Recension de Les années Mao en France[1]

Julien Lehoux
UQAM et UdeM

Biographie : Julien Lehoux est détenteur d’une maîtrise en histoire à l’UQAM. Son mémoire, dirigé par la professeure Olga. V. Alexeeva porte sur l’internement des civils canadiens à Hong Kong durant la Deuxième Guerre mondiale et des négociations entre les Alliés et le Japon quant aux échanges de prisonniers de guerre. Il est actuellement candidat à la maîtrise en muséologie à l’UQAM et à l’UdeM.

Mots-clés : Mai 68, Maoïsme, Révolution Culturelle, France, Militantisme, Culture populaire, Intellectuel

 

L’année 2018 marquait les commémorations pour le cinquantième de Mai 68. À cet effet, plusieurs ouvrages historiques sur le sujet sont parus dernièrement. Professeur de sciences politiques à l’université d’Angers, François Hourmant propose le projet ambitieux de faire l’histoire du maoïsme français au tournant de Mai 68 avec son livre Les années Mao en France[2]. Hourmant est spécialiste des différents courants gauchistes dans la classe intellectuelle française et nous lui devons déjà quelques livres à ce propos[3]. Dans ce dernier ouvrage, cependant, l’auteur tente de démystifier la vague maoïste française sur tous ses aspects : des intellectuels jusqu’aux militants en passant par la culture populaire. Hourmant énonce ainsi que le maoïsme s’est introduit en France comme un effet de mode. D’abord perçu comme un vent de fraîcheur durant les années 1960, à un moment où la gauche cherche une alternative au modèle soviétique, le maoïsme se galvanise ensuite en différentes factions durant les années suivantes pour finalement perdre son influence dans la deuxième moitié des années 1970. Le livre est ainsi structuré selon les trois moments forts du maoïsme français, à laquelle Hourmant appose trois années décisives : la « fétichisation » (1967), l’« hystérisation » (1971) et la « déréalisation » (1974). Dans le cadre de sa recherche, Hourmant a utilisé les témoignages écrits de plusieurs intellectuels et militants au courant des années 1960 et 1970 auxquels il a joint une pléthore de journaux, pamphlets, livres et magazines.

Dans la première section du livre, Hourmant énonce que 1967 est une année « exotique »[4] où les différentes luttes communistes au Vietnam, à Cuba et en Chine titillent l’imaginaire français. Il désigne alors un voyage en Chine, mené en 1967 par un petit cortège d’intellectuels et de militants, comme l’une des pierres fondatrices de l’intrusion du maoïsme en France. Le groupe est chapeauté par le Parti communiste chinois (PCC) et est amené devant différents lieux touristiques, bien loin des luttes étudiantes et paysannes de la Révolution culturelle (1966-1976). L’enthousiasme des militants envers la culture chinoise révèle une vision idéalisée plutôt qu’une réelle compréhension de ses divers enjeux. Le reste de cette section traite du parcours du fameux petit livre rouge, de la veste Mao et du portrait du Grand Timonier. Saisis par la culture populaire, tous ces objets se transforment alors en véritable icône esthétique. 

La deuxième section désigne l’année 1971 comme une année dogmatique, où les maoïstes passent de l’admiration à la lutte. Hourmant délaisse alors la culture populaire pour plutôt se concentrer sur les fronts militants et intellectuels. Un premier chapitre traite donc du rapprochement entre le Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF) et le PCC. Un autre est réservé à l’apparition d’autres groupes comme l’UJC(ml) ou la Gauche prolétarienne qui multiplient autant les coups d’éclat dans les journaux que dans la rue. Sur le front intellectuel, Hourmant traite longuement de la réception controversée des livres de la journaliste Maria Antonietta Macciocchi (De la Chine, 1971) et du sinologue Simon Leys (Les Habits neufs du président Mao, 1971). Selon Hourmant, c’est à la suite des nombreux débats engendrés par ces livres que le maoïsme français commence véritablement à s’entre-déchirer. Par le fait même, il note un changement de perception du public en général qui associe de plus en plus le maoïsme au radicalisme.

L’année 1974 est, selon Hourmant, le point où les Français se retrouvent complètement désenchantés de l’expérience maoïste. Il utilise comme premier exemple un autre voyage en Chine où le cortège en ressort franchement ennuyé. Dans la culture populaire, le film Les Chinois à Paris (1974), qui relate satiriquement une invasion de l’armée chinoise, provoque énormément de controverses, d’un camp comme d’un autre. Le PCMLF organise ainsi une campagne de dénonciation devant chaque salle. Quant à la critique, on classe le film de « raté, sale, laid et miteux »[5]. L’anecdote met bien en évidence le statut du maoïsme à l’époque : ultra-protégé par ses admirateurs, mais jugé vulgaire. Chez les intellectuels, c’est l’heure du bilan rétrospectif sur la Chine et le maoïsme. Les ouvrages vantant le régime communiste sont toujours aussi présents, mais les critiques sont de plus en plus courantes. De même, comme le souligne Hourmant, les anciennes grandes publications qui s’affichent ouvertement maoïstes quelques années plus tôt ont maintenant des comptes à rendre pour certains. Finalement, tout se termine à la mort de Mao en 1976, alors que les mouvements militants se dissolvent ou se recadrent idéologiquement, et que les intellectuels se campent dans leur tour d’ivoire.

De prime abord, le thème de Mai 68 est rapidement évacué de l’analyse. Hourmant manque à inclure véritablement cet évènement dans sa démarche, citant simplement quelques maoïstes qui attribuent ce moment aux succès de la Révolution culturelle[6]. Le cadre temporel ratisse beaucoup plus large et couvre plutôt la dernière décennie sous Mao. Cela étant dit, Hourmant présente un historique intéressant et très peu étudié. Les différents récits de voyages survenus au fil des époques mettent très bien en évidence le changement d’attitude progressif des Français vis-à-vis la Chine et son régime. Cependant, le reste de l’analyse est plutôt inégale. Par exemple, les premiers chapitres font un portrait clair et précis des symboles maoïstes dans la culture populaire. Toutefois, les chapitres suivants abandonnent largement la production populaire pour plutôt se concentrer sur les autres groupes. À ce sujet, les militants sont présentés comme étant campés sur leurs positions, déjà convaincus par leurs premiers contacts avec le PCC et sans réels développements au fil des années. En revanche, la majorité de la recherche se concentre plutôt sur les élucubrations des intellectuels qui semblent être les seuls à nuancer l’expérience maoïste. L’argumentaire général mériterait d’être recadré dans un contexte historique plus large. L’analyse se sert très bien des sources littéraires laissées par les différents adhérant au maoïsme, seulement, elle peine à sortir de ces éléments pour pousser l’argumentation plus loin. Le maoïsme en France semble ainsi n’avoir été qu’une vague, dont les éclats se sont effacés naturellement avec le passage du temps. Hourmant présente en somme une première fondation dans le champ historiographique en attendant la contribution plus substantielle d’autres recherches.

Références

[1] Nous tenons à remercier les contributions et les corrections apportées par Alexandre Blier pour ce court compte-rendu.

[2] De la notice complète : François Hourmant, Les années Mao en France. Avant, pendant et après Mai 68, Paris, Odile Jacob, 2018, 282 p.  

[3] Par exemple : François Hourmant, Le désenchantement des clercs : Figures de l’intellectuel dans l’après-Mai 68, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1997, 260 p. ; François Hourmant, Au pays de l‘Avenir Radieux, Voyages et témoignages des intellectuels en URSS, à Cuba et en Chine populaire, Paris, Aubier, 2000, 281 p.

[4] François Hourmant, op. cit., 2018, p. 17.

[5] François Hourmant, op. cit., 2018, p. 189.

[6] Ibid., p. 214.