux parisiens, la mise en nourrice sollicite l’attention de nombreux articles. Il faut nourrir l’enfant, mais comment et à quel prix?

Le nouveau-né délaissé représente donc un corps qu’il faut nourrir. Sans personne pour l’alimenter, le nourrisson fait face à un danger bien réel. Les nourrices, s’occupant d’allaiter l’enfant et de lui donner les soins nécessaires, sont des figures primordiales de sa survie. D’abord, elles assurent la survie des enfants en les allaitant. Également, du point de vue de l’État, elles représentent une solution qui se veut économe vis-à-vis des problèmes de saturation des places dans les hôpitaux[29]. On peut toutefois s’étonner, vu l’importance de leur rôle, qu’elles ne soient pas encore plus présentes qu’elles ne le sont dans les journaux : 28 articles en font mention, séparés presque à parts égales entre l’Ancien Régime et la période révolutionnaire (13 et 15 entrées). Toutefois, conserver la vie de ces petits n’est pas une tâche aisée. Les enfants trouvés sont particulièrement vulnérables lorsque comparés à la population générale du même âge. En effet, les sources de l’époque attribuent la haute mortalité des enfants abandonnés au « mauvais état dans lequel la plupart de ces enfans, fruit, ou de la débauche, ou de la misère, sont apportés à l’Hôpital »[30]. Les journaux de notre corpus ne manquent pas également de souligner leur « physique foible, ou même vicié » ainsi que leur « moral nécessairement peu développé ou négligé »[31]. Ceux-ci expliquent même parfois que leur haute mortalité est en partie due à un état préalable à l’abandon : « Le deux tiers de ces enfans meurent dans le premier mois, & dans ces deux tiers, trois cinquièmes, avant d’être donnés aux nourrices. On peut attribuer une partie de cette prodigieuse mortalité au mauvais état dans lequel la plupart de ces enfans sont apportés à l’Hôpital [des Enfants-Trouvés][32]. » Toutefois, cet aspect à lui seul n’explique pas la surmortalité de ces jeunes. En effet, la majorité des enfants déposés à l’hôpital alors qu’ils sont nouveau-nés n’atteignent pas l’âge adulte[33]. À la fin du 18e siècle, 841/1000 de ces enfants recueillis comme nouveau-nés décèdent avant l’âge d’un an à Paris[34]. En comparaison, la mortalité infantile des Parisiens, pour le 18e siècle, est de 278/1000[35]. La mise en nourrice s’avère donc particulièrement mortelle. Le transport vers les nourrices est souvent long et funeste puisque celles-ci sont éloignées du centre parisien, les urbains et les bourgeois ayant de meilleurs moyens pour se payer les nourrices les plus prisées et situées à proximité de la ville[36].

1.1. L’épreuve de la mise en nourrice sous l’Ancien Régime

La mise en nourrice prend donc forme dans ce contexte difficile. Ce dernier marque l’arrière-plan de plusieurs extraits contenus dans les journaux sur l’alimentation des enfants. Les nourrices y prennent habituellement le rôle de ce que nous comprendrions aujourd’hui être celui d’employées d’État[37]. Parfois, bien qu’assez rarement, elles sont reconnues comme de potentielles mères adoptives pour les enfants abandonnés[38]. Les soins qu’elles offrent aux enfants, outre l’allaitement, sont très peu détaillés. Les petits, quant à eux, sont ramenés à des corps qu’il faut d’abord organiser sur le territoire français et, ensuite, sustenter dans un objectif strict de conservation. Certains extraits référençant des statistiques font justement état de cette organisation : « Le nombre des Enfans-trouvés placés actuellement à la Maison des Orphelins, monte actuellement à 1477, dont 263 ont des Nourrices »[39]. Le lien entre les enfants abandonnés de Paris et les nourrices est clair, presque systématique pensé. Lorsque celui-ci est mis à mal, tout particulièrement lors de l’Ancien Régime, les journaux le déplorent : « la rigueur du froid prive l’Hôpital [des Enfants-Trouvés] de Nourrices, lui ôte la possibilité de faire voyager les enfans, & qu’ils s’accumulent dans la maison de la couche, où leur multitude a toujours été cause de leur moralité[40]. » Les deux groupes – les nourrices et les enfants – sont réduits à leur corporéité : les premières représentent des corps qui alimentent, les seconds, des corps à nourrir. Si ce lien est mis à mal, les enfants et les nourrices éprouvent de réelles conséquences passant de la maladie jusqu’au décès.

Ainsi, le lien de dépendance qui unit ces deux groupes, ancré autour de leur corps, est la principale préoccupation. Comme mentionné précédemment, entretenir ce lien n’est pas sans embûches considérant maladies, voyages et vulnérabilité inhérente du nourrisson. En effet, un peu plus de la moitié des représentations de la mise en nourrice est négative (7/13 entrées) lors de l’Ancien Régime. La principale préoccupation en lien avec la mise en nourrice reflète une inquiétude médicale. Six de ces sept entrées soulèvent l’enjeu des maladies communiquées entre les enfants et les nourrices. On infère donc fréquemment qu’il subsiste une crainte de propagation des maladies, tout particulièrement vénériennes : « un grand nombre des Enfans qu’on y amène [à l’hôpital des Enfants-Trouvés] étant infectés, en naissant, du germe de la corruption de leurs pères & mères, ne doivent ni être livrés à des Nourrices auxquelles ils le communiqueroient, ni rester confondus avec les autres Enfans »[41]. La communication de maladies entre les enfants et les nourrices est donc une préoccupation majeure jusqu’au point où les contemporains songent à se détourner du service des celles-ci. Plusieurs articles font aussi état de concours d’académies pour endiguer le problème : « Quel est le moyen de prévenir, dans l’usage ordinaire d’allaiter les Enfans-Trouvés, les dangers qui en résultent, soit pour ces enfans, soit pour leurs nourrices, & par une suite nécessaire, pour la population en général [42]? » Le lien de dépendance est mis à mal par des maladies comme la syphilis, véritable fléau à l’époque, car intraitable. Ce sont donc les problèmes tangibles, médicaux, qui mobilisent la critique d’une alimentation plus ou moins réussie. Les enfants, pour leur part, sont vus comme des vecteurs de propagation : « de la réunion de tant de victimes naît la contagion »[43]. Cette observation sur la propagation des maladies tendra à s’estomper pendant la période révolutionnaire.

1.2. Une Révolution comptable ?

En effet, lors de la Révolution, les problèmes médicaux mettant à mal ce lien entre les corps ne sont plus les principales préoccupations. La mise en nourrice est envisagée d’un œil sévère alors que l’on pourrait s’attendre à une clémence et une empathie davantage prenante lors de cette période qui mise pourtant davantage sur l’adoption et sur les solutions alternatives au placement institutionnel ; deux solutions où les nourrices pourraient prendre un rôle considérable[44].  Les représentations, en réalité, se dégradent. Il n’est plus question d’un échec du lien alimentaire qui unit nourrices et enfants par cause de maladies. Ce sont plutôt les corps représentant des gouffres financiers qui accaparent les journaux et le gouvernement. Sur les souhaits d’outrepasser la mise en nourrice, le Mercure universel écrit en 1794 :

La convention nationale n’entend prononcer qu’avec peine le mot de nourrice. Elle éprouve un sentiment douloureux en apprenant que les registres de l’an dernier du bureau des recommanderesses présentent encore, pour Paris seulement, près de 6000 enfans, qui n’ont pas sucé le lait maternel, sans compter un nombre supérieur, peut-être, tant de ceux qui ont été portés aux enfans trouvés, que de ceux qui ont été envoyés à nourrice sans passer par l’intermédiaire de l’un ou l’autre de ces dépôts[45].

Il serait ainsi plus convenant que les enfants soient conservés auprès de leur mère biologique : la mise en nourrice est dispendieuse et mortelle. Surtout, ce qui tracasse la Révolution avec le modèle mercenaire d’Ancien Régime est l’argent qu’il mobilise : « Cet article [l’un discutant de la prise en charge gratuite des nouveau-nés abandonnés] […] sera funeste aux malades sur les besoins desquels on prendra pour acheter les layettes et payer les mois de nourrice des enfans »[46]. Également, les femmes engagées pour nourrices sont jugées comme inadéquate par le régime :

Il n’y a que des femmes pressées par la dernière indigence à qui puissent convenir de telles conditions[47]. Elles sont obligées de travailler à la terre : partage des soins, fatigues excessives, mauvaise nourriture, grossesse, difficile partout à éviter parmi les nourrices [gagées], mais plus inévitable encore à cette distance et loin de tous surveillans ; tout conspire à la perte des enfans dont elles sont chargées[48].

Le paiement de nourrices jugées importunes nuit aux soins qu’elles procurent. Ce ne sont que des femmes en situation précaire qui se proposeraient à nourrir les petits trouvés. C’est donc un système que la Révolution juge peu fonctionnel et, surtout, peu avantageux financièrement. Soit les nourrices sont considérées difficiles quant au mode de rétribution, soit le gouvernement trouve trop cher payé leur prise en charge des enfants abandonnés. En 1797, elles refusent l’offre du gouvernement :

Pendant l’an 4, les nourrices ont refusé dans presque toutes les communes, le signe monétaire qui leur était présenté ; il a donc fallu que le gouvernement s’occupât d’un nouveau mode de paiement ; ce fut alors que le Directoire exécutif arrêta qu’il serait payé à chaque nourrice, dix myriagrammes de bled par trimestre […]. On crut avoir paré à tout, mais de nouvelles difficultés attendaient l’administration[49].

Ainsi, les nourrices sont pointées comme ajoutant aux difficultés qu’éprouve l’État à gérer, financièrement et concrètement, la conservation des enfants abandonnés. Lorsque le gouvernement peine à se redresse de la situation économique déplorable en France, les nourrices complexifient le paiement de l’État qui doit alors « [tirer] des bleds des magasins qui lui étaient confiés »[50]. L’article de La Clef du cabinet des souverains ajoute que celles-ci se détournèrent de ce service privilégiant une certaine cupidité et se reposant sur les profits de leur mari agriculteur : « L’aisance presque subite des journaliers de la campagne, les ayant mis au-dessus des ressources que l’alaitement [sic] procurait à ces femmes, elles en dédaignèrent les profits, ou elles mirent leurs soins à un prix excessif en numéraire[51]. » Les nourrices sont considérées cupides et leurs soins excessivement dispendieux. Le jugement sévère de celles-ci est étroitement lié aux coûts engendrés par la prise en charge des enfants. En fait, il s’agit surtout du regard d’une période éprouvant des difficultés économiques et qui perçoit les soins aux enfants abandonnés comme des gouffres financiers. Un débat sur la générosité des secours d’État, entre les membres du Conseil des Anciens, en 1796, exemplifie cette problématique : « cet article[52] sera funeste aux finances de la République, parce qu’il ordonne, sans nulle précaution, que la Nation fournira aux frais de nourriture et d’éducation des enfans abandonnés ; ce qui en augmentera le nombre de manière effrayante[53]. » L’attaque envers les nourrices (et leur coût) sert alors à motiver la volonté de s’en détourner. Toutefois, ce n’est pas chose facile, car les enfants ont besoin de ces femmes. Ce lien de dépendance entre les deux groupes est difficilement contournable, car il est presque le seul gage de survie des petits. Ainsi, le Mercure universel imprime une partie du décret du 28 juin 1793 relatif aux secours aux enfants abandonnés : « Ces enfans pourront rester chez leur nourrice pendant tout le temps qu’ils seront à la chrrge [sic] de la nation, […], et pendant tout ce tems elle [sic] recevront la pension attachée à chaque âge[54]. » La Révolution ne parvient pas à contourner la mise en nourrice, malgré toutes ses réticences, et doit donc l’enchâsser dans la loi.

Ainsi, les représentations des enfants en lien avec l’alimentation affichent certaines différences entre les deux régimes. L’Ancien Régime dépeint une image du lien unissant les nourrissons abandonnés et leur nourrice qui demeure particulièrement complexe et affectée par les maladies. La Révolution, quant à elle, plus comptable, s’inquiète surtout de l’argent à insuffler dans ce type de prise en charge. Elle se rend toutefois à l’évidence que le lien unissant ces corps est essentiel à la survie des petits trouvés et qu’elle ne peut être l’éviter sans être témoin de pertes humaines considérables.

2. Le corps médicalisé de l’enfant abandonné : entre secours et opportunisme

Les enfants doivent donc être nourris d’abord et avant tout. Néanmoins, ils sont souvent malades. La petite enfance est une période déterminante pour les jeunes à la fin du 18e siècle. En effet, ces derniers sont souvent affligés par nombre de troubles de santé allant des maladies digestives (gastro-entérites), à celles respiratoires (pneumonies, bronchites, etc.) jusqu’à celles causées par des épidémies (variole, rougeole, diphtérie, etc.)[55]. En outre, les enfants sont fortement affectés par la chaleur ou le froid des régions dans lesquelles ils évoluent[56]. La moralité infantile est donc un enjeu majeur à l’époque. De fait, similairement à tous les autres jeunes, et peut-être même davantage, les enfants trouvés nécessitent des soins et traitements pour espérer leur guérison vis-à-vis de diverses maladies et infections qu’ils contractent. Les représentations, dans les journaux, discutent donc fréquemment de corps malades et de corps qu’il faut soigner. À travers le corpus, plusieurs entrées font mention de troubles de santé avec 39 articles répartis presque uniformément entre les deux périodes (21 et 18 respectivement). Les maladies et les troubles dont les enfants souffrent sont souvent précisés, de sorte que l’on recense non moins de 36 maladies ou troubles différents à travers les articles.

Tableau 1. Nombre d’entrées référant à un trouble ou à une maladie pendant l’Ancien Régime et la Révolution selon l’appellation de l’époque (1780-1800)

Nom des troubles et maladies Ancien Régime Révolution Totaux
Maladies communicables 7 5 12
Maladies vénériennes et syphilis 5 1 6
Muguet 3 1 4
Froid ou gel 1 2 3
Blessures 0 3 3
Petite vérole[57] 2 0 2
Sourd 1 0 1
Muet 1 0 1
Infirmités 0 1 1
Affection rhumatismale 0 1 1
Troubles cutanés (Dartre, Gale…) 1 0 1
Autre 0 1 1
Totaux 21 15 36
Source : Bibliothèque nationale de France, RetroNews, consulté le 2 avril 2024, <www.retronews.fr>

 

 

Ce sont donc d’abord les maladies communicables qui inquiètent les journaux. La catégorie fait référence à toutes les afflictions contagieuses ayant tendance à se propager rapidement. Elle peut également référer aux épidémies qui circulent facilement dans les établissements, compte tenu de leur promiscuité, comme cela avait été le cas aux Enfants-Trouvés du faubourg Saint-Antoine en 1767[58]. Pour ce qui est des maladies vénériennes et de la syphilis, c’est surtout l’Ancien Régime qui s’en enquiert. Ceci peut s’expliquer entre autres par une plus grande propension scientifique à s’interroger sur les moyens de guérir ces maladies et à en éviter la propagation, qui se fait d’enfant à nourrice, puis de nourrice aux autres enfants qu’elle a à charge (ainsi qu’à sa famille)[59]. Le muguet est également une infection soulignée à quelques reprises. Celle-ci est contagieuse et affecte tout spécifiquement les nourrissons au système immunitaire faible. Plusieurs articles de journaux cherchent à en soigner les enfants grâce à divers concours d’académies[60]. Ces mentions de différents troubles et maladies indiquent donc que les deux périodes s’inquiètent des infections qui touchent les jeunes abandonnés.

2.1. L’Ancien Régime et l’enfant « cobaye »

Toutefois, lorsqu’il est question de traitements spécifiques, qu’en est-il ? Ce sont surtout les articles de l’Ancien Régime qui s’enquièrent quant aux possibilités de traitements et d’utilisations médicales des corps des enfants abandonnés. Les entrées qui se rapportent à la Révolution, pour leur part, nomment des maladies ou troubles affectant les enfants sans nécessairement les décrire bien davantage (voir le tableau 1). Ainsi, ce n’est seulement qu’une partie des articles nommant des troubles ou maladies qui présentent aussi des théories scientifiques et des expérimentations à pratiquer sur les enfants abandonnés (17 entrées). Bien que la plupart de ceux-ci visent à trouver des moyens de les nourrir plus efficacement, ces articles ont également des visées utilitaristes[61] dans le but de « tester » des soins sur les petits trouvés pour ensuite les répercuter dans la population générale[62]. De fait, les médecins et scientifiques qui gravitent autour de ces jeunes les voient à la fois comme des corps à soigner et des « cobayes » parfaits[63]. Malgré le militantisme de plusieurs scientifiques suivant la voie de Rousseau pour l’allaitement maternel[64], le manque de nourrices et les grands risques de contagion poussent à trouver de nouvelles solutions pour les petits abandonnés. Plusieurs appels à des concours académiques alimentent également cette recherche de moyens d’outrepasser l’allaitement par les nourrices. Par exemple, l’Académie Royale des Sciences, Belles-Lettres & Arts de Bordeaux annonce l’un des sujets de son concours de mémoires pour 1783 : « quelle est la méthode la meilleure, & en même temps la plus économique, de suppléer au lait de femme, pour la nourriture de ces enfans[65] ? » Souvent, ces appels sont suivis par le prix encouru pour celui qui trouverait réponse(s) à ces questions. Dans le cas de cet appel de l’Académie de Bordeaux, l’article mentionne tout spécifiquement que le gagnant sera récompensé d’un « Prix extraordinaire de deux mille liv., réuni avec une Médaille[66]. » Ce sont donc des prix substantiels qui sont offerts : la volonté de soigner ces jeunes est bien réelle. Ces appels sont d’ailleurs parfois précisés en demandant aux auteurs d’exposer une expérimentation ayant eu des résultats positifs, et non des arguments théoriques[67]. Ainsi, les auteurs de tels mémoires sont poussés vers l’expérimentation. Dans les pages des journaux d’Ancien Régime, on détaille ces expérimentations autour de l’alimentation des enfants trouvés. En avril 1784, le Journal de Paris publie :

On a essayé de nourrir les enfans avec du lait d’animaux ; mais peut-être auroit-on plus de succès en employant le lait de jument ou d’ânesse, sur-tout dans les premiers mois, & en faisant usage de tems en tems seulement du lait de chèvre comme régime ou comme remède. Un essai de ce genre seroit peu coûteux & n’auroit rien de cruel ; supposons en effet qu’on donne à un Médecin instruit & zélé douze enfans-trouvés avec la condition que lorsqu’il trouvera que la méthode essayée les a mis en danger, il pourra sur le champ les confier à de bonnes nourrices[68].

Typique de la période, cet extrait affiche un grand optimisme face aux progrès possibles de la science. Le sujet des expérimentations et des théories sur la supplétion du lait maternel pour du lait d’animal revient fréquemment dans le corpus (8/10 des entrées sur l’expérimentation scientifique lors de l’Ancien Régime). Toutefois, comme nous le verrons cet optimisme est illusoire alors que les résultats concrets sont loin d’être concluants.

2.2. Une Révolution indifférente?

Lors de la Révolution, le sujet tombe à plat. Ceci peut s’expliquer par l’échec indéniable de telles expérimentations sur les enfants. Les nouveau-nés ne pouvaient digérer le lait animal, ni l’eau qui était parfois utilisée pour couper le lait et ce, encore moins à une époque où la pasteurisation n’était pas pratiquée et que la stérilisation des biberons n’était pas encore tout à fait au point[69]. Lorsque le sujet des expérimentations sur l’alimentation est avancé en 1797, Montlinot[70] publie dans La Clef du cabinet des souverains :

On sait aujourd’hui quel fut le résultat des tentatives faites sur l’alaitement [sic] artificiel, par Chamousset, Decrosne, les femmes Necker et Fougeret : on avait cependant pris des précautions inouïes pour faire réussir cet alaitement dont le gouvernement sentait la nécessité. Decrosne avait fait venir de Russie, des tétines de vaches, préparées par une méthode particulière pour cet usage. Des femmes étrangères accoutumées au service des enfans alaités par le lait de vache, furent mandées à Paris. Madame Fougeret faisait transporter dans une litière garnie d’oüate, les enfans qu’elle prenait à la crêche, pour les nourrir à la campagne. Madame Necker entoura le berceau des nouveau-nés, de médecins et de surveillans. Sur 56 enfans réunis en groupe de 12 au plus, à des époques et dans des lieux différens, 52 moururent dans le premier mois[71].

Ainsi, les expérimentations au niveau de l’alimentation sont des échecs. L’intérêt envers les soins à octroyer aux jeunes se perd. Seules cinq mentions d’expérimentations subsistent après 1790[72]. Celles-ci servent principalement à décrier celles produites par le passé ou bien demeurent peu descriptives[73].

Parmi ces entrées sur les expérimentations, la présence d’une mention d’inoculation à la petite vérole nécessite toutefois d’être soulignée compte tenu de son caractère particulier dans l’histoire de la médecine. Alors que les vaccins n’existaient pas à l’époque, certains médecins et scientifiques utilisaient des méthodes d’inoculation visant à augmenter les chances de survie face à la variole. L’inoculation consistait en l’introduction de la variole de forme « bénigne » d’une personne atteinte à une personne saine à l’aide du liquide des vésicules de la première[74]. Le souhait était que la personne saine attrape la variole, y survive, et soit ensuite immunisée pour toute sa vie[75]. C’était toutefois un pari dangereux : l’introduction de la maladie chez l’individu sain ne garantissait pas nécessairement une forme bénigne et elle pouvait déclencher des épidémies[76]. Dans ce contexte, les enfants trouvés se présentaient comme des sujets de choix pour des tentatives d’immunisation. Déjà en 1784, un lecteur du Journal de Paris soutient cette initiative en argumentant qu’il est possible d’inoculer les personnes atteintes préalablement d’autres troubles comme la dartre, la gale ou la goutte. Pour ce faire, il exemplifie son propos à l’aide des enfants trouvés déjà malades : « Dans le nombre des Enfans-Trouvés que j’ai inoculés le 20 Juillet dernier, à l’Orient, partie étoit infectée de ces vices différens ; tous ont eu une petile [sic] vérole bénigne & discrète ; & toutes les fois que le contraire arrive, c’est la faute de l’Inoculateur & non l’Inoculation[77]. » L’auteur prend donc le soin de placer les enfants comme des sujets potentiels pour des inoculations généralisées même s’ils peuvent déjà être affaiblis par d’autres maladies. Loin de délaisser l’idée, la Révolution ancre discrètement sa volonté d’inoculer tous les enfants abandonnés dans son décret du 28 juin 1793 sur les secours à leur octroyer : « Tous les enfans qui seront secourus par la nation, soit chez leurs parens, soit dans l’hospice, soit chez des étrangers, seront inoculés par l’officier de santé, à l’âge et aux époques qu’il croira les plus propres à cette opération[78]. » Il s’agit alors à la fois d’une utilisation pragmatique des corps des enfants, d’une « expérimentation » d’une pratique médicale hasardeuse[79], ainsi que d’une pratique qui se veut égalitariste puisque l’accès à l’inoculation était généralement réservé aux franges les plus aisées de la société. Néanmoins, lors de la Révolution, outre cet élément marginal concernant l’inoculation, la présence d’écrits strictement scientifiques et de longues descriptions médicales cessent alors que les brèves mentions de certaines maladies perdurent. L’intérêt envers les corps qu’il faut soigner se dissipe alors que leur utilité n’est plus d’une grande importance après la constatation d’échec de la plupart des expérimentations scientifiques précédentes. Seul l’intérêt envers les corps malades subsiste, mais sans grande mobilisation scientifique pour y trouver remède. C’est ce que rappellent les 15 mentions de maladies ou de troubles de santé citées dans le tableau 1 qui ne réfèrent généralement qu’à de très courtes remarques dans les journaux révolutionnaires.

Ainsi, le sujet des corps médicalisés est manifeste lorsque les journaux discutent des enfants abandonnés. L’Ancien Régime est particulièrement bavard à ce propos alors qu’il gravite entre une volonté de traiter ces petits et une volonté d’en faire des cobayes pour des traitements expérimentaux. Lorsque ces expériences échouent et que l’utilité de cobaye s’efface, de manière générale, les enfants sont relégués à l’arrière-plan, leur traitement n’étant plus la cible d’efforts concertés de la part de l’État.

Conclusion

En somme, grâce à une échelle temporelle opposant deux décennies, nous pouvons nous intéresser à une période transitoire peu étudiée par l’historiographie. Les sujets de l’alimentation et de la médicalisation des enfants, quant à eux, sont également généralement omis par les études concernant les enfants abandonnés. Par l’entremise de ces sujets, nous constatons généralement que les enfants ne sont jamais abordés par des caractéristiques individuelles. Jamais des jeunes comme Elizabeth L’épine, par exemple, ne sont discutés.  De plus, alors que l’on pourrait s’attendre à une Révolution où l’individu, ses droits, sa liberté et son égalité sont valorisés, les représentations des journaux parisiens dépeignent surtout les corps des enfants abandonnés comme des dépenses économiques importantes ou comme dignes de peu d’intérêt au niveau médical.

Cet article a décrit l’un des angles sous lequel les sociétés d’Ancien Régime et de la Révolution envisagent leurs petits trouvés. En effet, nous constatons que les représentations de ces derniers, dans les journaux, passent par leur corporéité : corps à nourrir, à soigner et sur lesquels expérimenter. Les représentations de la mise en nourrice misent sur le lien de dépendance qui unit l’enfant et la nourrice qui l’alimente. Pendant l’Ancien Régime, ce lien est mis à mal par les maladies qui se communiquent entre ces groupes. Lors de la Révolution, ces représentations changent alors que l’alimentation de ces corps, de ces nourrissons, est considérée comme un gouffre financier. Du côté de la médicalisation des corps des enfants trouvés, ceux-ci sont considérés comme des corps à soigner, mais également, pendant l’Ancien Régime plus spécifiquement, sur lesquels expérimenter. À la fin de la période, quand les expérimentations s’avèrent être des échecs, l’intérêt envers les soins s’atténue et seuls les corps malades demeurent, la Révolution étant peu bavarde sur le sujet. Ainsi, l’Ancien Régime et la Révolution, lorsqu’il est question de la petite enfance des jeunes délaissés, les considèrent d’une manière qui passe par leur corporéité. Cependant, ces représentations se modifient-elles lorsqu’il est question de ces mêmes enfants une fois arrivés au début de l’adolescence et, donc, parvenus au moment propice à la formation d’un travail ?

Références

[1] Elle est alors placée de manière plus permanente au lieu de résidence de la nourrice l’ayant prise en charge. Archives de Paris, Registres chronologiques d’admission (1689-1930), cote D2HET149, entrées entre le 9 avril 1772 et le 16 avril 1772, matricule 2356 : Elizabeth L’épine.

[2] Avant la fondation de l’hôpital des Enfants-Trouvés, on désignait les petits abandonnés d’« exposés », de « délaissés » ou d’« abandonnés ». On les appelait « exposés » puisqu’ils étaient souvent déposés à même la rue ou à des endroits clés de la ville. Avec la fondation de l’hôpital, le vocabulaire s’oriente sur le moment où ils sont récupérés par autrui. En parallèle, l’exposition d’enfants est de moins en moins fréquente jusqu’à la fin du 18e siècle ce qui fait diminuer l’utilisation du terme « exposé ». On les désigne donc de plus en plus de « trouvés ». Isabelle Robin-Romero, « Fondateurs, administrateurs et auteurs face aux enfants délaissés en France aux XVIIe-XVIIIe siècles », dans Florence Magnot-Ogilvy et Janice Valls-Russell, dir., Enfants perdus, enfants trouvés : dire l’abandon en Europe du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Classique Garnier, 2015, p. 144-146.

[3] Claude Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 30, n° 1, 1975, p. 188.

[4] Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », p. 200.

[5] Une part des enfants recueillis à l’hôpital parisien proviennent des provinces françaises. Cependant, leur nombre est difficile à évaluer compte tenu de l’anonymat associé à l’abandon d’enfant. Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », p. 200.

[6] Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », p. 200-202.

[7] Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », p. 208-210 ; Claude Delasselle, « Les enfants abandonnés de l’Hôtel-Dieu de Paris : l’année 1793 », Publications de l’École Française de Rome, vol. 140, n° 1, 1991, p. 503-512.

[8] Fleury et Pronteau, « Histoire de Paris », p. 550‑551 ; Dupoux, Sur les pas de Monsieur Vincent, p. 17-41.

[9] Nicole Sergent, « L’Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris et la réinsertion sociale des Enfants Trouvés, 1751-1789 », mémoire de maîtrise (histoire), Université de Paris-Nanterre, 1971, 106 p. ; Isabelle Robin et Agnès Walch, « Géographie des enfants trouvés de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire, économie & société, vol. 6, n° 3, 1987, p. 343-360 ; Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », p. 187-218 ; Maurice Capul, Abandon et marginalité, Toulouse, Privat, 1989, 215 p. ; Maurice Capul, Infirmité et hérésie, Toulouse, Privat, 1990, 178 p.

[10] Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », p. 187-218.

[11] Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », p. 187-218.

[12] Jean-Pierre Bardet, « L’enfance abandonnée au cœur des interrogations sociales », Histoire, économie & société, vol. 6, n° 3, 1987, p. 291-299.

[13] Egle Becchi et Dominique Julia, Histoire de l’enfance en Occident, Tome 2 : Du XVIe à nos jours, Paris, Seuil, 2004, 514 p. ; Colin Heywood, A History of Childhood. Children and Childhood in the West from Medieval to Modern Times, Cambridge, Polity Press, 2013, 240 p.

[14] Marie-France Morel, « Théories et pratiques de l’allaitement en France au XVIIIsiècle », Annales de démographie historique, 1976, p. 393-427.

[15] Marie-France Morel, « À quoi servent les enfants trouvés ? Les médecins et le problème de l’abandon », Publications de l’École française de Rome, n° 140, 1991, p. 837-858.

[16] Magnot-Ogilvy et Valls-Russell, dir., Enfants perdus, enfants trouvés, 400 p.

[17] Catriona Seth, « La dame de cœur et le ruban couleur de chair. “Remarques” et “excuses” d’enfants trouvés des Lumières », dans Magnot-Ogilvy et Valls-Russel, dir., Enfants perdus, enfants trouvés, p. 215-237.

[18] Notons, outre les contributions déjà mentionnées : Philippe Aragon, « L’enfant délaissé au Siècle des Lumières », Histoire, économie & société, vol. 6, n° 3, 1987, p. 387-398 ; Gilles Merien, « Les enfants trouvés sous le Directoire et le Consulat », Histoire, économie & société, vol. 6, n° 3, 1987, p. 399‑408.

[19] Voici les mots clés sélectionnés : enfant abandonné, enfant délaissé, enfant trouvé et enfant exposé ainsi que leurs variations orthographiques et au pluriel.

[20] À noter que nous avons exclu le Courrier des spectacles, ou journal des théâtres afin de favoriser les journaux colportant des représentations sociopolitiques des enfants plutôt que des représentations littéraires. Ces dernières, bien qu’importantes, ont été largement abordées par l’historiographie. Magnot-Ogilvy et Valls-Russell, Enfants perdus, enfants trouvés, 400 p.

[21] Cette approche consiste d’abord à faire une lecture du corpus, puis, par processus inductif, à en déceler des catégories, des thématiques principales. Par une deuxième lecture, nous trions ensuite l’information dans ces diverses catégories. David R. Thomas, « A General Inductive Approach for Analyzing Qualitative Evaluation Data », American Journal of Evaluation, vol. 27, n° 2, Juin 2006, p. 241-242.

[22] Madeleine Cerf, « La Censure Royale à la fin du dix-huitième siècle », Communications, n° 9, 1967, p. 2-27 ; François Moureau, « Informer et diffuser la pensée dans la France du dernier siècle de l’Ancien Régime », Lumens, vol. 28, 2009, p. 32 ; Gilles Feyel, La presse en France des origines à 1944 : histoire politique et matérielle, Paris, Ellipses, 1999, p. 37.

[23] L’hôpital est également associé à l’hospice de Vaugirard, mais son statut est plus particulier et sa patientèle n’est pas exclusivement composée d’enfants abandonnés. Nous y reviendrons.

[24] Ils étaient également enregistrés dans un registre de l’hôpital avec des informations sommaires. Isabelle Robin et Agnès Walch, « Les billets trouvés sur les enfants abandonnés à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles », Publications de l’École Française de Rome, vol. 140, n° 1, 1991, p. 981‑991.

[25] Robin et Walch, « Géographie des enfants trouvés de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles », p. 354-359.

[26] Sergent, « L’Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris », p. 20.

[27] Environ 4 500 enfants par an sont abandonnés à l’hôpital entre 1770 et 1790. Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », p. 199.

[28] Sergent, « L’Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris », p. 20.

[29] Robin et Walch, « Géographie des enfants trouvés de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles », p. 354.

[30] François Alexandre Frédéric de la Rochefoucauld-Liancourt, Rapport fait au nom du comité de mendicité, des visites faites dans divers hôpitaux, hospices et maisons de charité de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1790, p. 21.

[31] M. de Bourmard cité dans « Mémoire sur cette question : Quels seroient les Moyens compatibles avec les bonnes mœurs, d’assurer la conservation des Bâtards […] », Mercure de France, 24 mai 1788, p. 168.

[32] « Administration », Gazette nationale ou le Moniteur universel, 16 octobre 1790, p. 1200.

[33] Même les plus anciens ouvrages en font état. Ex. : Jacques Dehaussy, L’assistance publique à l’enfance : les enfants abandonnés, [s.l.], Recueil Sirey, 1951, p. 24.

[34] Jean-Pierre Bardet, Corinne Martin-Dufour et Jacques Renard, « La mort des enfants trouvés, un drame en deux actes », Annales de démographie historique, n° 1, 1994, p. 137.

[35] Stéphane Minvielle, La famille en France à l’époque moderne, Paris, Armand Colin, 2010, p. 260.

[36] Robin et Walch, « Géographie des enfants trouvés de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles », p. 352 et p. 358 ; Bardet, Martin-Dufour et Renard, « La mort des enfants trouvés, un drame en deux actes », p. 135-150.

[37] Clyde Plumauzille, « L’allaitement nourricier des petits Parisiens : naissance d’un service public au XVIIIe siècle » dans Pascal Bastien et Simon Macdonald, dir., Paris et ses peuples au XVIIIe siècle, Paris, Édition de la Sorbonne, 2020, p. 39-48.

[38] Les cas des figures parentales substitutives sont relativement fréquents dans les journaux. Dans un souci de concision, nous aborderons cet aspect dans un prochain travail.

[39] « De Vienne, le 27 Octobre 1784 », La Gazette de France, 12 novembre 1784, p. 373.

[40] « Bienfaisance », Journal de Paris, 7 janvier 1789, p. 34-35.

[41] « De Paris, le 6 juin », Gazette du commerce, 12 juin 1781, p. 374.

[42] « Académie », Journal de Paris, 14 octobre 1782, p. 1169.

[43] « Bienfaisance », Journal de Paris, 11 avril 1788, p. 453.

[44] Plusieurs discussions, au début de la période révolutionnaire, dans les journaux, gravitent autour de la possibilité d’adopter des enfants abandonnés ; possibilité qui n’est alors pas réalisable légalement en France. En voici des exemples : « Assemblée nationale », Mercure universel, 10 janvier 1792, p. 155 ; Condorcet cité dans « Convention nationale », Journal des débats et des décrets, 19 janvier 1793, p. 272. Pour ce qui est de l’évitement du placement institutionnel, les nombreux projets de loi révolutionnaires priorisent des alternatives comme le placement chez des particuliers ou en nourrice. Ceci s’explique par un certain pragmatisme économique, entre autres. Nous élaborerons davantage ces deux aspects dans notre mémoire de maîtrise.

[45] « Convention nationale », Mercure universel, 29 janvier 1794, p. 159.

[46] « Conseil des Anciens », Journal des débats et des décrets, 17 décembre 1796, p. 424

[47] On parle ici des voyages nécessaires pour aller chercher les enfants trouvés. Voyages qui peuvent parfois être très longs et laborieux. On parle aussi de la faible paie qui serait de 7 livres par mois. « Hopitaux », Gazette nationale ou le Moniteur universel, 17 janvier 1790, p. 73.

[48] « Hopitaux », Gazette nationale ou le Moniteur universel, 17 janvier 1790, p. 73.

[49] Montlinot, « Des enfans abandonnés », La Clef du cabinet des souverains, 23 juin 1797, p. 1410.

[50] Ceci s’inscrit dans un contexte de suppression des assignats en 1796. Les assignats étaient une sorte de monnaie « papier » créée par la Révolution dans le contexte de vente des biens nationaux. Entre 1795 et 1797, cependant, la fin de plusieurs guerres, dont, surtout, celle avec l’Espagne, permet à nouveau la circulation de monnaie en numéraire. De plus, la dévaluation de la monnaie et l’inflation qui a sévi tout au long de la Révolution rendent l’établissement des prix difficiles et les assignats valent peu. En été 1796, c’est le prix du blé qui est reconnu comme base du système économique. Ainsi, la demande des nourrices s’explique possiblement par ce manque de constance et à une potentielle difficulté à obtenir de la monnaie en numéraire à la suite de la suppression des assignats tandis que le blé restait une valeur économique sûre. Michel Bruguière, « Assignats », dans François Furet et Mona Ozouf, dir., Dictionnaire critique de la Révolution française. Tome 3 : Institutions et créations, Paris, Flammarion, 2017 (1992), p. 70-75. Pour l’extrait de source voir : Montlinot, « Des enfans abandonnés », La Clef du cabinet des souverains, 23 juin 1797, p. 1409-1410.

[51] Montlinot, « Des enfans abandonnés », La Clef du cabinet des souverains, 23 juin 1797, p. 1410.

[52] On discute ici de l’article premier de la résolution du 25 brumaire de l’an 5 (15 décembre 1796) sur les enfants abandonnés. Celui-ci souligne que les nouveau-nés abandonnés seraient reçus dans les hospices civils et, ce, gratuitement.

[53] « Conseil des Anciens », Journal des débats et des décrets, 17 décembre 1796, p. 424.

[54] « Convention nationale », Mercure universel, 5 juillet 1793, p. 80.

[55] Jean-Claude Sangoï, « La mortalité infantile en Europe occidentale au XVIIIe siècle » dans Robert Fossier, dir., La petite enfance dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 1997, https://doi.org/10.4000/books.pumi.23672.

[56] Sangoï, « La mortalité infantile en Europe occidentale au XVIIIe siècle », https://doi.org/10.4000/books.pumi.23672.

[57] La petite vérole fait référence à ce que nous appellerions aujourd’hui la variole. Dans cet article, les deux termes réfèrent ainsi à la même infection.

[58] Compte tenu des nombreux décès et maladies, l’établissement avait pris la décision d’admettre un nombre inférieur d’enfants à Saint-Antoine, soit 600 au lieu de 800. Sergent, « L’Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris », p. 18.

[59] Comme nous avons pu le constater précédemment, c’est principalement la communication de maladies entre nourrices et enfants (habituellement la syphilis) qui explique les représentations négatives en lien avec celles-ci lors de l’Ancien Régime.

[60] « De Paris, 11 avril 1786 », Gazette de France, 11 avril 1786, p. 123-124 ; « De Paris, le 12 avril », Mercure de France, 29 avril 1786, p. 131-132 ; « De Paris, le 5 mai 1786 », Gazette de France, 5 mai 1786, p. 151-152.

[61] Marie-France Morel, « À quoi servent les enfants trouvés ? Les médecins et le problème de l’abandon », Publications de l’École française de Rome, n° 140, 1991, p. 837-858 ; Catriona Seth, « L’inoculation contre la variole : un révélateur des liens sociaux », Dix-huitième siècle, vol. 41, n° 1, 2009, p. 137-153.

[62] Ceci n’est pas toujours avoué dans les journaux. Néanmoins, une entrée discute des prisonniers pour dettes de nourrice et évoque, pour remédier à la situation, d’expérimenter l’alimentation de lait d’animaux sur les enfants trouvés pour trouver le meilleur moyen de substituer au lait maternel. « Bienfaisance », Journal de Paris, 15 avril 1784, p. 465.

[63] Morel, « À quoi servent les enfants trouvés ? », p. 837-858 ; Seth, « L’inoculation contre la variole : un révélateur des liens sociaux », p. 137-153.

[64] Mathilde Le Luyer et Bernard Le Luyer, « Pratique d’allaitement des enfants du Moyen Age à l’époque contemporaine », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, n° 5, 2005, p. 162-163.

[65] « Académie », Journal de Paris, 14 octobre 1782, p. 1169.

[66] « Académie », Journal de Paris, 14 octobre 1782, p. 1169.

[67] « De Paris, le 25 septembre », Mercure de France, 29 septembre 1781, p. 229.

[68] & c. Z. Arithméticien, « Bienfaisance », Journal de Paris, 15 avril 1784, p. 465.

[69] Marie-France Morel, « Théories et pratiques de l’allaitement en France au XVIIIsiècle », Annales de démographie historique, 1976, p. 422-423.

[70] Charles Joseph Antoine Leclerc de Montlinot est d’abord connu comme philanthrope. À la fin de l’Ancien Régime, il est particulièrement vocal dans son mécontentement devant la gestion des hôpitaux. Durant les débuts de la Révolution, il travaille avec le Comité de Mendicité sur le remaniement de cette gestion. Il demeure impliqué dans les différents gouvernements révolutionnaires, principalement en ce qui concerne la gestion des secours publics. Il est happé difficilement par les problèmes financiers qui talonnent la Révolution. Guy Thuillier, « Un expert en mendicité : Montlinot (1732-1801) », La Revue administrative, vol. 53, n° 315, mai-juin 2000, p. 245-252.

[71] Montlinot, « Des enfans abandonnés », La Clef du cabinet des souverains, 23 juin 1797, p. 1410.

[72] Deux entrées sont compilées lors de 1790 et font suite aux idées de l’Ancien Régime démontrant à quel point il s’agit d’une période transitoire entre les deux régimes.

[73] Une grande part d’entre elles (3) tombent plus du côté de l’observation scientifique (contrôlée) que de l’expérimentation alors que des scientifiques recensent des informations sur « l’état de nature » d’un enfant abandonné retrouvé dans les bois. Pour ne pas dédoubler les catégories d’analyse, nous avons inclus ce cas dans les expérimentations.

[74] Georges Vigarello, « Inoculer pour protéger », Communications, n° 66, 1998, p. 66.

[75] La variole ne s’attrape qu’une seule fois.

[76] Seth, « L’inoculation contre la variole : un révélateur des liens sociaux », p. 43.

[77] Sutton, « Médecine », Journal de Paris, 20 septembre 1784, p. 1116.

[78] « Convention nationale », Mercure universel, 5 juillet 1793, p. 80.

[79] Elle est reconnue également comme telle par plusieurs à l’époque. Seth, « L’inoculation contre la variole : un révélateur des liens sociaux », p. 137-153