Pour une histoire inclusive. Analyse du cours « Histoire et éducation à la citoyenneté » avant et après le Rapport Beauchemin

KARINE FRÉCHETTE

Karine Fréchette est bachelière en histoire à l’Université de Sherbrooke de la promotion de 2017. Elle poursuit ses études par une maîtrise en sciences de l’information à l’Université de Montréal.

PHILIPPE VALLERAND

Philippe Vallerand est bachelier en histoire à l’Université de Sherbrooke de la promotion de 2017. Il poursuit ses études comme candidat à la maîtrise en études classiques option histoire ancienne à l’Université de Montréal. Il désire se spécialiser sur la logistique à l’époque romaine impériale.

Résumé : L’essai consiste en une analyse et une critique du Rapport Beauchemin sur l’éducation s’intitulant « Pour une réforme du programme d’histoire et éducation à la citoyenneté de 3e et de 4e secondaire ». Il se concentre sur l’application des réformes proposées par le rapport Beauchemin pour les étudiants de 3e secondaire grâce à une comparaison du nouveau manuel Périodes : Histoire du Québec et du Canada avec les manuels employés au lendemain de la réforme de 2006. Cette comparaison porte un regard attentif sur la place des oubliés de l’histoire dans le récit national. Cette analyse sert ainsi à établir un portrait des minorités ethniques ou des opprimés dans l’histoire tel qu’appris au Québec dans les écoles secondaires. Ainsi, cette recherche se penche sur les bases des problèmes et lacunes du système de l’éducation et tente d’apporter des recommandations qui permettraient d’apporter des bases plus inclusives à l’histoire canadienne et québécoise et de dénoncer les limites du rapport Beauchemin. Bref, une humble tentative de faire diminuer la domination politique et nationale sur le contenu de l’histoire et d’offrir une plus grande diversité afin de répondre à l’un des objectifs du cours : la formation de futurs citoyens avertis.

 

Table des matières
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    Dernièrement, on parle de la place des Premières Nations et de celle des femmes au sein de la société canadienne et québécoise. Depuis la Commission de vérité et réconciliation du Canada, certaines revendications sont présentes pour que les pensionnats indiens aient leur place dans les cours d’histoire[141]. Sachant que plusieurs critiquent le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté du deuxième cycle du secondaire, il est intéressant de regarder la place des oubliés-es de l’histoire dans le programme. En outre, on peut se demander si des améliorations ont été apportées depuis le Rapport Beauchemin de 2014, qui va venir remettre en question l’enseignement et le contenu du cours. Depuis son dépôt, quelques changements sont survenus comme la répartition chronologique de l’histoire du Québec sur deux années plutôt qu’une seule. Dans cette analyse, nous étudierons donc de manière comparée la place des oubliés-es de l’histoire, soit les Premières Nations, les femmes, les Noir-es, les immigrants-es, les Juifs-ves, la communauté LGBTQ+ et les groupes marginalisés, dans les manuels d’histoire datant de la réforme de 2006 et ceux datant de 2016 (première année d’un cours désormais sur deux ans). Nous ne pourrons montrer l’évolution que pour la première partie du cours puisqu’aucun manuel pour le quatrième secondaire n’est publié à ce jour. Quelle place les oubliés-es de l’histoire ont-ils-elles dans les manuels avant et après la Rapport Beauchemin? Comment pourrions-nous mieux les représenter et les intégrer? Est-ce que le cours offre une représentation convenable de ces groupes? 

    Tout d’abord, nous allons présenter un court aperçu du programme d’Histoire et d’éducation à la citoyenneté du troisième secondaire de la réforme de 2006. Dans ces manuels d’histoire du Québec, le temps est divisé en quatre périodes majeures : l’histoire avant l’arrivée des Européens, le Régime français, le Régime anglais et la période post-1867. Cette façon de présenter renferme l’histoire dans un cadre conceptuel restreint. Il est nécessaire de comprendre cette division pour étudier le cours selon la réforme de 2006. Le programme scolaire suscite des critiques dès 2007 par des intellectuels-les qui l’accuse de donner une trop grande prédominance à l’histoire sociale[142]. Le débat tourne autour de la conciliation d’un discours historique avec les exigences d’une société pluraliste. L’historien dictaticien Jean-François Cardin affirmait alors la nécessité de sortir du cadre habituel d’une histoire structurée autour des conflits entre les francophones et les anglophones pour faire une histoire plus rassembleuse. Jocelyn Létourneau quant à lui saluait l’ambition générale d’en finir avec « l’espèce de vision misérabiliste qui perdure dans la vision historique des Québécois [et Québécoise] .[143]» D’un autre point de vue, on affirmait que cette approche plurielle venait affaiblir et dénationaliser l’histoire du Québec[144]. On jugeait que les grands évènements politiques étaient occultés au profit de l’histoire sociale[145]. Jacques Beauchemin, Frédéric Bastien, Éric Bédard ou Mathieu Bock-Côté se rallient à la Coalition pour l’histoire qui considérait que la place accordée à l’histoire sociale était disproportionnée[146]. 

    En théorie, le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté du deuxième cycle vise à « amener les élèves à comprendre le présent à la lumière du passé » en plus de « préparer les élèves à participer de façon responsable, en tant que citoyens-nes, à la délibération, aux choix de société et au vivre-ensemble dans une société démocratique, pluraliste et ouverte sur un monde complexe », selon les directives du ministère de l’Éducation[147]. Le cours se développe ainsi autour de trois compétences centrales qui doivent permettre aux élèves l’acquisition d’une compréhension des réalités sociales qui les entourent à la lumière du passé et de saisir l’importance des responsabilités d’un citoyen-ne au sein du Canada et de la province du Québec[148]. Cette approche pédagogique met l’accent sur les habiletés et non sur les connaissances.

    Les compétences déterminent donc les finalités du programme en raison du caractère prédominant qu’on leur accorde dans les objectifs du cours. Couramment nommées par Compétence 1, 2 et 3 dans le milieu de l’enseignement au secondaire, elles désignent une approche pédagogique qui stipule que « les savoirs présentés en classe, par-delà leur valeur intrinsèque, devraient être envisagés non comme une fin en soi, mais comme un moyen d’inculquer certaines attitudes et habiletés procédurales [149]».  C’est une façon de « minimiser » le rôle des savoirs dans la place de la formation générale des élèves. La Compétence 1 : « Interroger les réalités sociales dans une perspective historique » réfère à la mise en contexte et à la formulation de questions pertinentes. Le résultat est une « forme de présentisme », selon le Rapport Beauchemin, puisqu’on interroge le passé uniquement à partir du présent « immédiat [150]».  La Compétence 2 : « Interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique » se rapporte à la méthode scientifique et à l’interprétation historique[151]. Finalement, la Compétence 3 : « Consolider l’exercice de sa citoyenneté à l’aide de l’histoire [152]» est celle qui suscite le plus de controverses. Cette compétence se dit effectivement honnêtement directive puisqu’elle assume un récit univoque pour forcer les élèves à adhérer à une morale précise en lien avec la citoyenneté démocratique[153].

    Ensuite, en ce qui concerne le rapport Beauchemin, c’est en septembre 2013 que le gouvernement minoritaire du Parti québécois annonçait une série de consultations sur l’enseignement de l’histoire au primaire et au secondaire sous la responsabilité du sociologue Jacques Beauchemin et de la professeure d’histoire à l’Université du Québec à Montréal Nadia Fahmy-Eid. Les professeurs-es et autres professionnels-les du milieu de l’enseignement de l’histoire étaient alors invités-es à statuer sur l’état du programme, particulièrement du cours Histoire et éducation à la citoyenneté. On visait la refonte des programmes d’histoire et de redonner une place à l’histoire nationale puisqu’une majorité de Québécois et Québécoise se disaient insatisfaits–es de l’enseignement de celle-ci [154]. Mme Malavoy, ministre de l’Éducation, précisait alors : « C’est donc une refonte des programmes d’enseignement de l’histoire. C’est une démarche rigoureuse, claire, transparente, et, nous le souhaitons, rassembleuse. Nous aurons à travers cette démarche un regain de fierté »[155].

    Le Rapport Beauchemin, qui faisait suite à ces consultations, déclarait que l’une des problématiques rencontrées avec l’approche dirigée de l’enseignement de l’histoire provient du caractère nationaliste de celle-ci. Nous considérons que l’histoire nationale est fortement politique, hors donc, masculine, blanche, francophone et anglophone. Ce qui exclut et aliène une grande partie des acteurs-trices de l’histoire. Le rapport recommande en 2014 d’inclure une plus grande portion d’histoire sociale pour contrecarrer cet effet négatif de l’approche dirigée de l’histoire. Néanmoins, peu d’enseignants-es ont remis en question la légitimité du principe d’une trame nationale de l’histoire. Les intervenants-es « […] d’origine anglophone ont émis à ce sujet des avis partagés, certains[-es] refusant toute bonification à cet égard, parfois en termes assez crus, tandis que d’autres ont dit y voir une préoccupation légitime sur le plan intellectuel, éducatif et mémoriel [156]». Nous devons souligner que nous allons éviter de traiter de la direction nationaliste du cours puisque c’est une problématique trop complexe pour être abordée en même temps que la place des oubliés-es de l’histoire. De la sorte, notre analyse du Rapport Beauchemin se limite aux observations et recommandations se rapportant aux oubliés-es.

    Par ailleurs, il faut mentionner que plusieurs paramètres possèdent un impact sur l’information que les étudiants-es vont recevoir en classe, partant de l’information présente dans les manuels à la dynamique de la classe. Aux fins de notre étude, nous allons écarter les éléments pédagogiques qui, on le sait, diffèrent selon les professeurs-es, pour nous intéresser uniquement aux informations fournies par les manuels. Ceux-ci, rappelons-le, sont la première porte d’entrée pour apprendre l’histoire pour les étudiants-es. Nous limitons donc notre étude au contenu seulement et non à la manière dont celui-ci est présenté dans les classes. 

    Finalement, le programme du gouvernement met en outre l’accent sur le caractère de la diversité culturelle au sein de notre société. Celui-ci favoriserait, selon les auteurs du cours, « l’ouverture à une société pluraliste et à la diversité des valeurs [157].»  Toutefois, le Rapport Beauchemin affirme le contraire en parlant de la superficialité des apports de l’histoire sociale, et donc de l’histoire des femmes et des Premières Nations, qui n’est présente dans le récit historique que par quelques « bulles [158]». En effet, le rapport affirme que l’histoire au secondaire souhaite se donner des valeurs pluralistes alors que, dans les faits, il y a un manque de profondeur dans l’enseignement et que les cours demeurent généralement axés de manière plus classique, sur l’histoire politique et nationale du Québec. 

    Bref, le Rapport Beauchemin conseille de représenter de façon plus complète les Premières Nations, distribuée sur l’ensemble des périodes et d’insérer de façon plus claire et plus robuste l’étude de l’histoire des femmes et des rapports sociaux de sexe dans la trame et les fils conducteurs du programme[159]. C’est d’ailleurs suite au rapport que s’opère un changement dans le récit qui se répartit désormais sur deux années plutôt qu’une seule dans l’optique d’encourager une histoire plus approfondie et de bien détailler les thématiques.

    Dans cette recherche nous allons employer une approche par thématique afin d’aborder les oubliés-es de l’histoire dans le programme du troisième secondaire. Nous allons ainsi analyser dans un premier temps la place de chacun de ces groupes dans les manuels de la réforme de 2006 en la comparant à celle du manuel qui fait suite au Rapport Beauchemin. Nous débuterons par les Premières Nations, les femmes et ensuite les Noirs-es, la communauté LGBTQ+, les immigrants-es puis les groupes marginalisés. Dans un deuxième temps, nous allons réaliser une synthèse et une appréciation générale des résultats du rapport pour ensuite formuler nos recommandations dans l’optique d’intégrer les oubliés-es de l’histoire dans les manuels scolaires. 

    Présentation des sources

    Dans le cadre de cette analyse, les manuels du cours Histoire et éducation à la citoyenneté de la réforme qui seront utilisés sont ceux des éditions de la Chenelière et des éditions du Grand Duc datant de 2007. Ces manuels destinés aux étudiants et étudiantes de la première année du deuxième cycle reprennent sensiblement les mêmes thématiques et une même périodisation. Les premiers, tome A et B, d’Histoire et éducation à la citoyenneté de la collection Fresques de la Chenelière offrent plusieurs contenus dynamiques, tels que des cartes ou des éléments iconographiques. Ceux des éditions du Grand Duc (volume un et deux), soit Le Québec, une histoire à suivre…. proposent également plusieurs tableaux de synthèses. Pour évaluer les changements post-rapport Beauchemin, il sera question d’étudier le manuel Périodes, Histoire du Québec et du Canada : des origines à 1840 des éditions CEC qui date de 2016. Bien entendu, en raison de la nouvelle répartition de la trame historique sur deux années au lieu d’une seule, il sera uniquement possible de comparer la première partie du cursus, c’est-à-dire les périodes avant 1840. Pour appuyer notre réflexion, nous allons également nous servir d’études spécialisées qui traitent de la représentation des oubliés-es de l’histoire dans les manuels scolaires du Québec.  

    La présence des Premières Nations dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté

    La présence des Premières Nations dans les manuels de la réforme de 2006

    Chaque chapitre de Fresques : Histoire et éducation à la citoyenneté débute par un « Tour d’horizon au Québec » qui mentionne des éléments contemporains en lien avec la thématique de la période en question. Dans le cas du chapitre 1 « Les premiers occupants vers 1500 », on attire l’attention sur la Loi fédérale des Indiens qui détermine les droits des Premières Nations depuis 1876 au Canada. D’ailleurs, c’est également un élément qui resurgit dans plusieurs sections de l’ouvrage, bien qu’il ne soit jamais approfondi, malheureusement[160]. Cette répétition, complètement inutile, révèle le peu de connaissances que les manuels offrent généralement aux étudiants-es du secondaire. Dans le cas de Le Québec, une histoire à suivre…. on effleure à peine la question des droits autochtones dans le chapitre concernant la période 1867-1896[161]. Pourtant, cette fameuse Loi sur les Indiens est essentielle pour comprendre la situation des Premières Nations aujourd’hui ; elle s’avère donc totalement pertinente dans un cours où l’un des objectifs est de former des citoyens-nes capables de saisir les enjeux contemporains du Québec et du Canada. C’est donc un manquement énorme sur l’histoire coloniale des Amérindiens et Amérindiennes. Cette absence ne s’explique pas par le manque de ressources et d’études portant sur cette loi, puisque plusieurs intellectuels-les s’intéressent à cette thématique, dont Renée Dupuis, avocate spécialiste des droits des Autochtones, auteure de l’ouvrage La question indienne au Canada ou Alain Beaulieu, historien spécialiste de l’histoire des Autochtones. 

    De plus, il est intéressant d’observer la présence des Premières Nations dans les manuels en entier. En effet, ces dernières sont dans l’ensemble, présentes dans le récit de l’arrivée des Européens à la conquête des Britanniques de la Nouvelle-France. Ensuite, elles ne réapparaissent qu’avec la crise d’Oka ou les négociations entourant le projet du réseau de barrage de Robert Bourassa[162]. On ne signale leur existence que pour annoncer la création de ladite Loi sur les Indiens de 1876. Ici et là, quelques bulles d’informations les mentionnent, mais sans jamais détailler de manière satisfaisante leurs conditions et leur histoire. La création du Manitoba ramène aussi les Métis à l’avant-plan[163]. On peut tout de même constater que le programme scolaire d’histoire du deuxième cycle considère les Premières Nations comme peu importantes ou influentes dans l’histoire après la conquête. À partir de cette période, le cursus insiste tellement sur la progression des appareils d’État, de la politique et du chemin vers la démocratie qu’il en oublie tout le reste, c’est-à-dire des éléments importants pour l’histoire du Québec et du Canada sans compter que les manuels de la collection Fresques parlent régulièrement des « Autochtones [164] » » comme d’un ensemble homogène, surtout dans le premier chapitre. C’est une façon de les stéréotyper et d’éviter la question de la diversité. Bien entendu, ils traitent des Iroquoiens-nes, des Algonquiens-nes et des Inuits-es, mais les nombreuses phrases qui débutent par « Les Autochtones » laissent supposer qu’ils-elles font tous partie d’une même catégorie. Cela n’aide pas à saisir la complexité des revendications des Premières Nations aujourd’hui. Ces revendications diffèrent effectivement d’une nation à l’autre en raison de leurs distinctions culturelles et historiques. Que dit-on sur les Premières Nations avant la conquête ? On traite des différents groupes linguistiques présents avant l’arrivée des Européens, soit les Inuits-es de l’Arctique, les Algonquiens-nes et les Iroquoiens-nes. On mentionne alors leurs caractéristiques, leurs structures sociales, politiques et économiques, leur conception du monde, de la mort ainsi que leur spiritualité[165]. Toutefois, il manque certains éléments dans cette section, particulièrement dans le cas de Fresques : Histoire et éducation à la citoyenneté où l’on n’aborde ces sujets que trop brièvement. La cinquantaine de pages destinées aux Premières Nations avant l’arrivée des Européens se retrouve à être redondante. Le Québec, une histoire à suivre…. effectue au contraire une bonne synthèse en insistant sur les distinctions et en réalisant des tableaux synthétiques sur les différents groupes amérindiens, autant sur l’organisation politique des sociétés autochtones [166] que sur les conceptions du monde[167].  Ensuite, on ne parle des Autochtones qu’à travers les relations avec les premiers colons européens et les femmes de la colonie. Ainsi, ils-elles sont présents-es pour l’évangélisation, la traite des fourrures, les alliances politiques avec les puissances et les techniques et la culture transmises aux colons pour les aider à survivre dans ces territoires hostiles.

    On retrouve la trace des Premières Nations ensuite dans le dernier chapitre concernant les enjeux de la société québécoise depuis 1980. En effet, quelques pages traitent des revendications des Autochtones, de la reconnaissance des droits ancestraux, de la crise d’Oka et du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996 dans les manuels de la collection Fresques. Par ailleurs, les manuels des éditions du Grand Duc négligent complètement ces enjeux sur les nations amérindiennes. 

    Le Rapport Beauchemin et les Amérindiens

    Le Rapport Beauchemin formule plusieurs conclusions sur les oubliés-es de l’histoire tel que mentionné précédemment. Dans le cas des Premières Nations, il précise qu’il est nécessaire d’offrir une représentation équilibrée qui ne se limite pas uniquement à la période de la colonisation, mais qui reflète bien sûr l’ensemble des périodes à l’étude. Cette manière de faire devrait éviter les représentations stéréotypées et folklorisantes des Autochtones[169]. Le Rapport Beauchemin formulait aussi des critiques quant à la structure du cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté. On jugeait celle-ci complètement mésadaptée pour comprendre les Premières Nations. Tout d’abord, les nombreuses répétitions superficielles nuisent à une bonne compréhension de leur histoire par les élèves. Puis, l’accent mis sur l’éducation à la citoyenneté restreint l’espace pour parler pleinement des Premières Nations. En effet, la Compétence 3 : « Consolider l’exercice de sa citoyenneté à l’aide de l’histoire » oriente le récit vers une histoire des instances politiques des colons et des premières femmes, puis des Canadiens-français et finalement des Canadiens-nes et Québécois-es. Une telle vision de l’histoire limite grandement l’étude des Premières Nations, de leurs conditions sociales et de leurs interventions dans l’histoire du Canada. En dernier lieu, il faut préciser que les manuels traitent des caractéristiques classiques des Autochtones, n’allant ni en profondeur et ni selon les nouvelles recherches qui insistent sur leurs actions. Par exemple, les nombreuses recherches de Denys Delâge, un historien émérite de l’Université Laval, sur la contribution de l’ « indien » à l’histoire canadienne, ou ses travaux sur l’histoire des alliances franco et anglo-amérindiennes semblent complètement ignorées. 

    Autres critiques : la qualité de l’information

    Déjà en 1979, on formulait des critiques sur la place des Premières Nations dans les manuels scolaires. En effet, les anthropologues Sylvie Vincent, une Bernard Arcand, représentation des observaient que les Autochtones étaient toujours évalués-es en fonction de leurs rapports avec les Européens-nes dans les manuels[170]. Leur critique semble encore d’actualité, malheureusement. En effet, dans les manuels datant de 2007, on précise encore que : « Grâce à leur connaissance du pays, les Amérindiens deviennent des alliés indispensables pour les militaires, les missionnaires, les coureurs des bois et les voyageurs qui s’aventurent dans les régions éloignées[171]». Il faut considérer que c’est uniquement lors de tels passages qu’on mentionne les Premières Nations dans certaines sections. Par ailleurs, les Autochtones sont maintenus dans un rôle de fournisseurs de fourrure par excellence [172]  « Ce sont eux qui approvisionnent la colonie en fourrures et qui en assurent ainsi la survie [173]» , peut-on lire dans l’un des manuels. Cependant, on ne mentionne pas plus tard comment le déclin des fourrures est dommageable pour l’économie et la survie des Amérindiens et Amérindiennes au début du XIXe siècle, sauf pour dire qu’ils-elles avaient délaissé le mode de vie traditionnelle pour favoriser les échanges commerciaux[174]. Par surcroît le livre Mythes et réalités sur les peuples autochtones de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de 2009, nous éclaire sur les stéréotypes qui perdurent sur les Premières Nations [175].

    Évolution après le Rapport Beauchemin

    Les recommandations du Rapport Beauchemin ont été prises en compte dans l’élaboration d’un nouveau cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté qui possède maintenant une trame historique sur deux ans au lieu d’une seule année. C’est, en principe, une façon de permettre d’approfondir des aspects et d’éviter la redondance. Un grand changement est perceptible par rapport à la place des Premières Nations. Toutefois, le processus étant en cours et à cause de la modification, nous ne pouvons que comparer de l’an 1500 aux années 1840. Les Autochtones sont en effet présents-es du début à la fin dans le manuel Périodes, Histoire du Québec et du Canada : des origines à 1840 des éditions CEC. Ils-Elles ont presque 50% du contenu du manuel sur leur histoire, leurs cultures et notre histoire commune. Cela dénote du désir d’intégration des Amérindiens et Amérindiennes dans l’enseignement des étudiants-es au troisième secondaire de la part du gouvernement. D’ailleurs, on présente les Premières Nations de façon plus active et pas uniquement en lien avec les Européens-nes. Par exemple, lorsqu’il est question du déclin du commerce des fourrures, on mentionne : « Dépourvues d’autres ressources économiques, les nations amérindiennes qui comptent sur ce commerce traversent de dures épreuves et viennent chercher de l’aide auprès de leurs alliés britanniques [176]». Il est possible d’affirmer, après lecture du manuel, que les Premières Nations ne disparaissent pas après l’arrivée des Européens dans cette version-ci du cursus. 

    La présence des femmes dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté

    La présence des femmes dans les manuels de la réforme de 2006

    Les manuels de la collection Fresques Histoire et éducation à la citoyenneté ainsi que ceux de Le Québec, une histoire à suivre…. des éditions du Grand Duc couvrent les périodes classiques de l’histoire du Québec, soit les Premiers-ères occupants-es, le Régime français, le Régime anglais et la Période contemporaine.

    Tout d’abord, dans la section « Les Premiers occupants », ces manuels de différentes éditions exposent le même portrait d’une femme inuit, dont on explique la signification en quelques lignes. On aborde aussi la question de la matrilinéarité des Iroquois-es et de l’unicité du phénomène de façon très superficielle. On semble limiter la valeur de la femme dans les sociétés autochtones à son rôle de génitrice. Par ailleurs, dans la partie « Tour d’horizon au Québec » de la première section, aucune mention des femmes autochtones n’est faite. Il faut préciser qu’on ne parle jamais des femmes dans ces parties, alors même que la question de la lutte pour l’égalité des sexes est d’actualité. En outre, on ne réserve qu’un court segment pour la description et l’explication de la division de tâches et du rôle des femmes dans les sociétés des Premières Nations, se limitant à relater les tâches ménagères et l’importance d’être une bonne mère [177].

    Ensuite, il n’y a pas plus de références aux femmes dans la section du Régime français. On accorde même une importance plus grande aux ordres religieux masculins, malgré la particularité des ordres religieux féminins au Québec. On limite le rôle des Ursulines et des Augustines à celui de l’éducation des jeunes et des soins aux malades[178]. Jeanne Mance et Marguerite Bourgeoys sont évoquées, mais de manière détournée. En effet, Mance n’est pas désignée comme étant cofondatrice de Ville-Marie, mais simplement comme ayant eu un rôle dans la fondation de l’hôtel-Dieu[179]. Quant aux filles du Roy, on les présente comme étant des mendiantes ou des orphelines. Cependant, cette information est fausse puisque ces filles ont pour la plupart une éducation [180]. Au bout du compte, on insiste uniquement sur l’importance des femmes pour la croissance démographique de la colonie [181].

    À partir de la section sur le Régime britannique, les femmes disparaissent complètement  du récit qui insiste désormais sur les institutions et la structure du pouvoir. On mentionne en effet brièvement les ordres religieux féminins lorsqu’on traite du système d’éducation [182] et l’exclusion officielle des femmes dans la question du droit de vote en 1849. Les auteurs n’expliquent ni l’attitude franchement antiféministe des patriotes ni les rôles des femmes dans la rébellion. Néanmoins,  il y a un bref passage sur l’image de la femme à l’époque [183].

    Il faut en outre attirer l’attention sur l’absence des ménagères pendant la Crise économique. Malgré tout, les Canadiennes-françaises durant les années de guerre sont tout de même étudiées, mais de façon superficielle toujours. On précise l’importance des femmes dans l’effort de guerre [185], les demandes des suffragettes[186] et les inégalités salariales[187] lors de l’industrialisation. 

    Finalement, les dernières sections des manuels semblent vouloir ramener l’importance des femmes à l’avant-plan. On évoque les grands noms incontournables en moins d’une page : Thérèse Casgrain, Carrie Matilda Derrick et Idola Saint-Jean[188].  Dans le cas de Thérèse Casgrain, on insiste plus sur la création de la Ligue des droits de l’homme que sur la création de la Fédération des femmes du Québec[189]. On présente même Adélard Godbout sans expliquer que c’est sous son mandat que les femmes obtiendront le droit de vote au provincial[190]. Concernant le Refus global, on ne mentionne que Marcelle Ferron parmi les femmes signataires [191]. Les auteurs réalisent ainsi plusieurs portraits de femmes importantes dans l’histoire mais sans toucher aux sujets essentiels en lien avec elles. Par exemple, la crise des Yvette(s) n’est pas abordée quand on parle de Lise Payette. Dans les enjeux contemporains, une seule page est consacrée aux femmes et au féminisme, présentant la décriminalisation de l’avortement comme un débat de seconde zone[192].

    Le Rapport Beauchemin et les femmes

    Le Rapport Beauchemin déplore que les éléments historiques concernant les femmes n’étaient que « saupoudrés » dans le récit[193]. Il indique qu’il faut inclure les femmes dans l’enseignement de l’histoire pour faire un récit entier. Bref, il soutient que l’histoire nationale ne peut être complète si les femmes sont reléguées à un rôle second[194]! Le rapport affirme aussi que l’histoire des femmes et des rapports de genre devrait s’insérer de façon plus claire et plus robuste dans la trame et les fils du futur programme [195]. Toujours selon les analyses de la commission Beauchemin, le programme insisterait trop sur l’histoire politique et démographique ce qui empêche d’accorder aux femmes la place à laquelle elles ont droit. En effet, on ne formule qu’une description superficielle des femmes, leur donnant le rôle de génitrices pendant la Nouvelle-France. Puis, on ne parle que des figures marquantes reléguant ainsi les femmes du peuple aux oubliettes. Le programme de 2006 fait en sorte qu’on n’aborde jamais la vie « quotidienne » des femmes de façon complète et qu’on ne réserve qu’une petite bulle pour présenter les grandes figures, Mance ou Bourgeoys, par exemple. Il nous semble donc évident que la structure du programme est mésadaptée pour inclure adéquatement les femmes, chose impossible à faire tant qu’on hésite à les étudier pour elles-mêmes et qu’on n’en parle uniquement de manières détournées. Les femmes ne sont pas complémentaires à l’histoire, elles en sont des actrices tout autant que les hommes.

    Autres critiques : la qualité de l’information 

    Selon notre propre analyse, cette fois, il semble que plusieurs femmes marquantes et pionnières ne sont tout simplement pas abordées ou le sont de manière trop sommaire dans les manuels scolaires étudiés, par exemple Shanadithit dernière des Béothuks, Françoise Marie-Jacquelin, Mina Benson Hubbard, Esther Wheelwright, Marie Brazeau, Emma Lajeunesse dite l’Albani, Madame Montour, Esther Eneutseak et sa fille Nancy Columbia, Émilie Fortin Tremblay, Marie-Anne Gaboury, Maud Maloney Watt ou Robertine Barry. Dans l’optique de former des citoyens-nes en mesure de réfléchir sur la situation actuelle des femmes, il semble pertinent d’inclure ces femmes dans le cursus du cours. Micheline Dumont avance même que les grandes synthèses d’Histoire du Québec intègrent peu l’histoire des femmes. Cette histoire se retrouve dans des sections séparées, brèves et ponctuelles. Qui plus est, un ensemble de questions sont carrément négligées, notamment la violence envers les femmes ainsi que le caractère patriarcal des religions[197]. L’histoire des femmes se trouve à être occultée par les valeurs masculines[198].

    Évolution des manuels après le Rapport Beauchemin

    Après le Rapport Beauchemin, le nouveau manuel Périodes : Histoire du Québec et du Canada accorde une place légèrement plus grande aux femmes, particulièrement en présentant plus de modèles féminins. Ces dernières demeurent par contre des figures sans profondeur. Il reste donc encore beaucoup de chemin à faire pour les inclure véritablement dans le récit. Concernant les femmes autochtones, on observe peu de changements en regard des manuels de 2007[199]. Pour la période française, on mentionne que Jeanne Mance est cofondatrice de Ville-Marie, ce qui représente une excellente amélioration[200]. On explique même que les filles du Roy sont plus que de simples pauvres et mendiantes. Reste qu’on ne regarde pas en profondeur le quotidien des femmes, à l’exception du rôle de la sage-femme et de celui des communautés religieuses féminines[201].

    Les femmes demeurent sous-représentées dans le Régime britannique. Les références restent anecdotiques comme celles de La Corriveau ou de France Brooke[202]. À l’évidence, on ne suit pas les recommandations du Rapport Beauchemin et il semble difficile de changer le paradigme androcentrique pour cette période. Le dernier chapitre « Les revendications et les luttes nationales » mentionne les femmes de façon incidente. En effet, leurs apparitions dans le récit demeurent mineures, et ce malgré les recommandations plutôt claires du Rapport Beauchemin. Une fois de plus, la question du droit de vote se résume à une courte explication. On précise toutefois que ce sont les patriotes qui songent en premier à le retirer aux femmes[203]. Quant à la vie quotidienne des femmes et des hommes, elle a droit a de brèves présentations[204].

    La présence des Noirs-es dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté 

    La présence des Noirs-es dans les manuels de la réforme de 2006

    Les Noirs-es sont très peu présents-es dans les manuels d’histoire et d’éducation à la citoyenneté de la réforme. Dans les manuels de la collection Fresques, ils-elles ont une présence grâce à Marie-Joseph-Angélique, l’esclave accusée d’un incendie à Montréal en 1734[205]. Toutefois, on ne lui laisse que quelques lignes de présentation. Par la suite, il faut attendre une section intitulée « enjeux de citoyenneté », abordant la période contemporaine, pour qu’on mentionne le nom de Yolande James, c’est-à-dire la première femme noire ministre au Québec en 2007[206]. Pour autant, une réflexion sur la place des Noirs-es au Canada n’est pas soulevée. Par contre, on explique plusieurs fois dans les sections « Ailleurs », qui visent à faire une comparaison avec d’autres régions du monde, la place des esclaves dans les colonies américaines. En effet, les auteurs mentionnent les esclaves en Virginie[207] et le Code noir en Louisiane[208]. Dans les manuels des éditions du Grand Duc, on parle des Noirs-es en une seule place, dans un tableau de la hiérarchisation de la société au 17e siècle. On affirme qu’on recense un peu plus de 3 500 esclaves dans la colonie, l’esclavage étant reconnu au Canada par l’intendant, dont le tiers est d’origine africaine[209]. Malgré tout, ces manuels laissent croire que l’esclavage était un phénomène essentiellement extérieur au Canada et qu’il y avait peu de Noirs-es subissant du racisme au pays. 

    Rapport Beauchemin et les autres critiques

    Le Rapport Beauchemin ne mentionne pas les Noirs-es directement dans le rapport, insistant plus sur la place des femmes et des Premières Nations dans le cours d’Histoire et d’éducation à la citoyenneté au secondaire. Toutefois, quelques études traitent de l’apport des Noirs-es pour le Canada. En effet, les Anciens-nes Combattants-es du Canada fournissent plusieurs informations sur les Noir-e-s dans l’armée canadienne qui étaient présents dans plusieurs guerres[210]. On mentionne particulièrement que plusieurs Canadiens noirs et Canadiennes noires « peuvent retracer leurs racines familiales à partir des loyalistes qui ont émigré au Nord dans les années 1780, après la Révolution américaine[211]».

    Évolution après le Rapport Beauchemin

    Malgré tout, on accorde à ces derniers-ères deux pages dans le manuel Périodes, Histoire du Québec et du Canada[212], où il est question de l’esclavage en Nouvelle-France et de Marie-Joseph-Angélique. Il est dommage d’ignorer l’arrivée de plusieurs Noirs-es avec l’immigration des loyalistes au 18e siècle dans la Province de Québec.Somme toute la place accordée aux Noirs et aux Noires ainsi qu’à leur communauté demeure minime dans le nouveau cursus. 

    La présence des membres de la communauté LGBTQ+ dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté

    La présence de la communauté LGBTQ+ dans les manuels de la réforme de 2006

    Les membres de la communauté LGBTQ+ sont largement exclus des manuels d’enseignement du cours Histoire et éducation à la citoyenneté. Les manuels de la collection Fresques ne font jamais mention d’un membre de la communauté LGBTQ+. Les manuels Le Québec une histoire à suivre… quant à eux, ne représentent qu’un seul membre de la communauté LGBTQ+ et de façon très indirecte, voire non intentionnelle, en utilisant une photo d’André Boisclair[213]. En effet, celui-ci est présent pour expliquer un enjeu politique et non en raison de son orientation sexuelle ou pour soulever la question de ce que cela signifie que d’être homosexuel dans la société québécoise. 

    Le Rapport Beauchemin et d’autres critiques

    Le rapport Beauchemin ne fait aucune mention directe à propos des groupes LGBTQ+. Cette absence de questionnement quant à leur place dans l’histoire illustre bien un malaise dans notre société[214]. Il nous semble pourtant que l’histoire de la communauté LGBTQ+ devrait être mentionnée au même titre que celle des Noirs-es. En outre, Émond et Bastien-Charlebois montrent, dans une recherche datant de 2007, que les programmes scolaires et les manuels sont encore exempts de modèles gais et lesbiens[215]. Les manuels demeurent ainsi hétérosexistes en ignorant cette communauté.

    Évolution après le Rapport Beauchemin

    Après le Rapport Beauchemin, le nouveau manuel Périodes : Histoire du Québec et du Canada ne change pas la place accordée à la communauté LGBTQ+. Bien entendu, nous ne sommes pas en mesure de critiquer cette absence puisque peu d’études existent sur le sujet au Québec pour cette période. Toutefois, il serait possible de les inclure dans les sections d’actualités. D’ailleurs, cette absence est compréhensible puisque le Rapport Beauchemin ne les mentionne même pas. Il serait donc intéressant de regarder comment les manuels destinés au secondaire quatre vont les incorporer au récit. 

    La présence des immigrants-es dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté

    La présence des immigrants-es dans les manuels de la réforme de 2006

    Lorsqu’on parle d’immigration à partir du XIXe siècle dans les manuels datant de 2007, c’est notamment en termes quantitatifs. Par exemple, on mentionne qu’une immigration diversifiée s’installe dans les villes pour former une main-d’œuvre bon marché pour les industries canadiennes[216] ou les deux millions d’immigrants-es sous le mandat de Laurier[217]. Il y est expliqué l’importance d’augmenter la population pour les besoins de l’industrialisation. Les manuels ne parlent ni de leur intégration ni de leurs interactions ou de leurs conditions de vie. On explique dans les enjeux contemporains l’intégration et le multiculturalisme reliés à l’immigration[218],  mais en insistant particulièrement sur les mesures prises pour favoriser l’intégration au travail. Dans les manuels des éditions du Grand Duc, il y a un portrait d’un Juif à la Chambre des communes[219] où l’on précise que « […] les Juifs arrivent au Canada dans le sillage des armées britanniques[220]» et qu’ils-elles ne subissaient aucune discrimination particulière avant l’élection d’Ezekiel Hart comme député à la Chambre d’Assemblée. Les députés francophones utilisèrent le prétexte de la religion pour l’expulser et enlever ainsi un député anglophone [221].

    Le Rapport Beauchemin et autres critiques

    Le Rapport Beauchemin ne traite pas particulièrement de la question des immigrants-es ou des Juifs-ves, mais il mentionne tout de même l’importance de la diversité dans le cours d’Histoire et d’éducation à la citoyenneté. Le cas des Juifs-ves est notamment intéressant puisqu’une étude sur la représentation de la communauté juive dans les manuels scolaires québécois révèle que l’absence d’informations sur la communauté juive contribue aux craintes des autres Québécois face à ce groupe[222]. Il est ainsi pertinent de bien représenter la communauté juive au sein du Canada dans l’optique de former de futurs citoyens-nes. 

    Évolution après le Rapport Beauchemin

    Il est difficile d’évaluer un changement considérant la transformation de la trame chronologique sur deux années au lieu d’une seule et que la question des immigrants-es et des Juifs-ves se pose bien plus tard. Leur absence du nouveau manuel soulève tout de même quelque doute quant à la place que l’on souhaite accorder à cette communauté dans le nouveau programme.

    La présence des groupes marginalisés dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté

    La présence des différents groupes marginalisés, c’est-à-dire des handicapés-es, des sans-abris-es ou des orphelins-es, dans les manuels de la réforme de 2006 est minime. Les manuels de la collection Fresques mentionnent les handicapés-es et les accommodements que la société réalise pour ces derniers-ères une seule fois dans l’ensemble[223].  « Qui sont les enfants de Duplessis ? » Une question jamais abordée dans le passage sur le gouvernement de Duplessis. On se borne à dire qu’il applique des mesures sociales pour s’occuper des délinquants et délinquantes. Les cas de folies et de marginalité sont largement ignorés dans l’ensemble du récit, sauf une brève exception faite pour Émile Nelligan[224]. Bref, les marginaux-ales occupent une bien petite place dans l’enseignement au Québec pour le troisième secondaire. 

    Le Rapport Beauchemin

    Le rapport Beauchemin ne fait aucune mention directe des groupes marginalisés et de leur place dans l’enseignement. Celui-ci possède une volonté de faire une place aux oubliés-es et aux opprimés-es, mais ne présente pas de plan pour procéder à une rectification de la situation.

    Autres critiques : la qualité de l’information

    Dans un débat avec Denys Delâge, Raymond Bédard, président de la Société des professeurs d’histoire du Québec déclare en parlant des sujets sensibles et non enseignés que « [c]’est vrai pour les pensionnats indiens, mais aussi pour plein d’autres sujets litigieux. On ne parle pas non plus des orphelins de Duplessis. Ce n’est pas évident de parler d’agressions sexuelles à des adolescents[225]». Cela semble bien illustrer l’attitude des manuels envers les marginaux-ales. Une absence de volonté d’en discuter vu la complexité de la tâche.

    Évolution après le Rapport Beauchemin

    Le nouveau manuel Périodes : Histoire du Québec et du Canada ne change pas la place accordée aux marginaux-ales de la société. Malgré la présence d’études sur des cas de folie et sur des groupes marginalisés, ils n’ont pas encore rejoint le contenu du cours.

    Réflexion finale

    Premièrement, cette analyse révèle l’incapacité du récit national tel que présenté dans les manuels datant de 2007 d’inclure les oubliés-es de l’histoire. Considérant que l’un des objectifs du programme est la formation de citoyens-nes, il est très dommageable d’ignorer ou d’offrir une mauvaise vision de ces groupes. Le changement dans le récit post-Rapport Beauchemin ne règle pas tout à fait cette situation. 

    Sommairement, on remarque que les Premières Nations ne sont pas bien représentées dans les manuels datant de 2007, mais que cette situation change complètement à la suite du Rapport Beauchemin. On traite de ces dernières dans près de la moitié de la matière destinée aux étudiants-es du troisième secondaire maintenant. Certes, il y a toujours place à l’amélioration, mais cette modification nous semble satisfaisante. Au contraire, les problèmes de la sous-représentation des femmes dans le récit national persistent, les recommandations du Rapport Beauchemin n’étant pas toutes appliquées. Bien que l’on agrémente le récit politique d’un peu d’histoire sociale, l’approche conserve un cadre national où l’homme prédomine. De même pour la communauté noire, il reste beaucoup d’éléments à intégrer dans la trame du récit. La communauté LGBTQ+ quant à elle, reste ignorée malgré le changement du récit. D’ailleurs, les immigrants-es ainsi que les Juifs-ves ne sont pas suffisamment mentionnés-es pour que l’on puisse pleinement parler du Québec et du Canada comme d’une société multiculturelle. C’est le même cas pour les marginaux-ales dans les manuels. Les plus opprimés-es de notre pays ne reçoivent pas l’attention ni l’intérêt du programme.

    Deuxièmement, à la lumière de cette recherche, il est possible de constater que le Rapport Beauchemin possède lui-même des lacunes quant à sa réflexion sur la place des oubliés-es de l’histoire. Bien que le rapport mentionne le désir de mieux représenter le pluralisme du Canada et du Québec, il ne désigne aucunement ces groupes, exception des Premières Nations et des femmes. En effet, il accorde toujours la prédominance au récit national. Il pose plusieurs questions qui demeurent sans réponse, ne donnant aucune méthode concrète ou de plan pour mieux intégrer les oubliés-es de l’histoire au récit national. Il stipule uniquement qu’il est nécessaire de s’intéresser aux interactions entre les minorités. C’est sans doute pour cette raison que le nouveau manuel ne représente pas parfaitement les oubliés-es. 

    En effet, le Rapport Beauchemin voulait que le nouveau programme insiste sur l’étude de la population et des groupes sociaux qui révèle la contribution, la diversité et l’évolution des différentes communautés ethniques et culturelles afin de favoriser un récit national intégrateur. Un récit « qui devrait reposer sur l’étude des interactions entre les divers groupes, y compris entre minorités et majorité, plutôt qu’un simple inventaire des différences, trop souvent folklorique et mal intégré au récit d’ensemble» [226]. De la sorte, qu’il voulait qu’on favorise un récit dans la longue durée et la diversité interne des minorités historiques afin d’éviter les représentations stéréotypées[227].

    Finalement, il nous est possible de formuler plusieurs recommandations suite à cette analyse sur la place des oubliés-es de l’histoire dans les manuels d’histoire du troisième secondaire. Nous croyons que ces recommandations devraient être prises en compte dans les prochaines révisions du cours Histoire et éducation à la citoyenneté.

    1. Il faut faire attention dans la manière dont on présente les oubliés-es de l’histoire, particulièrement pour les Premières Nations et pour les femmes.
    1. Il faut réduire l’importance du cadre politique national dans le cursus du cours afin d’accorder une plus grande importance à l’histoire sociale, et ainsi des femmes et de plusieurs autres groupes. 
    1. Il faut expliquer et décrire les effets des institutions patriarcales sur le mode de vie des femmes pendant l’ensemble du récit. 
    1. Il faut ajouter des informations concernant les Noirs-es tout au long du récit. 
    2. Il faut expliquer la présence et le fonctionnement de l’esclavage en Nouvelle-France.
    3. Il faut suivre la recommandation du Rapport Beauchemin sur l’importance de l’histoire des interactions sociales entre les groupes sociaux afin d’intégrer les immigrants-es et les Juifs-ves.
    4. Il faut venir à bout de l’hétérosexisme dans les manuels pour inclure la communauté LGBTQ+ dans le récit. 
    5. Il faut explorer les rapports de genre et de sexualité au sein du Canada et du Québec.

    Cette analyse possède plusieurs limites, considérant qu’elle ne prend pas en compte l’évolution des manuels suite au Rapport Beauchemin après 1840 et les méthodes pédagogiques pour enseigner cette matière.

    En outre, considérant l’importance de l’histoire dans la formation des étudiants-es, il est essentiel que celle-ci soit représentative de l’ensemble de la population. Bien que l’histoire joue un rôle unificateur, elle se doit aussi d’être inclusive. Malgré ces dernières recommandations, une question demeure : sont-elles réalisables? Peut-on inclure l’ensemble des oubliés-es dans le récit sans alourdir le contenu du cours et sans perdre toutes lignes directrices? Les étudiants-es du secondaire sont-ils-elles en mesure d’intégrer autant de matière? Nous sommes encore en réflexion par rapport à ces considérations. Bien sûr, il est nécessaire de faire une sélection du contenu puisque si l’on rajoute des informations sur les oubliés-es de l’histoire, il faut nécessairement en enlever ailleurs. Il faut trouver un juste équilibre entre un récit national et un récit inclusif. Il faudrait ainsi résumer certaines parties de l’histoire du Québec pour faire de la place à nos recommandations. Il faut choisir quelles visions nous voulons offrir du Québec aux futurs-es citoyens-nes. 

    Références

    [141]Isabelle Hachey, « Les grands absents de l’histoire », La Presse, [En ligne], 24 avril 2013, http://plus.lapresse.ca/screens/4141-1a98-517726ce-947d-2a0fac1c6068%7CA0maKKP-DPQz.html (Page consultée le 3 octobre 2016).
    [142]Olivier Lemieux, « Les programmes d’histoire du Québec depuis la Révolution tranquille : une analyse exploratoire », Histoire engagée, 8 décembre 2014, En ligne, http://histoireengagee.ca/?p=4331 (Page consultée le 26 août 2017).
    [143]Antoine Robitaille, « Cours d’histoire épurés au secondaire », Le Devoir, [En ligne], 24 avril 2006, http://www.ledevoir.com/societe/education/107695/cours-d-histoire-epures-au-secondaire (Page consultée le 26 août 2017).
    [144]Antoine Lemieux, op. cit.
    [145]Marie-Hélène Brunet, « Une histoire sans les femmes est une histoire désangagée », Histoire engagée, En ligne], 22 novembre 2013, http://histoireengagee.ca/?p=3741 (Page consultée le 26 août 2017)
    [146] Loc. Cit.
    [147]Gouvernement du Québec, Histoire et éducation à la citoyenneté : programme de formation de l’école québécoise, Éducation et Enseignement supérieur du Québec, [site Web], 2016, p. 1.
    [148]Ibid., p. 1-2.
    [149]Ibid., p. 11.
    [150]Jacques Beauchemin et Nadia Fahmy-Eid, Rapport final à la suite de la consultation sur l’enseignement de l’histoire. Le sens de l’histoire : pour une réforme du programme d’histoire et éducation à la citoyenneté de 3e et de 4e secondaire, Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Mars 2014, p. 13.
    [151]Gouvernement du Québec, op.cit., p. 17.
    [152]Ibid., p. 22.
    [153]Beauchemin et Fahmy-Eid, op. cit., p. 13.
    [154]Radio-Canada, « L’enseignement de l’histoire au Québec revu et corrigé », Radio-Canada Nouvelles, [site Web], 2 septembre 2013, http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/630235/malavoy-duchesne-renforcement-histoire-quebec (Page consultée le 26 août 2017).
    [155]Ibid.
    [156]Beauchemin et Fahmy-Eid, op. cit., p. 24.
    [157]Gouvernement du Québec, op.cit., p. 6.
    [158]Beauchemin et Fahmy-Eid, op. cit., p. 7.
    [159]Ibid., p.36.
    [160]Sylvain Fortin et al., Fresques : Histoire et éducation à la citoyenneté, Québec, Graficor : Chenelière éducation Manuel de l’élève A, 2e cycle du secondaire, 1re année, 2007, p. 4-5, p. 48 et p. 96.
    [161]Raymond Bédard et al., Le Québec, une histoire à suivre…: Des revendications et luttes dans la colonie britannique aux enjeux de la société québécoise de 1980, Québec, Éditions Grand Duc, Manuel de l’élève 2, 2e cycle du secondaire, 1re année, 2007, p. 332.
    [162]Fortin et al. Fresques, Manuel de l’élève B, p. 232-234.
    [163]Ibid., p. 97.
    [164]Fortin et al. Fresques, Manuel de l’élève A, p. 21-24-26-28-29.
    [165] Ibid., p. 2-53 ; Bédard et al. Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 1, p. 2-64.
    [166]Ibid., p.33.
    [167]Ibid., p.38.
    [168]Fortin et al., Fresques, Manuel de l’élève B, p. 232-234.
    [169]Beauchemin et Fahmy-Eid, op. cit., p. 36.
    [170] Sylvie Vincent et Bernard Arcand, L’image de l’Amérindien dans les manuels scolaires du Québec, Montréal, Les Éditions Hurtubise, 1979, p. 72.
    [171]Bédard et al., Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 2, p. 113
    [172]Vincent et Arcand, op. cit., p. 86.
    [173]Bédard et al. Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 2, p. 112.
    [174]Ibid., p. 263.
    [175]Pierre Lepage, Mythes et réalités sur les peuples autochtones, Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2e édition, 2009 (2001), p. 3-6.
    [176]Julie Charrette et al., Périodes : Histoire du Québec et du Canada : des origines à 1840, Québec, les éditions CEC, 2016, p. 360.
    [177]Fortin et al., Fresques, Manuel de l’élève A, p. 13-49 ; Bédard et al., Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 1, p. 29-46.
    [178]Ibid., p. 105; Fortin et al., op. cit., p. 72
    [179]Bédard et al., op. cit., p. 85; Fortin et al., op. cit., p. 85
    [180]Ibid., p. 84-85; Bédard et al., op. cit., p. 89-90.
    [181]Ibid., p. 108.
    [182]Bédard et al., op. cit., p. 157; Fortin et al., op. cit., p. 135, 145, 166.
    [183]Bédard et al., op. cit., p. 338.
    [184]Fortin et al. Fresques, Manuel de l’élève B, p. 147. ; Bédard et al., op. cit., p. 386.
    [185]Ibid., p. 392.
    [186]Bédard et al., Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 2, p.108.
    [187]Fortin et al. , op. cit., p. 341.
    [188]Ibid., p. 154.
    [189]Bédard et al., op. cit., p. 395.
    [190]Fortin et al., op. cit., p. 158.
    [191]Ibid., p. 166.; Bédard et al. , op. cit., p. 405.
    [192]Ibid., p. 453.
    [193]Beauchemin et Fahmy-Eid, op. cit., p. 11.
    [194]Ibid.,p.24.
    [195]Ibid., p.36.
    [196] Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Elles ont fait l’Amérique : De remarquables oubliés Tome 1, Québec, Lux éditeur, 2011, p. 23-397.
    [197]Julie Miville-Dechêne, Notes pour une allocution à l’occasion du colloque « manuels scolaires, genre et égalité, Centre Hubertine Auclert, Paris, 2 juillet 2014, p. 8-9, [En ligne], https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/allocution-colloque-manuels-scolaires-genre-et-egalite.pdf.
    [198]Micheline Dumont, La construction de l’invisibilité des femmes dans l’histoire, conférence de l’Université de Sherbrooke sous la direction de l’APPRUS, Sherbrooke, 28 septembre 2016.
    [199]Charrette et al., op. cit., p. 36-47.
    [200]Ibid., p. 113-132.
    [201]Ibid., p. 162.
    [202]Ibid., p. 244, 277, 278.
    [203]Ibid., p. 430.
    [204]Ibid., p. 396, 397.
    [205]Fortin et al., Fresques, Manuel de l’élève A, p. 93
    [206]Ibid., p.180.
    [207]Ibid., p. 109.
    [208]Ibid., p. 167.
    [209]Bédard et al., Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 1, p. 111.
    [210]Gouvernement du Canada, « Les Canadiens de race noire en uniforme – Une fière tradition », Anciens combattants du Canada, [En ligne], http://www.veterans.gc.ca/fra/remembrance/those-who-served/black-canadians-in-uniform (Page consultée le 12 décembre 2016).
    [211]Ibid.
    [212]Charrette et al., op cit., p. 198-199.
    [213]Bédard et al., Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 1, p. 309.
    [214]Beauchemin et Fahmy-Eid, op. cit., p. 16.
    [215]Miville-Dechêne, op. cit., p. 10.
    [216]Fortin et al., Fresques, Manuel de l’élève B, p. 18-19.
    [217]Ibid., p. 102.
    [218]Ibid., p. 243.
    [219]Bédard et al., Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 1, p. 275.
    [220]Loc. Cit.
    [221]Loc. Cit.
    [222]Sivane Hirsch et Marie Mc Andrew, « La représentation de la communauté juive dans les manuels scolaires québécois », Nouveaux chiers de la recherche en éducation, vol. 15, n° 2 (2012), p. 58.
    [223]Fortin et al. Fresques, Manuel de l’élève B, p. 181.
    [224]Bédard et al., Le Québec, une histoire, Manuel de l’élève 2, p. 358.
    [225]Hachey, op cit. [226]
    [227]Beauchemin et Fahmy-Eid, op. cit., p. 36.
    [228]Loc. Cit.