L’élevage français à l’heure durhamiste (1830-1870) : Initiatives individuelles, discours agrarien et résistances paysannes

Lisalou Martone

Université Lumière Lyon II

Résumé : Le 19e siècle marque le début d’une attention plus marquée pour les questions agricoles en France. À partir des années 1820 et sous l’influence de la vague d’anglomanie qui souffle alors sur la France, améliorer la qualité du cheptel devient une priorité. L’introduction d’une race bovine britannique alors très en vogue, le Durham, est vue comme tout à fait appropriée. L’entreprise rassemble les efforts de l’État et de différents acteurs de l’élevage, mais s’avère un échec. L’enthousiasme des premiers temps ne résiste pas aux impératifs économiques des petits exploitants ni aux mutations sociales à l’œuvre dans la deuxième moitié du 19e siècle.

 

Table des matières
    Add a header to begin generating the table of contents

    L’engraissement du bétail n’est pas une affaire de fantaisie et de luxe. Appliqué à quelques sujets d’un choix particulier, il peut fournir la solution d’un problème de zootechnie; mais quand il porte sur un certain nombre d’animaux destinés à la consommation et ne s’éloignant pas des conditions de l’exploitation ordinaire, il prend le caractère industriel et peut donner la solution d’un problème d’économie générale.

     Eugène Tisserant, « Concours d’animaux de boucherie à Lyon », Journal de médecine vétérinaire, vol. 18, 1862, p. 170.

    Telles sont en 1862, les vues du vétérinaire, conférencier agricole et journaliste Eugène Tisserant au sujet de l’introduction de la race Durham dans le cheptel bovin français. Ce discours est représentatif du contexte éminemment scientiste du 19e siècle, dans lequel l’élite savante fait preuve d’une foi inébranlable dans le progrès scientifique et technique. Ce dernier est porté aux nues et vu comme un moyen d’amélioration économique et sociale. Les savants de l’époque croient en effet à la possibilité et surtout à la nécessité de dominer et d’améliorer la nature. Ils ont été les premiers à imaginer qu’en appliquant des méthodes rationnelles au vivant, on pouvait améliorer et surtout augmenter sa productivité. En parallèle émerge l’idée de rationalisation du travail, aussi bien industriel qu’agricole, qui provoque la standardisation non seulement des produits, mais aussi des animaux. L’une de ces tentatives d’amélioration et de standardisation animale, destinée à répondre à ce qui apparaissait comme un problème d’ordre économique, a été la tentative d’introduction de la race Durham dans le cheptel bovin français.

    Le Durham ou Shorthorn est une race bovine anglaise, issue d’une sélection opérée dans le Nord-est de la Grande-Bretagne par les frères Colling à la fin des années 1780. Le Durham y était connu depuis quelque temps déjà pour sa taille et son poids largement supérieurs à la moyenne des autres races locales. Inspirés par les nouvelles théories sur l’amélioration des races animales, les frères Colling opérèrent des sélections successives dans la race afin de diminuer le volume des os, et d’augmenter de celui de la viande. L’objectif était double : il s’agissait d’allier économie et esthétique en produisant de beaux animaux tout en améliorant leurs qualités bouchères. Le Durham devint rapidement réputé pour la précocité de son développement et sa disposition à l’engraissement. Le célèbre Durham Ox, l’un des bœufs issus de l’étable des Colling, pesait plus de 1300 kg. Il voyagea durant près de six années dans toute la Grande-Bretagne, lors de foires agricoles et autres évènements. Il y était alors exhibé comme un phénomène de cirque et suscitait une curiosité sans précédent de la part du public : à Londres en 1802, les recettes d’une seule journée d’exhibition s’élevaient à 97 £ [2]. À partir des années 1820, écrit l’historienne E.A Wasson, les shorthorns « were launched on the road to supremacy among the bovine populations of Britain, Ireland, and America [3] », et furent utilisés de manière intensive pour améliorer d’autres races bovines britanniques et européennes aux 18e et 19e siècles. La race a ainsi été largement exportée, notamment en direction des Amériques, et a servi à améliorer de nombreuses races locales [4].

    En France, les tentatives d’importation de races bovines venues d’outre-Manche (Durham-shorthorn et autres) ont échoué même si elles ont permis d’améliorer certaines races locales comme la Normande ou la Maine-Anjou. On prétend généralement qu’elles ne se seraient pas acclimatées, mais comme l’ont mis en lumière de récents travaux sur la question, il s’agit surtout d’une incompatibilité entre les besoins et les capacités de la race Durham et les attentes et les moyens économiques des éleveurs [5].

    En France, jusqu’au milieu du 19e siècle, on ne se souciait guère de productivité agricole et encore moins d’élevage, et l’État ne mettait aucune réelle politique en œuvre en la matière. Il fallut attendre les débuts de l’industrialisation pour que naisse la notion de spécialisation des races et donc l’idée de les améliorer par croisement ou sélection [6]. Il faut également rappeler que le Département de l’Agriculture, après avoir fait partie des Travaux publics et de l’Intérieur, était passé sous la direction du Ministère du Commerce en 1836. Ce changement de mains est révélateur puisque dans les décennies suivantes, l’agriculture devient l’un des centres de préoccupation privilégiés de l’État, principalement sur le plan économique. À partir des années 1840, l’agriculture française s’engage alors dans la voie du progrès. Des conditions propices à une augmentation du cheptel (par exemple l’augmentation des cultures fourragères) permettent d’envisager l’entretien d’un cheptel plus conséquent. La présence bovine se renforce sur l’ensemble du territoire et les éleveurs tâchent alors de répondre à l’appel des nouveaux débouchés urbains. En effet, les débuts de l’exode rural et de l’industrialisation entraînent un afflux de main-d’œuvre vers les villes. Ce mouvement entraîne une chute du nombre de producteurs de viande et une hausse du nombre de  ceux qui en mangent. Il s’agit dès lors de trouver une solution pour satisfaire cette demande accrue en produits agricoles et plus particulièrement en viande. Pour nourrir le pays rapidement et abondamment, on tente d’introduire le Durham, une race précoce et très grasse, afin de développer une production de viande bovine bon marché. Les premiers résultats observés dans les années 1840-1850 sont spectaculaires. Pourtant, bien qu’appuyée par le gouvernement et de nombreuses initiatives personnelles au niveau local (comme les comices et les conférences agricoles), l’entreprise se révèle un échec et dès le milieu des années 1860 le Durham amorce son rapide déclin.

    Quels sont les facteurs ayant concouru à l’abandon de la politique durhamiste? Que nous révèle cette expérience sur les rôles respectifs de l’État et des experts dans les entreprises liées au progrès agricole? Quels biais peut-on observer entre les discours tenus et les pratiques mises en œuvre? Pour la grande majorité des paysans, l’élevage de Durham n’était pas rentable économiquement. La coalition d’initiatives individuelles, aussi bien de grands éleveurs que de vétérinaires, s’est fait le relais des possibilités et des attentes des petits exploitants. Derrière le refus du Durham apparaissent en filigrane des mutations économiques et sociales et surtout le rejet d’une idéologie nobiliaire qui vit ses derniers jours de gloire.

    L’historiographie concernant l’élevage Durham demeure très majoritairement anglo-saxonne. En dehors des herd-books retraçant l’histoire des races bovines [7], les toutes premières études consacrées aux Durham-Shorthorn relevaient davantage du travail de l’érudit que de l’historien [8]. À partir des années 1960, la question du Durham a été traitée de manière anecdotique dans des ouvrages de synthèse ou des articles consacrés à l’agriculture et à l’élevage britanniques, comme Modern Developments in Animal Breeding publié par Lerner et Donald en 1966, The Domestication and Exploitation of Plants and Animals d’Ucko et Dimblebyen 1969ou encore The Agricultural Revolution: Changes in Agriculture 1650-1880 de Minguay en 1977 [9]. Ce n’est que plus récemment que des historiens ont publié un certain nombre d’articles entièrement dédiés à la question durhamiste. On peut notamment citer les travaux menés par John R. Walton à la fin des années 1980 : « The Diffusion of the Improved Shorthorn Breed of Cattle in Britain during the Eighteenth and Nineteenth Centuries » et « Pedigree and the National Cattle Herd circa 1750–1950 » [10]. D’autre part, la diffusion de la race Durham dans les colonies nord-américaines et en Amérique du Sud a suscité l’intérêt de quelques historiens depuis les années 2000. On peut citer à cet égard les travaux de Carmen Sesto sur les éleveurs argentins, et de Joan Grundy, Eric Stoykovich et James Young et Charlie Clements sur l’importation de bovins améliorés aux États-Unis et au Canada [11].

    Par la suite, en Angleterre comme en France, les historiens se concentrèrent principalement sur l’œuvre pionnière de certains grands éleveurs (pour la plupart des aristocrates agromanes et des grands propriétaires fonciers appartenant à l’élite traditionnelle). Comme le souligne J.Walton dans son article « Pedigree and the National Cattle Herd »: 

    Pedigree stock – that is, stock eligible for inclusion in published genealogies listing ancestral links between animals of a particular breed and those originally improved by the pioneers of that breed – represent a continuing testimony to the aims and beliefs of the master breeders.

    John R. Walton, « Pedigree and the National Cattle Herd », p. 149.

    Il est vrai que l’amélioration du bétail était une pratique coûteuse, et comme le rappelle Carmen Sesto dans son étude sur l’action innovatrice des éleveurs argentins, les premiers agents de l’amélioration du bétail étaient principalement de grands propriétaires fonciers et des hommes d’affaires : « Although it seems that the haciendados would have been the first to adopt the new technology, this was done only by those who had the monetary capacity to react and the necessary sensibility to understand and use the exceptional economic opportunities to invest in a long-term project ». Peu à peu, la focale s’est détournée des grandes figures individuelles issues de l’élite traditionnelle pour se concentrer sur l’action de groupes professionnels. Cependant très peu d’études ont été consacrées aux initiatives des administrations locales et encore moins au rôle spécifique des vétérinaires dans la diffusion des nouveaux savoirs agronomiques dans les campagnes. En effet, les rares études publiées sur le sujet ont été le fait de scientifiques intéressés par l’histoire de leur discipline comme l’agronome Bernard Denis, qui a entre autres publié un article sur le rôle des vétérinaires dans la diffusion du progrès agronomique au 19e siècle. On peut également citer la synthèse très complète de Ronald Hubscher sur les vétérinaires, intitulée Les maîtres des bêtes, ainsi que les articles de Michel Vernus et de Jean-Marie Wiscart sur les agronomes.

    Il est vrai que l’amélioration du bétail était une pratique coûteuse, et comme le rappelle Carmen Sesto dans son étude sur l’action innovatrice des éleveurs argentins, les premiers agents de l’amélioration du bétail étaient principalement de grands propriétaires fonciers et des hommes d’affaires : « Although it seems that the haciendados would have been the first to adopt the new technology, this was done only by those who had the monetary capacity to react and the necessary sensibility to understand and use the exceptional economic opportunities to invest in a long-term project [14] ». Peu à peu, la focale s’est détournée des grandes figures individuelles issues de l’élite traditionnelle pour se concentrer sur l’action de groupes professionnels [15]. Cependant très peu d’études ont été consacrées aux initiatives des administrations locales et encore moins au rôle spécifique des vétérinaires dans la diffusion des nouveaux savoirs agronomiques dans les campagnes. En effet, les rares études publiées sur le sujet ont été le fait de scientifiques intéressés par l’histoire de leur discipline comme l’agronome Bernard Denis, qui a entre autres publié un article sur le rôle des vétérinaires dans la diffusion du progrès agronomique au 19e siècle [16]. On peut également citer la synthèse très complète de Ronald Hubscher sur les vétérinaires, intitulée Les maîtres des bêtes [17], ainsi que les articles de Michel Vernus et de Jean-Marie Wiscart sur les agronomes[18].

    L’historiographie française a suivi un cheminement similaire à celui de sa consœur britannique [19], mais de manière générale, très peu d’historiens se sont penchés sur l’épisode durhamiste de l’élevage français. À cet égard, les nombreux travaux de Jean-Luc Mayaud sur la question font figure d’exceptions [20]. Son ouvrage retraçant l’histoire du concours général agricole comporte notamment des informations précieuses sur les querelles autour de l’introduction du Durham en France, celle-ci ayant cristallisé les antagonismes relatifs aux réglementations des concours [21]. Ces lacunes dans le champ purement historique ont été comblées par des articles issus de revues scientifiques spécialisées comme la revue Ethnozootechnie, qui nous ont été très utiles pour comprendre le « phénomène Durham ». Les articles de Marcel Théret et de Bernard Denis sur l’introduction des races britanniques dans le cheptel français [22], tout comme ceux de François Spindler, d’Annie Antoine et de Bertrand Vissac sur le passage à la sélection dite moderne dans l’élevage [23], nous ont en particulier été très précieux.

    Les conférences agricoles ont, quant à elles, fait l’objet de nombreuses études. À ce titre l’ouvrage de synthèse dirigé par Michel Boulet et intitulé Les Enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture, 1760-1945 [24], a été très utile pour la rédaction de cette étude. Nous nous sommes en particulier intéressés aux présentations de René Bourrigaud et de Jean-Luc Mayaud sur le rôle joué par les comices agricoles dans la diffusion des savoirs scientifiques [25] et de Caroline Gilberte sur les conférences agricoles tenues dans le Rhône dans le dernier quart du 19e siècle [26]. Enfin, la lecture des travaux de Jean-Luc Mayaud nous a permis d’intégrer une dimension supplémentaire, plus politique, à notre travail. Ses articles sur « la belle vache », le « bœuf noble » et le « taureau républicain » tissent des liens intéressants entre les canons de beauté recherchés chez les bovins et les changements de tendances politiques [27]. De même les travaux d’historiens comme Gilles Della-Vedova, Philippe Grandcoing et surtout Stéphane Frioux, sur le rôle des éleveurs dans la promotion des races bovines locales qui a suivi le rejet du Durham nous ont été particulièrement utiles [28]. Le sujet avait donc à la fois été assez traité pour que l’on considère en avoir fait le tour, et trop peu pour rendre fidèlement compte du rôle joué par les différents acteurs dans cette aventure agro et anglomaniaque.

    Pour tenter de répondre à nos interrogations, nous nous sommes dirigés vers les archives  relatives à l’administration de l’agriculture. Dans un premier temps, nous avons travaillé à partir des registres des Chambres d’agriculture, Associations et sociétés agricoles, comices de la région lyonnaise ainsi que ceux du personnel de l’enseignement agricole et de l’École vétérinaire de Lyon, pour tenter d’identifier les individus ayant eu une influence majeure dans le domaine de l’élevage. Les vétérinaires étant à l’époque considérés comme les experts naturels en matière d’élevage, nous avons d’emblée axé nos recherches sur ce groupe d’individus en particulier. À partir de ces différents éléments, nous avons été en mesure de construire une base de données répertoriant les individus appartenant au milieu de l’élevage, et que l’on retrouvait dans les différentes sphères d’action agricole. Très rapidement, un nom s’est distingué parmi les autres : celui d’Eugène Tisserant, professeur départemental d’agriculture, collaborateur au Journal de médecine vétérinaire de Lyon et détenteur de la chaire de zootechnie à l’École vétérinaire de Lyon durant plus d’une trentaine d’années. Centrer notre étude sur la carrière d’Eugène Tisserant et sa participation à la diffusion des savoirs agronomiques dans les campagnes du Rhône au 19e siècle nous est apparu pertinent à bien des égards. En effet, son cas est représentatif de l’implication croissante des vétérinaires dans le champ de l’agriculture, et surtout de l’élevage. 

    Nous avons rencontré cet individu à de nombreuses reprises lors de nos sondages préliminaires, mais l’élément décisif qui en a fait le fil conducteur de notre recherche a été la découverte dans les archives de dossiers concernant la création d’une chaire d’agriculture et la mise en place de conférences agricoles dans le Rhône. Plus spécifiquement, un dossier contenant une correspondance importante et s’étirant sur une dizaine d’années entre Eugène Tisserant et le préfet du Rhône Marius Vaïsse a été découvert et utilisé de manière intensive lors de mes recherches. Ces échanges de courrier entre les deux hommes se sont révélés être une source précieuse, jetant une lumière nouvelle sur les individus qui ont motivé mise en place de l’enseignement agricole dans le Rhône, mais également les buts qui ont été assignés à cet enseignement. Loin des discours officiels tenus par le gouvernement, cette correspondance en dit long sur les difficultés rencontrées par le conférencier et le préfet dans la mise en place de l’enseignement agricole itinérant, leurs doutes et leurs enthousiasmes.

    Enfin, les documents d’archives ont été complétés par la consultation de sources imprimées contemporaines. L’agriculture prenant à l’époque une place grandissante dans le discours de l’État, il paraissait intéressant de se plonger dans la littérature scientifique de l’époque pour tenter de saisir la vision de ceux qui étaient alors considérés comme les experts de l’élevage. Nous avons donc parcouru les trente années d’activités journalistiques d’Eugène Tisserant au sein du Journal de médecine vétérinaire de Lyon (1846-1876), aussi bien que d’autres publications comme son guide à l’usage des propriétaires de bétail [29]. D’autre part, des ouvrages généraux comme le Dictionnaire général de médecine et de chirurgie vétérinaires et des sciences qui s’y rattachent [30] ou des rapports en lien avec notre sujet, comme celui d’Henri Durand sur la production de viande de boucherie [31], ont également été consultés.


    Pourquoi cette volonté amélioratrice?

    Au milieu du 19e siècle, l’agriculture et l’élevage français enregistraient un retard important par rapport à leurs voisins.La mosaïque de races bovines très diverses qui composaient le cheptel français était unanimement dénoncée par les observateurs contemporains. Ses capacités productives étant considérées comme plus que médiocres et son amélioration perçue comme nécessaire dès le début du siècle. Les changements économiques et sociaux qui se profilaient alors dans les années 1830 ne rendirent cette mutation de l’élevage que plus urgente aux yeux des pouvoirs publics. Une croissance démographique et une urbanisation à la hausse, mais aussi des changements de pratiques alimentaires encouragés par une augmentation du niveau de vie des Français constituèrent les facteurs déterminants qui concoururent à créer une pression sur le marché de la viande de boucherie. De plus, la réduction progressive du nombre de jours d’abstinence — passés de 125 à 65 par an — équivalut à une augmentation de 25 % des journées « carnées » [32]. Un rapport lu sur la production de viande de boucherie présentée à la Société d’Agriculture de Lyon en 1861, devant une commission composée entre autres de propriétaires éleveurs et de vétérinaires, en témoigne. Devant l’augmentation croissante du prix de la viande, due à la pression de la demande, la seule solution pour faire baisser les prix semblait être d’accélérer la production. Le rapporteur du texte, Henri Durand, soutint que la mission de l’enseignement agricole est de « faire comprendre aux agriculteurs l’importance des races [33] ». Il s’agissait, grâce aux fonds d’encouragement à l’agriculture, de placer dans les communes des taureaux bons reproducteurs et de développer un élevage de boucherie de qualité. 

    Les agents impliqués dans la gestion du problème

    Les motivations des différents acteurs de l’élevage les amenèrent à s’accorder à voir dans le Durham une solution miracle.En premier lieu, le régime bonapartiste aux commandes dans les années 1850-1870 prônait une idéologie progressiste. Il cherchait ainsi à asseoir son autorité sur sa capacité à montrer la voie de l’amélioration sociale, notamment par son souci des questions agricoles. On cherchait à faire intégrer aux paysans les « bonnes » méthodes innovatrices en matière d’agriculture afin que leurs cultures et leur bétail soient les plus productives possible et utilisables au maximum de leur rendement. Il s’agissait de diffuser les innovations agricoles le plus largement possible, afin que la nation entière prenne part à la marche vers la modernité. Cela impliquait essentiellement de revoir les modes traditionnels de culture et d’élevage, et comme l’Angleterre avait connu cette révolution au moins un siècle auparavant, elle devint le modèle à suivre en France. Les pouvoirs publics virent immédiatement dans le Durham la possibilité d’accroître la production de viande tout en abaissant son prix : le Durham devint alors le type idéal de l’animal amélioré. 

    Ces conceptions furent relayées par des hommes de science dévoués à l’avancée des savoirs et des techniques et mises en pratique par une minorité de grands propriétaires issus de l’aristocratie.Les vétérinaires, qui n’étaient alors pas encore concurrencés par les agronomes en matière d’expertise agricole, semblent les seuls à pouvoir prétendre au statut de spécialistes dans le monde de l’élevage. En plus d’apparaître comme des « passeurs de sciences » naturels, ils appartenaient à une profession en quête de reconnaissance qui voit dans ce nouveau défi une opportunité d’asseoir son statut social. Enfin, les gentlemen-farmers jouèrent un rôle essentiel dans cette aventure. L’amélioration du bétail était coûteuse et restait principalement une affaire de notables. On retrouve aux avant-postes de la modernité agricole des membres de la noblesse affaiblie par la chute de la Monarchie de juillet. Repliés dans ses châteaux campagnards, ses membres soignaient leurs espoirs politiques déçus en tentant de rétablir un semblant d’autorité sur les gens qu’ils continuaient de considérer comme « leurs » paysans. Pour nombre d’aristocrates, il était dans l’air du temps de se faire agriculteur. Ils étaient en effet critiques vis-à-vis du monde des affaires et réticents à l’idée de tirer profit de bénéfices issus de spéculations plus ou moins occultes. Ils restaient donc fidèles à la tradition et entendaient tirer leurs ressources de leurs propriétés foncières, et leur prestige de l’entretien d’animaux de race très coûteux et impressionnants. Enfin, ils étaient parmi les premiers lecteurs de la presse spécialisée et fréquentaient assidûment les réunions des sociétés d’agriculture. Comme le souligne Jean-Luc Mayaud :

    Ils sont nombreux à comprendre le développement des cultures industrielles et l’amorce de spécialisations culturales régionales […] tandis que progressent les prairies artificielles et les superficies en racines fourragères capables de nourrir un bétail plus nombreux. Ils sont nombreux à prôner la multiplication du cheptel et l’amélioration des races à viande, les animaux sélectionnés outre-Manche apparaissant alors les plus appropriés à la réalisation de telles ambitions.

    Jean-Luc Mayaud, « Du bœuf noble au taureau républicain », p. 181.

    Le raccourci a longtemps été fait avec une politique dirigiste et agrarienne de l’État bonapartiste, mais les archives semblent raconter une histoire différente. L’idéologie progressiste en matière d’agriculture était apparemment surtout une affaire de discours politique. Sa mise en pratique concrète se révèle être celle d’individus isolés, mais motivés, souvent soutenus par des relais de l’administration au niveau local. Ces innovateurs, qui sont aussi bien des vétérinaires que des grands propriétaires, prêchent la bonne parole progressiste dans les campagnes au moyen de concours récompensant les plus beaux animaux, mais aussi par le biais de conférences, qui sont autant de lieux d’échanges de savoirs et de pratiques.

    Quels sont les moyens mis en œuvre?

    L’action déterminante des vétérinaires

    Les premiers jalons de l’entreprise durhamiste furent posés par l’entremise de vétérinaires dont certains sont envoyés en Angleterre dans les années 1820 pour observer les méthodes de pointe en matière d’agriculture et d’élevage. Dans les années 1830, c’est encore grâce à l’action volontariste d’Auguste Yvart et Lefèbvre-Sainte-Marie (alors respectivement inspecteur général des écoles vétérinaires et d’agriculture), combinée à celle du ministre de l’Agriculture Adolphe Thiers, que l’importation de bétail amélioré et — plus particulièrement de Durham — est sérieusement envisagée. L’idée est d’importer quelques sujets d’étude à l’École vétérinaire d’Alfort, puis de revendre leurs produits aux éleveurs pour tenter d’établir un « noyau » d’élevage autour des haras. On crée notamment des « étables-pépinières » afin de limiter les frais d’importation, et on organise régulièrement des ventes publiques de reproducteurs pour diffuser le sang durham au sein du cheptel français [35]. La réputation de la race grandit, en particulier grâce à sa popularité dans les concours agricoles où il commença à remporter presque systématiquement tous les premiers prix, au grand dam des éleveurs de races autochtones. 

    Les concours d’animaux gras

    Le premier de ces concours d’animaux gras [36] fut organisé à Poissy en 1840 par l’État, vivement sollicité par les membres de sociétés d’agriculture (encore majoritairement dominées par l’aristocratie terrienne). Moment très attendu par les acteurs de l’élevage, il demeurait davantage « une fête de l’aristocratie du sol qu’une réunion de travailleurs [37]». Très rapidement des concours sont mis en place par les associations d’éleveurs au niveau local. Malgré le contexte économique et agricole favorable ainsi que le courant d’anglomanie qui les anime, les élites françaises de l’époque ne peuvent se suffire à eux-mêmes pour stimuler les initiatives [38]. L’émulation suscitée par la compétition, les applaudissements et l’envie que suscite l’exhibition de beaux animaux sont essentiels [39]. Ces concours avaient la triple mission de créer l’émulation, de récompenser, et de propager les « bonnes » méthodes en matière d’élevage. Les propriétaires des meilleurs concurrents obtiennent des récompenses matérielles aussi bien que symboliques. Dans un rapport publié en 1858, Eugène Tisserant fait figurer ces manifestations « parmi les causes qui ont fait reprendre à notre population son mouvement ascendant, le bien-être matériel dont la majorité de la nation jouit, malgré les crises douloureuses de l’industrie et du commerce [40]». Cependant, certains acteurs du monde de l’élevage estimèrent qu’un pendant scolaire était indispensable pour compléter l’action des concours [41].

    L’organisation des premières conférences agricoles

    Les concours agricoles, dont l’une des missions était pourtant au départ d’encourager la mise en œuvre de pratiques culturales et d’élevage susceptibles d’être suivis par les petits exploitants, semblaient clairement manquer leur but. En récompensant systématiquement des animaux, certes les plus productifs ou ayant le meilleur embonpoint, mais impossibles à élever et à entretenir pour la majorité des exploitants, ils ne tenaient aucun compte des réalités locales. Ils perdaient ainsi de vue la mission première qui était la leur : proposer aux éleveurs des méthodes innovantes, mais viables à mettre en pratique sur leur exploitation. Eugène Tisserant les accusait de manquer leur cible, faute de pouvoir s’émanciper du modèle anglais et de proposer clairement des méthodes d’exploitation susceptibles d’être mises en œuvre à l’échelle locale. Il y avait là selon lui un réel risque de désintérêt des agriculteurs pour ces concours, où l’on ne semblait pas faire cas des particularités des différentes régions et des moyens dont disposaient les petits exploitants: 

    Que voulez-vous qu’il pense et qu’il croie quand, par exemple, il voit accorder des encouragements le même jour et dans le même endroit, aux mêmes personnes peut-être, pour les races du Charolais, de la Franche-Comté, de la Bresse, de la Bretagne, de la Hollande, du Bourbonnais, de la Suisse, pour toutes les races qui se présentent ou à peu près, et qu’ensuite il entend dire officiellement que celles de Durham, d’Ayr (trop chères pour lui) leur sont bien préférables?

    Eugène Tisserant, « Concours régional de Mâcon », Journal de médecine vétérinaire de Lyon, 1858, p. 265.

    Des conférences furent donc organisées par des vétérinaires et des professeurs départementaux d’agriculture qui s’appuient sur des réseaux de contacts au niveau local (maires, curés, propriétaires terriens). Ces multiples initiatives rejoignent les préoccupations de l’État, mais semblent se développer sans intervention de sa part. En effet, comme le révèle le dépouillement de la correspondance échangée par les préfets des régions et les maires des petites communes, des réseaux de bonne volonté agissent de manière autonome [43]. Dans les années 1840, les premiers conférenciers sont le plus souvent payés par les sociétés savantes régionales ou des préfets bienveillants, qui puisent dans leurs propres fonds pour les rétribuer [44], une situation qui perdurera jusqu’aux années 1860. Dans ses rapports datés de 1857 et 1858, Tisserant insiste sur l’affluence suscitée par ses conférences et sur le soutien fourni par les autorités locales [45]. De même, son rapport sur les conférences agricoles daté de 1859 se fait l’écho de la mobilisation des agents locaux et de l’intérêt du public auquel les conférences sont destinées: 

    J’ai été assez heureux pour réunir autour de moi, dès le début, un nombre très satisfaisant d’auditeurs. Il s’est élevé parfois à 300 ou 400; deux ou trois fois seulement il est descendu à 50 ou 60. […] J’ai reçu partout un accueil bienveillant. […] MM. les Juges de paix et les agents m’ont souvent fourni des observations et des renseignements dont tout le monde a profité.

    « Rapport sur les Conférences agricoles faites en 1857 et 1858 dans le Département du Rhône », Conférences agricoles, ADR, 7M152.

    Convaincus de l’utilité des conférences, et ce, d’autant plus qu’elles semblent suivies avec assiduité et enthousiasme, les professeurs départementaux d’agriculture et les administrations locales apparaissent comme des initiateurs motivés. Cependant, dans les discours comme dans la pratique, les sources semblent indiquer que l’État est resté en retrait dans la mise en pratique de réformes agricoles, un désengagement particulièrement frappant lorsque l’on analyse les sources relatives à la mise en place de conférences agricoles.

    Une implication de l’État discutable

    L’État ne semble soutenir ces initiatives que dans le discours, et ce tout au long des années 1850-1870. Au vu de la mobilisation affichée par les administrations locales, les courriers échangés entre Tisserant et le préfet Vaïsse n’en reflètent que plus crûment le manque d’intérêt de l’administration centrale pour l’enseignement agricole, et ce malgré l’enthousiasme du public auquel il est destiné, et l’implication des fonctionnaires au niveau local. Un courrier de Tisserant daté de 1861 et destiné au préfet Vaïsse dévoile les réticences de l’administration vis-à-vis de l’enseignement agricole itinérant : « La divergence qui se manifeste à cet égard, en apparence du moins, entre l’administration et l’opinion publique fortement prononcée à Lyon et dans le département en faveur de l’utilité et de l’importance pratique des conférences agricoles dont je suis chargé, rend ce sujet très délicat pour moi » [47]. De même, après le vote d’un crédit au budget du département de l’Ain, destiné à pourvoir aux frais d’organisation de conférences agricoles, le préfet de ce département interroge Vaïsse, apparemment inquiet de l’accueil réservé à cet enseignement. En réponse, Vaïsse pointe à nouveau du doigt le peu d’intérêt et de conviction manifesté par les hautes autorités à l’égard de l’enseignement itinérant : « Jusqu’à ce jour, le succès de ces conférences n’a pas paru bien assuré, les esprits sont restés à cet égard dans une certaine défiance et l’administration a longtemps hésité à prendre un parti [48] ». Il apparaît donc que malgré le succès des conférences auprès du public visé et la motivation des agents locaux comme des conférenciers, l’État est resté très en retrait dans l’organisation de ces conférences, notamment sur le plan financier. Dans un nouveau compte rendu de concours publié en 1862, Tisserant insiste sur la présence de membres de l’administration : « M. le Sénateur, dans un discours d’ouverture […] a fait ressortir le caractère spécial et le but économique des exhibitions d’animaux gras, et rendu témoignage aux efforts du Gouvernement de l’Empereur pour résoudre le problème de la vie à bon marché [49] ». On voit ici que ces évènements agricoles rassemblaient paysans, experts de l’élevage, politiciens locaux, et convoquaient, même de manière virtuelle, le sommet de l’État comme en signe d’encouragement à s’impliquer davantage. Quelques années plus tard en 1868, le ton se fait plus critique, signe d’une impatience grandissante à l’égard du manque d’investissement de l’État. Au travers d’une comparaison avec l’Angleterre, où on réclame à la même époque un ministère de l’agriculture, Tisserant en appelle à une politique volontariste de la part du gouvernement : 

    Est-ce par hasard que, même de l’autre côté du détroit, dans ce pays de liberté qui nous est si souvent offert comme modèle, et que nous ne pouvons imiter complètement sans cesser d’être français, est-ce, dis-je que là même l’initiative individuelle ne peut tout prévoir et suffire à tout? Est-ce que, là aussi, on commencerait à comprendre que, pour faire une pyramide, il faut une base et un sommet?

    Eugène Tisserant, « Concours d’animaux de boucherie à Lyon », p. 170-183.

    D’autre part, les correspondances échangées par les différents acteurs et les articles publiés dans la presse spécialisée se font le reflet des divergences entre la politique durhamiste soutenue par certains et les réalités du terrain. Une analyse détaillée de ces textes nous a permis de déterminer certains facteurs de rejet du Durham.

    Comment expliquer le rejet unanime du Durham?

    Les résistances paysannes

    Si les campagnes ne peuvent être considérées comme le lieu où se créent à proprement parler les innovations techniques, elles sont le lieu de leur mise en pratique donc de leur validation ou de leur abandon. Au milieu du 19e siècle, les pratiques agraires étaient encore très rudimentaires et un réel fossé séparait ce que l’on pouvait appeler « l’élevage des riches » et « l’élevage des pauvres ». Demanière générale, les agriculteurs aisés avaient les moyens de fournir du bon fourrage en abondance à leurs animaux, tandis que les petits agriculteurs faisaient paître leurs troupeaux sur les communaux et ne portaient que peu d’attention à la manière dont se reproduisaient leurs animaux [51]. En effet, la pénurie restait un problème latent et les petits exploitants étaient sans cesse à la recherche de profits rapides. Il n’était donc pas rare de vendre ses meilleures bêtes à bon prix pour en racheter de moins chères en bénéficiant de la différence, bien que cela affaiblisse la qualité du cheptel [52]. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’élevage de Durham n’ait pas été massivement adopté par la majorité des petits exploitants. Ce rejet est en effet principalement dû à des spécificités régionales et au manque de ressources des éleveurs. L’élevage de Durham était ce qu’on appelle un élevage de réserve : il s’agissait de croiser les plus beaux individus afin de perfectionner la race, c’est-à-dire de rendre ses caractères spécifiques de plus en plus visibles. Le but n’était pas d’avoir un cheptel nombreux que l’on renouvelait fréquemment par la vente et la reproduction, mais de produire de beaux animaux, des « bêtes de concours » dont on ferait ensuite payer très cher la saillie [53]. Cet élevage exigeait que toute la production de l’exploitation soit orientée vers l’engraissement, ce qui impliquait de nouvelles pratiques extrêmement coûteuses pour l’immense majorité des exploitants. Il fallait en particulier augmenter la production fourragère pour nourrir en abondance les animaux, et prendre grand soin d’eux. D’autre part dans un pays où le travail agricole était encore effectué par des bœufs (trait, labour) que l’on gardait jusqu’à un âge avancé, la précocité à l’engraissement ne pouvait être reconnue comme une qualité. En effet, le bétail était utilisé sur l’exploitation pour le travail aux champs jusqu’à l’âge adulte, puis envoyé à la boucherie. Ainsi, ils  payaient en quelque sorte leur fourrage, et l’on pouvait encore en retirer quelque profit lorsqu’on les envoyait à l’abattoir. Les Durhams, très fragiles, étaient impropres au travail dans les champs et gardés à l’étable en permanence. Pour remplacer ces bœufs oisifs, les agriculteurs auraient été forcés d’investir dans l’achat de chevaux, ce qui aurait entraîné de lourdes dépenses : il aurait alors fallu acheter et nourrir le double de bêtes [54].

    De fait, l’immobilisme souvent dénoncé dans lequel végétaient soi-disant les paysans était en fait une conséquence directe des réalités concrètes qu’ils devaient affronter au quotidien.Cette inertie se fondait sur des limites économiques indiscutables et obéissait à des traditions d’élevage propres à certaines régions. Dans son étude sur les pratiques et les représentations entourant la sélection animale au 19e siècle, Annie Antoine prend pour exemple le cas de la Bretagne. Les agriculteurs y étaient très satisfaits de leur cheptel, composé de vaches petites, mais excellentes laitières. Le beurre produit à cette époque en Normandie et en Bretagne était très réputé et se vendait à très bon prix au niveau local comme à l’exportation. Pour eux, il y aurait eu tout à perdre à troquer leur race locale contre une race étrangère comme le Durham. Il existait en effet déjà une spécialisation antérieure de l’élevage dans cette région, où « les bovins du Durham, gros parallélépipèdes de viande, mais mauvais producteurs de lait, sont accueillis avec d’infinies réticences [55] ». Dans la région lyonnaise au contraire, les exploitations agricoles sont très diversifiées. Pour autant on ne peut s’y résoudre à adopter brutalement une spécialisation unique et le Durham n’y est pas adopté non plus par les exploitants. En effet, l’introduction de sang Durham dans le cheptel et donc la spécialisation bouchère des troupeaux aurait été problématique, car le marché des produits laitiers à destination des centres urbains représentait une source de revenus essentielle pour les petits exploitants, et ce d’autant plus que les qualités laitières des Durham avaient toujours été considérées comme particulièrement médiocres. 

    Comme le rappelle John Walton, il apparaît clairement que la question du pedigree n’était que le fruit du perfectionnement et de la standardisation de principes pratiqués de longue date. Le processus de domestication de certains animaux n’est autre chose que la sélection par l’homme d’espèces qu’il considère comme satisfaisant au mieux ses besoins et ses objectifs [56]. À cet égard, le Durham ne pouvait être considéré comme performant. À la fin du siècle, et ce, même en Grande-Bretagne, les critiques étaient trop nombreuses pour être simplement ignorées. Une race à double emploi comme le Durham était en accord avec la demande du marché: un nombre croissant de producteurs réclamaient des vaches qui seraient bonnes laitières, mais aussi capables de produire des veaux aux capacités d’engraissement rapide. Malheureusement ces qualités se combinaient difficilement chez les Durham-Shorthorn et les éleveurs furent accusés, comme l’écrit John Walton, de produire : 

    Not dual-purpose rent payers but what one commentator has described as « no-purpose parasites » […] Encouraged by the conventions and expectations of their particular social milieu, pedigree breeders, it was argued, had focused on meat to the detriment of milk, on fat to the detriment of lean, and on what was fashionable to the detriment of what was productive.

    John R. Walton, « Pedigree and the National Cattle Herd », p. 165-166.

    Les diverses réactions des élites sociales et professionnelles

    On vit dans un premier temps ressurgir les discours traditionnels sur le caractère supposé routinier des paysans. L’apparent refus de la part des petits exploitants face aux nouvelles pratiques d’agriculture fut souvent considéré avec une certaine condescendance voir du mépris par les observateurs contemporains. Ces derniers évoquaient leur caractère têtu, leur enlisement volontaire dans la « routine » et leur attachement à des pratiques d’un autre âge pour expliquer le tristement fameux « immobilisme » du monde rural. Apporter le progrès technique et la modernité agricole aux « gens des campagnes » apparaissait donc comme une mission de première importance. Eugène Tisserant lui-même chercha à avoir une action qu’il considérait comme émancipatrice sur l’esprit des paysans. Comme il l’écrivait dans son rapport sur les conférences agricoles tenues en 1857 et 1858, son dessein revendiqué était « d’affaiblir, de détruire les défiances que provoquent [chez le paysan] les modifications que l’on veut apporter dans ses habitudes [58]». On peut y voir un simple changement de paroisse, puisqu’il est question d’affranchir les paysans de la tyrannie de la routine pour mieux les plier au dogme progressiste : en apportant aux agriculteurs des connaissances plus scientifiques, car produites par des savants, on prétend compléter ou plutôt réformer des savoirs et des savoir-faire que l’on juge dépassés. Comme l’écrit Michel Boulet, « dans l’esprit des partisans de l’agriculture nouvelle, le frein principal est la “routine”, définie comme un mélange de respect superstitieux de méthodes anciennes, souvent médiocre, et de raisonnements antiscientifiques fonctionnant par des analogies simplificatrices» [59].

    Pourtant, dès le début des années 1860, la presse spécialisée prit position contre le Durham. Cette presse agricole se faisait l’écho d’une évolution dans les représentations: le gras commença à être tourné en dérision et l’esthétique qui lui était associée tomba rapidement en désuétude. Dans ses travaux sur les concours d’animaux gras, Caroline Gilberte a montré que la presse lyonnaise s’était déclarée radicalement en faveur des races locales. Ainsi, commentant le concours de boucherie de Vaise en 1864, Le Salut Public vantait le triomphe de « notre belle race charolaise [qui] ne se déforme pas dans son engraissement au point de devenir hideuse comme la durham [car] elle supporte son embonpoint sans se couvrir de gibbosités de graisse, et sa chair tendre, délicate, savoureuse reste entrelardée [60] ». L’article rédigé par Henri Rodet, professeur à l’école vétérinaire, au sujet du concours régional en collaboration avec Tisserant en 1861, reflète un avis similaire à celui de son collègue et de la presse au sujet des Durhams. Il émettait en particulier des doutes sur leur capacité à remplir les exigences des petits exploitants :

    Ces taureaux, dont la généalogie avait été soigneusement indiquée par leurs propriétaires, formaient, à mon avis, la partie la plus remarquable de l’exposition. […] Mais, il faut bien le dire, ces animaux perfectionnés ont pour nous de graves défauts : incapables de travailler, et forts exigeants sous le rapport de la nourriture et des soins […] je ne crois pas que leur race soit appelée à prendre une grande extension dans un pays comme le notre, où l’espèce bovine doit fournir, à peu près partout, du travail et du lait, avant de nous donner de la chair et du suif .

     Henri Rodet, « Compte-rendu du concours régional de Lyon », Journal de médecine vétérinaire de Lyon, 1862.

    Enfin, avec l’émergence de sociétés protectrices des animaux, des arguments liés au bien-être des animaux furent mis en avant. Un vétérinaire de Saint-Quentin s’insurgeait à ce sujet en 1863 : « L’obésité poussée à un tel degré constitue un état maladif qui inflige des souffrances à l’être qui en est atteint. […] comment les Anglais, eux-mêmes, si sensibles aux souffrances de nos vivisections provoquées aux animaux, comment ont-ils pu se décider à dégrader ainsi l’être créateur? [62] ».

    Par ailleurs, les paysans avaient pourtant des défenseurs au sein des sociétés d’agriculture, dont certains grands éleveurs eux-mêmes. Eugène Muret, président de la Société d’Agriculture de la Haute-Vienne, s’indignait en 1861 des critiques récurrentes faites à l’encontre du caractère prétendument routinier des petits exploitants. Dans L’Agriculteur du Centre, il défendait l’idée que :

    Le bétail n’est profitable que précisément parce qu’il rend des services multiples, et qu’il paie sans interruption le fourrage qu’il consomme aujourd’hui en travail, demain en lait, en viande […]. Ce n’est pas parce qu’on ne sait pas, mais parce qu’on ne peut pas que l’on persiste dans d’anciens systèmes.

    Eugène Muret, L’Agriculteur du Centre, tome II et III, 1861, p. 390-393, cité par Stéphane Frioux dans « Entre durham et limousine », p. 5.

    Au même moment, certains grands éleveurs, conscients de leur rôle de « modèles » vis-à-vis des masses paysannes, abandonnèrent progressivement le Durham et s’employèrent à promouvoir les races locales. En effet, d’après Stéphane Frioux, ces derniers avaient bien compris queles concours agricoles, censés être de hauts lieux de la « pédagogie par l’exemple [64]» ne proposaient pas aux éleveurs des modèles possiblement imitables. À l’évidence l’élevage de Durham n’était pas un modèle pour la grande majorité des petits éleveurs. Conscients des spécificités locales et des faibles marges de manœuvre des petits exploitants, certains grands éleveurs choisirent de diffuser un modèle alternatif, en s’appropriant cependant les méthodes de tenue et de gestion des élevages de Durham. Comme le résume Stéphane Frioux dans son article sur l’épisode durhamiste en Limousin, « la priorité donnée par les grands éleveurs de race limousine à leur rôle social est le principal facteur de marginalisation de modèle durhamiste [65]». C’est pourquoi les grands éleveurs, malgré la rentabilité non négligeable de l’élevage de Durham et les succès remportés lors des concours locaux, firent le choix d’abandonner la voie de l’amélioration par croisement avec du sang étranger pour se tourner vers la sélection dans l’indigénat. 

    Selon Stéphane Frioux, « l’agriculture durhamiste, boudée par les comices, est exclue parce qu’elle ne correspond pas au rôle social qu’entendent jouer les grands propriétaires. Pour eux l’excellence doit s’entendre moins par le rendement de l’exploitation que par la capacité à donner un exemple qui pourra être repris par les plus petits [66] ». Par ailleurs, le phénomène n’est pas spécifique aux races à viande comme le Durham. Eugène Tisserant, dans son Guide des propriétaires, déclarait que les croisements avec des races laitières étrangères lui paraissaient tout aussi hasardeux pour les petits exploitants. D’après lui les paysans ne semblaient pas toujours se rendre compte du coût de la modernité :

    Avant de songer à opérer des croisements avec des animaux de races éminemment laitières, comme celles d’Ayr, de la Hollande ou de la Suisse, le cultivateur doit se demander s’il pourra se procurer, sans se ruiner, ces fameux animaux qui viennent s’aligner si libéralement sous la plume de nos habiles théoriciens[…]. Questions embarrassantes que l’on se garde bien de soulever; autrement, que deviendraient tant de belles théories, tant de belles réputations fondées sur ce sable mouvant?

    Eugène Tisserant, Guide des propriétaires et des cultivateurs dans le choix, l’entretien et la multiplication des vaches laitières, Labé, 1858, fonds ancien de l’ENV Lyon, pièce O.001546.

    Comme dans le cas du Durham, des animaux aux qualités productives impressionnantes (et fort coûteux) étaient présentés en exemple aux paysans, sans souci de faisabilité économique. Tisserant révélait ainsi ses réticences à l’égard de la promotion des croisements avec les races étrangères et la grande publicité dont celles-ci jouissaient dans les concours agricoles et dans les traités agronomiques. 

    Enfin, une évolution d’importance vient soutenir le revirement des différents acteurs de l’élevage. Sous la pression des associations régionales d’éleveurs, les modalités du concours de Poissyfurent modifiées à la même occasion. Comme seuls les produits issus des élevages Durham étaient primés aux concours, ces derniers finissaient par n’intéresser que les éleveurs de Durham, peu nombreux en fin de compte et pour la plupart membres de la vieille aristocratie terrienne. À partir de 1862, les animaux concoururent par race et non plus par région, et les races autochtones, qui ne pouvaient auparavant rivaliser en masse et en conformation avec les Durham, eurent enfin les mêmes chances de remporter un prix. Le débat fut donc tranché en faveur des races indigènes et les concours commencèrent à distinguer de nouveaux lauréats issus d’élites élargies et partiellement renouvelées. Petit à petit les épreuves de bétail gras disparurent de manière définitive. L’engouement pour le Durham n’eut d’égal que son rapide déclin. Les élevages durhamistes commencèrent à marquer un temps d’arrêt au milieu des années 1860 et les croisements cessèrent définitivement au début des années 1880. D’après Marcel Théret, en 1869 il existait 305 étables de Durham pures réparties dans 40 départements et en 1909, on n’en comptait plus que 152 dans 20 départements. En l’espace d’une trentaine d’années, les élevages de Durham diminuèrent de moitié, et rejet fut tel que la viande ne trouvait plus de débouchés sur le sol français. En 1885 est créée une société des éleveurs de Durham pour développer l’exportation, et les derniers spécimens de Durham français quittèrent le territoire à bord de bateaux à destination de l’Amérique du Sud [68]. 

    Si la tentative de durhamisation du cheptel bovin est un épisode bien connu de l’élevage français, elle demeure paradoxalement peu étudiée par les historiens. L’action des acteurs impliqués dans la diffusion du modèle anglais est largement restée dans l’ombre, l’histoire prenant pour argent comptant le discours officiel mettant en avant l’action prétendument volontariste de l’État bonapartiste. Notre étude, basée sur l’analyse de correspondances internes encore inexploitées, a permis la mise au jour d’un véritable réseau d’acteurs (agents de l’administration, vétérinaires, agriculteurs) au niveau local. L’étude de leur collaboration met notamment en lumière une nouvelle forme de circulation horizontale et ascendante du savoir.

    D’autre part, l’examen détaillé de la correspondance échangée par les préfets des départements, les conférenciers et les maires des communes bat en brèche l’idée communément admise selon laquelle l’administration bonapartiste aurait accordé une attention particulière aux questions agricoles. On ne peut nier l’impulsion déterminante qu’elle a donnée aux concours, notamment en s’investissant dans la création du premier concours d’animaux gras et en finançant l’attribution de récompenses matérielles et honorifiques. Cependant comme nous l’avons expliqué, les éleveurs primés n’étaient nullement représentatifs de la majorité des petits exploitants. En réalité, ce furent les fonctionnaires locaux, assistés par des professeurs dévoués, mais aussi de grands éleveurs conscients de leur rôle social, qui se chargèrent de réparer un énorme oubli en organisant la diffusion du progrès au sein des petites exploitations et par le biais de conférences. L’épisode durhamiste eut un impact profond sur les débuts de la constitution des raceslocales puisqu’il donna aux éleveurs français le goût du beau bétail, et l’envie d’améliorer leurs races. Le Durham a été un facteur de progrès, mais pas du progrès escompté au départ. L’avènement de la Troisième République vit le retour en grâce des races indigènes dédaignées auparavant. De plus, bien que la constitution de ces races ait été élaborée en réaction à l’introduction de sang étranger dans le cheptel français, elle bénéficia des acquis techniques qui avaient accompagné les croisements anglais, notamment en ce qui concerne la gestion des exploitations, l’hygiène et l’alimentation du bétail. Enfin, la diversification des concours et la modification de leurs règlements permirent une démocratisation de l’excellence agricole. L’enjeu était essentiel puisqu’avec l’accessibilité aux concours des nouvelles élites paysannes et la démythification du bœuf gras, de nouvelles motivations politiques se font jour avec notamment la création d’un ministère de l’agriculture indépendant en 1881. Antinobiliaire, nationaliste et plutôt chauvine, cette nouvelle voie politique valorisa les choix républicains et s’appuya sur de nouvelles élites. En effet, comme le conclut Jean-Luc Mayaud : 

    L’excellence agricole est en quête d’un symbole plus évocateur des réalités quotidiennes de la province française. L’imaginaire républicain récuse le bœuf gras, création artificielle et monstrueuse des étables châtelaines, et lui substitue l’étalon, le taureau, symbole de la vitalité des races indigènes parées de toutes les vertus, produit de la diffusion des pratiques rationnelles dans une paysannerie libérée de l’obscurantisme et doublement ralliée à la Raison et à la République.

    Jean-Luc Mayaud, « Du bœuf noble au taureau républicain », p. 188.

    Références

    [1]  Eugène Tisserant, « Concours d’animaux de boucherie à Lyon », Journal de médecine vétérinaire, vol. 18, 1862, p. 170.

    [2] Journal d’agriculture pratique, d’économie forestière, d’économie rurale et d’éducation des animaux domestiques du Royaume de Belgique, vol. 8, 1856, p. 93-94. On peut également y lire que le Durham Ox déchaîna les passions lors de ses ventes successives : il fut vendu une première fois en 1801 pour l’équivalent de 3500 francs, revendu quelques jours plus tard pour presque le double soit 6250 francs. Le dernier propriétaire déclina une offre d’achat s’élevant à 50 000 francs. De même dans son article, E.A. Wasson rapporte qu’en 1818 le troisième Earl Spencer acheta trois vaches et un taureau à Robert Colling en 1818, pour un total de £900. Cf. « The Third Earl Spencer and Agriculture, 1818-1845 », The Agricultural History Review, vol. 26, no 2, 1978, p. 90.

    [3] E.A. Wasson, « The Third Earl Spencer and Agriculture », p. 91.

    [4] Le phénomène Durham fut très éphémère en France, puisque sa vogue ne dura qu’une petite vingtaine d’années. En Grande-Bretagne en revanche, le Durham-Shorthorn représentait encore 64 % du cheptel bovin en 1908. Board of Agriculture and Fisheries, The agricultural output of Great Britain [Cd 6277] (1912), cité par Joan E. Grundy, « The Hereford Bull: His Contribution to New World and Domestic Beef Supplies », The Agricultural History Review, vol. 50, no 1, 2002, p. 80.

    [5] Stéphane Frioux, « Entre durham et limousine, les grands éleveurs en Haute-Vienne (1850-1880) », Ruralia, no 10/11, octobre-novembre 2002; Voir également Alain Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, Paris, Marcel Rivière, 1975.

    [6] Par spécialisation, on entend principalement des qualités différentes : les races « à viande » qui disposent de bonnes qualités bouchères (capacité à l’engraissement par exemple), et les « races à lait », disposant de bonnes capacités laitières (bon rendement).

    [7] Livres de généalogie bovine qui étaient tenus par les éleveurs afin de garder une preuve du pedigree de leurs animaux. Celui de la race Durham-Shorthorn fut ouvert dès 1822.

    [8] Thomas  Bell, The history of improved shorthorn or Durham cattle, and the Kirklevington herd, from the notes of the late Thomas Bates, with a memoir, Newcastle, R. Redpath, 1871; James Sinclair, History of Shorthorn cattle, London, Vinton & Company, 1907.

    [9] Isadore Lerner et H.P Donald, Modern Developments in Animal Breeding, London, Academic Press, 1966; Bryan Cranstone, « Animal Husbandry: the Evidence from Ethnography », dans Peter Ucko and G. Dimbleby, dir., The Domestication and Exploitation of Plants and Animals, London, Duckworth, 1969, p. 247-263; G E. Minguay The Agricultural Revolution: Changes in Agriculture 1650-1880, London, Black Publishers Ltd, 1977; On peut citer également Allan Fraser, Animal Husbandry Heresies, London, Crosby Lockwood & Son, 1960; Phyllis Deane et W.A Cole, British Economic Growth 1688-1959, Cambridge, Cambridge University Press, 1962; E L. Jones, « The Changing Basis of English Agricultural Prosperity, 1853-73 », The Agricultural History Review, vol. 10, no 2, 1962, p. 102-119; Richard Perren The Meat Trade in Britain 1840-1914, Boston, Routledge and Kegan Paul, 1978; Mark Overton, « Agricultural Revolution? Development of the Agrarian Economy in Early Modern England », dans A. Baker et D. Gregory, dir., Explorations in Historical Geography, Cambridge, Cambridge University Press 1984; Nicholas Russell, Like Engend’ring Like: Heredity and Animal Breeding in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 1986. 

    [10] John R. Walton, « The Diffusion of the Improved Shorthorn Breed of Cattle in Britain during the Eighteenth and Nineteenth Centuries », Transactions of the Institute of British Geographers, New Series, vol. 9, no 1, 1984, p. 22-36 et « Pedigree and the National Cattle Herd circa 1750–1950 », The Agricultural History Review, vol. 34, no 2, 1986, p. 149-170; Voir également Edith H. Whetham, « The Trade in Pedigree Livestock, 1850-1910 », The Agricultural History Review, vol. 27, no 1, 1979, p. 47-50.

    [11] Pour le cas de l’Amérique du Nord, voir Joan E. Grundy « The Hereford Bull », p. 69-88; Eric C. Stoykovich, « The Culture of Improvement in the Early Republic: Domestic Livestock, Animal Breeding, and Philadelphia’s Urban Gentlemen, 1820–1860 », The Pennsylvania Magazine of History and Biography, vol. 134, no 1, janvier 2010, p. 31-58; et James A. Young et  Charlie D. Clements, « Durham Cattle on the Western Range », Journal of the West, vol. 45, no 2, printemps 2006, p. 35; pour le cas de l’Argentine, voir Carmen Sesto, « The Vanguard Landowners of Buenos Aires: A New Production Model, 1856-1900 », Hispanic American Review, vol. 82, no 4, novembre 2002, p. 719-754.

    [12]  Voir par exemple E.A. Wasson, « The Third Earl Spencer and Agriculture », p. 89-99.

    [13] John R. Walton, « Pedigree and the National Cattle Herd », p. 149.

    [14] Carmen Sesto, « The Vanguard Landowners », p. 726-727.

    [15] Ibid., p. 719-754; Eric C. Stoykovich, « The Culture of Improvement », p. 31-58, Gilles Della Vedova, « Les concours de bovins et le développement agricole : l’exemple de la promotion de la race bovine de Villard-de-Lans (Isère) de 1893 à 1914 », Ruralia, no 18/19, 2006; Stéphane Frioux, « Entre durham et limousine »; Philippe Grandcoing, « Comment naît une race? La race bovine limousine dans la première moitié du XIXe siècle », Histoire et Sociétés Rurales, 2003/2, vol. 20, pp. 121-146; Jean-Marie Wiscart, « Agronomes et fermes modèles dans la Somme à la fin du Second Empire », Ruralia, no 9, 2001.

    [16] Bernard Denis, « André Sanson et les vétérinaires, missionnaires du progrès agricole », dans Michel Boulet, dir., Les Enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture, 1760-1945, Actes de colloque, ENESAD, 19-21 janvier 1999, Dijon, Educagri Éditions, 2000, p. 223-227. 

    [17] Ronald Hubscher, Les maîtres des bêtes. Les vétérinaires dans la société française (XVIIIe-XXe siècle), Paris, O. Jacob, 1999, 441 p.

    [18] Michel Vernus, « Un pionnier de l’enseignement agricole : le docteur Simon Bonnet (1782-1872) », Ruralia, no 6, 2000; Jean-Marie Wiscart, « Agronomes et fermes-modèles ».

    [19] Voir notamment Alain Corbin, Archaïsme et modernité »; Roland Jussiau, dir., L’élevage en France, 10 000 ans d’histoire, Dijon, Editions Educagri, 2000; Bertrand Vissac, Les vaches de la République. Saisons et raisons d’un chercheur citoyen, Paris, INRA éditions, 2002.

    [20] Jean-Luc Mayaud,  « La “belle vache” dans la France des concours agricoles du XIXe siècle », dans Eric Baratay et Jean-Luc Mayaud, dir., Cahiers d’histoire. L’animal domestique, XVIe-XXe siècles, tome 42, no 3-4, 1997, p. 521-541 et « L’élevage bovin : d’un mal nécessaire à la spécialisation », dans Monique Paillat, dir., Le mangeur et l’animal. Mutation de l’élevage et de la consommation, Paris, Éditions Autrement, 1997,  coll. « Mutations/Mangeurs », p. 11-32.

    [21] Jean-Luc Mayaud, 150 ans d’excellence agricole en France 1844-1991, Histoire du concours général agricole, Paris, Belfond, 1991. 

    [22] Marcel Théret, « L’introduction des races britanniques dans le cheptel bovin français et ses conséquences », dans « Les bovins, origine, évolutions de l’élevage », Ethnozootechnie, no 32, 1983, p. 159-173; Bertrand Vissac, « A propos des champs et des lieux de la zootechnie française », dans « La zootechnie et son enseignement », Ethnozootechnie no 54, 1994, p. 25; Bernard Denis, Races bovines. Histoire, aptitudes, situation actuelle, Riaucourt, Castor et Pollux, 2010.

    [23]  François Spindler, « Le passage de la sélection traditionnelle à la sélection moderne. Le rôle de quelques grands éleveurs », dans « Prémices et débuts de la sélection animale en France », Ethnozootechnie, no 63, 1999, p. 79-88; Annie Antoine, « La sélection des animaux au début du XIXe siècle : pratiques et représentations », dans « Prémices et débuts de la sélection animale en France », Ethnozootechnie, no 63, 1999, p. 15-26, Bertrand Vissac, « R. Bakewell (1725-1795), pionnier de l’élevage moderne? », dans « Prémices et débuts de la sélection animale en France », Ethnozootechnie, no 63, p. 3-14.

    [24] Michel Boulet, dir., Les Enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture, 539 p.

    [25] René Bourrigaud, « Rôle des comices au XIXe siècle dans la diffusion des connaissances pratiques en agriculture », dans Michel Boulet, dir., Les Enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture; Jean-Luc Mayaud « Les comices agricoles et la pédagogie de l’exemple dans la France du XIXe siècle », dans Michel Boulet, dir., Les enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture, p. 253-257.

    [26] Caroline Gilberte, « Les conférences agricoles dans le département du Rhône, 1870-1905 », dans Michel Boulet, dir., Les Enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture, p. 231-238.

    [27] Jean-Luc Mayaud, « La “belle vache” », dans Paul Bacot et al., L’animal en politique, L’Harmattan, 2003, p. 177-191.

    [28]  Gilles Della Vedova, « Les concours de bovins et le développement agricole »; Stéphane Frioux, « Entre durham et limousine »; Philippe Grandcoing, « Comment naît une race? », p. 121-146.

    [29] Eugène Tisserant, Guide des propriétaires et des cultivateurs dans le choix, l’entretien et la multiplication des vaches laitières, Labé, 1858, fonds ancien de l’ENV Lyon, pièce O.001546.

    [30] Alfred-Augustin Rey, Eugène Tisserant  et François Tabourin, Dictionnaire général de médecine et de chirurgie vétérinaire et des sciences qui s’y rattachent, Charles Savy jeune, 1850, fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon, pièce 447027.

    [31] Henri Durand, Production de la viande de boucherie, rapport lu dans la séance du 21 juin 1861 de la Société impériale d’agriculture, d’histoire naturelle et des arts utiles de Lyon, Lyon : Impr. de Barret, 1861, fonds ancien de l’ENV Lyon, boite D8.

    [32] On appelait « jours d’abstinence » les jours où, dans la religion catholique, il était interdit de consommer de la viande sans pour autant devoir jeûner. Ces journées incluaient traditionnellement le Carême d’avant Pâques, les veilles de fêtes religieuses, les vendredis tout au long de l’année et certains mercredi et samedi. Pour plus d’information, voir l’article « Fast » dans James David O’Neill, Catholic Encyclopedia, vol. 5, New York, The Encyclopedia Press, 1913.

    [33]  Henri Durand, Production de la viande de boucherie, rapport lu dans la séance du 21 juin 1861 de la Société impériale d’agriculture, d’histoire naturelle et des arts utiles de Lyon, Lyon : Impr. de Barret, 1861, fonds ancien de l’ENV Lyon, boite D8.

    [34] Jean-Luc Mayaud, « Du bœuf noble au taureau républicain », p. 181.

    [35] Roland Jussiau, dir., L’élevage en France, 10 000 ans d’histoire, Dijon, Educagri Editions, 2000.

    [36] On appelait ainsi les animaux destinés à la boucherie. Lors des concours d’animaux dits « gras », on récompensait les bœufs ayant les meilleures qualités bouchères.

    [37] Philippe Monnet, Les concours de bovins, moyens de contrôle et d’orientation de l’élevage français, Alfort, Imprimerie Rotaphot, 1969, cité par Jean-Luc Mayaud, 150 ans d’excellence agricole en France.

    [38] Walton met également en parallèle la volonté d’améliorer le cheptel bovin avec l’intérêt croissant à la fin du 18e et au début du 19e siècle pour les sciences naturelles et le monde du vivant. S’imaginant régner en maître sur le royaume animal et donc libre d’y interférer, la bourgeoisie prospère de l’époque se lança dans « a continuing search for the rural ideal among commercial or industrial interests, fully realized by the few who could afford to buy landed property, partially realized by those who had to rest content with mountain holidays, gardening, or the ownership of pets ». John R. Walton « Pedigree and the National Cattle Herd », p. 154. Voir également David Elliston, The Naturalist in Britain: a Social History, Princeton, Princeton University Press, 1976; Jim A. Secord, « Nature’s Fancy: Charles Darwin and the Breeding of Pigeons », Isis, no 72, 1981, p. 170-174; Keith Thomas, Man and the Natural World: Changing Attitudes in England 1500-1800, Harmondsworth, Penguin, 1983.

    [39] On peut notamment trouver une description de cette mise en scène par Eugène Tisserant lui-même dans son « Compte-rendu du concours régional de Lyon », Journal de médecine vétérinaire de Lyon, 1862. 

    [40]  Eugène Tisserant, « Concours d’animaux de boucherie à Lyon », p. 172.

    [41] Il s’agissait de contourner ainsi le problème de l’accès au savoir scientifique : des traités agronomiques étaient publiés depuis le XVIIIe, mais encore fallait-il y avoir accès, savoir lire et en avoir le temps. On estimait, sans doute avec raison, qu’un enseignement oral assorti de démonstrations pratiques serait plus efficace. Voir à ce sujet Florian Reynaud, L’élevage bovin. De l’agronome au paysan (1700-1850), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, Coll. « Histoire ». Les synthèses scientifiques au sujet de l’élevage rédigées milieu du XIXe siècle n’étaient pas destinées aux propriétaires ou aux éleveurs, mais aux artistes vétérinaires et aux scientifiques. Regroupant des connaissances sans doute trop complexes pour être intégrées par les non-initiés, elles n’étaient donc d’aucune utilité pour ceux qui en avaient le plus besoin.

    [42] Eugène Tisserant, « Concours régional de Mâcon », Journal de médecine vétérinaire de Lyon, 1858, p. 265.

    [43] « Conférences agricoles », Direction des services agricoles, Archives départementales du Rhône, 7M152.

    [44] « Création d’une chaire d’agriculture pour la ville de Lyon et nomination d’un professeur : arrêté ministériel, correspondance (1840-1842) », Direction des services agricoles, Archives départementales du Rhône, 7M145.

    [45] Eugène Tisserant, Rapport sur les Conférences agricoles faites en 1857 et 1858 dans le Département du Rhône, Direction des services agricoles, Archives départementales du Rhône, 7M152.

    [46] « Rapport sur les Conférences agricoles faites en 1857 et 1858 dans le Département du Rhône », Conférences agricoles, ADR, 7M152.

    [47]  « Conférences agricoles », Direction des services agricoles, Archives départementales du Rhône, 7M152.

    [48] Ibid.

    [49]  Eugène Tisserant, « Compte-rendu du concours régional de Lyon », p. 170.

    [50] Eugène Tisserant, « Concours d’animaux de boucherie à Lyon », p. 170-183.

    [51] Au début du 19e, pour les agriculteurs les moins aisés, l’usage le plus fréquent pour la reproduction du bétail est de faire saillir leur vache par le taureau du voisin en échange de quelques centimes. De même, les veaux étaient généralement livrés trop tôt à la boucherie pour qu’on puisse déterminer lesquels auraient fait de bons reproducteurs.

    [52] Annie Antoine, « La sélection des animaux », p. 15-26.

    [53] John Walton  souligne à cet égard que l’appartenance à une race était principalement une affaire de marketing publicitaire. Il s’agissait de développer certaines caractéristiques physiques facilement reconnaissables à certaines races et d’encourager les acheteurs potentiels à y associer des aptitudes comme la capacité à engraisser rapidement ou à fournir de bons rendements en lait : « The success of a breed depended to some extent on the visual impact of the chosen marker or trade mark, and the ease of its transmission from one generation to the next, to some extent on the degree to which the claims made for the breed’s performance were thought to be valid ». Cf. John R. Walton, « Pedigree and the National Cattle Herd », p. 152.

    [54] Il est intéressant de noter que les éleveurs rencontrèrent les mêmes problèmes d’acclimatation aux États-Unis. Il n’y a avait pas de cheptel indigène originel aux États-Unis, mais au milieu du 19e siècle des animaux issus des différentes importations européennes et de leur métissage étaient largement répandus sur le territoire. Les Shorthorn, avec d’autres races européennes, avaient été importés aux États-Unis dans la deuxième moitié du 19e siècle dans le but d’améliorer la qualité du cheptel local. Rendus célèbres depuis l’Europe grâce au prestige associé à leur pedigree, ils furent rapidement diffusés dans les nouveaux territoires colonisés des Grandes Plaines entre 1866 et 1878. Pourtant, il apparut très rapidement que ces animaux coûteux à l’achat aussi bien qu’à l’entretien étaient tout à fait inadaptés au libre pâturage aussi bien qu’au rude climat des Grandes Plaines. Voir Joan E. Grundy, « The Hereford Bull », p. 72-74.

    [55] Annie Antoine, « La sélection des animaux », p. 15-26.

    [56] John R. Walton, « Pedigree and the National Cattle Herd », p. 152; Voir également Robert J. Berry, « The Genetical Implications of Domestication in Animals », dans Peter Ucko et G. Dimbleby, dir., The Domestication and Exploitation of Plants and Animals, London, Duckworth, 1969, p. 211-214. 

    [57] John R. Walton, « Pedigree and the National Cattle Herd », p. 165-166.

    [58] Eugène Tisserant, Rapport sur les Conférences agricoles faites en 1857 et 1858 dans le Département du Rhône, Direction des services agricoles, Archives départementales du Rhône, 7M152.

    [59] Michel Boulet, « L’école des paysans », dans Michel Boulet, dir., Les Enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture, p. 23-30.

    [60] Le Salut public, 19 mars 1864, cité dans Caroline Gilberte, Les concours d’animaux gras à Lyon de 1847 à 1869, mémoire de maîtrise, Université Lumière Lyon 2, 1998.

    [61]  Henri Rodet, « Compte-rendu du concours régional de Lyon », Journal de médecine vétérinaire de Lyon, 1862.

    [62] Cité par Jean-Luc Mayaud dans « Du bœuf noble au taureau républicain », p. 177-191.

    [63] Eugène Muret, L’Agriculteur du Centre, tome II et III, 1861, p. 390-393, cité par Stéphane Frioux dans « Entre durham et limousine », p. 5.

    [64] Jean-Luc Mayaud, « Les comices agricoles », p. 253-257.

    [65] Stéphane Frioux, « Entre durham et limousine », p. 7.

    [66] Ibid., p. 8.

    [67] Eugène Tisserant, Guide des propriétaires et des cultivateurs dans le choix, l’entretien et la multiplication des vaches laitières, Labé, 1858, fonds ancien de l’ENV Lyon, pièce O.001546.

    [68] Marcel Théret, « L’introduction des races britanniques », p. 159-173. Les éleveurs argentins travaillèrent avec leurs homologues britanniques et européens pour développer des systèmes de production animale permettant d’augmenter le rendement animal, et développèrent un réseau d’acteurs avec des éleveurs d’Angleterre, de France et d’Allemagne. D’après Carmen Sesto, la substitution de durham shorthorn au cheptel créole commença à la fin des années 1850, grâce à l’intermédiaire d’un réseau de pionniers européens (britanniques, français et allemands) et à l’importation d’une vingtaine de bovins pur-sang furent importés en Argentine au début des années 1850. En l’espace d’une quarantaine d’années, le bétail amélioré a totalement monopolisé le cheptel argentin, puisqu’en 1895, il représente 50 à 70 % du cheptel argentin. Dans certaines haciendas, les Durhams-shorthorn représentent jusqu’à 40 % du troupeau. Voir Carmen  Sesto, « The Vanguard Landowners », p. 724 et 749.

    [69] Jean-Luc Mayaud, « Du bœuf noble au taureau républicain », p. 188.