Les échanges des techniques et des idées durant la période Meiji : entre colonisation culturelle et protection de la tradition

Basile Blanchard Larochelle

Candidat à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

 

Table des matières
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    Introduction

    La fin de la période Edo est marquée par un déclin du pouvoir des shoguns Tokugawa qui, pour y remédier, tentent de réaliser un grand nombre de réformes politiques. Après la première guerre de l’opium (1839-1842) durant laquelle les Britanniques ont imposé des traités inégaux à la Chine, la stabilité du régime Tokugawa est menacée. Effectivement, seulement onze ans plus tard, soit en 1853, les forces américaines menées par l’amiral Perry sont envoyées au Japon afin de négocier la mise en place de traités inégaux entre les États-Unis et le Japon. Ces « négociations » sous la menace des canonnières sont menées du côté japonais dans la peur de subir un sort similaire à celui de la Chine, voire de subir la colonisation occidentale. Ainsi, afin de conserver son indépendance, le Japon acquiesce à la mise en place de plusieurs ports de traité. Après les États-Unis, d’autres puissances se précipitent au Japon pour profiter de son ouverture forcée.

    Les tensions politiques qui s’en suivent causent l’éclatement de la guerre du Boshin (戊辰戦争, Boshin sensō, littéralement « guerre du Boshin »), qui oppose les samouraïs provenant des régions de Satsuma et de Choshu, des partisans farouches de la restauration impériale, et les forces shogunales. Ce conflit interne se termine en 1869 à la suite de l’écrasement des forces shogunales restantes[1]. L’année 1868 marque donc la fin du régime shogunal dont la chute fut précipitée par de nombreux problèmes économiques et politiques internes, ainsi que par l’intrusion brutale des puissances occidentales dans l’espace japonais. L’empereur japonais Mutsuhito (1852-1912) et ses conseillers sont conscients des défis importants que doit relever le Japon afin de répondre à cette menace. Son gouvernement lance donc le Japon dans une restructuration complète de l’appareil étatique et de la société dans son ensemble. Cette nouvelle période sera connue sous l’appellation d’ère Meiji (Meiji jidai ou 明治時代), ce qui signifie « gouvernement éclairé » (1868-1912)[2]. Un système d’éducation publique, une nouvelle stratégie d’ouverture économique et d’apprentissage de l’étranger, une formation de l’armée moderne et une refonte du système politique se développent alors. La période Meiji projette ainsi le Japon dans une ère industrielle de manière accélérée.

    Dans cet effort de modernisation, plusieurs apprentissages techniques prennent place pour permettre aux jeunes experts japonais d’acquérir les savoir-faire occidentaux. Un grand nombre de penseurs, d’ingénieurs et de professeurs occidentaux commence à s’installer au Japon au cours de la décennie 1870. Ils sont placés dans des postes centraux de plusieurs organes de l’État japonais. Cependant, cet apprentissage ne se fait pas sans incorporer une partie des coutumes et des mœurs européennes que le gouvernement Meiji s’efforce d’émuler. Les penseurs japonais affirment que la volonté du gouvernement japonais de plaire à l’étranger et d’être reconnu comme une nation moderne vient mettre de côté la culture et les mœurs japonaises, voire les effacer au profit de celles des observateurs occidentaux. Cependant, l’ensemble des détracteurs de l’occidentalisation de la société japonaise défend tout de même l’importance de l’apprentissage des techniques occidentales et de leur maintien dans le développement de la nation japonaise moderne. C’est d’ailleurs cette ambivalence qui se trouve au centre des interactions entre le Japon et les puissances occidentales durant toute la période (1868-1912). Ainsi, quelles sont les conséquences de ces échanges avec les pays occidentaux pour le Japon entre 1868 et 1905? Nous affirmons que l’Occident a agi en tant que formateur de la main-d’œuvre japonaise et en tant qu’investisseur important. Si ces rôles ont influencé grandement le développement de la nation japonaise d’un angle économique et technique, ils ont aussi mené à une remise en question de leur implication et de leur importance par rapport à l’Occident. Afin de le démontrer, nous allons analyser les échanges et l’importation de matériel, le savoir-faire acquis auprès de l’Occident et, finalement, l’organisation de la production locale qui remet en question le rôle de l’Occident dans l’archipel. Un accent sera mis sur le développement ferroviaire au Japon afin de mieux observer les impacts de cette collaboration.

    Une vision d’une modernité incomplète se construit d’abord, tant dans l’historiographie japonaise qu’occidentale. Ainsi, des chercheurs comme Fukuzawa Yukichi (1835-1901) présentent le monde en trois catégories, soit les pays occidentaux ayant dominé la nature, les pays non civilisés qui sont dominés par elle et une section se situant entre les deux, dans laquelle se situe le Japon, la Chine, l’Inde et la Turquie, car le Japon n’est pas perçu comme totalement civilisé et il faut que ce pays s’inspire de l’Occident pour y parvenir[3]. Ainsi, le Japon se doit d’étudier le monde occidental et il s’agit d’un combat que tous les citoyens doivent mener pour atteindre la civilisation. C’est dans cet ordre d’idées que quelques années plus tard, Fukuzawa écrit que le Japon est presque arrivé à la civilisation, contrairement à la Corée qui ferait encore partie des peuples barbares[4]. Dans une vision occidentaliste, la modernité japonaise est perçue comme n’ayant jamais pu atteindre les critères de la modernité européenne qui, comme nous l’avons vu plus tôt, servent de point final à atteindre dans le processus de modernisation[5]. Cette perception négative de l’expérience de la modernité japonaise va perdurer dans l’historiographie occidentale jusqu’aux années 1980. Cependant, les premières fissures de ce modèle commencent à apparaitre dès les années 1960[6].

    Effectivement, au début des années 1960, le renouveau historiographique qui prend place au Japon est très similaire aux social studies qui sont développées en Inde[7]. Toutefois, ces nouvelles recherches japonaises ont seulement été publiées en japonais, ce qui a grandement limité leur portée sur le développement de l’historiographie occidentale[8]. Cette nouvelle tendance se poursuit par la suite dans les études sociales en se concentrant sur la question du miracle économique japonais pendant les années 1970. Un retour à la vision négative de l’unicité japonaise, qui prévalait dans les études portant sur la question de la modernité japonaise depuis la fin du XIXe siècle, prend place afin de la réhabiliter et de la mettre au centre de ce nouvel essor économique[9].

    Ainsi, lorsque le courant postmoderne commence à prendre de l’ampleur dans l’historiographie occidentale pendant les années 1980, la vision linéaire de la modernité commence à être remise en question. Effectivement, comme nous l’avons mentionné, avec la chute du bloc soviétique, un questionnement en lien avec la modernité et la prédominance du modèle européen s’ouvre[10]. Les chercheurs tentent donc de mettre en avant de nouvelles théories, comme celle des modernités multiples, et des nouvelles approches, comme celle de l’histoire globale[11]. C’est dans ce contexte que l’historiographie entourant la modernité japonaise se met à changer. Les chercheurs cessent de traiter d’une spécificité japonaise ou d’une unicité japonaise, pour simplement étudier des caractéristiques particulières de la forme de modernité s’étant développée au Japon[12]. Cette nouvelle approche s’inscrit dans la volonté du développement d’une histoire globale[13]. Ainsi, les chercheurs remettent en question la centralité des évènements européens dans le développement de l’État moderne pour en faire de simples composantes de cette historiographie. Finalement, à travers ce changement d’approche entourant à la fois la modernité, mais aussi la question japonaise, il devient possible pour les chercheurs de s’intéresser simplement à la question du Japon, sans tenter de mettre en place des comparatifs entre des modèles différents.

    C’est dans ce contexte qu’un grand nombre de chercheurs vont commencer à se pencher sur de nouvelles questions entourant le concept de modernité et celui de la modernité japonaise[14]. C’est par exemple le cas de Jilly Traganou qui s’interroge, dans son ouvrage publié en 2002 The Tôkaidô Road Travelling and Representation in Edo and Meiji Japan, sur le développement des représentations de la route Tokaido aux XVII-XIXe siècles. Pour ce faire, cette étude se base donc non seulement sur l’historiographie japonaise consacrée au développement de cette route commerciale, qui avait été laissée de côté par les ouvrages plus anciens, mais aussi sur la perception japonaise de la transformation de cette voie par le processus de modernisation entrepris au Japon à partir de 1868. Cet ouvrage se concentre donc sur la modernisation du territoire et la manière dont celle-ci s’illustre dans les représentations faites de la route Tokaido entre les deux périodes, que ce soit en utilisant des illustrations des postes et des paysages qui la jalonnent ou les mentions la concernant dans la littérature. Il place ainsi la réalité japonaise au centre de la question que l’on pose à l’histoire, s’inscrivant ainsi dans le cadre de l’histoire[15].

    Il nous est également possible de distinguer cette transformation des perceptions dans l’ouvrage de Pierre-François Souyri, Moderne sans être occidental : aux origines du Japon d’aujourd’hui (2016), dans lequel l’auteur se penche directement sur la notion de modernité japonaise, en mettant en place une recherche centrée sur ses spécificités et en questionnant par le fait même l’historiographie préalable sur le sujet. Il parvient donc au bout de son étude à démontrer que celle-ci, bien qu’ayant connu un début différent, ne se détache pas du monde dans lequel elle prend place. La société japonaise moderne se développe donc au même rythme que les États occidentaux de l’époque, ce qui la confronte à des mouvements populaires de la même nature que ceux-ci. Pour ce faire, l’auteur nous propose un survol du développement de la nation japonaise moderne en soulignant le rôle prépondérant joué par les penseurs japonais, qui étaient pour la plupart des anciens samouraïs, ainsi que par le gouvernement Meiji dans la mise en place de cette modernité.

    Ce courant historiographique connaît d’ailleurs une croissance depuis le tournant des années 2000 : la remise en question de la modernité japonaise pousse les chercheurs à se pencher non seulement sur ses aspects, mais aussi sur les impacts de cette dernière sur l’ensemble des aspects de la société japonaise. Les chercheurs veulent donc d’illustrer l’effet de la modernité spécifique du Japon sur l’ensemble des éléments de l’État. Ils tentent de démontrer l’impact réel de l’influence occidentale dans les organes de l’État, mais aussi de prouver que cette incursion des nations européennes et des États-Unis ne présente pas l’ensemble des réponses entourant le développement de la société japonaise au cours de la période Meiji[16].

    Cette approche permet aux lecteurs de mieux saisir les enjeux particuliers liés à l’entrée du Japon dans la modernité, tout en remettant en question le rôle central accordé à l’Occident dans son historiographie traditionnelle. Bien qu’il soit effectivement question d’une fascination envers l’Occident, l’auteur (Souyri) en déduit plutôt une volonté à se conformer pour éviter la colonisation qu’une réelle occidentalisation de la société japonaise. De ce fait, même si certains savoirs et certaines coutumes occidentales sont adoptés, la mentalité de la majorité de la population restait japonaise[17]. Pour ce qui est de cet ouvrage (Moderne sans être occidental), l’approche utilisée par l’auteur afin de définir la modernité japonaise sert de fondement à notre analyse. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, les définitions utilisées au cours de notre recherche entourant la modernité au sens large et la modernité spécifique japonaise proviennent de celui-ci.

    Afin d’étudier les conséquences de ces échanges avec les pays occidentaux pour le Japon (1868 et 1905), les principales sources que nous avons mobilisées sont tous les articles mentionnant le développement ferroviaire du Japan Weekly et du tous les articles mentionnant le Japon du journal Le Génie civil : revue générale des industries françaises et étrangères (1891-1900). Ainsi que les rapports du Railway Bureau[18] rédiger par l’ingénieur Francis Trevithick publier en 1894 couvrant le développement du réseau ferroviaire depuis 1880 sur le territoire japonais. En prenant en compte des sources tirées du périodique japonais Japan Weekly, cela permet à notre étude d’avoir un angle d’approche centré sur la perception locale du développement des échanges techniques et culturels. De plus, ce journal nous permet de comprendre pleinement les opérations se produisant au quotidien concernant le développement industriel, les mouvements de revendications et la présence de ressortissants européens sur le territoire. En ce qui concerne la revue française, cette dernière traite des avancements scientifiques et techniques dans le monde et mentionne régulièrement des avancées japonaises entourant le développement des voies d’eau et des chemins de fer. Cela nous permet donc de voir le développement de l’ingénierie japonaise, ainsi que la perception européenne de la technologie japonaise. Ce journal se concentrait surtout, au début de notre cadre temporel, sur l’apprentissage des ingénieurs japonais de l’Occident. Progressivement, il étudie les avancées japonaises comme une réalité à part entière. Finalement, les rapports de M. Trevithick nous offrent une fenêtre sur l’ensemble du projet de construction ferroviaire et sur la perception des spécialistes étrangers qui participent à son édification.

    1. Les échanges techniques avec l’Occident et la formation de la main-d’œuvre japonaise

    À partir de l’arrivée des puissances occidentales au Japon avec l’amiral Perry en 1853, les technologies et les coutumes occidentales ont fait leur entrée dans l’archipel. Les échanges commerciaux et la mise en place d’institutions comme le Bansho Shirabesho[19] viennent exacerber les partages techniques et culturels[20]. Dans le but de pouvoir rattraper le retard technologique de la société japonaise face à l’Occident, la grande ambassade Iwakura est envoyée en Europe et en Amérique du Nord[21]. La mission de cette dernière est d’abord d’observer les nations occidentales et d’apprendre de leur structure étatique, puis de recruter des spécialistes voulant se rendre au Japon afin de partager leurs connaissances, et finalement, de laisser des étudiants sur place[22]. De retour au Japon, les jeunes chercheurs ayant participé à l’aventure forment de nouveaux spécialistes aux sciences et techniques occidentales[23]. C’est d’ailleurs dans ce contexte que plusieurs ingénieurs ferroviaires sont recrutés en Europe comme Francis Trevithick[24].

    Les échanges entre les dignitaires qui font partie de la mission et les membres du gouvernement qui sont restés au pays permettent de lancer immédiatement la mise en place d’une série de modifications dans la société japonaise. Des réformes d’envergure sont entreprises afin de modifier les systèmes d’éducation et de distribution des terres avant le retour de la mission, et les correspondances avec la mission Iwakura permettent de mieux comprendre certains de ces enjeux dans le cadre occidental. La structure sociale même du Japon est ainsi redéfinie[25]. Ces changements sont réalisés dans le but de favoriser la transition du Japon vers la modernité. Cela dit, le transfert des connaissances occidentales au Japon se déroule en plusieurs étapes et à différentes échelles. Par exemple, plusieurs nouveaux établissements d’enseignement divers sont ouverts afin de favoriser la diffusion des connaissances occidentales. C’est dans ce contexte qu’apparaissent l’Institut de formation militaire en 1855 et l’Université de Tokyo en 1877[26].

    Dans le secteur manufacturier, plusieurs entreprises se développent également en suivant les incitatifs gouvernementaux. Les industries de la soie et du textile se modernisent particulièrement rapidement grâce à l’arrivée de spécialistes et à l’importation des équipements manufacturiers occidentaux. C’est alors qu’apparaissent de premières usines modernes telles que la filature de soie de Tomioka située dans la préfecture de Gunma, au nord-ouest du Tokyo. Il s’agit d’un véritable complexe industriel, construit par le gouvernement japonais avec les machines importées de France. Il s’agit non seulement d’un lieu de production de la soie grège, mais aussi d’un espace de formation, avec une ferme expérimentale et une école pour former les ouvriers. Sa création et sa réussite – le Japon va devenir l’un des principaux producteurs serricoles mondiaux au début du XXe siècle – témoignent de cette volonté des élites politiques japonaises de maîtriser rapidement les techniques de production modernes pour les mettre au profit du développement national[27]. La filerie de Tomioka est un exemple de leur familiarisation avec les méthodes de production en série et de travail de masse, tout en ouvrant la porte des marchés internationaux à la production japonaise.

    Parallèlement, un important réseau de canaux s’est également développé sur le territoire afin de permettre le transport plus rapide des biens de consommation produits par la nouvelle industrie japonaise. En effet, bien que des canaux étaient déjà utilisés au Japon avant la période Meiji, l’arrivée des Occidentaux et le développement industriel augmentent grandement les besoins entourant le transport de matériel[28]. Ainsi, les ingénieurs japonais vont utiliser les connaissances qu’ils possèdent déjà, associées au savoir-faire de leurs nouveaux « alliés », pour procéder à la construction de canaux plus grands et plus adaptés aux volumes des marchandises qui doivent être transportés[29]. Nous observons dans les journaux de l’époque une continuité de l’importation de matériel européen à travers les articles qui traitent de la croissance de celle-ci. Ainsi, au cours de l’année 1888, l’importation de marchandises au Japon représente 56, 9 millions de yens, soit une augmentation de 31% par rapport à l’année précédente[30]. Cette croissance s’explique non seulement par l’augmentation de la demande des biens européens sur le territoire, mais aussi par la dépendance des industries japonaises de la machinerie en provenance de l’étranger[31].

    L’introduction de techniques occidentales au Japon demande cependant la présence de spécialistes occidentaux afin qu’ils puissent former la main-d’œuvre japonaise à leur application. Dans le but de faciliter la transition de la société japonaise vers la modernité européenne, plusieurs spécialistes sont invités au Japon afin de partager leurs connaissances. Ils ont comme instruction de conseiller le gouvernement Meiji dans la formation d’organes de l’État afin de permettre une industrialisation plus efficace du territoire[32]. Ce faisant, certains de ces ressortissants étrangers se retrouvent à la tête de zaibatsu[33] pour s’assurer de la transition vers le modèle occidental. Le cas de Trevithick est un bon exemple : arrivé au Japon en 1876 sur l’invitation du gouvernement japonais, il va diriger le Railway Bureau pendant plus de 20 ans[34]. Dans d’autres cas, les spécialistes étrangers furent licenciés à la fin de leur contrat. Plusieurs d’entre eux passent d’une compagnie à une autre afin de diffuser leurs connaissances plus largement. Cette situation particulière s’illustre par la présence dans les journaux japonais de l’époque des annonces de ce type :

    A German, 46, in good health, thoroughly experienced with brewery and distillery concerns, having for many years successfully established and managed large breweries and spirit and brandy distilleries in connection with pressed yeast manufacturing, is open to a similar engagement in Japan. Advertiser could thoroughly train Japanese bakers in European baking with pressed yeast[35].

    Dans cette annonce, l’auteur fait valoir l’importance de son expérience avec les méthodes européennes, ainsi que ses origines allemandes, garantes de ses compétences. De plus, il propose ses services afin d’aider à la formation des Japonais aux techniques occidentales. Cela nous permet donc de déduire que les critères qu’il choisit de mettre de l’avant sont considérés comme désirables et lui permettent d’obtenir un meilleur salaire. Ainsi, ces travailleurs étrangers participent à la formation de la main-d’œuvre locale, tout en faisant partie de celle-ci. Lorsque les Japonais ont accumulé suffisamment de connaissances et compétences nécessaires, la production interne de la marchandise industrielle se développe rapidement[36].

    Ces échanges de savoirs ne se limitent pas aux connaissances techniques. Plusieurs penseurs tels que Fukuzawa Yukichi soulignent également l’importance des transferts idéologiques et culturels pour la modernisation complète de la société japonaise[37]. L’arrivée de spécialistes occidentaux, mais, surtout, le retour de jeunes esprits japonais ayant étudié à l’étranger contribue à ce processus[38]. C’est ainsi que plusieurs groupes de débats tels que le Meirokusha (明六社, Meirokusha littéralement société de l’an 6)[39] sont mis en place afin d’offrir une plateforme aux jeunes spécialistes désirant partager les connaissances des Lumières avec l’ensemble de la population[40]. Cette dernière est d’abord invitée à observer les débats afin de se familiariser avec l’art de la joute oratoire. Progressivement, les membres de l’audience qui gagnent en confiance peuvent y participer et partager leurs points de vue. Cette initiative a un but d’éducation populaire aux enjeux politiques modernes. Son objectif final, toutefois, fut de convaincre le peuple de s’intéresser aux questions politiques et de s’impliquer dans la construction de l’État japonais moderne[41].

    Dans ses écrits, Fukuzawa Yukichi explique qu’il s’agit d’une étape nécessaire puisque « Le gouvernement a une tendance naturelle à se comporter de manière autoritaire, le peuple a une tendance naturelle à rester inerte et sans énergie[42]. » Nishi Amane (1829-1897), quant à lui, déclare que : « Le fait que le Japon connaisse une continuité dynastique depuis deux mille cinq cent trente-cinq ans, c’est-à-dire depuis la fondation de l’Empire par Jimmu, montre l’enracinement profond des mentalités d’esclave parmi les Japonais[43]. » Amane et Fukuzawa sont donc partisans d’un éveil d’une forme de conscience collective qui favoriserait le développement du Japon, tant sur le plan social que technique en utilisant des connaissances occidentales. Les idées de Fukuzawa et Amane ont été très influentes dans le développement de l’opinion publique japonaise et des revendications politiques de la société. Ils ont donc joué un rôle important dans la formation de l’État japonais moderne.

    Ce faisant, les transferts de connaissances et de techniques en provenance de l’Occident permettent aux industries japonaises de se développer rapidement afin de répondre à une demande grandissante du matériel manufacturier autant à l’interne qu’à l’externe. L’implantation des techniques occidentales permet de pousser la société japonaise vers l’industrialisation, alors que la diffusion des idées des Lumières favorise la conscientisation de la population aux enjeux politiques et sociaux qui se développent avec elle. Cependant, ces échanges techniques ne se limitent pas à l’arrivée de nouvelles technologies au Japon. En effet, la présence d’experts occidentaux favorise la formation d’une main-d’œuvre spécialisée et celle-ci sera particulièrement nécessaire dans le développement du réseau ferroviaire national.

    2. La perception de la formation de la main-d’œuvre japonaise par les Occidentaux

    La perception des acteurs occidentaux, autant sur le territoire japonais qu’à l’extérieur, nous aide donc à comprendre le développement des technologies sur le territoire à partir d’un œil extérieur. Elle nous permet de mieux saisir les biais présents dans le discours européen, mais aussi de voir l’évolution de celui-ci afin d’approfondir notre appréciation de développement de la place que le Japon se crée à l’international durant la période Meiji. Effectivement, une évolution des représentations du Japon est visible à travers l’angle technique dans des périodiques comme Le Génie Civil. Les articles qui traitent du Japon au cours de la décennie 1880 passent de seulement neuf mentions du Japon en 1881 à plus de cent en 1899[44]. Au début, ces articles traitent du Japon essentiellement comme une source de matières premières sans lui accorder une réelle importance en tant qu’acteur international[45]. À partir de la seconde moitié des années 1880, la tendance commence à changer : les articles portant sur le Japon sont davantage consacrés aux réalités japonaises, mais que les acteurs européens voient toujours à travers leurs rapports avec l’Occident :

    Le Japon, fermé jusqu’en 1854, s’est ouvert non seulement aux marchandises, mais aussi aux idées et aux institutions européennes : 6487 Européens ou Américains y résidaient en 1882. La Chine, plus réfractaire, a cependant devancé le Japon en ouvrant aussi ses ports sur les côtes et sur son plus grand fleuve; on y comptait, en 1882, 4894 étrangers d’Europe ou d’Amérique[46].

    Ainsi, on s’intéresse au Japon pour démontrer la réussite de la « politique civilisationnelle » de l’Occident en Asie, illustrée par l’importance de l’ouverture des ports japonais à la culture européenne et par la comparaison de la situation au Japon avec celle en Chine.

    De ce fait, bien qu’il s’agisse d’une revue spécialisée sur les avancées techniques, le développement des industries japonaises n’y est toujours pas mis de l’avant en 1885. Cette situation s’explique par le fait que le Japon n’est pas perçu en Europe comme un acteur à part entière de l’économie mondiale qui se développe, mais plutôt comme un objet de la politique et de l’expansion impériale de l’Occident en Asie[47]. Cependant, durant la seconde moitié de la décennie 1890 et le début de la décennie 1900, une transition s’opère dans l’approche utilisée pour décrire le Japon. Une attention nouvelle est portée aux avancées techniques qui s’y produisent comme l’illustre sa participation à l’exposition universelle de 1900 à Paris[48].

    Cette modification s’explique par la volonté de certaines nations européennes d’établir des rapports favorables avec le Japon après sa victoire contre la Chine quelques années auparavant[49]. Il faut également prendre en compte que, dans les années suivant la fin du conflit de 1895, le Japon conclut une alliance avec la Grande-Bretagne en 1902 afin de pouvoir solidifier sa position en tant que puissance régionale[50]. Cette nouvelle réalité lui permet également de renégocier les traités inégaux qui lui ont été imposés en 1853 et de mettre en place de nouvelles ententes commerciales, le plaçant enfin sur un pied d’égalité avec l’Occident[51].

    Dans le cas du développement ferroviaire, les mentions dans la revue Le Génie Civil suivent une croissance similaire à partir de la première mention des chemins de fer japonais en 1894 :

    Il est évident que, pour la construction des chemins de fer, les indigènes avaient beaucoup à apprendre. Une école technique d’ingénieurs fut donc créée par l’empire du Japon, et à chaque partie du service technique occupé par les Européens furent adjoints quelques jeunes japonais. Ces derniers élèves, tout particulièrement studieux, firent de rapides progrès et furent employés ensuite comme ingénieurs par le gouvernement qui trouva dans cette mesure un moyen tout naturel de faire baisser d’une manière notable les frais de construction des voies ferrées. Le Japon est d’ailleurs, parfaitement outillé comme ouvriers : les charpentiers, les forgerons, y sont à profusion. On comprend donc que les premières lignes qui avaient nécessité des travaux considérables à Kyoto et à Kobe, ainsi que l’emploi d’Européens très bien payés coutèrent beaucoup plus cher que celles établies dans la suite[52].

    Le développement ferroviaire japonais est alors perçu comme étant entièrement tributaire des techniques européennes. Les Japonais sont décrits seulement comme les élèves de l’Occident. Cette citation dénote également de l’évolution des perceptions occidentales du Japon. Il n’est plus simplement un partenaire junior des nations européennes ou un lieu de production de certaines matières premières. En effet, il s’agit désormais d’un espace dans lequel le développement technique autonome, voire original, prend place[53]. L’implication économique des puissances occidentales ne se limite plus aux échanges commerciaux, puisqu’elle s’étend dorénavant sous la forme d’une participation aux investissements permettant le développement de plusieurs tronçons de chemin de fer[54].

    L’importance de ces emprunts techniques qui sont mis de l’avant dans les médias occidentaux est également soulevée par les observateurs occidentaux sur le terrain. Dans ses rapports, Trevithick fait souvent référence au système ferroviaire anglais afin de dresser des comparatifs entre celui-ci et le réseau japonais. Ces comparaisons sont régulièrement présentées comme des améliorations possibles au système ferroviaire au Japon: « England and Japan are very similar in size and population. The railway interests of the United Kingdom occupy the attention of leading minds of the day, and are powerfully represented in the legislature[55]. »

    Ces comparaisons constantes démontrent donc la perception de l’auteur qui, malgré sa participation à la construction du réseau ferroviaire japonais, semble favoriser fortement les constructions européennes. Il confronte donc activement le Japon avec l’Angleterre et l’Inde en notant les performances annuelles de chaque système[56]. Il analyse également les composantes qui peuvent être ajoutées au système japonais à partir du réseau anglais : « Japan must be congratulated on the cheap construction of its railway, but it is impossible to have a thoroughly efficient system without paying for it. I here quote a few remarks on English Railways to show what may be expected on the Japanese Railways within a few years[57]. »

    Cette volonté de l’auteur de rapprocher ces deux réalités s’explique par plusieurs éléments. Tout d’abord, ayant participé au développement du réseau anglais, il est dans une position parfaite pour observer la croissance des lignes de chemin de fer sur le territoire japonais et de souligner les défis que l’industrie japonaise doit relever pour atteindre le niveau de la technologie anglaise. Ensuite, bien qu’il participe à la construction des lignes japonaises, il garde une attitude condescendante envers les progrès industriels du Japon. Lors de sa description du réseau ferroviaire anglais et de son fonctionnement, il fait l’éloge de son fonctionnement en utilisant des termes comme « special references », « perfect system » qui démontrent son admiration pour le système anglais. Cela dit, à la fin de sa parenthèse sur les installations anglaises, l’auteur note que l’ensemble de ces remarques ne peut pas s’appliquer au système japonais[58]. Curieusement, cette attitude est moins présente dans les articles du journal Le Génie Civil. Cette différence de rapports entre la vision française et anglaise du développement ferroviaire au Japon semble découler d’une divergence fondamentale dans l’approche utilisée pour décrire le progrès nippon. Du côté français, plutôt que d’utiliser la comparaison simple, les articles font plutôt l’éloge des puissances européennes en tant que force formatrice ayant permis au Japon de se développer. Les rapports d’altérité caractérisant les échanges entre les Occidentaux et les Japonais supposent une hiérarchisation inhérente à ces diverses nations qui se reflète dans les aspects économiques et techniques. Finalement, ce discours comparatif s’inscrit dans une volonté de démontrer l’importance du travail accompli par Trevithick et ses compatriotes sur le territoire japonais depuis l’installation de la première ligne en 1872[59]. Cela permet de confirmer les biais inhérents aux rapports d’altérité susmentionnés.

    Ainsi, à travers les perceptions occidentales du développement de la société japonaise moderne et de son industrie ferroviaire, nous pouvons percevoir un changement de paradigme important. Les journaux occidentaux qui laissent d’abord de côté le progrès japonais viennent rapidement l’attribuer à l’intervention européenne sur le territoire. Cela dit, malgré l’importance du rôle des puissances étrangères dans le développement de la technologie ferroviaire sur le territoire, le but premier de ces emprunts technologiques de la part du Japon est de parvenir à mettre sur pied une industrie nationale autonome et moderne capable d’assurer la production interne de masse.

    3. Le développement de l’industrie japonaise et la fin de la dépendance au matériel occidental

    Au début de la décennie 1890 s’opère un changement important de paradigme entourant le développement de l’industrie japonaise. Plusieurs secteurs de l’économie tentent de se lancer dans la production de leur propre matériel dans le but de réduire les dépenses et d’éliminer leur dépendance au matériel en provenance d’Europe et des États-Unis. Cette nouvelle volonté de produire localement touche tout particulièrement l’industrie ferroviaire, car l’ensemble du matériel utilisé pour construire et faire fonctionner le réseau national provient alors de l’étranger : « The first stock was manufactured in England for the Tokyo-Yokohama, and the Kobe-Osaka section. For the Tokyo-Yokohama section it consisted of 10 Tank Engines, 10 first class, and 40 second class carriages, with 8 brakes vans, and a number of open and close goods-wagons.[60]» À la suite de la construction du premier tronçon entre Tokyo et Yokohama, l’ensemble du matériel spécialisé nécessaire à l’utilisation du réseau ferroviaire est importé d’Europe[61]. Cela dit, afin de s’assurer du maintien et de l’entretien de la ligne, le Railway Bureau, qui a été conçu pour assurer la construction des lignes de trains, est dans l’obligation de commander continuellement de nouvelles pièces qui ne sont pas produites au Japon.

    Ainsi, lorsque les compagnies privées telles que la Nippon Railway Company ou la Kyushu Railway Company commencent à participer au développement de l’industrie ferroviaire, ce problème d’approvisionnement prend une importance encore plus grande. Après l’entrée en 1881 des entreprises privées dans le secteur ferroviaire, la longueur totale des lignes japonaises exploitées connaît une croissance exponentielle en passant de seulement 122,31 km en 1881 à un total de 3 023,96 km en 1893[62]. Ce développement signifie également une augmentation proportionnelle des importations du matériel ferroviaire nécessaire. Dans les faits, au cours de l’année 1893, le matériel ferroviaire en provenance d’Europe représente 35,71% des dépenses des compagnies ferroviaires publiques et privées[63]. Cela équivaut à 18,92 % des recettes totales de la Nippon Railway Compagnie pour l’année, malgré une augmentation de la production locale[64].

    Les usines de production japonaises sont construites dans le but de répondre aux besoins grandissants en pièces et matériaux nécessaires à l’entretien du réseau ferroviaire en pleine expansion. Cependant, elles ne parviennent pas, en 1893, à répondre à l’ensemble de la demande. À partir de 1887, plusieurs petites usines japonaises commencent à voir le jour afin de fabriquer les pièces nécessaires à l’entretien du réseau ferroviaire. Leur production compte en premier lieu de simples pièces comme des essieux ou des rivets afin de limiter les coûts du matériel pouvant être produit sur place[65]. Cependant, grâce aux progrès de formation de la main-d’œuvre japonaise aux techniques de fabrication occidentales, il devient très rapidement possible de produire des wagons entiers sur le territoire. Trevithick le souligne d’ailleurs lorsqu’il traite des produits qui composent la flotte se trouvant sur la Tokaido lors de sa mise en service en 1889 :

    With the exception of 60 bogie carriages ordered on account of the Tokaido Line being opened sooner than contemplated, all carriages and wagons for the Government Line and for the Nippon Railway Company, the Koby Railway Company, and the Ryomo Railway were built at the Shinbashi or Kobe Shops. A few carriages and wagons for the Yamasaki Naoetsu Line were built at the small shops at Nagano[66].

    La présence de wagons construits au Japon illustre l’importance du développement que connaît l’industrie durant la construction de la ligne Tokaido. Cela dit, l’importation de plusieurs composantes comme les roues, les axes et les tampons démontrent également que les autorités japonaises continuent à accorder une confiance supérieure aux matériels d’origine occidentale. De plus, nous pouvons percevoir l’absence de locomotives produites sur le territoire : il s’agit d’un savoir-faire et d’un procédé industriel assez complexes. Leur implantation au Japon a donc nécessité plus de temps et d’investissements[67]. Ainsi, il faut attendre 1893 avant que le premier moteur de locomotive soit construit au Japon sous la supervision de spécialistes européens qui participent à la formation des ingénieurs japonais :

    The advisability and economy of building locomotives in Japan has at times during the last few years been brought before the notice of the Railway Department. In 1892 sanction was granted to make a trial at Kobe, and in April, 1893, the first locomotive was turned out of the Railway Work at Kobe. The engine was designed by Mr. R. F. Trevithick, the locomotive superintendent of the western section. It is different to any engine on the line, being what is known as a Compound Engine; and at that time there was not a compound engine in Japan. The boiler, water tanks, wrought iron wheels, the motion cylinders, valves and other parts were made at the Works; the frame plates and a few other parts came in a rough state from abroad[68].

    Cette première expérience de construction de moteurs de locomotives au Japon représente une étape importante dans le cheminement du développement ferroviaire. Elle ouvre la porte à une production locale de l’ensemble des matériaux nécessaires à la construction et au maintien des chemins de fer. Cela dit, la nécessité d’utiliser des matériaux d’origine européenne dans la construction témoigne d’une certaine continuité de la dépendance de cette industrie aux importations en provenance de l’Occident. Dans les faits, il faudra attendre le début des années 1900 pour qu’une production locale, capable de rivaliser en qualité et quantité avec les importations étrangères, se mette en place[69]. Le volume de ces importations connaîtra d’ailleurs une réduction encore plus importante lors du mouvement de nationalisation des chemins de fer en 1907[70].

    Ainsi, le rôle de l’Occident dans le développement de l’industrie ferroviaire sur le territoire japonais passe d’abord de celui du porteur de la modernité à celui d’investisseur et finalement à celui de fournisseur des pièces. Il est certain que l’Occident exerce une influence indéniable dans l’introduction et l’usage croissant de cette technologie dans l’espace japonais. Les transferts techniques et la formation de la main-d’œuvre par des spécialistes occidentaux permettent une appropriation des connaissances par de spécialistes japonais nouvellement formés. De plus, les investissements étrangers et l’importation de matériel au Japon viennent faciliter l’entrée de la technologie ferroviaire dans le quotidien de la population.

    Conclusion. Des emprunts qui mènent à un apprentissage

    Les emprunts techniques réalisés par les autorités japonaises auprès des puissances occidentales dans le cadre de la construction d’un réseau ferroviaire national ont eu des conséquences directes sur la forme qu’a prise son développement. Effectivement, en tant qu’indicateur de modernité, la construction de ce dernier permet au Japon de recevoir une certaine forme de reconnaissance au niveau international. Cependant, considérant l’importance du rôle des spécialistes étrangers dans la construction du réseau et la place centrale qu’occupe les importations de matériels ferroviaires en provenance d’Europe, les puissances européennes s’accordent une grande partie des lauriers entourant sa mise en place. En effet, bien que, dès la décennie 1890, le nombre de ressortissants européens travaillant sur les projets nationaux diminue et que le nombre de travailleurs japonais augmente, les médias européens s’approprient cet accomplissement. Ainsi, les impacts de ces emprunts techniques sont la formation de plusieurs nouveaux corps de métiers japonais, la modification de la société japonaise dans son ensemble, ainsi qu’un apprentissage accéléré du savoir-faire occidental. Cela dit, bien que ces emprunts aient permis le développement rapide du réseau ferroviaire japonais, la réalité japonaise qui diffère de l’expérience européenne force une adaptation de ces connaissances et nouvelles méthodes de travail au contexte local. Cette spécificité de la situation japonaise dans le domaine du développement ferroviaire s’illustre d’ailleurs très bien dans le développement du tronçon Tokaido.

    Références

    [1] Pierre-François Souyri, Moderne sans être occidental : aux origines du Japon aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2016, p. 106.

    [2] Le système des ères (nengo ou 年号, littéralement « nom de l’année ») est une forme de calendrier traditionnel japonais basé sur les règnes des empereurs. Originaire de la Chine, ce système fut adopté par la cour japonaise en 645 et reste encore utilisé aujourd’hui (2023 est la 5e année de l’ère Reiwa (令和 ou l’ère de la « belle harmonie »).

    [3] Yôichi Komori, Posutokoroniaru [Postcolonial], Tokyo, Iwanami shinsho, 2001, p. 209.

    [4] Yukichi Fukuzawa, Bunmeiron no gairyaku [Abrégé de la civilisation], trad. de l’anglais par D. A. Dilworth et G. C. Hurst III, New York, Columbia University Press, 2009 (éd. angl, 1875), p. 51; Yukichi Fukuzawa, L’appel à l’étude [Gakumon no susume], trad. du japonais par Christian Galan, Paris, Les Belles Lettres, 2018 (éd. japonaise, 1872).

    [5] Fukuzawa, Bunmeiron no gairyaku, p. 53.

    [6] Souyri, Moderne sans être occidental, p. 14.

    [7] Masao Maruyama, Essais sur l’histoire de la pensée politique au Japon, trad. du japonais par Jacques Joly, Paris, Les Belles lettres, 2018 (éd. japonaise, 1996); Shôzô Fujita, Tennô-sei kokka no shihai genri [Le principe dominant de l’état tennôcratique], Tokyo, Miraisha, 1966.

    [8] Souyri, Moderne sans être occidental, p. 14.

    [9] Souyri, Moderne sans être occidental, p. 15.

    [10] William Hardy McNeill, The Rise of the West: A History of the Human Community: with a Retrospective Essay, Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. XVI.

    [11] Gurminder K. Bhambra, Rethinking Modernity: Postcolonialism and the Sociological Imagination, New York, Palgrave, 2007, p. 65.

    [12] Kenneth Pyle, The Making of Modern Japan, Acton, XanEdu Publishing Inc, 2017; Marius B. Jansen, The Making of Modern Japan, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 2002 (2000) ; William G. Beasley, dir., Modern Japan: Aspects of History, Literature and Society, Berkeley, University of California Press, 1977 (1975); Morris Low, Building a Modern Japan: Science, Technology, and Medicine in the Meiji era and Beyond, New York, Palgrave Macmillan, 2005.

    [13] Bhambra, Rethinking Modernity, p. 65-66.

    [14] Chie Nakane et Conrad Totman, dir., Tokugawa Japan: the Social and Economic Antecedents of Modern Japan, Tokyo, Univ. of Tokyo Press, 1997; Herbert P. Bix, Hirohito and the Making of Modern Japan, New York, Perennial, 2002.

    [15] Jilly Traganou, The Tôkaidô Road: Travelling and Representation in Edo and Meiji Japan, Londres, Routledge, 2004, p. 304.

    [16] Ardath W. Burks, The Modernizers: Overseas Students, Foreign Employees, and Meiji Japan, New York, Routledge, 2021 (1985); Naofumi Nakamura, La révolution industrielle des régions du Japon, trad. du japonais par Alexandre Roy, Paris, Les Belles Lettres, 2021; Ian Nish, The Iwakura Mission to America and Europe: a New Assessment, Londres, Routledge, 2008 (1998).

    [17] Souyri, Moderne sans être occidental, p. 490.

    [18] Il s’agit d’un organe de l’État japonais dépendant du ministère des chemins de fer. Sa mission est d’assurer la construction ferroviaire sur le territoire ainsi que de choisir les projets de construction privés qui présentent suffisamment de mérite pour être autorisés. L’entièreté des travaux de construction ferroviaire est entreprise par les ingénieurs du Railway Bureau et les firmes privées paient seulement pour les frais de construction. Richard Francis Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », Transactions of Asiatic Society of Japan, Tokyo, Z.P. Maruya & Co., Ld. 1894, p. 132.

    [19] Il s’agit de l’institut d’étude des « ouvrages barbares ». Il ouvre en 1856 et connaîtra plusieurs modifications au cours des années. Il passe du Bansho Shirabesho au Yosho Shirabesho (Institut d’études des ouvrages occidentaux), puis au Kaiseijo (École des études étrangères) et au Kaisai Gakko (École Kaisai), qui intégra finalement l’université de Tokyo lors de sa création en 1877.  Benjamin C. Duke, The History of Modern Japanese Education: Constructing the National School System, 1872-1890, New Brunswick, N.J, Rutgers University Press, 2009,  p. 19.

    [20] Benjamin C. Duke, The History of Modern Japanese Education: Constructing the National School System, 1872-1890, New Brunswick, Rutgers University Press, 2009, p. 19.

    [21] L ’ambassade Iwakura pendant 205 jours aux États-Unis, 122 jours en Angleterre, 67 en France, 33 en Allemagne. Ils passeront moins d’une dizaine de jours par pays dans les autres pays d’Europe qu’ils visiteront pour finalement revenir à Tokyo le 13 septembre 1873. Nish, The Iwakura Mission, p. 2-3.

    [22] Nish, The Iwakura Mission, p. 3.

    [23] Mark Ravina, To Stand with the Nations of the World: Japan’s Meiji Restoration in World History, Oxford, Oxford University Press, 2017 p. 54.

    [24] Dan Free, Early Japanese Railways 1853-1914: Engineering Triumphs That Transformed Meiji-era Japan, Tokyo, Tuttle Publishing, 2012, p. 157.

    [25] Free, Early Japanese Railways, p. 179.

    [26] Duke, The History of Modern Japanese Education, p.19-20.

    [27] Jean-Jacques Boucher, Le dictionnaire de la soie: découvrir son histoire de ses origines jusqu’à nos jours, Paris, Éditions Lanore, 2014, p. 322.

    [28] Roderick I. Wilson, Turbulent Streams: an Environmental History of Japan’s Rivers, 1600-1930, Leyde, Brill, 2021, p. 143.

    [29] Wilson, Turbulent Streams, p. 145.

    [30] Yokohama Chamber of commerce, « Yokohama Chamber of commerce official report », The Japan Weekly Mail, vol. XI, 2 mars 1889, p. 208.

    [31] Yokohama Chamber of commerce, p. 208.

    [32] Burks, The Modernizers, p. 207.

    [33] Il s’agit d’un conglomérat d’entreprises se concentrant autour de grandes familles japonaises. Ces familles obtiennent, au début de la période Meiji, des autorisations spéciales entourant l’entrée du Japon dans le commerce international et gagnent en influence à partir de ce moment.

    [34] Nobuhiro Miyoshi, Henry Dyer: pioneer of engineering education in Japan, Folkestone, Global oriental, 2004, p. XXIII.

    [35] Rudolf Mosses, « To brewers in Japan », The Japan Weekly Mail, vol. XI, 18 mai 1889, p. 488.

    [36] Free, Early Japanese Railways, p. 539.

    [37] Fukuzawa, Bunmeiron no gairyaku, p. 60.

    [38] Albert M. Craig, « The Central Government », dans Marius Jansen et Gilbert Rozman, dir., Japan in Transition:From Tokugawa to Meiji, Princeton, Princeton University Press, 1986, p. 18; Souyri, Moderne sans être occidental, p. 44.

    [39] Il s’agit de l’un des groupes de débats les plus importants de l’époque, aussi connu sous le nom de groupe de l’an VI, qui s’est formé en 1874. Plusieurs de ses membres, dont Nishi Amane, participent activement au mouvement pour les droits du peuple. Duke, The History of Modern Japanese Education, p. 156.

    [40] Souyri,  Moderne sans être occidental, p. 56.

    [41] Souyri, Moderne sans être occidental, p. 63.

    [42] Fukuzawa, Bunmeiron no gairyaku, p. 77.

    [43] Nishi Amane, « Kokumin Kifû ron (des mentalité nationales) », Meiroku Zasshi, no 32, mars 1875, dans Souyri, Moderne sans être occidental, p. 59.

    [44] Le Génie civil: revue générale des industries françaises et étrangères, 1882-1899.

    [45] Le Génie civil: revue générale des industries françaises et étrangères.

    [46]Émile Levasseur, « Les progrès de la race européenne au XIXe siècle par la colonisation », Le Génie civil: revue générale des industries françaises et étrangères, Paris, 15 août 1885, p. 250.

    [47] Ravina, To Stand with the Nations of the World, p. 138.

    [48] [s. a.], « Exposition universelle de 1889:  documents officiels et informations », Le Génie civil: revue générale des industries françaises et étrangères, Paris, 21 avril 1888, p. 399.

    [49] Ravina, To Stand with the Nations of the World, p. 170.

    [50]  L’alliance anglo-japonaise, conclue en janvier 1902, augmente le prestige du Japon dans la région et lui permet de se joindre aux Alliés lors du premier conflit mondial, puis d’intervenir en Chine en 1914 et en Russie en 1918.

    [51] William G. Beasley, The Rise of Modern Japan, New York, St. Martin’s Press, 2000 (1990), p. 148.

    [52] L. Donnet, « Chemin de fer: le chemin de fer japonais », Le Génie civil: revue générale des industries françaises et étrangères, 11 juillet 1896, p. 166.

    [53] Ibid, p. 117.

    [54] Penelope Francks, Japanese Economic Development: Theory and Practice, London, Routledge, 2015 (1992), p. 69.

    [55] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 228.

    [56] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 228.

    [57] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 227.

    [58] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 140.

    [59] Burks, The Modernizers, p. 207.

    [60] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 173.

    [61] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 174.

    [62] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 182.

    [63] Imperial Railway Department, « Annual Report of the Imperial Railway Department for the 25th fiscal year of Meiji. April 1892 to March 1893 », The Japan Weekly, 13 janvier 1894, p. 50.

    [64] Imperial Railway Department, « Annual Report of the Imperial Railway Department », p. 50.

    [65] Free, Early Japanese Railways, p. 539.

    [66] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 173.

    [67] Steven J. Ericson, The Sound of the Whistle: Railroads and the State in Meiji Japan, Cambridge, Harvard University Asia Center, 1996, p. 34.

    [68] Trevithick, « The History and Development of the Railway System in Japan », p. 176.

    [69] Free, Early Japanese Railways, p. 221.

    [70] John P. Tang, « Railroad Expansion and Industrialization: Evidence from Meiji Japan », The Journal of Economic History, vol. 74, n° 3, 2014, p. 866.